Ayrault dégueule les scarabées et les escargots

Publié dans Charlie Hebdo le 24 avril 2013

Deux mecs, l’un de gauche et l’autre de droite, remettent un rapport délirant à Matignon. Il faut foncer, défoncer, dégueulasser sans plus s’emmerder avec les lois de protection de la nature.

Comme on ne peut pas traiter des élus de la République de peigne-culs, disons de messieurs Jean-Claude Boulard et Alain Lambert que ce sont des marrants. Le premier est socialo, et il est maire du Mans. Le second, de droite bon teint, a été ministre du Budget sous Raffarin, entre 2002 et 2004. Les deux, comme on sait peut-être, ont pondu pour faire plaisir à Jean-Marc Ayrault un texte comme on les adore, qui s’appelle, et que personne ne rie : « Rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative ». La norme, voilà l’ennemi ! La règle, la loi, le contrôle entravent l’initiative, freinent la croissance, engluent le magnifique pays qui est le nôtre.

Ayrault, mouillant de joie son slip léopard, a aussitôt envoyé une lettre officielle aux ministres et aux préfets, qui tient en une phrase : « À l’exception des normes touchant à la sécurité, il vous est désormais demandé de veiller personnellement à ce que vos services utilisent toutes les marges de manœuvre autorisées par les textes et en délivrent une interprétation facilitatrice pour simplifier et accélérer la mise en œuvre des projets publics et privés ». Il n’est pas interdit d’imaginer Ayrault dans son bureau, pensant à ces petits crétins de Notre-Dame-des-Landes, qui s’obstinent à refuser son bel aéroport. On le voit même ricaner.

Bon, le rapport des deux bougres. Les mecs connaissent sur le bout des doigts l’art du copié collé. Exemple avec deux désopilantes inventions (1), qui se trouvent page 42. Les charmants zozos dressent la liste des zones – du type ZAC ou ZEP – qui « accumulent les normes ». Et parmi elles, une ZEC – zone écologique contrôlée – qui n’a jamais existé, et une Zone d’exploitation contrôlée qu’on trouve certes au Québec, mais nullement en France. Quel site Internet nos deux grands hommes ont-ils visité, puis recopié ? Mystère des profondeurs.

L’emmerde, c’est que le rapport est loin d’être seulement bâclé. Il s’attaque bille en tête aux quelques mesures de protection de la nature arrachées de haute lutte depuis quarante ans. En pointant explicitement « l’histoire édifiante du scarabée pique-prune, de l’hélianthème faux alyson et de l’escargot de Quimper ». La présence du premier a bloqué un chantier d’autoroute pendant dix ans ; la deuxième – une fleur protégée – a retardé le triomphe d’une ZAC près du Mans ; et le troisième a empêché la construction d’un centre de formation de foot du côté de Brest. Horreur, malheur, Boulard et Lambert ne veulent plus voir cela. Jamais. Or, écrivent-ils, « nous avons également rencontré un intégrisme normatif dans le domaine de l’environnement qui n’est pas le fait de l’écologie politique, mais celui d’associations environnementalistes relayées par les DREAL qui mettent au service de l’interprétation rigoriste des normes la bureaucratie ».

Les Dreal sont les Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement. Autrement dit, cette administration qui surveille mollement, sur le terrain, les projets d’aménagement. Nos deux audacieux proposent fort logiquement que les Dreal aillent se faire foutre, éventuellement se pendre aux arbres encore épargnés par les bulldozers. Le rapport suggère de : « faire des préfets de département l’autorité environnementale territoriale », à la place des Dreal. Ces préfets à la botte d’Ayrault.

Est-ce bien tout ? Que non. Entonnant en chœur un couplet populiste connu, nos deux héros prennent la défense ouverte de l’agriculture intensive. Les porchers industriels, par exemple, seraient les victimes d’une « réglementation française plus restrictive que la directive européenne » sur les nitrates. C’est bien simple, « pour maîtriser toutes ces règles, il faut au moins sortir d’une école nationale de chimie ». La solution est évidente pour toute personne de bon sens : il faut faire confiance. Miser sur l’autocontrôle des épandeurs de lisier et de pesticides, grâce à « des cahiers des charges établis avec les professionnels, à partir des bonnes pratiques dégagées par eux ».

Au moins, on ne pourra pas dire plus tard qu’on n’était pas prévenus. La gauche et la droite, Ayrault et Raffarin, Hollande et Sarkozy n’ont strictement rien à foutre des scarabées, des fleurs et des escargots. On le savait ? Ouais, on le savait, mais ça fait toujours aussi mal au cul.

(1) Repérées par les Naturalistes en lutte, http://naturalistesenlutte.overblo.com

8 réflexions sur « Ayrault dégueule les scarabées et les escargots »

  1. « Une interprétation facilitatrice pour simplifier et accélérer la mise en œuvre des projets publics et privés. »
    A côté des grands projets nuisibles, genre aéroport nantais, les petits projets maléfiques se multiplient un peu partout : centres commerciaux, zones d’activités, routes, lotissements, parcs de loisirs… Leurs conséquences ne sont pas anodines.
    http://www.reporterre.net/spip.php?article4276

    Il faudrait organiser un concours sur nos territoires, celui des aménagements urbains les plus hideux, menés au nom du développement local. Chaque année, un jury se réunirait et remettrait un prix spécial « zone d’activité la plus laide », par exemple. Pour les villes qui auraient frôlé la victoire, des suggestions seraient formulées (du style : peut faire pire), avec des encouragements pour rester dans l’esprit positif de l’époque (en net progrès par rapport à l’année dernière, commune sérieuse, doit poursuivre ses efforts de destruction des paysages…).

  2. Merci Fabrice
    cela me rappelle le maire d’une commune que je connais assez bien, qui voulait détruire les broussailles et les haies (« car ça abrite la vermine « ) et bétonner 22 hectares pour faire des hangars à camions(affaire à suivre ).
    Tous ces beaux personnages respirent et mangent pourtant ,et sont charmés par un goût ou un parfum;
    mais l’argent…
    l’illusion des emplois immédiats…

  3. Un grand Bravo pour votre intervention , car ce rapport est très grave. C’est tout simplement un recul de 40 ans qui est proposé sur les questions environnementales (loi Bouchardeau) .
    On dit merci qui ….
    Notre association a alerté sur son blog car dans les Alpes Maritimes on sait ce que veulent dire les « simplifications ». Par exemple on simplifie la question des terres agricoles en supprimant les terres arables (qui deviennent constructibles aux PLU) et on les remplace par des hectares de cailloux et de surface sans valeur agronomique)
    http://www.lesperdigones.fr/article-le-choc-de-simplification-un-cheval-de-troie-contre-l-environnement-116984795.html
    Nous avons repris notre texte sur médiapart et surprise, Mr Lambert, l’un des rapporteur nous a reproché d’être dans l’excès et dans le conflit (voir en commentaire) alors que ce rapport est une provocation.
    http://blogs.mediapart.fr/blog/les-perdigones/160413/le-choc-de-simplification-un-cheval-de-troie-contre-lenvironnement

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