Commune présence (en 2014)

En ce premier jour de l’année 2014, je ne vois pas quel cadeau plus sincère je peux vous faire. Il s’agit d’un poème de René Char, paru dans l’anthologie Commune présence, et que vous dire d’autre ? Ces mots m’habitent et me transportent depuis des lustres. À vous d’en profiter avec moi. Je vous souhaite au profond de moi une belle année 2014.

Commune présence

tu es pressé d’écrire
comme si tu étais en retard sur la vie
s’il en est ainsi fais cortège à tes sources
hâte-toi
hâte-toi de transmettre
ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance
effectivement tu es en retard sur la vie
la vie inexprimable
la seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t’unir
celle qui t’est refusée chaque jour par les êtres et par les choses
dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
au bout de combats sans merci
hors d’elle tout n’est qu’agonie soumise fin grossière
si tu rencontres la mort durant ton labeur
reçois-la comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride
en t’inclinant
si tu veux rire
offre ta soumission
jamais tes armes
tu as été créé pour des moments peu communs
modifie-toi disparais sans regret
au gré de la rigueur suave
quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit
sans interruption
sans égarement

essaime la poussière
nul ne décèlera votre union.

22 réflexions sur « Commune présence (en 2014) »

  1. Coucou,

    Merci Fabrice.

    Tout est dit en quelques mots dans ce poème.

    L’impatience du poète. Les trois dimensions de sa poésie, avec sa part de rêve, de révolte et d’engagement.

    Le défi en face duquel il se trouve : transmettre l’inexprimable.

    Le double mouvement de destruction et de fécondité.

    Le tout concernant un être d’exception, capable de rester dans l’ombre.

    Bisous,

  2. Merci, quelle belle idée et quel bonheur de relire ce poème ! il y a dans ce texte de quoi « mettre en route l’intelligence sans le secours des cartes d’état-major  » pour citer Char…et puissions nous tous faire du chemin en 2014, individuellement et collectivement, histoire de rattraper un peu notre retard sur la vie, et que votre livre fasse lui aussi un beau chemin.
    (les curés devraient remplacer  » souviens-toi que tu n’es que poussière … » par « essaime la poussière, nul ne décèlera votre union », c’est tellement plus poétique et pas moins spirituel !)

  3. Bonne année à tous les combattants et essaimeurs de belle et vivante pensée.
    Bonne année à toi – indispensable – Fabrice.
    Coïncidence de calendrier, amenée à faire quelques recherches, je viens de parcourir bon nombre de tes articles et ainsi de remonter dans le temps. Quel travail ! Quelle mine d’or !
    Alors, bonne continuation ici, même si c’est moins souvent, et ailleurs. Bise.

  4. Fabrice,

    A la puissance de René Char, cette pause délicate, pour vous, cher Fabrice, qui êtes – comme Fernando Pessoa – gardeur de troupeaux.
    Et une belle année à vous.
    Pascale

    Le gardeur de troupeaux

    Jamais je n’ai gardé de troupeaux,
    mais c’est tout comme si j’en gardais.
    Mon âme est semblable à un pasteur,
    elle connaît le vent et le soleil
    et elle va la main dans la main avec les Saisons,
    suivant sa route et l’oeil ouvert.
    Toute la paix d’une Nature dépeuplée
    auprès de moi vient s’asseoir.
    Mais je suis triste ainsi qu’un coucher de soleil
    est triste selon notre imagination,
    quand le temps fraîchit au fond de la plaine
    et que l’on sent la nuit rentrée
    comme un papillon par la fenêtre.

    Mais ma tristesse est apaisement
    parce qu’elle est naturelle et juste
    et c’est ce qu’il doit y avoir dans l’âme
    lorsqu’elle pense qu’elle existe
    et que des mains cueillent des fleurs à son insu.

    […]

  5. Meilleurs vœux à toutes et tous, et bien sûr à toi Fabrice, maitre des lieux.
    Que 2014 soit l’année ou les politiques deviennent adultes et responsables, qu’ils enlèvent leur bandeaux en pensant à nos, et à leurs descendants.

  6. 2014… la nouvelle année du Père Noël. Vive 2014 et le Père Noël !

    2014 le 2 janvier tôt le matin. Premier Blaireau qui a cru vivre sa vie en traversant la route. Mort. C’était sans compter le nouvel an, le Père Noël et les fêtards. Si de l’impatience de vivre il avait su attendre le grand changement humain il m’aurait fait au minimum un futur centenaire.

  7. Ce film étonnant sur René Char où il dit ses poèmes, merci pour celui-ci qui est magnifique :
    http://www.rts.ch/archives/tv/culture/champ-libre/3467369-rene-char.html

    et pour bien commencer l’année, quelques conseils avisés à lire chaque matin au réveil :

    Comment je réussis à rester engagé et à paraître heureux – Un texte de Howard Zinn

    Dans une vraie interview accordée le 07 Mars 1999, le grand historien américain Howard Zinn, professeur Émérite de l’Université d’Harvard, s’exprimait ainsi: « Vous me demandez comment je réussis à rester engagé et à paraître heureux dans ce monde terrible où les efforts des personnes engagées semblent bien faibles face à « ceux qui ont le pouvoir » ? C’est facile.

    1° D’abord, ne laissez jamais « ceux qui ont le pouvoir » vous intimider.Quel que soit leur pouvoir, ils ne peuvent pas vous empêcher de vivre, de vous exprimer, de penser librement, d’avoir amis et relations de votre choix.

    2° Trouvez des personnes qui partagent vos valeurs, vos engagements, mais qui ne sont pas dépourvues d’humour
    (cet ensemble est primordial !).

    3° Soyez assurés que les principaux médias ne vous informent pas des différents actes de résistance qui se déroulent quotidiennement dans la société (grèves/manifestations/ actes individuels de courage) face à « l’autorité ». Observez autour de vous et vous découvrirez sûrement de tels actes non médiatisés. À partir de vos observations, déduisez qu’ils sont au moins mille fois plus nombreux que ce que vous avez pu percevoir.

    4° Notez qu’au fil de l’histoire, des gens se sont sentis impuissants en face de « l’autorité », mais qu’à certaines époques, ces gens impuissants, en s’organisant, en risquant, en persistant ont créé suffisamment de puissance pour changer le monde autour d’eux, ne serait-ce qu’un peu.
    C’est l’histoire des mouvements de salariés, de femmes, de handicapés, de pacifistes, de minorités ethniques ou sexuelles.

    5° Rappelez-vous que « ceux qui ont le pouvoir », et qui semblent invulnérables, sont en fait très vulnérables, que leur pouvoir dépend de l’obéissance des autres, et que lorsque ces autres refusent d’obéir, commencent à défier l’autorité, ce pouvoir du « sommet » devient tout à
    coup très fragile. Les généraux sont impuissants quand leurs troupes refusent d’obéir, les industriels ne peuvent rien quand les salariés quittent le travail, ou occupent les entreprises.

    6° Lorsqu’on oublie cette fragilité du pouvoir, on est étonné quand il s’écroule face à la rébellion. Nous avons eu nombre de surprises de ce type,tant aux États-Unis que dans d’autres pays.

    7° N’espérez pas un moment de victoire totale. Envisagez un combat continuel,avec ses victoires et ses défaites, mais avec, à long terme un accroissement dela conscience. Il faut donc de la patience, de la persévérance, et il faut aussi comprendre que si l’on ne « gagne » pas, on éprouve bonheur et plénitude en s’engageant, avec d’autres, pour une cause noble et digne. »

    Nota : Le professeur Zinn est issu d’une famille modeste qui avait fui les persécutions antisémites des pays de l’Est.

  8. « Nous sommes ingouvernables. Le seul maître qui nous soit propice, c’est l’éclair, qui tantôt nous illumine tantôt nous pourfend ».

    René Char

    A te breve

  9. ce texte magnifique me fait penser à un rapace (ou grand corbeau) qui subitement plie ses ailes et plonge en piqué…faucon pèlerin, aigle botté… merci Fabrice, merci rené char

  10. Kes,

    Je reconnais humblement n’avoir pas regardé de près, et d’autant moins que je ne suis pas chez moi. Ne peut-on y voir – c’est une question – une liberté, au moins pour reçois-là ? J’attends votre réponse avant d’éventuellement corriger. Si vous avez l’édition NRF, ce sera clair. Bien à vous,

    Fabrice Nicolino

  11. Non, je ne l’ai pas, mais c’est tellement clair pour moi…
    Si « reçois là » est français, « reçois-là » est une faute d’orthographe. Et si « reçois là » était une liberté, je ne vois pas à l’égard de quoi, à part du sens et de la syntaxe. Mais il est vrai que l’on trouve de plus en plus d’amateurs de poésie chez qui le « ressenti » fait office de sens, et je pense toujours à cette phrase de Valéry : « La plupart des hommes ont de la poésie une idée si vague que ce vague même de leur idée est pour eux une définition de la poésie. »
    Sur ma recherche Google, je trouve une majorité de « reçois-là », chaque fois avec “qui t’es refusée”. Et « reçois-la » est chaque fois avec “qui t’est refusée”. Il semble donc qu’il y ait eu propagation web d’une version à l’orthographe défaillante.
    C’est bien sûr moins grave que la destruction de la nature, mais je crains que ce soit lié au fait que les filières littéraires ne sont plus des filières d’excellence. Une victoire de plus pour la technocratie.
    Pour 2014, je souhaite à tous de la voir crever.

  12. Bravo à vous pour vos livres.
    Je viens de finir « Bidoche » et cela ne fait que confirmer ma propre évolution.Car oui il s’agit bien d’évoluer, de prendre du recul par rapport à toute cette industrialisation de masse et de penser tout simplement à nos enfants et petits enfants : que leur restera t’il ?
    Pour ma part je ne mange plus que très rarement de la viande (1 fois tous les 15 jours)et surtout pas venant de supermarché, fruits et légumes bio.
    Mais pour qui se prennent-t’ils à assassiner et torturer les animaux ? A se croire si supérieur l’homme va se perdre si ce n’est déjà fait pour certains…
    Et vous avez raison la meilleure façon de se battre c’est d’arrêter de consommer de la viande, des légumes aux pesticides, des aliments aux colorants et autres…
    Bonne continuation
    Christine

  13. A Marieline,

    Merci pour ce texte de Howard Zinn très revigorant.

    A Kes,

    Merci pour cette petite mise au point concernant le poème de René Char et pour les trois dernières phrases.

  14. Un petit joyau perdu depuis 7 ans entre deux livres, et retrouvé avec joie à l’occasion d’un déménagement, dont je realise en le retrouvant seulement, à quel point il m’avait marqué, que je voudrais partager avec vous :

    ————————————————–

    Qu’est-ce qui, de l’environnement d’une société ou de son langage, se dégrade en premier? –nous avons déjà dépassé la phase ou la question pouvait se résoudre. Nous sommes désormais des développés, des « vikasit ».
    Le langage, ce n’est pas seulement la langue, c’est aussi tout un esprit, une attitude, non pas d’un individu, mais d’une vaste communauté, attitude mentale qui consacre dans l’ingénieuse simplicité de ses traditions toute une philosophie, la perception et la gestion de l’univers qui l’environne directement et indirectement. Ces us et coutumes sont dans une grande mesure solidaires de l’eau, de l’air et de la terre de cette société, ils se développent et se renouvellent avec eux comme des plantes et, s’il en est qui viennent à se flétrir, les feuilles mortes en tombent sur place et forment sur cette terre même un compost riche de nourriture pour les semences futures : C’est dire que le terreau de l’expérience jusque dans ses échecs est une leçon ou apprendre du nouveau.

    Mais il peut arriver que l’attitude de certains se modifie à tel point qu’elle change en retour la langue en laquelle elle s’exprime. Tout cela se fait si discrètement que même ceux dont la conscience sociale est réputée vigilante ne peuvent rien en percevoir. One ne parvient pas a en enregistrer l’impact, a prendre simplement note du phénomène, ne parlons pas d’en faire l’analyse ou la critique.

    Toute une procession de mots nouveaux a ainsi déferlé dans la langue Hindi depuis les cinquante ou soixante dernières années, du fait de ce changement d’attitude. Procession variée pour un fiance royal. Le fiance, c’est le mot « développement », « vikas ». On n’en connait pas exactement l’histoire, on ne sait quand le mot fit son entrée dans la langue Hindi avec le sens qu’on lui connait aujourd’hui, mais on chercherait en vain un autre mot qui ait fait autant de tord a l’environnement que lui. Le mot « développement » a modifie les attitudes mentales jusqu’à mettre un frein a la danse joyeuse d’innombrables membres du corps social. On en est venu à appeler Aborigènes, « Adivasi », les peuples qui donnaient ses véritables princes à la société jusqu’à l’arrivée des Anglais, en vertu de cette « conception » spéciale du développement. Dans la carte moderne de la nation qu’a dessinée cette nouvelle attitude d’esprit, de très nombreuses régions se sont retrouvées marquées à la couleur de l’arriération, du mot « arriéré », « pichra », couleur qui, en dépit des ravaudages de divers plans quinquennaux, ne s’est en rien atténuée. Nous en avons même déjà oublie que c’est de la richesse de ces zones arriérées que dépendent en bonne part les régions considérées comme « avancées » du pays, de leurs forets, de leurs ressources minières, de leurs gisement de fer.

    Une poignée d’individus s’emploie présentement à développer le pays dans tous les sens et dans tous les membres de son corps. Développement rural, développement des enfants, développement des femmes, tout est dans la ligne du développement.

    Unité admirable dans cette étrange passion du développement quand on ne connait pas son peuple, quand on ne se connait pas soi-même. Tous les partis politiques, tous les gouvernements, toutes les institutions sociales, d’ordre religieux, caritatif ou marxiste, se sont fièrement engagés dans cette tache. La nouvelle et pléthorique langue du développement qu’ils nous ont forgée a trace une ligne nouvelle, le seuil de pauvreté. Mais il faut voir le dénuement des nantis qui tracent cette ligne, démunis qu’ils sont devant l’augmentation constante du nombre de ceux qui restent en dessous du seuil de pauvreté en dépit de tous les efforts qu’ils font pour le réduire.

    Quant à la langue de l’environnement, elle ne diffère pas d’un iota de la langue de bois des sociologues et des politiciens. Si l’on a du mal à la considérer comme du Hindi, c’est qu’elle peut au mieux s’apprécier comme de la « devanagari », a cause de son alphabet. Il faut lire pour le croire le langage des institutions de l’environnement, produit depuis le ministère de l’environnement dans la capitale jusque dans les modestes officines de bourg et de village. Toute une littérature de ce type, avec sa kyrielle d’articles et de rapports, témoigne de l’invasion de ce Hindi aberrant. Il s’est créé d’énormes tas de déchets – de mots et de programmes dérivés de ces mots, qu’on ne peut même pas penser à « recycler » ! Voyons-en un ou deux exemples. En 1980, on a mis en place dans tout le pays un programme de « sylviculture sociale », « samajik vaniki », courant sur huit ou dix ans. On aurait pu demander aux inventeurs du terme de commencer par nous dire en quoi consistait la sylviculture asociale. Si l’expression et le programme se réfèrent aux bois appartenant au peuple, aux bois appartenant au village, tous les villages de tous les Etats de l’Inde disposent d’un stock lexical abondant pour designer de tels bois, forets villageoises (gramvan) et forets collectives (pacayati van), stock élaboré depuis fort longtemps par la réflexion et les pratiques collectives.

    Ce vif trésor s’est peut-être quelque peu empoussiéré, certains éléments ont peut-être fané, mais sa vitalité reste intacte, sans qu’aucun institut ne se soit présenté pour en recueillir les données à l’époque. Aujourd’hui encore, les « oran » (du sanskrit aranya) désignent les bois appartenant à la communauté villageoise qui les réserve à la déesse du temple. Ces forets s’étendent parfois sur des dizaines de kilomètres, mais elles n’ont jamais fait l’objet d’une exploration officielle systématique. Le département des Eaux et Forets est-il seulement capable de concevoir le respect dont ces bois font l’objet dans la population – qui n’en arracherait pas la moindre brindille ?

    Ce n’est que dans les périodes de disette qu’on les « ouvre ». Ouverts, ils le sont par ailleurs en permanence, n’étant ni clos de barbelés ni fermes de murs en dur. C’est la dévotion et la foi dont on les entoure qui leur servent de gardien. On peut trouver des « oran » vieux de mille ans, de douze siècles. Tout le monde jusqu’aux enfants connait leur existence et leur nom mais au Rajasthan, il n’y a pas si longtemps encore, les meilleurs instituts et spécialistes de la foret n’avaient jamais entendu parler de cette tradition ou, s’ils la connaissaient, ils la considéraient comme une curiosité et un objet de recherche. Nul amour dans cette connaissance, nul sentiment d’appartenance vis-à-vis de cette tradition.

    La liste de tels termes en Hindi serait longue à faire rougir. On a récemment assisté à la mise en place d’un programme de développement des terres arides. Le langage de ce programme était l’aridité faite mots. Le gouvernement eu beau y mettre quelque trois cent crores (dix milions), la terre est restée stérile. On a alors repris le programme. Et voila maintenant le dernier venu, le programme de développement des bassins-versants, « jalagam ksetr vikas », traduction directe en Hindi de l’Anglais « watershed developpment ». Ceux qui en bénéficieront se voient décerner le nom de bénéficiaires, « labharti » ou encore « hitgrahi », deux composes sanscrits. La traduction directe de « groupes d’usagers » est aussi utilisée dans ce sens : « upyogkarta samuh », autre compose sanscrit. D’un cote donc, on a des programmes qui disposent de tous les moyens financiers mais sont coupes du tissu social local. Revendiquant le partenariat populaire (« jan bhagidari ») alors que les gens du peuple prennent peur au lieu d’en prendre part. D’un autre cote, on a une société familière depuis plus d’un millénaire avec le jeu de l’eau et de la terre, qui a élaboré des institutions, une tradition et des règles de vie donnant toute satisfaction. Qui a mis en place une structure globale en adéquation avec ses propres concepts. De Cherrapunji ou il tombe des mètres et des mètres d’eau a Jaisalmer ou il en tombe moins de 200 millimètres, la pluie a toujours été accueillie et gérée dans la joie d’un bout a l’autre de la vaste communauté populaire Indienne. Des chutes de neige en Himalaya aux orages de sable dans le désert du Thar, l’œuvre de l’eau, avec ses bassins et ses lacs, est la fait de la communauté des Gajdhar, dont le travail collectif est littéralement incommensurable. La forme qu’assumait leur œuvre dans les quelques quatre ou cinq cent mille villages du pays était si vaste qu’elle en devenait infinie, sans forme.

    Aujourd’hui les instituts responsables de l’eau et de l’environnement, tous plus importants les uns que les autres, seraient bien inspires de se confronter a cette vision, véritable philosophie matérielle dont ils n’ont guère idée. Mais les Instituts et les Gouvernements qui président au développement des bassins versants dans des programmes aux noms cryptiques seraient bien en peine de percevoir cette dissémination de l’œuvre sans forme. Ils se heurtent a elle, l’absence de forme, jusqu’à en mordre la poussière, mais ne parviennent pas à la percevoir et ne peuvent la reconnaitre. Pour cette œuvre collective l’eau n’était pas un plan d’eau à exploiter, un « waterbody », c’était son petit bassin précieux, son réservoir enchante (« talaiyi », « taliya ») ou contempler le reflet dans anciens dans les vaguelettes. La langue d’aujourd’hui au contraire fait du développement des bassins versants une source de revenu potentiel avec le poisson d’élevage.

    De la même façon, si les rivières ne sont pas capables d’alimenter les ampoules électriques dans les habitations, on considère que l’eau s’écoule a perte jusqu’à la mer. Qu’on produise de l’électricité, soit. Mais s’écouler jusqu’à la mer, c’est aussi une fonction importante des rivières. C’est ce qu’oublie notre nouveau langage. Quand les nappes souterraines seront devenues salées a grande échelle dans les régions côtières, on découvrira l’importance de ce rôle des rivières.

    Mais pour l’heure, c’est notre langue qui se dessèche et s’aigrit. Les mots simples et fluides qui faisaient sa douceur ont vu leur cours barre par l’artifice insipide de mots tels que « environnemental » dans ses deux versions Hindi, « pariavaraniya » et « paristhitik ». Notre propre langue se fait bafouer dans son propre jardin, s’étrange a elle-même dans son propre chez elle.

    Anupam Mishra, « Bhasa aur pariavaran », Bahuvacan, 1, 1998, pp. 361-363. Traduit du Hindi par Annie Montaut.

    Anupam Mishra est l’auteur de nombreux livres, dont « les gouttes de lumière du Rajasthan » a été traduit en Français par Annie Montaut. l’Harmattan (2000).

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *