Poutine au paradis de la neige artificielle (sur les JO de Sotchi)

Publié par Charlie Hebdo du 22 janvier 2014

Les Jeux Olympiques de Sotchi commencent le 6 février, dans une ambiance délirante, faite de canons à neige et de flicages tous azimuts. Question : les Tchétchènes mangent-ils dans la main de Poutine ?

Applaudissements debout. Le 6 février prochain commencent les Jeux olympiques d’hiver 2014, à Sotchi (Russie). La cérémonie est splendide de bout en bout, Vladimir Poutine et notre grand camarade Joseph Staline saluent la foule à leurs pieds d’un langoureux baiser pleine bouche, à la russe. La vodka et la tête des traîtres à la patrie volent dans l’air refroidi des cimes. La neige fabriquée à coup de canons s’approche tout près des pistes.

La magie Sotchi dure depuis qu’on a découvert à la fin du IXe siècle des sources d’eaux thermales à Matsesta, village tout proche. Sotchi est une station balnéaire, fleurie dès le printemps d’hibiscus et de lauriers roses. Le tsar Nicolas II, avant ses ennuis de 1917, y descendait volontiers en famille. Staline y avait ses habitudes dès 1930, puis Khrouchtchev, puis Poutine soi-même. Maurice Thorez, défunt chef stalinien français, y barbotait avec madame Jeannette, et une plage sur la mer Noire porte toujours son nom, preuve qu’il est utile d’être une serpillière.

Mais ne nous égarons pas. Sotchi. Pourquoi Poutine a-t-il décidé d’organiser un événement mondial en ce point-là de la carte ? À priori, il n’y a pas pire. Un, les archives climatiques donnent une moyenne de 6 degrés au mois de février, ce qui n’est guère favorable aux frimas. Et de fait, les stations dédiées au ski, à 600 mètres d’altitude seulement,  sont et seront alimentées par une neige artificielle. Compter environ 1 m3 d’eau pour obtenir 2 m3 de neige.

Deux, le Caucase, ce gigantesque bobinard partagé entre Russie, Géorgie, Arménie, Turquie, Azerbaïdjan. Si par hasard tu prends ta bagnole depuis Sotchi et que tu longes la mer Noire, tu comprendras mieux. D’abord, il faut entrer en Abkhazie, une crotte de mouche de 240 000 habitants, peut-être bien russe, peut-être bien géorgienne, dont l’indépendance fantoche de 1992 est reconnue par cinq pays, dont la Russie, Nauru et Tuvalu. On ne rit pas.

Si tu arrives à sortir de là, bienvenue en Géorgie. Ce pays compte en son sein une autre entité, l’Ossétie du Sud, qu’elle considère lui appartenir, tandis que la Russie la juge indépendante depuis 2008. Vu ? Mais il y a aussi une Ossétie du Nord, semblant d’État faisant partie de la fédération de Russie. Avec comme charmants  voisins la République de Kabardino-Balkarie, la République de Karatchaevo-Tcherkessie, le Daguestan, l’Ingouchie, sans oublier la Tchétchénie, rattachés eux aussi à la Russie. On laisse tomber le kraï de Stavropol.

Revenons à nos moutons dérangés : pourquoi ce lieu cinglé ? On en restera à une hypothèse, qui tient le coup : Poutine aura voulu montrer qu’il en a de bien grosses. Depuis le début de sa carrière d’ancien kaguébiste (flic du KGB), il n’a cessé d’instrumentaliser les indépendantistes du Caucase, Tchétchènes en tête. On se souvient que, dès le début du massacre des Tchétchènes, en 1999, il avait promis de « buter les terroristes jusque dans les chiottes ». Outre les innombrables morts sur place – le bilan russe officiel parle de 160 000 tués -, il a multiplié des opérations tordues. Par exemple, l’empoisonnement par le gaz et le flingue de 170 personnes en 2002, au Théâtre de Moscou. Par exemple la très étrange attaque contre l’école de Beslan, en 2004, au cours de laquelle 344 civils, dont 186 mioches, ont été butés par les forces spéciales du régime.

Sotchi pourrait bien être une très grande opération de propagande, davantage destinée à l’opinion intérieure qu’à TF1 et ses clones du monde entier. Et en tout cas, comme par enchantement, les vilains et ténébreux islamistes ont réapparu. En juillet dernier, on a pu voir une vidéo de l’islamiste tchétchène Dokou Oumarov, proclamé ennemi public numéro 1 – façon Emmanuel Goldstein, personnage de 1984 -, qui menaçait de tout casser à Sotchi, où se trouvent « les ossements de nombreux musulmans enterrés le long de la mer Noire ».

C’est dans ce cadre, fictionnel ou non, qu’ont eu lieu les 29 et 30 décembre 2013 les attentats de Volgograd, l’ancien Stalingrad, avec des dizaines de morts à la clé. S’il s’agit d’un montage, on comprend pourquoi : Poutine a le plus grand intérêt à montrer sa force dans une région où les « terroristes » frappent sans répit depuis la disparition de l’Union soviétique en 1991. Il a du reste déclaré que les JO de Sotchi sont « le plus grand événement de l’histoire postsoviétique », ce qui prend tout son sens sur fond de contestation croissante de son pouvoir.

Le spectacle des JO, entre le 6 et le 23 février, a  été soigneusement mitonné par les maîtres-queux du FSB, qui a pris la suite du KGB. Témoin, s’il en était besoin, l’incroyable système de surveillance des communications mis au point par Poutine. Le quotidien britannique The Guardian (1) publiait en octobre une belle enquête de deux journalistes russes, Irina Borogan et Andrei Soldatov. Prenant les risques que l’on imagine, les deux kamikazes révélaient l’usage à Sotchi d’une technologie dite SORM (pour System for Operative Investigative Activities), sans cesse améliorée depuis 1990.

Tous les échanges, qu’ils passent par le Net ou le téléphone, seront moulinés, éventuellement enregistrés par le FSB, grâce à un système peut-être plus complet que celui de la NSA, ce Prism dévoilé par Edward Snowden. Tel est en tout cas l’avis d’un connaisseur, le Canadien Ron Deibert, le directeur de Citizen Lab (http://citizenlab.org), pour qui le système installé à Sotchi est « un Prism boosté aux stéroïdes ».

On s’en fout ? Pardi, on s’en fout bien. Loin de toute idée de boycott, mais gêné quand même aux entournures, Hollande a décidé de ne pas se rendre à Sotchi pour la cérémonie d’ouverture. Mais Valérie Fourneyron, cette ministre des Sports que personne ne connaît,  en sera, elle. En bon soldat de l’olympisme-sous-le-knout, elle assure que les JO sont l’occasion « d’obtenir des avancées politiques. Cela s’est produit en Chine et, on l’a encore vu en Russie ces dernières semaines avec des libérations d’opposants au régime ». Poutine en fait déjà dans sa culotte.

(1) http://www.theguardian.com/world/2013/oct/06/russia-monitor-communications-sochi-winter-olympics

———————————————————————-

50 milliards d’euros pour buter la panthère de Perse

Les comptes sont délirants. Bien qu’aucun chiffre vérifiable ne soit disponible, les JO d’hiver de Sotchi seront sûrement les plus coûteux – de loin – de l’Histoire. Le régime Poutine reconnaît, pour les seules dépenses d’infrastructures directement liées aux compétitions, 5 milliards d’euros d’investissements. Et au total, une facture de 50 milliards d’euros – les Jeux d’été de Pékin ont coûté 32 milliards -, qui sera peut-être pulvérisée.

Peut-être, car au passage, Poutine et ses potes auraient déjà siphonné 23 milliards d’euros selon l’opposant Boris Nemtsov. Des centaines de kilomètres de routes et de chemins de fer, des stations de ski ex nihilo, 77 ponts et bien entendu le village olympique sont au programme final. Le désastre écologique est aux dimensions du projet. Des forêts entières ont été détruites, des centaines de millions de tonnes de déchets balancés au ravin ou enfouis à la va-vite dans l’une des dizaines de décharges illégales de la région.

Des espèces emblématiques de la région, comme la panthère de Perse, risquent de disparaître, mais les JO ont été proclamés « verts » par Poutine en personne, et la panthère, mascotte officielle, figurera quand même sur les sacs et les colifichets, ce qui est bien l’essentiel.

Les écologistes locaux sont au premier rang de la contestation. Et les plus lourdement frappés. Evegueni Vitichko, par exemple, vient de se prendre trois ans de camp au moment où il s’apprêtait à rendre public un rapport. De son côté, l’ONG Human Rights Watch accuse les principaux sponsors de regarder ailleurs. Parmi eux, Atos, Coca-Cola, Dow Chemical, General Electric, McDonald’s, Omega, Panasonic, Procter et Gamble, Samsung et Visa. Comme c’est étonnant.

10 réflexions sur « Poutine au paradis de la neige artificielle (sur les JO de Sotchi) »

  1. Cela n´empêchera malheureusement pas les millions de spectateurs qui se foutent bien des considérations écologiques, politiques ou sociales et qui réclament à cors et à cris les grands spectacles de cirque, de suivre celui-là sur les écrans de télévision, ou mieux encore, de se rendre sur place.

    Du pain et des jeux, et le peuple est content 🙁

  2. Question surveillance, les Russes sont quand meme nettement a la traine. Apres que le GCHQ ait reussi a penetrer les Blackberry du premier ministre Russe et autres officiels lors d’un sommet en Angleterre l’annee derniere, le premier smartphone Russe vient de sortir, il y a quelques mois, avec obligation pour les hauts fonctionnaires de l’utiliser. A comparer avec l’invasion mondiale des i-phone, windows pour telephones, et bien sur Android, qui fonctionne sur tous les telephones Chinois… Donc on a quand meme un peu l’impression que les Russes jouent, avec determination certes, dans un jeu dont les regles sont mises en place en Occident, avec une bonne longueur d’avance jusqu’a present… L’exemple le plus « brillant » si l’on ose dire, c’est quand meme de faire payer leur surveillance par ses victimes enthousiastes! Enthousiasme pour Google Earth, pour Wikimapia, pour l’i-phone, le GPS… Les Russes ne maitrisent pas encore cet aspect commercial de la surveillance. (Et Poutine moins que tout autre!) C’est probablement pour ca qu’ils depensent autant d’argent public.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *