Le moustique était changé de l’intérieur

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 23 avril 2014

C’est parti mon kiki. Au Brésil, on va lâcher dans les villes et les campagnes un moustique génétiquement modifié, OX513A. Officiellement, pour éradiquer la dengue. Mais en réalité, pour soutenir le chiffre d’affaires de Syngenta, le tireur de ficelles.

On n’a pas fini d’applaudir. Les rusés garçons qui tentent d’imposer partout des OGM ont remporté une belle victoire. Une commission officielle brésilienne, la CTNBio, vient d’approuver le lâcher et la commercialisation de moustiques génétiquement manipulés. À la différence de notre consultatif  Haut Conseil des biotechnologies (HCB), la CTNBio décide, et on voit mal ce qui pourrait encore arrêter l’aventure : OX513A devrait bientôt voler dans les airs des grandes villes, de Rio à Bahia, de São Paulo à Recife.

OX513A est un moustique mâle Aedes aegypti dans lequel on a  injecté deux gènes qui modifient son ADN. Relâché par millions, il devrait, selon le plan, s’accoupler à des femelles traditionnelles et peu à peu réduire drastiquement la descendance. Car il est réputé stérile, ou près de l’être, et transmettrait son incapacité à sa progéniture.

Avant de cogner comme un bûcheron sur cette énième aventure industrielle, précisons que tout repose sur la trouille inspirée par la dengue, une maladie infectieuse on ne peut plus réelle. Virale, elle est transmise dans les pays tropicaux par les moustiques Aedes, et provoque maux de tête, douleurs musculaires et articulaires, nausées, vomissements, etc. L’une des formes les plus sévères, la dengue hémorragique, s’étend à grande vitesse, et au total, plusieurs millions d’humains seraient infectés chaque année, dont 21 000 sont morts en 2011.

N’est-ce pas génial ? Le tableau ne saurait être plus favorable pour les expérimentateurs : une maladie lourde qui frapperait 120 000 Brésiliens chaque année, un « progrès » à portée de main, un coût dérisoire comparé aux dépenses de santé occasionnées par le virus. Mais comme à l’époque des villages Potemkine – des trompe-l’œil destinés à bercer Catherine II de Russie -, il faut passer de l’autre côté du décor pour comprendre ce qui se passe.

Un, le résultat des essais au Brésil – ils seraient époustouflants – n’a pas été publié. Gabriel Fernandes, responsable d’une association brésilienne pour l’agriculture familiale, AS-PTA (http://aspta.org.br) va droit au but : « Il n’existe aucune donnée montrant que ce moustique OGM réduit vraiment l’incidence de la dengue. Dans ce cas précis, la décision est bien davantage basée sur la propagande que sur des données concrètes venues d’études de terrain ».

Deux, nul ne sait ce que sera le suivi de l’affaire une fois les moustiques relâchés. Aucune autorité n’indique ce qui se passerait en cas d’effet malencontreux. On dissémine, et on compte les points. Trois, d’autres essais menés dans les îles Caïman – sur une surface évidemment restreinte – ont surtout montré les limites du projet. Pour éliminer une population ridiculement faible de 20 000 moustiques « normaux » – combien de millions pour le gigantesque Brésil ? -, il aurait fallu disposer de 7 millions de moustiques OGM par semaine.

Quatre, les conséquences sur la santé humaine et celle des écosystèmes ne sont simplement pas prises en compte. Ce n’est pas une criaillerie d’écologiste attardé. Une baisse temporaire du nombre de moustiques porteurs de la dengue pourrait avoir ce que les spécialistes appellent un effet rebond. L’immunité contre la maladie baisserait aussi, mettant en danger divers groupes en cas de retour massif du virus. Selon certaines sources, la réduction pour un temps de la contamination pourrait en outre entraîner une baisse de l’immunité croisée, qui protège contre les différents sérotypes de la dengue.

Dans tous les cas, on ne sait pas où on va, mais on y va. On ne sait pas, sauf peut-être la petite entreprise cachée dans les coulisses. Un tel scénario passe par des techniciens hautement spécialisés, en l’occurrence ceux d’Oxitec. Cette boîte britannique (www.oxitec.com) se présente évidemment comme philanthropique. Officiellement, elle est « un pionnier dans la lutte contre les insectes vecteur de maladies et ravageurs des récoltes ». Et les solutions proposées, « durables, rentables et respectueuses de l’environnement » peuvent « garder les gens en bonne santé et accroître la production alimentaire ». C’est très beau, c’est très faux.

Selon l’association anglaise GeneWatch (http://www.genewatch.org), Oxitec a « des liens étroits avec la transnationale de l’agrobusiness Syngenta ». Cette dernière a financé certains travaux d’Oxitec, et plusieurs de ses anciens dirigeants siègent au conseil d’administration d’Oxitec. Pourrait-il s’agir d’un faux-nez ? Syngenta, d’origine suisse, est un géant mondial des semences et des OGM, qui ne cesse de chercher des chevaux de Troie pour pénétrer de nouveaux marchés. Le moustique OX513A pourrait bien faire partie de la liste.

Dans cette hypothèse, on risque fort de parler tôt ou tard de moustiques transgéniques en France, car la dengue est très présente dans les Antilles françaises – Martinique et Guadeloupe -, où la grande épidémie de 2009/2010 a frappé plus de 80 000 personnes. Et les Aedes aegypti tripatouillés par Oxitec transmettent également le chikungunya, qui a dévasté la Réunion en 2005 et 2006 et se répand ces dernières semaines dans les Antilles.

Le Sud-Ouest lui-même, sur fond de dérèglement climatique, est menacé. Le 26 mai 2012, un habitant de Marmande (Lot-et-Garonne) envoie à l’administration une photo prise chez lui, en plein centre-ville, qui montre un moustique du genre Aedes, de l’espèce albopictus. Celui qu’on appelle le moustique tigre. C’est d’autant plus chiant que sa présence a été confirmée de nombreuses fois depuis, de Pessac à Talence, et qu’il transmet lui aussi la dengue et le chikungunya.

La France reste loin pour l’instant du Brésil, mais demain ? Rappelons en deux mots l’affaire du DDT, produit miracle qui n’est jamais venu à bout du paludisme, mais a niqué pour de bon d’innombrables écosystèmes. Quarante ans après les premières interdictions, on trouve la trace de ce produit cancérigène dans la plupart des analyses de sang aux Etats-Unis. Ce n’est pas la même chose, mais ça pourrait faire réfléchir les ramollos du bulbe. Peut-être.

9 réflexions sur « Le moustique était changé de l’intérieur »

  1. Cela -mais combien aussi d’autres papiers de ce blog!- pourrait inspirer à un peintre « naïf » (et surtout absolument génial) que d’aucuns reconnaîtront peut-être un tableau dans la veine de celui que, voilà bien des années, il consacrait à la guerre du Vietnam. Scène d’horreur figurant un GI à tête de mort, chevauchant un aigle rouge, tenant d’une main un arrosoir déversant du napalm, de l’autre un étendard noir affichant sa devise: « Mort à la vie! ».
    Pas de doute: ils sont fous (mais malins).

  2. La Loi d’Avenir de S. Le Foll nous promet elle aussi de prévenir les dégradations causées par les insectes, bactéries…sur les cultures par la mise en place d’un « biocontrôle » qui serait l’utilisation de produits naturels comme le purin d’orties. Mais il semblerait que l’industrie , et Monsanto en particulier, s’intéresse à la conception de nouveaux intrants, chimiques ou organique?

    http://www.lafranceagricole.fr/actualite-agricole/biocontrole-monsanto-s-allie-a-novozymes-pour-developper-des-solutionhttp://www.lafranceagricole.fr/actualite-agricole/agroecologie-stephane-le-foll-fait-la-promotion-du-biocontrole-87329.html

  3. Que dire de plus après cet article implacable!

    Une fois de plus on se sert de faits réels , on y ajoute une belle trouille à la population et l’industrie tel le sauveur envoie son armada
    cela va rapporter à certains beaucoup d’argent,
    pour l’avenir, ben on trouvera une solution, plus tard…

  4. Les charlatans sont toujours la, armes de leurs eprouvettes (ordinateurs+genome), de leurs formules magiques (relations publiques), de leurs astuces secretes (etudes non publiees) et bien sur de leur sens eternel des affaires juteuses… Rien ne vaut le nettoyage des zones sales (drains a l’abandon, decharges sauvages, innombrables recoins poussiereux et/ou humides) et une moustiquaire par personne pour controller les moustiques. Seulement voila, pour des resultats tangibles il faut travailler dur, longtemps… et le pire c’est que ca ne genere aucune camelote vendable… au contraire, meme! Les ventes d’insecticides en tous genre et de climatisation « anti-moustique » (vu dans une pub) ne peuvent que baisser. A Kolkata, les quartiers ou la municipalite et le public ont ensemble ameliore l’hygiene, n’ont pratiquement plus de moustiques. D’autres quartiers sont encore infestes au point qu’on peux a peine s’assoir sans etre attaque, meme en plein jour. Mais reduire vraiment les moustiques, il faut avoir un solide bon sens et une confiance en autrui… au point d’etre « decroissant » pour y croire! Ceux qui preferent les solutions vendables se disent « pragmatiques »…

  5. Un précédent irresponsable ces moustiques OGM. Dans 10 ans en Camargue ?

    En attendant, je me réjouissais en me disant qu’à San Francisco, ça se révolte contre les nanos… mais que nenni les nanos… c’est « seulement » contre la spéculation immobilière (ce qui est une bonne chose mais tellement en deça des enjeux qui nous rassemblent ici…). C’est un comme Toulouse et Airbus, la ville qui gonfle, qui gonfle et… qui éclate ?
    http://www.lemonde.fr/technologies/article/2014/05/01/pourquoi-les-manifestations-anti-high-tech-se-radicalisent-a-san-francisco_4410201_651865.html

    En attendant, en ce jour de 1er mai, ayant pris du temps, oui, du temps!- pour réfléchir, j’ai trouvé ça, c’est une excellente intro à Casto (mais non pas CastRo, pauvre de nous !) Vive l’autonomie !;-)
    A lire et diffuser, c’est là qu’il y a de l’espoir :
    http://infokiosques.net/spip.php?article156
    Cliquez en bas à droite : il y a une version en livret A5 imprimable judicieusement pratique.

  6. Et pour nous habituer aux « drones » de toute taille(aérodyne sans pilote embarqué et télécommandé selon notre ami, Wikipedia), on explique (France 2 eh oui…)que ces objets volants très discrets seront parfait pour éviter les vols de câbles (cuivre) le longue des chemins de fer – entre autres bienfaits pour l’humanité. Pas besoin de faire un dessin sur l’utilité militaire et d’espionnage généralisé une fois l’idée de base accepté par la population. Du neo-story-telling (néo-racontage d’histoires..oui oui, je sais) qu’il faut absolument décrypté, ne pas être dupe. Merci Fabrice. Continue. Continue.

  7. À tous,

    J’ai bloqué divers messages, notamment ceux signés Ai, mais pas seulement eux. Je rappelle une règle évidente – pour moi – de Planète sans visa. Il s’agit d’échanger des arguments, sans transformer l’affaire en ping-pong entre individus. Je comprends parfaitement l’envie de s’accouder au café du Commerce, ce que j’ai fait moi-même un très grand nombre de fois dans ma vie. Simplement, il y a d’autres lieux pour cela, et je m’en tiendrai à ce propos général, en assumant à l’avance la responsabilité de ne pas publier n’importe quoi.

    Bien à vous tous,

    Fabrice Nicolino

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