Les oubliés de notre bombe nucléaire

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 30 avril 2014

Les anciens du plateau d’Albion, au contact des missiles nucléaires, se ramassent des cancers rares. Et avant eux, les prolos de Brest, les nomades de Reggane, les ploucs d’In Eker, les couillons de Moruroa. L’armée a inventé la bombe française 100 % propre. Mieux que le nuage de Tchernobyl arrêté aux frontières.

Le dogme rend con, car le dogme est très con. Or l’armée française est une grande spécialiste, qui a réussi à faire du nucléaire militaire une affaire définitivement propre. Témoin la pathétique histoire des missiles du plateau d’Albion (entre Alpes-de-Haute-Provence, Vaucluse, et Drôme), qui a abrité, entre 1971 et 1996, une base de lancement de missiles nucléaires.

Selon une enquête solide du Parisien (21 avril), des dizaines de vétérans du lieu sont les victimes de maladies gravissimes, dont des cancers rares. Un ancien commando interrogé par l’Obs (le 23) raconte comment il a travaillé sur place, sans aucune protection, et comment ses os sont devenus du verre. Ce n’est pas drôle, contrairement à la suite. L’armée, interrogée par Le Parisien prétend que les seules traces de radioactivité retrouvées sur place « ne mettent en évidence que des radioéléments soit d’origine naturelle, soit provenant des retombées des essais nucléaires de 1950 et de la catastrophe de Tchernobyl. »

Le déni, franc et massif, n’est pas une première. La dinguerie des irradiés de l’Île-Longue, rendue publique au printemps 2013, raconte exactement la même chose. On résume : entre 1972 et 1996, des prolos de l’arsenal de Brest ont travaillé au contact direct des têtes nucléaires équipant les missiles des sous-marins nucléaires lanceurs d’engin (SNLE). Sans la moindre protection, car juraient les galonnés, elles n’émettaient pas la moindre radioactivité. Là encore, les maladies graves, de la leucémie au cancer (http://www.asso-henri-pezerat.org, puis Brest) sont au rendez-vous, mais il y a une différence de taille, qui s’appelle la CGT. À Brest, des syndicalistes à l’ancienne ont pris l’affaire à bras-le-corps, et acculé l’armée à payer des pensions. Saisie, la Sécu a reconnu dans certains cas l’existence de maladies professionnelles. Et pour quatre cobayes, la faute inexcusable – l’armée savait qu’il existait un risque, et n’a rien foutu – a été retenue.

Cela ne l’empêche pas de nier publiquement, car telle le scorpion de la fable, c’est sa nature. On rappellera à la saine jeunesse, sans remonter à Mathusalem, que notre bombe a déjà fait de nombreux dégâts, dès les années soixante. Les quatre premiers essais, aériens, commencent en 1960 à Reggane, dans un Sahara alors français. Selon des sources algériennes, des milliers d’habitants de la région souffrent des conséquences de la radioactivité. Les 13 essais suivants, souterrains, se déroulent à In Ecker, au nord de Tamanrasset, et au moins l’un deux, au nom de code Béryl, foire le 1er mai 1962. Des nuées radioactives se répandent sur la centaine de personnes présentes, dont le ministre des Armées, Pierre Messmer et celui de la Recherche scientifique, Gaston Palewski. Ce dernier mourra d’une leucémie, jurant qu’elle est liée aux retombées de Béryl. Au total, jusqu’à 5000 personnes auraient été irradiées.

Idem, ibidem, ad nauseam à Moruroa, en Polynésie dite française, où 138 essais nucléaires souterrains ont eu lieu entre 1966 et 1995. La loi du pioupiou Hervé Morin – quand il était ministre de la Défense -, a créé en 2010 une commission d’indemnisation (Civen) qui n’a reconnu qu’une poignée de cas sur des centaines de dossiers déposés. Toujours au nom de la même raison d’État : la radioactivité française ne tue pas.

Et demain Valduc ? C’est dans ce centre secret situé en Côte d’Or, à 45 km au nord de Dijon, que l’on assemble depuis un demi-siècle nos bombes nucléaires. Sans conséquence aucune sur la santé des centaines de prolos de l’usine, cela va de soi. Mais en réalité, et les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est plus que probable que leur santé est gravement détériorée. Impossible pour l’heure d’en savoir plus sur Valduc, mais une étude parue en 2004 dans la revue Journal of Atmospheric Chemistry révèle une pollution très grave. Les lichens analysés sous le vent de Valduc contenaient alors 1 000 fois la dose « normale » de tritium, un isotope radioactif de l’hydrogène.

Combien de malades à Valduc et ailleurs ? Secret-Défense.

2 réflexions sur « Les oubliés de notre bombe nucléaire »

  1. Un .pdf (1,5 Mo) instructif sur Valduc et la Crotte-d’Or :

    Certains villages du quartier ont de très très belles salles polyvalentes, car elles ont de très très intéressantes taxes payées par Valduc. Le monde est bien fait, tout de même, hein.

    http://www.seiva.fr/nostravauxanalyses/CRIIRAD_TritiumValducNov1995.pdf

    Lire également :

    http://www.maxisciences.com/cea/une-plainte-deposee-contre-le-cea-pour-contamination-radioactive-au-tritium_art11042.html

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