Into the Wild

Allons, cessons donc de parler de José Bové, cela nous fera des vacances. Je suis allé voir hier un film de Sean Penn, Into the Wild. Je pourrais aisément signaler ici ou là telle ou telle faiblesse, de mon point de vue du moins, mais ce serait d’une grande injustice. Car cette longue errance d’un jeune fou est d’une puissante beauté.

Je ne vous raconte pas l’histoire, il ne manquerait plus que cela. L’acteur principal, Emile Hirsch, se change, par nécessité métaphysique, en hobo, en vagabond. Et s’appelle lui-même, constatant l’évidence, Alex Supertramp, Alex le superclodo. En réalité, il se nomme Chris.

Je ne savais pas Penn aussi bon metteur en scène. On voit à l’écran, par la grâce de mouvements de caméra inspirés, l’étonnant bonheur d’être seul. Seul face à l’immensité, confronté à cette wilderness qui semble avoir été inventée sur le continent américain. Comment traduire ? Je ne suis pas le premier à ne pas savoir. C’est à la fois un espace et un état. Un état de sauvagerie dans un espace sans horizon discernable. Un synonyme, à mes yeux, de beauté.

Penn filme la route, qui s’étend et distend le monde. D’immenses champs de céréales du Midwest, qu’on pensait immondes, et qui se révèlent sublimes. Le canyon du Colorado, comme jamais, comme si l’on se trouvait soi-même au-dedans d’un kayak pris dans le tourbillon. Le désert. La mer, le flot ravageur et les oiseaux profitant du ciel comme si c’était la première fois. Et l’Alaska, bien sûr.

Depuis London et quelques autres, on croit tout savoir de cette merveille. Mais Penn réinvente l’extraordinaire. L’élan butant sur une touffe d’herbe gelée. Le grizzli et son muffle humant l’humain décharné. La rivière, changeant de visage, tantôt gué, tantôt dévastation. La montagne, les sommets jusqu’au bout du monde inconnu.

Bon, c’est donc une plongée vertigineuse au coeur de soi. Et les hommes y sont vus comme ils sont, m’a-t-il paru. Très souvent décevants, trop souvent insupportables. Mais irremplaçables aussi, et quelquefois si merveilleux qu’on est au bord des larmes. Je n’oublierai pas aujourd’hui le pleur d’un vieil homme, qui voudrait tant être le père du hobo. Ni les deux babas endurcis, qui tendent inlassablement les bras. Ni la fraternité déjantée de ce bistrot des profondeurs agricoles, après le travail.

Alex Supertramp, comme si cela ne suffisait pas, ne cesse de lire de prodigieux auteurs, qui sont aussi les miens. London, déjà cité. Tolstoï. Thoreau. Je ne sais si vous connaissez Walden, ce grand classique. Il me hante. En tout cas, à un moment, Alex souffle : « To paraphrase Thoreau, don’t give me money, love, fame, faith or fairness, but give me truth ». Ce qui veut dire : « Pour paraphraser Thoreau, ne me donnez ni l’argent, ni l’amour, ni la gloire, ni la foi, ni l’équité, mais donnez-moi la vérité ».

Le programme est rude, mais il est grand. On peut toujours lui préférer cette découverte tardive d’Alex : « Happiness is only real when shared ». Le bonheur n’est vraiment réel que lorsqu’il est partagé. On peut.

25 réflexions sur « Into the Wild »

  1. J’ai vu ce film, je les traque ils sont trop peu nombreux. Heureusement, il y a les livres : Walden bien sûr et tant d’auteurs qui ont tant raconté sur leur plongée dans la grande nature. J’ai appris qu’il existe un livre sur Cristopher McCandless, alias Alexander Supertramp. Bonne nouvelle. Le Wilderness, je le traduis par « Sauvageté », ça me semble plus juste.
    Une lacune que je viens de combler avec Dersou Ouzala de Arséniev, une plongée dans le wilderness Oussourien (côte orientale russe) dans les années 30, extraordinaire.

  2. J’aurais quand même bien aimé qu’il y ait encore plus de nature, ou des scènes plus longues : je pese que ce voyage ayant duré plus d’un an, il y a des ellipses que j’aurais bien aimé voir. Mais il faut lire le récit, peut-être que Sean Penn, a fait des choix fidèles au texte…

  3. Je sens que je vais aller voir . j’ai découvert Seann pen dans « she so lovely » où il m’a condondue de son génie de comédien . « Tant vaut l’homme, tant vaut le comédien » disait louis jouvet, alors forcément c’est tentant . London à animer mes douze ans, et maintenant ceux de mon fils aîné, de rêves sans fin au coeur du rude et superbe Alaska ampli du chant des bises aigres dans les résineux et ce ceux des loups sous la lune cuivrée…

  4. Par contre chez les auteurs russes, je penche pour Dostoïesvsky et le commissaire de « crimes et châtiments » au regard qui porte au-delà et à Tchekov si ironiquement vrai sur les Platonov que nous sommes .

  5. Petit rectificatif sans importance
    Je reviens sur ce beau mot Wilderness. Si, « Monde Sauvage » ou « Grand dehors » ont un fort pouvoir d’évocation et font très bien l’affaire, il est vrai qu’on n’a pas de mot unique ici. Mais, au fond, « Sauvageté » n’est pas très heureux musicalement, comme l’est la locution anglophone. Je me souviens qu’après un voyage d’un an pendant lequel nous avons approché les peuples Asiatiques et Amérindiens, m’étais venu le terme de « Sauvagesse », qui me semblait une heureuse collusion de sens, et plus agréable à l’oreille.

  6. quelle joie . non,je ne connaissais pas Thoreau, et donc, le père de la désobéisance civile ! incroyable ce parcours . une des raisons majeures de ma présence sur ce site : j’apprends, j’approfondie (hormis le fait que je partage) . lancée parfois à coeur perdu dans l’action, j’ai réalisé que j’en oubliais parfois les fondements et le développement de la réflexion nécessaire à leurs élaboration et développement . très interessant de découvrir que la désobeissance civile prônée par Gandhi à Johannesbourg est dûe à un poète philosophe américain féru de nature et de silence .

  7. @ valérie, au fil de vos commentaires, on sent que toi et Hervé, vous avez vécu des aventures passionnantes. vous étiez parti un an dans quel cadre ?

  8. On a pris un an de congé en 2005-2006 pour un voyage Asie, Indonésie, Nouvelle-Zélande, Mexique, Sud-Ouest US. Et, surtout, on repart en Octobre 2008, pour 2 ans (la rupture va commencer là, et se poursuivre ensuite) avec comme projet de fond : pour lui, photographie et faune sauvage ; pour elle : photographie, textes, et jardins nourriciers de type artisanal, familial. Voilà en gros. On a fait un livre et un blog lors du premier voyage, et on va recommencer pour le suivant, qu’on est en train de préparer (quasi sans avion cette fois!). Mais, je ne veux pas encombrer ce blog-ci avec des aventures, qui, si elles ont beaucoup de points communs avec les sujets traités ici, sont un peu trop perso il me semble. Ceci dit, c’est très important pour nous, car, au retour, on va vivre probablement fort différemment. Et aussi, j’en reparlerai, j’ai l’intention de solliciter des gens, des associations militantes qui pourraient être intéréssés par nos témoignages. (Je laisse quand-même l’adresse du blog ancien http://ilspartent.blogspot.com)
    je précise qu’on n’est pas riche, on se débrouille pour voyager sobre et vivre très sobre ici 😉

  9. @ Valérie, joli site. Esprit de liberté et de simplicité , témoins de la beauté . J’aime bien des petites réflexions telles que « Le colon n’a pas l’air d’avoir conscience que les musées, galeries, publications sont autant d’aveux de sa préférence pour la vie en vitrine, la tolérance théorique  » ou de jolies descriptions . Vous faite référence à Kokopelli, vous les avez contacté (je veux dire l’asso?) dans le cadre des jardins nourriciers, ce serait bien . Il faudrait nous dire où vous compter aller cette fois . je vous laisse mon mail hassogna@wanadoo.fr . Ca a dû être une expérience sympa de vous suivre via le net . J’aimerai bien travailler là-dessus avec des jeunes , la télé leur ouvre tellemnt peu l’imaginaire, on pourrait créer un groupe , non ? on y réfléchit ?

  10. Je veux dire , est-ce que ça vous embêterait si un groupe d’ados suivaient vos périple à distance ? Après, via l’asso locale, ils creuseraient l’histoire des pays dont vous leur ouvrez les portes (en quelques sortes)…

  11. @ Bénédicte
    Au contraire ! On avait fait aussi un blog pour une classe de CM2 qui nous suivaient, nous questionnaient, ça a été passionnant. Pour Kokopelli, c’est prévu, et aussi Terre et Humanisme. Peut-être d’autres, mais on attend d’être plus avancés. Bon maintenant, je vais plutôt répondre sur ton mail perso à ce sujet.
    Merci pour ton commentaire en tout cas

  12. A propos de rapport à la nature (c’est l’allusion au colon « civilisateur » qui m’y fait penser), connaissez-vous le discours de Sarkozy à Dakar en juillet dernier ? Voici un extrait qui vaut le coup d’être médité :
    « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.

    Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès.

    Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable ou tout semble être écrit d’avance.

    Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. »

  13. ouiiiiiiiiiii, j’avais entendu …et j’avais rougis de honte ……en tant que française qu’il représente depuis que je n’ai pas voté pour lui !

  14. Oui, je le connais trop bien, et l’ai transmis souvent, c’est incroyablement abject, on n’ose y croire. Les positions d’Aminata Traoré sont à mettre en perspective, et ridiculisent de manière magistrale les borborygmes du nain. L’Afrique est loin devant, c’est ici que tout recommence toujours, en pire, que l’homme s’élance vers un mur. Si seulement la nature commandait tout! Mais je ne crois pas qu’on mette le même sens derrière les mêmes mots.

  15. Sinon, à propos des OGM, je viens de recevoir par un ami ceci, suite à la clause de sauvegarde :
    Communiqué de presse du MDRGF :
    « Toutefois le MDRGF regrette que le gouvernement en profite pour annoncer dans la foulée son intention de mettre en place un « plan sans précédent d’investissement dans les biotechnologies végétales de 45 millions d’euros, soit une multiplication par huit des budgets actuels ».
    « Si le gouvernement a tenu parole sur l’activation de la clause de sauvegarde concernant le MON 810, il est clair que le lobby des OGM
    a reçu des assurances de soutien pour l’avenir. Le MDRGF regrette cette décision et demande que les sommes avancées pour la recherche sur les biotechnologies soient affectées au soutien à la recherche agronomique sur les itinéraires de production économes en pesticides et engrais dont le perfectionnement est nécessaire pour atteindre
    les objectifs du Grenelle de l’environnement en matière de réduction de l’usage des pesticides » ajoute François Veillerette.

  16. quoi dire, a part que ses plus beaux moments sont quand il rencontre des hommes près à lui donner ce qu’il rejette: ses parents.enfant fugueur trop aimé, aspiré par le néant et dévoré par lui.oui, le néant, là où surgissent toutes les mises en scène de la vie rêvée, carressées par le cycle imperturbable de la journée qui commence et s’achève ,sentir cet équilibre froid où l’homme a perdu sa place…en fait l’homme est peu armé pour vivre comme un ours sous la neige , ou se défendre , ou chasser…il a toujours du avoir recour à un interface ou un outil entre lui et la nature si problématique….sommes nous des êtres de nature….nous sommes des inadaptés à la Nature…d’ailleurs notre cher chris ou alex en est mort…..et pourtant…que cet appel de la forêt est puissant pour beaucoup d’entre nous…un amour puissant ,tendre douloureux et rémanent….pourquoi?

  17. @ di martino, cela dépend de l’endroit où l’homme se situe sur le globe et de son histoire / à la nature . L’homme n’est pas le seul à se servir d’outils, c’est le cas …de la corneille par exemple, qui va jusqu’à « façonner » une tige de métal laissée par les hommes afin d’attrapper plus sûrement des petits vers situés dans du bois vermoulu . L’homme occidental s’est coupé de la nature par désir d’en devenir le maitre absolu, ce qui est perdu d’avance . Quand à mourrir, aucun d’entre nous n’a signé pour l’éternité que je sache, et personnellement, je préfère passer ce cap au pied d’un arbre que dans un bureau .

  18. Le film n’est pas programmé dans ma région, par contre Alien est dans toutes les salles . De quoi donner du rêve à ceux qui n’en ont pas ! Mais j’irai voir quand même .

  19. @ di martino,

    D’où tiens-tu qu’il fut enfant fugueur? J’étais parvenu à cette conclusion suite à l’article avec Onfray ds Philosophie magazine N°8, mais les indices sont bien minces. Si tu as mieux, je suis preneur.

  20. à bénédicte et eugène salut, à eugène je vais lui dire que c’est une évidence mr watson et à bébédicte je vais lui demander combien de secondes elle a passée auprès de son arbre aujourdhui……salutations amicales

  21. quant à fabrice je vais lui dire que je n’ai pas vu la touffe d’herbe qui a fait trébucher l’élan paquebot des landes, mais la balle qui l’a traversée et les pleurs de l’homme coupable:le p

  22. Les arbre, je les salue tous les jours ! Un peu louffe, sans doute, mais j’aime leurs beautés et je les crois particulièrement vivants . Comme quoi on ne voit pas toujours les mêmes choses (ce n’est pas une critique di martino) .je vois aussi les morts tous les jours dûs au mauvais partage des richesses et mon coeur saigne, mais je me nourrie de bouffées de vie et de beauté pour avancer ; sans espérance, comment pourrais je être utile ? et puis, là où je suis, serait-il permis de se plaindre ?

  23. oui, magnifique film ! la liberté a un prix, c’est un choix couteux, mais surement salutaire.
    Mais il ne parvient pas à s’attacher et reste très solitaire… De quoi troubler notre modèle grégaire…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *