Bien choisir ses compagnons

Promis, je vais tâcher de ne pas vous assommer de mauvaises nouvelles. Il n’y aurait pas à chercher loin, vous le savez. Mais avant d’en arriver où je souhaite, je me dois de vous signaler deux faits, très brutaux.

Le premier concerne l’Antarctique, ce continent de l’extrême sud qui commande en partie le climat de la planète et le niveau des océans mondiaux. Une équipe du Jet Propulsion Laboratory de la NASA vient de publier une étude fracassante, le mot n’est pas trop fort, dans la revue Nature Geoscience. La conclusion est simple : ça fond. Beaucoup plus vite que prévu. L’estimation parle de 192 milliards de tonnes (Gt) en 2006, cette fonte étant concentrée dans la partie ouest de l’Antarctique.

Le second touche l’Arctique, le nord donc, dont le réchauffement est deux fois plus rapide qu’ailleurs sur terre. En 2007, la fonte de la banquise a battu un record amplement historique. En septembre, les glaces ne couvraient plus que 4 millions de km2 de l’océan, en recul de 23 % par rappport au niveau le plus bas, enregistré en 2005. Le si fameux passage du Nord-Ouest a pu être emprunté pendant cinq semaines par les navires, en août et même en septembre : du jamais vu. Même constat au Groenland.

Alors ? Ce n’est pas rigolo, car ce qui se cache derrière ces phénomènes, c’est que les prévisions officielles, pourtant sinistres, sont bien trop optimistes. Le Giec, ce groupe de spécialistes internationaux du climat, produit depuis vingt ans des rapports peu à peu démentis par l’évolution réelle de la crise.

Où allons-nous ? Je ne le sais pas plus que vous, mais nous y allons de plus en plus vite. Bien entendu, ces craintes majeures mettent en mouvement des millions d’êtres humains. Pour le meilleur souvent, mais pas toujours, il s’en faut. Car la mobilisation en cours crée aussi, dans son sillage, quantité de niches, postes et hochets de toutes sortes.

C’est fatal, nul n’y peut rien. Comités Théodule, instituts machin-chose, commissions, bureaux, expertises, commentaires à la télé ou à la radio, jetons de présence, etc. Je le répète, c’est inévitable. Mais pour être sur la photo, pour être considéré, pour être accepté par la machine dominante, il faut donner des gages de bienséance. Encore heureux ! Imaginez qu’un écologiste vienne en direct condamner en bloc l’économie, la marchandise et l’aliénation. Cela ferait désordre et, notez, cela ne s’est pas encore vu. Sauf pour d’expresses raisons de folklore.

En revanche, on trouvera toujours des Pierre Radanne et des Dominique Voynet. Si je prends ces deux noms, qu’on me croie ou non, ce n’est pas par détestation. Non. Radanne (http://fabrice-nicolino.com), que je sache du moins, est un homme honnête, et sincère. Voynet, de son côté, même si je l’ai souvent secouée, vaut largement d’autres politiques. Ce qui n’est pas sous ma plume, il est vrai, un très grand compliment.

Radanne est devenu un expert « vert ». Qu’on invite et qu’on reçoit. Que les patrons tutoient. Qui tutoie les patrons. Mais pour en arriver là, bien entendu, il lui aura fallu polir son propos, arrondir les angles et finir par admettre que les solutions peuvent être trouvées dans les marges du système. D’où cet incroyable soutien à la voiture indienne Tata, sur quoi je ne reviens pas.

Voynet, de son côté, entendait faire carrière. Depuis quand ? Est-ce que je sais ? Une chose est sûre, il lui fallait adapter son discours. Car les socialistes qui lui ont offert son poste de sénatrice n’auraient pas dealé avec une écologiste véritable. Laquelle n’aurait d’ailleurs rien demandé.

Ce processus est vieux comme le monde, et ne m’émeut plus guère. Pour ne prendre qu’un exemple, le mouvement socialiste, entre 1880 et aujourd’hui, n’a cessé de perdre, génération après génération, ses plus fougueux partisans. L’on commençait par hurler : « Mort à la guerre ! », et puis l’on se retrouvait dans un gouvernement anti-boches, sous la conduite de Clemenceau. Ou bien l’on parlait jusqu’à l’ivresse de révolution sociale – le cas Mollet – avant que de couvrir la torture de masse en Algérie.

Non, rien de neuf. Mais ce qui reste essentiel, selon moi, c’est de distinguer. De très nombreuses personnes sont sincèrement à la recherche d’une voie. Et parmi elles, quantité dont je me sépare, par des points essentiels de mon itinéraire ou de ma pensée. De cela, je me moque bien, je vous le jure.

Car ce qui compte, c’est la vérité. Ou la cohérence, pour reprendre le nom d’un formidable réseau créé en Bretagne par un homme que j’admire, Jean-Claude Pierre. Le réseau Cohérence rassemble 140 associations de cette seule région, autour d’un objectif central de « développement durable et solidaire ». Je ne crois pas au développement durable, et pourtant j’applaudis. Jean-Claude, à mon sens, prépare le terrain aux mutations majeures qui sont devant nous. Il parle aux élus – de droite ou de gauche -, aux patrons, aux syndicats, aux paysans même. Et les incite à bouger. Et leur montre, conduisant des délégations en Allemagne ou en Suisse, le mouvement réel en marche.

A Lorient, il est parvenu, avec une poignée d’amis, à stopper un projet de barrage sur le Scorff, et à convaincre la mairie d’installer un chauffage au bois pour tous les équipements publics. Et à diminuer sensiblement la facture d’eau – par une baisse de la consommation – des usagers. Et, et, et, je n’en finirais plus.

Quelle différence entre un Pierre Radanne et un Jean-Claude Pierre ? Le premier a couru si vite derrière la réalité que celle-ci l’a rattrapé, et digéré. Le second a conservé ses semelles de vent. Et n’oubliera jamais de rêver.

2 réflexions sur « Bien choisir ses compagnons »

  1. Le problème majeur est que beaucoup ont vite basculé du déni (le réchauffement climatique n’est pas un souci – merci C. Allègre & Co) à l’impuissance (qui constitue probablement pour certains le nouveau prétexte à l’inaction) alors que l’accélération du phénomène est, en effet, en route et que les seules mesures susceptibles d’être vraiment efficaces (et encore : à long terme, vu l’inertie !) devraient largement dépasser le saupoudrage grenellesque (par ex, que l’on soit encore autorisé à rouler en 4 x 4 en centre-ville est hallucinant).

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