Mais où est donc passé le froid ?

Je ne sais plus l’hiver qui brûlait les lèvres et les doigts. Oh, je l’ai très bien connu. Je me souviens par exemple des tranchées ouvertes dans le bitume de mon enfance. Pour réparer l’eau ou installer le gaz, je ne sais plus. Certaines nuits, la neige en recouvrait le fond, sur 20 centimètres, et avec les Mechiche, mes voisins, nous sautions dedans comme sur un long serpent de ouate. Et la bagarre commençait, amortie, assourdie, comme amusée. Et ce n’était pas au Kamchatka, mais à Villemomble, à dix kilomètres de Paris.

Plus tard, j’ai vécu à Montréal, où la vie se rencognait dès octobre dans les maisons surchauffées. Les entrées étaient des boutiques, d’authentiques débarras où les humains tombaient la pelisse. Et le reste. Je n’ai jamais, je crois, autant aimé cette relation tendue entre le dedans et le dehors.

Dans une autre vie, j’ai connu l’ivresse complète des traîneaux à chiens, dans le grand nord canadien. Il y faisait moins 35 degrés, et le monde entier était devenu désert et blanc. On ne voyait jamais que des traces sur la neige, de loin en loin, qui rappelaient que des êtres habitaient le pays. Des animaux. Sauvages. Mais qui ? Mais où ? On ne voyait que l’air.

Il y a quelques années, j’ai vu de près l’hiver, dans le Jura. Quand on veut éprouver la crainte de geler sur pied, c’est là qu’il faut aller. Je me rappelle la tourbière du Creux du Croue, et le son des raquettes sur la neige glacée. Et les chamois du crêt des Danses, qui sortaient un à un du brouillard givré. J’étais seul, comme à mon habitude, heureux bien sûr, à ma place. Mais quelle température !

Je ne devrais pas vous embêter avec ces fadaises, mais ce mardi 29 janvier, alors que je vous écris de la banlieue parisienne, je me sens pris d’une folle nostalgie. Chaque matin, j’entends à la radio des innocents qui vantent la douceur du temps. Comme ils ne savent plus quoi dire, ils inventent et empilent absurdité sur absurdité. Je ne suis pas seulement inquiet d’être le contemporain d’un tel changement, qui en annonce tant d’autres. Je suis aussi follement triste de ne plus être saisi. De ne plus être arrêté net. De ne plus devoir regretter, jusqu’à rebrousser chemin, cette paire de gants salvatrice oubliée chez un ami.

J’ai tant aimé le froid et l’hiver. Tant !

10 réflexions sur « Mais où est donc passé le froid ? »

  1. Merci Fabrice!
    Moi aussi je regrette le « froid » de mon enfance…j’habite dans le midi, mais ne riez pas, il y a 25 ans il y faisait plus froid que maintenant l’hiver. Je passe pour un anormal(chouette!) quand je proclame mon ras-le bol de la chaleur toute l’année…Pourquoi tout le monde oublie-t-il que le froid est salutaire, nécéssaire, indispensable à notre bonne santé et à la nature?
    Et le plaisir d’être emmitouflé, pour mieux se retrouver à l’intérieur à lézarder…
    Bye bye le froid

  2. s’il ne s’agissait que de poésie, et de sentiments… La disparition du froid annonce de mauvais moments.

    Ils aiment la nature, les grands espaces, nos amis québecois, mais on sait que leur mode de vie est encore moins tenable que le nôtre. Ou alors, il faudrait n’être que quelques dizaines de millions d’hommes sur terre pour jouir, comme eux, de la tension entre le dehors et le dedans. Le seul mode de vie durable, là-bas, c’est celui d’Attanarjuat, des esquimaux de Jean Malaurie, ou, pour être mon extrème, des autres indiens qui ont cédé la place aux gratte-ciel.
    J’ai table ouverte à Montréal, des amis qui m’y attendent, mais je leur ai dit que je ne viendrai pas, je n’ai pas le droit, pour le plaisir d’aller les voir, d’envoyer en l »air autant de GES que 4 pakistanais en un an.
    Fabrice, une question: tu ne vas plus au Québec, dis? ou alors en bateau?

    Je ne voudrais pas être le seul à avoir renoncé à l’avion. Et aux virées en montagne, dans le Jura, après 6 heures de voiture (et retour), et donc 100 litres d’octane envoyés dans les cieux.

  3. content de te relire Gery . Nostalgie des voyages, oui .
    mais nostalgie de l’hiver . quand j’étais môme, la première neige arrivait toujours la semaine de mon anniversaire , quelle fierté ! je me souviens des glissades en rentrant de l’école, des boules de neige lancées sur les passants par d’invisibles vauriens ( et oui ! Mais j’aimais courrir poursuivie par un quidam , que voulez vous, l’innocence de l’enfance…), des glissades sur les pentes des bois voisins, des bassins gelés . J’aimais avoir les joues piquées par le froid, l’odeur de cet air hivernal et le soleil dans les branches enneigées . Tout me manque . Dès qu’il y a un coup de froid, j’ai un pâle espoir …et puis non. le temps a bel et bien changé . calamité pour les cultures . j’avoue que je regarde pour prendre le train jusqu’au jura … j’ai le bourdon .

  4. on peut très bien prendre le train, après tout, jusqu’au Jura, aux Voosges, ou au Cantal. C’est l’une des plus belles expériences de la vie, que le Paris-Béziers.
    Pour aller à Carmaux, hélas… ce pays ne groit plus qu’aux grandes vitesses.

    Mais ça n’enlève pas les problèmes à venir suite à la diparition du froid, bien pires que la nostalgie du froid mordant sur les mains nues.
    Et puis, on aura peut-être une petite ère glaciaire, dans 50 ans, qui sait…
    On « s’adaptera », disent les économistes, les capitalistes, les socialistes… et les attalistes

  5. Entièrement d’accord. A propos d’imbécillité, parmi tant d’autres exemples : la fin du journal télé de France 2, dimanche soir, où l’on a vu des gens heureux se baigner dans la Méditerranée puisque, nous précise-t-on, les températures étaient de 6 à 7 degrés au-dessus des normales saisonnières… Chut, la chute continue, tout va bien…

  6. On peut déplorer le rechauffement climatique et se mettre sur le balcon pour qu’un rayon de soleil hivernal vous réchauffe l’âme.
    C’est peut être contradictoire mais c’est bien ce j’ai fait ce week end. C’est pas écologiquement correct ?!

  7. Bien sûr, Suzan, l’imbécillité ou l’écologiquement incorrect n’est évidemment pas de votre côté ni même de celui des baigneurs (dont j’aurais pu faire partie) mais, il me semble, dans ce type de « reportages » béats – même si, là, on précisait (très) brièvement l’anormalité météorologique de la situation. J’en ai sans doute trop vus l’année dernière (sur les bénéfices des marchands de glaces, par exemple, dès février-mars) pour ne pas être agacé. Connaissez-vous l’histoire de la grenouille dans l’eau chauffée peu à peu ?

  8. oui, tant qu’il n’y aura pas de réveil de consciences collectivement …nous allons vers des jours très sombres . J’ai la nostalgie des saisons, et ce mois de Janvier, où les fruitiers s’épuisent en bourgeonnant, m’ennuit , m’inquiète . Mais si nous sommes trop stupides pour songer à notre adaptation, la nature, elle, saura . je lui souhaite .

  9. Ben, c’est pas gagné si j’en juge, par exemple, à certains propos tenus sur le Forum Yahoo consacré au réchauffement climatique – je ne savais pas qu’Allègre avait autant d’adeptes ! Evidemment, des changements dans l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre, on n’y peut rien, alors c’est bien pratique pour ne rien changer…

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