Pour le bonheur de Pierre Mauroy (hélas)

Si vous êtes jeune, vous êtes un(e) veinard(e). Mais en même temps, quel dommage, car vous ne connaissez pas Pierre Mauroy. Ou peu. Je présente le brave garçon : né en 1928 – il aura 80 ans cette année -, Mauroy a fait toute sa carrière, y compris professionnelle, à la SFIO. Je ne peux ici faire un cours d’histoire politique. La SFIO, c’est Guy Mollet, l’aventure de Suez en 1956, la torture d’État pendant la guerre d’Algérie, j’en passe.

En 1981, Mauroy devient Premier ministre, poste quitté en 1984, et depuis, il continue de régner sur sa région d’origine : Lille. Car il est ch’ti. Après avoir été maire de la ville pendant 350 ans environ, il a laissé sa place à Martine Aubry, plus jeune que lui mais aussi vaillante, à n’en pas douter. D’ailleurs, Dominique Voynet est une grande amie de cette dernière. N’est-ce pas ce qu’on appelle un certificat ?

Revenons-en à Mauroy. Ces dernières années, il est apparu dans l’esprit du papy que l’heure de la retraite pourrait bien – sait-on jamais – arriver un jour. Oui, mais, et le grand stade ? Mitterrand ayant eu sa bibliothèque et sa pyramide du Louvre, Mauroy pouvait-il partir sans être accompagné du grand stade ? La réponse est non. NON !

Ce qu’est le grand stade ? Une splendide idée imbécile. Une coque pouvant contenir 50 000 personnes, s’élevant à 31 mètres de hauteur, accolée à deux hôtels, un centre « sport et santé », des commerces et des restaurants. Le groupe de BTP Eiffage a été désigné hier « attributaire pressenti » par Lille Métropole Communauté Urbaine ou LMCU. Cette structure, dont Mauroy est le président, englobe Lille et dispose de moyens bien plus considérables que la ville.

Rien n’est définitivement fait, mais cette décision est un pas important, tout à la gloire de Mauroy. Car notre grand homme de poche présidait hier vendredi sa dernière réunion de la LMCU et les élus qui y siègent voulaient – j’en ai la larme à l’oeil – lui offrir le stade en cadeau de départ. C’est un peu cher, certes : autour de 700 millions d’euros. Autour de.

Une association locale (nonaugrandstade.free.fr) dénonce quantité d’extravagances liées à ce projet. J’ai été intéressé par les questions de transports et d’environnement, qui démontrent sans difficulté à quel point les vues de Mauroy-Aubry sont funestes et archaïques. Mais je note autre chose, qui concerne l’idée que nos immenses socialistes se font de la démocratie. Lisez plutôt, c’est court : « Le choix du site s’est fait sans aucun débat au sein du conseil de communauté (dont les membres sont élus au suffrage indirect), sans consultation des communes, sans débats dans les conseils communaux, et sans consultation ni débats avec la population, qu’elle soit riveraine du site ou résidente de la Communauté urbaine. A aucun niveau le débat n’a eu lieu.

Une commission, dont les membres ont été « choisis », a été chargée d’étudier le dossier. Parmi ses membres, on y trouve les principaux intéressés par le projet : le Président du LOSC, entreprise privée qui fait pression pour un très grand stade, et les supporters du LOSC, très impatients ».

Je crois cela édifiant. Pas vous ? Poursuivant mon propos, je dirai calmement que ces gens sont perdus, si loin qu’ils sont désormais irrécupérables. Mauroy autant qu’Aubry, évidemment. 700 millions d’euros ! Imagine-t-on bien ce que cela représente pour la région lilloise ? J’ai sur mon bureau une brochure de l’association Nord Nature, en date de 1989. Elle est entièrement consacrée aux pollutions, sous ce titre évocateur : L’Enfer du Nord.

Le mot n’est hélas pas trop fort. J’en tire cette courte synthèse : toute la région a été dévastée par deux siècles d’industrialisation lourde. Les mines, les fonderies, les hauts-fourneaux ont dirigé le pays, puis laissé des centaines, des milliers de friches industrielles. L’agriculture intensive couvre 72,5 % du territoire, et les nappes phréatiques sont du même coup gravement polluées : sous Lille, on trouve plus de 100 mg de nitrates par litre d’eau. les pesticides commencent à apparaître dans les prélèvements. Les forêts ont largement disparu. La qualité de l’air est médiocre ou mauvaise. La biodiversité est réduite à quelques taches, de loin en loin.

La conclusion de cette étude, vieille de 20 ans, est sans surprise : les habitants de la région vivent moins longtemps et plus mal qu’ailleurs en France. Et ils sont, c’est lié, plus souvent malades. Est-il bien juste, dans ces conditions, de dépenser 700 millions d’euros pour les footeux, quand tant d’autres priorités essentielles existent ? Car, faut-il le préciser, rien n’a réellement changé.

Il n’aurait pas fallu une imagination débordante pour proposer un vaste plan régional de reconquête écologique. On aurait pu aisément mobiliser des dizaines de milliers d’enthousiastes pour changer concrètement la face du Nord. Et qu’on ne me dise pas que c’est rêverie. Pas à moi. À l’automne 1994, j’ai rencontré pour mon plus grand bonheur Hervé Nowara, de Billy-Berclau. Il est vrai que le village appartient au Pas-de-Calais voisin. Voisin et jumeau.

Hervé Nowara était alors un ouvrier. Et un amoureux des oiseaux. En 1989 justement, l’année de la brochure, il se lance avec ses amis William Broodthuis, Robert Ledru et Jacques Debondu dans une entreprise herculéenne dédiée à Chico Mendes, défenseur de la selve amazonienne assassiné par des nervis. Herculéenne. Ayant repéré une décharge illégale autant qu’immonde, en bordure du canal de la Deûle, ils décident de transformer les dix hectares en une réserve naturelle.

Fou, n’est-ce pas ? Mais ces hommes de Sauvegarde et protection des oiseaux (SPO) – leur petit groupe – y parviennent pourtant. En se débrouillant par exemple pour se faire prêter une tractopelle, destinée à creuser une mare et élever une butte. En travaillant comme des bêtes, le soir après le travail, ou le week-end. Je m’y suis promené, quelques années après le début des saisissants travaux de restauration écologique.

Je n’oublierai jamais Hervé et William me montrant le « chemin du paradis », un sentier de saules qui donnait envie de chanter. Non, je n’oublierai pas les tas de bois et de compost disposés de manière à accueillir grenouilles, belettes et putois. Ni les clairières créées par eux, où chassaient buses et hiboux moyens-ducs. Ni les mares, où le héron venait manger. Ni cette phrase que m’avait dite William : « J’aime beaucoup les oiseaux, mais tôt ou tard, ils s’enfuient. Les fleurs, elles, restent ». Il avait semé à profusion des nielles des blés, des coquelicots et des compagnons rouge et blanc.

Si quelqu’un les connaît, il faut leur dire qu’ils continuent de m’émouvoir. Leur existence est comme une preuve de la liberté. Le duo Mauroy-Aubry pouvait trouver une autre destination à ces 700 millions d’euros. Cet argent perdu ne sera jamais retrouvé. Pendant trente ans, le bastringue de Mauroy, LMCU, remboursera sa dette. Trente ans pendant lesquels ceux qui ont de vraies idées n’auront aucune chance de les voir réalisées.

Voyez-vous, au fond, je crois que je n’aime pas le parti socialiste.

12 réflexions sur « Pour le bonheur de Pierre Mauroy (hélas) »

  1. Pauvre Fabrice!
    c’est triste de ne pas avoir l’esprit sportif,ne pas vouloir faire partie des « gagnants », des ouineurs comme on dit pour être au top; tandis que ces chers supporters, eux, le sont, sportifs du samedi soir avec leur banderoles et leurs cris de primates, qui ont des vies tellement merdiques qu’ils ne peuvent exister que par procuration en regardant onze cons en short se rouler par terre en grimaçant parce qu’ils ont été bléssé avant d’avoir pu le faire eux-mêmes. Pendant ce temps là, combien de chômeurs et précaires, sans-abri, dans la région? Oui, je sais: je suis défaitiste, risquophobe et archaïque(quel merveilleux compliment!)

  2. Commengue ??? vous osez tirer sur nos dieux du stade, nourris aux enphètes dès le plus jeune âge , nus , le muscle brillant d’huile juste pour nous indiquer quel jour on est ? Qui qui crève l’écran tous les weeckends pour ceux qui n’ont plus la force d’aller prendre l’air ? hein ? c’est qui les kikis qui font rêver, voir fantasmer les français sur tous les magazines ? Oh ! Fabrice ! Et tu voudrais priver les lillois d’un stade (où ils n’auront pas les moyens d’aller, chômage oblige) , et tu viens les embêter avec des piafs ? et puis, aucune pensée émue pour ce brave papi qui a tant contribuer à défigurer sa région ! Non,mais vraiment ! ah, je ne sais pas ce qui me retient ! journaleu , va !

  3. pardonnez moi, je me suis un peu emballée . Mais cette histoire (de plus) m’agace tellement . les gens sont si bêtes, mais si bêtes ! Qu’il faut bien en rire un peu parfois, non ?

  4. bergson disait : « le rire corrige » . tandis qu’un indien admire la beauté de la montagne, l’occidental, emberlificoté de matériel de pointe lui donnant la démarche qu’aurait sans aucun doute le symbol michelin, grimpe sans regarder, s’étouffe, s’essoufle, s’use au rythme de sa névrose , afin de planter son drapeau que les siècles se chargeront d’évaporer, au sommet . ah, oui, vraiment, nous sommes rentrer dans l’histoire, celle du moment ! l’homme des lumières ne sera JAMAIS mythique .

  5. en parlant de stade, le Japon en offre à certains pays africains, et des grands et des beaux, en échange de quoi il pêche en tanker sur les côtes . Et ça marche !!!

  6. Ici à Lyon, capitale régionale qui souhaite rivaliser dans la vanité avec Manchester, Milan et Barcelone, not’bon maire officiellement de gauche Collomb est depuis quelque temps tout fier d’être aux cotés de Jean-Michel Aulas, vous savez le patron de l’OL au look de clown blanc qui aboie contre les méchants arbitres quand ceux-ci sifflent une faute contre l’OL au risque de faire baisser le cours de l’action OL, à ses côtés donc pour annoncer que l’OL aura bientôt un grand stade à Décines, avec un grand complexe consuméro-hôtelier, qu’on appelle ici un OL-land.
    PS (si j’ose dire) plus d’infos sur le méritant site http://www.carton-rouge-decines.fr/ et pour les courageux sur http://gerardcollomb.blogspot.com

  7. Le problème quand on fait une connerie elle n’est jamais là par hasard.
    Véolia a Rennes gère L’eau, le transport scolaire, l’incinération, les ordures ménagères,et autres.
    Comment sont gérés ces postes à Lille?

    Pour ces lambeaux de nature qui nous font encore rêver, ils sont en danger permanent, car propices aux décharges, déviations, ligne à hautes tension, élevages industriels, aéroports, zones industrielles, ramblais, tourisme de masse, chasseurs bien sur.

  8. Nouveau stade à Lille, à Lyon… ici aussi à Strasbourg, « on » (journalistes, candidats aux municipales et supporters) en a parlé il y a quelques semaines… D’autres projets du même genre ailleurs ?
    A Strasbourg aussi, comme à Bordeaux et ailleurs je crois, on a notre projet de « Grand contournement routier ».
    Et on a aussi postulé pour devenir capitale européenne de la culture.
    Des projets d’écoquartiers chez tous les candidats, comme dans plein d’autres villes, une réflexion sur un « système de type vélib' ».
    Merde, on serait pas en train de faire des villes identiques partout ?

  9. Me sentant un peu vieux ces derniers temps j’aimerais bien qu’on renonce à traiter les gens de papy. L’âge ne fait rien à l’affaire (parole de poète). Des arguments, des arguments et toujours des arguments.

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