Régis Debray et l’I.D (chronique)

(Cette chronique a été publiée dans Politis 632)

Entrons dans la danse, car elle est si rigolote qu’on s’en voudrait de manquer pareille occasion. Or donc, pendant tout le mois de décembre, l’intelligentsia française s’est entredévorée à pleines dents. Le motif vous en est peut-être connu : il s’agissait (encore) d’un petit pamphlet de Régis Debray intitulé I.F, suite et fin. I.F pour intellectuel français.

Mes aïeux ! quelle charge. On vous résume : l’intellectuel de chez nous – et Debray lui-même, dans le rôle du pénitent – est narcissique et grandiloquent, autiste et pressé. Le pire, c’est qu’il déconne à plein tubes et semble toujours prêt à recommencer. En somme, Zola est mort et Dreyfus peut bien crever à l’île du Diable.

Tout doux, amis de la comprenette, tout doux. Il y a pour sûr un fond de vérité dans la délectation morose de Debray. Il a lui-même longtemps adoré un caudillo, Castro, puis s’est consolé avec un filou, Mitterrand, avant de réaliser, avec De Gaulle, qu’il n’y a décidément rien de mieux que les morts. Quant aux autres – certains autres -, ils paraissent tout de même un petit cran au-dessous de Voltaire, Bernard Lazare ou Boris Souvarine. Combien d’entre eux ont soutenu, d’une façon ou d’une autre, cette immense horreur appelée stalinisme ? Combien ont applaudi, d’une façon ou d’une autre, au massacre et à la tyrannie ?

Mais on s’en voudrait d’insister. La vraie déconnade, aujourd’hui du moins, est ailleurs. Ce qui réunit tout le monde, amis ou ennemis, de gauche ou de gauche, c’est leur extraordinaire indifférence à la crise écologique. Ce qui relie Jean-François Kahn et BHL, Philippe Sollers et Jacques Julliard, Régis Debray et André Glucksmann, c’est leur complète cécité par rapport à ce qui est évidemment l’essentiel : la crise de la vie. Jamais depuis 70 millions d’années, en effet, la diversité des formes vivantes n’a été aussi menacée.

Ces intellectuels, qui auront passé une vie à parler et réfléchir, n’ont jamais trouvé le temps de seulement s’informer sur la couche d’ozone ou le dérèglement climatique, la désertification massive, la contamination chimique, toutes ces menaces globales qui font que le monde a réellement changé, fondamentalement changé. On parierait très cher qu’aucun n’a même jamais lu le moindre livre de fond sur la question. Qu’on se souvienne de la grandiose farce de l’Américain Alan Sokal, démontrant comment nos grands intellos (1) font les malins sans seulement savoir de quoi ils parlent ! Alors, I.F ou I.D ? Intellectuel français ou distrait, défait, pour ne pas dire débile ?

(1) Impostures intellectuelles, par Alan Sokal et Jean Bricmont, Le Livre de Poche

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