Grenouillages et marécage (dans le Marais poitevin)

C’est triste à pleurer. Mon ami Yves Le Quellec – merci pour tout, Yves ! – m’envoie le texte d’une pétition en faveur de la création d’un Parc naturel régional (PNR) du marais poitevin (marais-poitevin.org). Yves est un homme que j’estime profondément, j’espère qu’il s’en doute. Breton d’origine, si cela signifie quelque chose, acclimaté à merveille dans ce Marais poitevin qu’il adore, il en est devenu un connaisseur hors pair. Non seulement il sait la culture, la langue, les traditions. Mais aussi, mais encore la faune stupéfiante, et la flore. Je signale qu’il a écrit ou participé à la rédaction de plusieurs livres.

En plus de quoi il est écologiste. Et vice-président – je crois – de la Coordination pour la défense du Marais poitevin (marais-poitevin.org). Il a consacré des milliers d’heures sans doute à ce grand travail bénévole. Et voilà donc qu’il m’adresse le texte d’une pétition, que je ne suis pas sûr de signer.

Le Marais poitevin est la deuxième zone humide en France en surface, après la Camargue. Un lieu d’exception, notamment pour les oiseaux sauvages. Le maïs irrigué, cette saloperie, a détruit des dizaines de milliers d’hectares de prairies humides qui étaient le coeur et le réservoir du Marais. Au point que Brice Lalonde, en 1991, quand il était ministre, a retiré son label au PNR du Marais poitevin. La suite n’est que constante litanie.

Alertée par Yves et sa Coordination, l’Europe a menacé la France d’une amende de 150 000 euros par jour. Par jour ! Sanction gelée, mais à une condition : que le PNR soit reconstitué. Raffarin, devenu Premier ministre en 2002 – mais il avait été avant cela Président de la région Poitou-Charentes, qui comprend une partie du marais – décide alors de faire signer par toutes les collectivités locales et territoriales une nouvelle charte, préalable à la reconstitution d’un PNR.

On en était là, tout près d’un nouveau parc naturel, quand notre grand ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo, a annoncé le 20 février qu’il rejetait la charte, enfin finalisée. Officiellement, parce que le projet serait faible sur le plan juridique. Et susceptible d’une remise en cause devant les tribunaux. La vérité est différente, comme on se doute. Les ennemis de toute structure de protection ont gagné la partie, à quelques jours des municipales.

Et parmi eux, le suzerain du département de Vendée, un certain Philippe de Villiers. Qui défend les apiculteurs frappés par le Gaucho de la main gauche, entre deux assauts contre les immigrés et les délinquants, tandis qu’il soutient de toutes les forces de sa main droite ses amis du maïs intensif. Il n’y aura donc pas de sitôt un Parc naturel régional du Marais poitevin, sauf miracle ou succès national de la pétition de l’ami Yves.

Je vous l’ai dit, je ne suis pas sûr de signer. Je suis même raisonnablement certain de ne pas le faire. Car quoi ? Cette situation est le reflet de nos impuissances à avancer. Malgré les rodomontades des partisans écologistes du Grenelle de l’environnement, la situation générale ne cesse de se dégrader. Nous en sommes là : à réclamer la création d’un PNR qui s’est montré ridiculement incapable, quand il existait il y a vingt ans, de protéger si peu que ce soit le joyau écologique qu’était le Marais poitevin.

Alors, mon cher Yves, je te le demande : n’est-il pas temps de penser autrement ? Et d’agir différemment ? Je le crois, tu le sais. Mais j’aimerais avoir ton avis.

11 réflexions sur « Grenouillages et marécage (dans le Marais poitevin) »

  1. Il devient urgent, je crois, que la gestion du territoire ne soit plus aux seules mains des 2% de chimiculteurs bas du front.

  2. J’ai habité feu le Marais Poitevin, pendant 5 ans, que j’ai quitté il y a peu. J’y ai passé presque toutes mes vacances étant enfant. Le label PNR était risible et le serait hélas plus encore aujourd’hui. Il y reste de beaux coins, mais l’essentiel de sa superficie ressemble aujourd’hui à la Beauce. Un PNR du Marais Poitevin n’aurait aucun sens, sauf à dire que ça aiderait à stopper l’hémorragie. Je crois plutôt qu’il faut d’abord remettre en état, en prairie, en haies (au moins là où il y en avait), en cultures respectueuses. Cesser d’avoir peur de l’eau, la chasser en hiver et la pleurer en été. Et changer les mentalités : l’hôpital de Rochefort (17), va être transféré tout près, à Breuil-Magné, dans une zone de marais ; un jeune diplômé de l’université (bac+5), m’a confié que ce n’était peut-être pas une bonne idée, que l’endroit n’était probablement pas très… salubre. Navrant…

  3. peut être, au lieu de dépendre des politiques qui ne seront jamais courageux, faudrait il , en associations, s’organiser pour racheter collectivement des terres (un peu comme le font déja certaines associations), pour les sauvegarder ou les restaurer.
    Chacun donnant un peu, si on est beaucoup, et si on sait profiter d’opportunités et d’une bonne connaissance du monde agricole…Est ce vraiment si utopique? au moins on aurait l’occasion d’agir et pas seulement de se lamenter!

  4. -@ Anne, oui, pour l’instant présent, ça permet en effet de restaurer ,c’est une solution . les pétitions, ça vaut mieux que rien

  5. Cher Fabrice, cher tous,

    Oui, l’histoire du Marais Poitevin dans ces trente dernières années est une catastrophe qui résume à elle seule l’aveugle capacité destructrice dont l’aventure humaine est porteuse ; pas toute l’aventure humaine, bien sûr, mais on sait ce que peut produire celle-ci quand elle se limite à certaines visions, spécialement celles du plus court terme. Nul besoin de développer, tu le fais cent fois mieux que moi, Fabrice, dans tes billets, et les contributeurs de ce blog ne manquent pas d’y ajouter plus que leurs grains de sel !
    Il est sûr qu’un Parc Naturel Régional, là ou ailleurs, ne fait pas de miracles, et je serai bien le dernier à soutenir le contraire : j’ai assez combattu le double jeu des élus qui pilotèrent cette structure de 1979 aux années 1990 pour prétendre que demain, le label acquis, tout ira pour le mieux.
    Seulement voilà. Je ne suis pas décidé à tout abandonner. Et je sais que je ne ferai rien tout seul.
    Alors, quand je vois des élus d’une nouvelle génération, pas parfaits sans doute – pas plus que moi ! – se saisir de ce dossier, et se mettre à construire un projet qui fâche à ce point tous ceux qui défendent le statu quo, je me dis que oui il faut en être, il faut soutenir, et que cela ne peut vouloir dure que l’on baisse la garde. Certes, la boîte à outils n’est pas riche en propositions. Donc un PNR, qui, s’il naît, ne vaudra que par la vigilance permanente de ses amis, pour maintenir l’exigence…
    S’il ne naît pas, nous perdrons par conte le seul dispositif à pouvoir défendre – actuellement – une vision cohérente de cette grande zone humide, contre tous les tenants de l’exploitation éhontée et sans limites de leurs petits prés carrés et de leurs fiefs.
    S’il ne naît pas, ce sera parce que les adversaires de la cause que nous souhaitons défendre auront été les plus forts. Et, je le crains, je peux même dire que je sais, il n’y aura plus grand chose à faire…
    Alors pardonnez cette pétition qui ne dit pas ce que vous voudriez qu’elle dise ; les enjeux qu’elle vise n’en sont pas moins d’importance, pour que demain encore, le marais puisse être défendu.
    En toute amitié,
    Yves

  6. Cher Yves,

    Compte-tenu de ce que je pense d’un PNR comme celui-là, tu as réussi l’impossible : je viens de signer la pétition en ligne. Et je sens bien que tu as raison, malgré tout : dans le désastre ambiant, il faut sauver ce qui peut l’être. Porte-toi bien !

    Fabrice Nicolino

  7. Bonjour,
    J’occupe un poste administratif depuis plus de 25 ans dans ce Parc que vous accablez. Vous ignorez à quel point les techniciens de cette structure se battent et avec quelle conviction ! J’ai vu passer, ici, des gens brillants, la jeune génération ne l’est pas moins. Elle nous porte. Ne les décevons pas. Nous sommes conscients des limites de la structure mais elle est le dernier rempart à la menace que vous décrivez si bien. Pour une fois, les élus qui sont aux commandes défendent le territoire comme jamais je n’ai eu à le voir en 25 ans. Donnons-leur raison ! Merci de m’avoir lue.

  8. Pour Sylviane,

    Merci, sincèrement, pour votre commentaire. Et je suis convaincu – réellement – de votre dévouement à la cause de ce territoire jadis merveilleux. Mais sachez que je ne débarque pas de la lune, et que je connais la région. Suffisamment en tout cas pour savoir de quoi je parle. J’ai vu en son temps les effets désastreux de ce qu’il faut bien appeler la lâcheté du défunt PNR. Et je maintiens qu’un parc qui laisse disparaître sans être capable de s’y opposer le coeur des écosystèmes sur lesquels il repose – en l’occurrence les prairies humides – mérite de disparaître.
    Mais vous n’êtez nullement visée, je vous l’assure de bon coeur.

    Fabrice Nicolino

  9. Fabrice,
    Je n’ai que du respect pour vos convictions et je pense en partager la plupart. Merci de rappeler à vos lecteurs que ce Parc qui a laissé se dégrader un territoire aussi exceptionnel que le Marais était, pdt ttes ces années, aux mains d’élus qui ont laissé faire, plus ou moins consciemment (d’ailleurs, s’ils me reconnaissent, tant pis ! je me donne le droit d’être une citoyenne inquiète). Aujourd’hui, notre chance a tourné ! Saisissons là. A trop rêver ou à trop idéaliser, nous allons tous nous retrouver bredouilles. Merci néanmoins pour ce blog où règne la liberté d’expression. Merci à vous.

  10. C’est reparti. Le Marais poitevin redevient parc naturel régional. Étant donné qu’on est capable de lui rendre son label en l’état (et en tendance), gageons qu’on n’est pas près de le lui reprendre, cette fois-ci.

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