Ce monolithe du mensonge qui se fissure

Bien entendu, tout explose. Je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous l’ignorez. Tout, c’est-à-dire tout. L’Amérique de Trump. L’Angleterre du Brexit. La Pologne et la Hongrie du nationalisme fou. La Turquie des coups les plus fourrés. La France des attentats à répétition et de cette glissade éperdue vers les aventures promises par une droite revancharde. Plus rien ne tient debout, et c’est bien normal,  car nous sommes à l’heure des grandes destructions, des vraies régressions, et de la décomposition. Je précise à toutes fins utiles que je ne désespère pourtant pas. Nous avons, aussi faibles que nous paraissions, quelques cartes en mains. N’oublions jamais, je vous en conjure, que nous incarnons l’avenir du monde. Le seul avenir possible, faute de quoi ce sera la guerre de tous contre tous.

Bon, venons-en à mon papier du jour. Les grandes structures étatiques que l’on croyait définitives craquent, et c’est tant mieux. Mon premier exemple concerne le nucléaire, cette incroyable puissance, à moitié occulte, cachée dans le moindre repli de notre bannière nationale. Ce n’est pas la fin, mais très clairement la fin du début. Areva évite (peut-être) la faillite grâce à une augmentation de capital public – notre argent – qui risque d’être retoquée par l’Europe. EDF est à ce point surendettée que certains des plus fervents commencent à se demander si l’entreprise demeure viable. Tout concourt au désastre : les investissements honteux de madame Lauvergeon dans des mines d’uranium en carton-pâte; le fiasco retentissant des réacteurs EPR de Finlande et de Normandie, avant qu’on parle sérieusement de ceux en construction en Chine; le report ad æternam du démantèlement des vieilles centrales françaises; l’imbroglio franco-anglais autour du projet d’Hinkley Point; l’interminable feuilleton de l’enfouissement des déchets à Bure (Meuse). Etc. Et je tiens à cet et cætera.

Bure, justement. Quand le nucléaire régnait en maître absolu – hier encore -, nulle faction, nulle fraction de l’appareil d’État n’aurait osé la moindre critique publique. C’était un système parfait, que le monde entier nous enviait. Maintenant, c’est presque chaque jour qu’un avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ou même de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) vient nous alerter sur tel ou tel dossier brutalement devenu inquiétant. Le dernier en date est signé par l’Autorité environnementale (ici), énième machin créé par le ministère de l’Environnement, et qui abrite quantité d’ingénieurs du défunt corps des Ponts et Chaussées. Or ces derniers sont dans une opposition historique au corps des Ingénieurs des mines. Or ce dernier est largement à l’origine du programme massif de constructions de centrales nucléaires chez nous après 1974.

Voici le contexte de l’avis de l’Autorité environnementale, qui porte sur la gestion des déchets nucléaires. On en parle ces temps-ci, car des vaillants tentent de retarder – empêcher ? – l’enfouissement sous 500 mètres de nos déchets les plus dangereux, toxiques pour des milliers, parfois des millions d’années, éventuellement davantage. Or que lit-on dans ce texte dont je m’empresse de dire qu’il est aussi officiel que tant d’autres, comme ceux qui justifient par exemple Notre-Dame-des-Landes ? Ceci, qui n’est qu’un court exemple tiré du tout début : l’Autorité « s’interroge sur la capacité réelle des opérateurs à mettre en œuvre concrètement des mesures sur une durée qui dépasse largement la durée de toutes les civilisations dans l’histoire ». On peut aussi appeler cela le coup de pied de l’âne. Traduit de la langue bureaucratique, cela signifie que les gens de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) sont des branlotins. Ce n’est rien, rien d’autre qu’une rupture historique.

L’autre exemple qui me vient en tête, c’est le rapport (ici) de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)  sur les pesticides. Il y a sept tomes à lire, et je vous mentirais en prétendant que j’en suis venu à bout. Mais je peux déjà faire un commentaire. Car on y lit des phrase qui eussent été impossibles il y a cinq ans. Ou il y a dix, quand je publiais avec mon ami François Veillerette Pesticides, révélations sur un scandale français (Fayard). Parmi elles, celle-ci : « Il est plausible que les informations colligées dans le texte permettent à des victimes d’attaquer l’Etat pour carence ». Ou celle-là : les recherches « témoignent unanimement du déficit de données sur les expositions aux pesticides des personnes travaillant dans l’agriculture en France ». Pratique, n’est-ce pas ? Quand on ne veut pas savoir si on a de la fièvre, il peut être utile de casser le thermomètre. Pas vu pas pris. Le crime parfait.

C’est tout pour aujourd’hui. Mais retenez : les vieilles coutures craquent. Hélas celles de la démocratie. Mais aussi, au passage, celles d’un vieux monde condamné.

PS : Pour une raison que j’ignore, il vous sera peut-être difficile d’ouvrir l’avis de l’Autorité environnementale cité plus haut. À toutes fins utiles, l’adresse complète : http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/160720_-_PNGMDR_2016-2018_-_delibere_cle1a57c4.pdf

10 réflexions sur « Ce monolithe du mensonge qui se fissure »

  1. Bonjour,
    J’entendais l’émission de débat ce midi sur France Inter consacrée aux déchets et à l’enfouissement à Bure. Il semblerait que la « réversibilité » ait été pour la première fois évoquée et votée à l’assemblée.
    Ce qui n’aurait jamais pu être envisagé il y a encore quelques année.
    C’est bien, mais tellement peu…
    Cdt,
    JCMoriaud

  2. Aujourd’hui, faute de véritable solution, on stocke à La Hague, à Soulaines et Morvilliers. On admet « réversibilité » à Bure : ainsi nos petits enfants pourront choisir de ce qu’ils feront de ces déchets. Comment admettre qu’un stockage « non défintif » puisse être bien sécurisé?
    On entrepose, on accumule sans trop savoir que faire. Alors stoppez les industries nucléaires et pensez à l’environnement autant que peu soit-il encore à sauver…

  3. Bonjour,
    à ce sujet, je recommande à tous la lecture du livre de Corinne Lepage paru en 2014 « l’Etat nucléaire » (Editions Albin Michel), une mine de renseignements qui n’a pas eu l’écho qu’elle méritait. Il y a dans ce livre non seulement un bilan complet de la situation mais aussi des propositions tout à fait réalisables pour en sortir.

    Voici la présentation du livre faite en 2014 par l’éditeur:
    « Les médias parlent souvent de lobby nucléaire. En réalité, ils ne traitent qu’une partie du problème. Aujourd’hui, c’est l’ensemble de l’État français qui est irradié par les nucléocrates et autres défenseurs de l’atome.

    En tant qu’ancienne ministre de l’environnement et ex-députée européenne, Corinne Lepage sait comment fonctionne ce système bien verrouillé. Dans ce livre extrêmement documenté, elle démonte les idées reçues sur le sujet et dévoile les connexions entre décideurs politiques, industriels prêts à tout et scientifiques formatés par l’idéologie dominante du Corps des Mines et d’EDF.

    Ce corporatisme, dont les enjeux financiers et sociaux sont colossaux, fait l’objet d’une omerta scandaleuse depuis plus de trente ans, toute remise en question se révélant impossible, dans les faits, en dépit (ou à cause) des alternances politiques.

    Un document choc qui lève le voile sur les nombreuses dissimulations et les mensonges d’État, et propose une alternative au tout-nucléaire. Avec, en point de mire, un seul objectif : l’intérêt général et… notre sécurité ! »

  4. Totalement hors-sujet, je m’en excuse, j’apprends aujourd’hui le décès de baudoin de Menten, qui, à la tête de la Buvette des Alpages, a tant bataillé, à sa façon inclassable, pour l’ours et le loup. Stupéfaction et grande peine, il va manquer à beaucoup…

  5. Et si on parlait des investissements « écologiques » comme les houlomoteurs. 12 ans après leur démarrage, les deux sociétés écossaises qui promettaient monts et merveille en faisant s’agiter des boudins sur les vagues ont été mises en faillite. 200 Millions de £ pour le contribuable écossais; une broutille peut-être mais quand on veut donner des leçons de bonne gestion et dicter dans le moindre détail la conduite à tenir pour les ignorants non ‘bobos écolos », un peu d’autocritique ne serait pas malvenue. Mais il est vrai que Vichinsky dénonçait le manque de liberté des pays capitalistes.

  6. Merci à l’analyste hors pair qu’est Fabrice et à cette livraison décapante.
    Si BURE est le plus monstrueux des GPII, le but des résistant-e-s à cette folie est bien de stopper l’engrenage infernal et d’enterrer/enfouir de projet bafouant toute éthique.
    Stopper ce projet « cigéo », tout simplement pour obliger les autruches qui gouvernent à ouvrir les yeux, regarder et reconnaître qu’il y a problème majeur avec les poisons du nucléaire, et s’atteler en urgence à l’étude d’une VRAIE solution à l’élimination de la radioactivité, avec en parallèle et par bon sens la fermeture du robinet de production de ces déchets.
    Alors, ils s’y mettent quand, les « responsables » ?

    1. Le but de l’enfouissement à Bure est de laisser croire qu’il y a une solution au problème des déchets, pour continuer à en produire !
      La moitié de ce qui doit aller là bas dans la poubelle n’est pas produit encore, donc il est urgent de tout bloquer et de continuer jusqu’à ce que toutes les centrales soient fermées.
      A ce que l’on peut lire, la moins pire des techniques est de laisser les déchets pas trop loin de la surface pour pouvoir les récupérer, les reconditionner, que sais-je, mais certainement pas de les planquer 500 m sous terre en les mélangeant tous, au risque d’un Tchernobyl puissance 10 si un accident arrive… Il arrivera à Bure, aujourd’hui, demain ou dans 50 ans ?

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