De Barcelone à la Loire (en passant par Total)

Un jour de 1996, Jacques Blanc prend l’avion. Non, ce n’est pas la première fois. Blanc est à cette époque président du Conseil régional du Languedoc-Roussillon. Pas de jeu de mots sur son nom, ce qui serait facile : il a passé des accords honteux avec le Front national pour conserver sa dérisoire puissance. Revenons à l’avion.

Dans cet avion, Albert Serratosa, un expert en aménagement de la Generalitat de Catalogne. Cela tombe bien, car Blanc est aussi patron de la compagnie du Bas-Rhône-Languedoc (BRL), machin qui « aménage » depuis des décennies grâce à des fonds publics. BRL est en panne de grands projets, car le Rhône, dont elle s’est occupée à sa douce manière, est désormais ravagé. On ne peut plus ajouter un seul barrage sur son cours, ce serait du gâchis. Même pour Blanc.

En revanche, Serratosa déborde d’idées. Pour Barcelone. Car la ville s’étend, conquiert, défie Madrid. Mais elle manque d’eau, ce qui est trop bête. L’agglomération peine à rassembler 500 millions de mètres cubes par an, quand son magnifique développement en demanderait très vite 600. Question du Catalan au Français : « Pourrait-on amener l’eau du Rhône jusqu’à Barcelone ?». Blanc a la réponse. Oui, oui, oui enthousiaste. BRL changerait de statut – tristement régional – et deviendrait une véritable entreprise internationale. Blanc, médecin de La Canourgue (Lozère), serait enfin un grand manager qu’on reconnaîtrait dans la rue.

Résultat des courses : un beau projet en forme de canalisation géante, pour transférer une partie des eaux du Rhône jusqu’à Barcelone. 300 km de long, 12 milliards de francs de l’époque. Publics. Hélas, les grincheux grinchent, qui ne comprendront jamais la grandeur. Et le projet capote. Et le médecin de La Canourgue finira sa vie sénateur. Sic transit gloria mundi.

Quelques années plus tard, Barcelone a toujours besoin d’eau et empile d’étincelants plans économiques. La ville comme la région sont aux mains des socialistes. Les amis de nos socialistes. Les mêmes. Qui n’ont jamais réfléchi plus d’une seconde à la vraie gestion écologique des eaux de la terre. Du temps d’Aznar et du Partido popular (la droite), l’État espagnol entendait lancer un Plan hydrologique national (PHN) pour continuer à abreuver les villes Potemkine du littoral sud. Les lotissements touristiques en pleine zone aride, les golfs, l’agriculture intensive, les serres et leurs esclaves. Il aurait suffi de transférer une partie des eaux de l’Èbre, grand fleuve du nord, jusqu’à la côte méditerranéenne, par une série de canalisations géantes. Astucieux. Au passage, la géographie physique du pays – la péninsule ibérique doit son nom à l’Èbre – en eût été modifiée à jamais.

Aznar ayant dû prendre une retraite anticipée, le PHN s’en est allé aussi. Bravo ? Pas si sûr, car Barcelone, bis repetita, continue d’avoir soif d’expansion et de croissance, ce qui demande de l’eau. Mais comment servir la Catalogne après avoir refusé la mort de l’Èbre ? La politique est cruelle. Voilà qu’on apprend deux choses. Un, en catimini, et juste après les élections, on va s’emparer des eaux d’un affluent de l’Èbre, le Segre. Pour les transférer jusqu’à une autre rivière des portes de Barcelone, le Llobregat. À première vue, c’est exactement ce que la droite souhaitait faire, à une toute autre échelle il est vrai. Mais comme il s’agit d’un projet de gauche, bien entendu, il n’en est rien. Attendons avec sérénité les réactions de Murcie, au sud, directement frappée par l’abandon du PHN.

Et ? Ne pas oublier la transition. Il est bien beau de lancer de vastes chantiers, mais en attendant ? Et cet été ? Comment fera Barcelone ? Comment se laveront ses touristes ? Autre idée fameuse : sept navires spécialement affrétés apporteront depuis Tarragone et…Marseille de l’eau douce venue d’ailleurs. Première arrivée en fanfare le 15 mai.

J’en étais là de mes divagations quand j’ai su la nouvelle catastrophe advenue dans l’estuaire de la Loire. Vous ne l’ignorez plus, 400 tonnes d’un fuel très toxique se sont épandus dans notre si beau fleuve, à la suite d’un accident dans la raffinerie Total de Donges. Je ne dispose pas d’informations particulières, même si je crains le pire pour les roselières, les vasières et leurs oiseaux. Total vient de s’excuser, et assure que tout sera remboursé. Esclaffons-nous de concert, au moins cela.

Quelle morale tirer des ces menues histoires d’eau ? Cela me semble (presque) limpide. La politique, celle du moins que nous connaissons, est incapable de changer quoi que ce soit à l’ordre réel du monde. Car c’est affaire de pensée profonde, de culture au sens anthropologique. Ces gens, tous ces gens-là ne conçoivent l’avenir qu’au travers d’une accélération sans fin. Voyez le cas tragicomique de Nantes – très proche de Donges – où le maire socialiste Ayrault soutient de toute son âme le projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes. Que lui importent les vraies conséquences ?

Il n’y aura plus aucune avancée importante sans que nous soyons sortis du cadre. Nous, le plus grand nombre possible. Je sais que c’est difficile. Peut-être impossible en quelques courtes années. Mais qui sait ? Je vote sans hésiter pour la fin de ce monde.

17 réflexions sur « De Barcelone à la Loire (en passant par Total) »

  1. au sujet de « l’accident » bête survenu dans la loire au début du printemps, avec tout ce que cela implique comme désastres écologiques, et compte tenu des derniers bras de fer entre les pro du bétonnages et les autres, j’espère de tout coeur qu’il ne s’agit que d’un accident…

  2. l’affaire espagnole a le mérite de montrer une chose, que tous les débiles qui anônnent sur la croissance dématérialisée devraient se foutre dans le crâne: la croissance économique, c’est, d’abord et avant tout, la consommation de ressources naturelles finies. Ce qui s’est passé en Espagne ces 15 dernières annéees est à vomir.

  3. « La guerre serait un bienfait des dieux si elle ne tuait que les professionnels. » (Prévert)
    Le problème avec la catastrophe écologique en cours, c’est que tout le monde risque d’y passer un jour ou l’autre !

  4. est-ce vraiment un problème si tout le monde y passe ? ou ne serait-ce pas plutôt « bon débarras » ?

    Je ne suis quand même pas pressé, j’ai bien envie de voir comment cela va finir…

  5. Cyclo écolo:s’il reste un peu de temps il faut passer par  » sortie de secours  » .Je viens d’acheter  » points de rupture  » et j’ai eu la nette impression que certains humains vivent dans des mondes parallèles,car juste a coté se trouvait un autre livre s’appelant  » ruptures « .Je les ai mis cote a cote et j’ai choisi …celui qui met les points sur…

  6. ” .Je viens d’acheter ” points de rupture ”

    Idem ici, à la suite de la note de Fabrice l’autre jour… effrayant.

    Il y a surtout un bon argumentaire anti-sceptique au début. Ils sont encore étonnamment nombreux, en tout cas bruyants sur internet. Je ramasse presque quotidiennement sur mon blog des dizaines de commentaires d’écolo-sceptiques (comme sur le site du Monde ou autres d’ailleurs).

  7. Oui, c’est vrai, encore beaucoup de sceptiques mais qui ont tendance, il me semble, à se transformer de plus en plus en partisans de l' »à quoi bon ? », voire du « on finira bien par s’adapter au réchauffement climatique ». Leur point commun ? Continuer à consommer comme si de rien n’était, tout renoncement (à la grosse bagnole, aux 3 télés, au thermostat à 23° au lieu du pull, etc.) étant vécu comme une régression insupportable.

  8. dans mon coin, certains ont fait l’effort ultime de regarder le reportage sur Monsanto, et ont eu , enfin , des réactions ressemblant à des réveils . Rêvons un peu……

  9. « On finira bien par s’adapter… »
    Oui, la disparition pure et simple est un des cas d’adaptation possible.

    Disent-ils la même chose de la rage de dents ou de la torture ?

  10. Fabrice, à tous les niveaux, je signe :
    « Il n’y aura plus aucune avancée importante sans que nous soyons sortis du cadre.  »
    Je suis instit et même là, il va falloir se bouger car les nouveaux programmes scolaires de l’école élémentaire sont tristement HONTEUX. Et les syndicats majoritaires (le « cadre ») hésitent à faire trop de vagues… Pas moi, mais pas seul !

  11. Etant aussi de la partie, je confirme ce que dit P.P. (donc pas seul) : ces programmes sont bien une nouvelle pièce maîtresse (d’école) de la politique de décivilisation en cours.

  12. moi je vote pour une nouvelle manière de penser, et je pour un nouveau monde sur notre vieille terre, peut-être parce que je suis jeune et encore pleine d’espoirs, sûrement utopistes … mais je me rends compte déjà que ma génération est plus sensibilisés aux problèmes d’environnement, j’ai été réjouie qu’on nous donne une poubelle verte pour le recyclage dans ma rue, nous n’en avions pas et celà incite les gens à recycler …
    j’ai encore envie de croire à la Vie, et à l’Amour de la Vie …

  13. même si ces plans pour l’eau sont complètement absurdes, il y a des gens pour le penser, mais surtout, il y a des gens qui les trouvent absurdes et c’est ça le plus important …
    s’il y a des gens pour jeter des déchets sur les plages, il y a des gens pour les ramasser …
    un principe d’équivalence ? il faut (hélas) de tout pour faire un monde, même des gens qui nous font courir à notre perte, il en faut d’autre pour reprendre les rênes et arrêter ce char fou qui fonce sur ce mur devant nous, ne pas capituler, jusqu’à la fin …

  14. je me suis permis de faire un copié-collé du site de la LPO . Ils ne demandent qu’à participer , mais on ne les prévient pas :
    Marée noire de l’Estuaire de la Loire :
    la LPO indignée par le manque de transparence des autorités
    La LPO déplore le silence volontaire des autorités qui n’ont pas cru bon d’informer les associations de la marée noire dans l’Estuaire de la Loire, survenue dimanche. La LPO craint que des milliers d’oiseaux, dépendant des vasières et roselières, ne soient touchés.

    C’est par voie de presse que la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux) a été informée, hier après-midi, de l’existence d’une marée noire dans l’estuaire de la Loire, repérée pourtant depuis la veille. Les autorités ont fait le choix de ne pas informer les associations, et en particulier la LPO.

    Pourtant, notre association participe au dispositif marée noire en tant que spécialiste de la faune sauvage et a, depuis longtemps, démontré ses compétences en matière de nettoyage des côtes souillées et de soins aux oiseaux mazoutés.

    La LPO déplore ce silence volontaire des autorités et souhaite ne pas être informée seulement pour venir participer aux opérations de nettoyage.

    La LPO est en colère. Cette pollution, dont les autorités n’ont pas cru de leur devoir de l’informer, pourrait tuer des dizaines de milliers d’oiseaux de l’Estuaire de la Loire, site classé Natura 2000.

    Ce manque d’information des associations a également retardé le premier décompte des oiseaux touchés, auquel la LPO et l’ONCFS (Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage) ont procédé lundi soir, dans de mauvaises conditions.

    Hier soir, une vingtaine de kilomètres de côte était souillée et le mazout atteignait 40 centimètres d’épaisseur sur certaines berges. La totalité de la vasière de Paimboeuf était recouverte par l’eau et par le fioul. A la Pointe de l’Imperlay et au sud de l’ile Saint-Nicolas, on décomptait déjà 31 bécasseaux variables, 7 pluviers argentés, 19 avocettes, 3 tadornes et 2 barges rousses mazoutés.

    Ce sont les oiseaux des vasières qui sont les plus concernés, ainsi que ceux des roselières et du Banc Bilho, qui sert de reposoir à marée haute pour des dizaines de milliers d’oiseaux (avocettes, bécasseaux, pluviers, cormorans, tadornes et canards de surface).

    Des bénévoles de la LPO et des membres de l’ONCFS procèdent depuis 10 heures, ce matin, et jusqu’à 14 heures, à marée montante, à un décompte des oiseaux touchés.

    Afin de vous présenter la situation et d’exprimer leur indignation face à cette catastrophe, les associations LPO Loire-Atlantique, Bretagne Vivante-SEPNB et Loire-Vivante vous convient à un point presse mardi 18 mars à 15 heures (cf.. Invitation presse en pièce-jointe). Elles se rendront ensuite sur site afin de constater l’ampleur des dégâts occasionnés par cette nouvelle marée noire.

    Allain Bougrain Dubourg
    Président de la LPO

  15. Toujours la meme chose Total va rembourser.. Donc c’est nous qui allons payer. Une petite peine de prison pour le responsable serait plus appropriée.

  16. On avait commencé à pointer du doigt l’urbanisation des côtes espagnoles à l’époque de Franco (Benidorm est à sa peu glorieuse effigie), mais il faut reconnaître que la démocratie n’a rien changé à l’affaire environnementale. La gestion de la ressource en eau est catastrophique et des projets pharaoniques comme celui de Gran Scala ( lire ici http://ecoloinfo.com/2008/03/17/et-au-milieu-poussera-une-ville%E2%80%A6/ ), sournoisement défendus par Zapatero, vont accélérer les déséquilibres écologiques et humains.

  17. Hola Fabrice,
    Je voudrais savoir où tu as eu ces infos?? D’ici qqs jours, je vais interviewer Alebrt Serratosa à propos du projet Cerdà 2009, tu es au courant??

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