Une très bonne nouvelle (si)

Je ne suis pas crédible dans ce rôle de composition, mais on me pardonnera peut-être : me voici porteur d’une nouvelle extraordinaire. Un okapi a été photographié en forêt, en liberté, et pour la première fois dans ces conditions pourtant si évidentes. Je répète : un okapi libre a été fixé sur une pellicule, et c’est la toute première fois. Attendez, soyez patients, ce n’est pas fini, des surprises ne sont pas à exclure dans ce papier débordant de joie (sincère).

Je vous présente l’okapi. Il pourrait faire penser à une girafe, en plus petit, avec un cou nettement plus court, des jambes antérieures plus longues que les autres, et un pelage rayé. N’oublions pas la langue protractile, qui s’allonge d’elle-même, pratique pour boulotter les feuilles des arbres. Où vit-il ? Exclusivement dans les forêts denses d’une petite partie de la République démocratique du Congo (RDC), l’ancien Zaïre. Surtout celle de l’Ituri, où une réserve a été créée pour lui.

C’est là que commence le sortilège. Car la région de l’Ituri est l’une des plus meurtries par l’épouvantable guerre civile en cours en RDC, qui aurait tué plus que cinq millions d’hommes en une dizaine d’années. Je n’essaie pas d’imaginer, car je n’en suis pas capable. Outre les viols et les massacres, les tueurs patentés auraient utilisé le cannibalisme pour mieux terroriser les civils. Ce n’est pas une histoire drôle.

Donc l’Ituri. Mais comme si cela ne suffisait pas, la photo de l’okapi, mammifère devenu rare, mammifère menacé on s’en doute – il peut peser ses 300 kilos de chair et d’os – a été photographié dans le parc national des Virunga, l’un des lieux les plus fantastiques de notre terre. Surface :  790 000 hectares, répartis entre 680 et 5109 mètres d’altitude. En bas, des marécages et des steppes, en haut une végétation afro-alpine, faite de fougères arborescentes et de lobélies. En bas, 20 000 hippopotames. En haut, des gorilles des montagnes. Avec des volcans. Avec des neiges éternelles. Avec des vols d’oiseaux venus de Sibérie. Le Parc abrite 218 espèces de mammifères, 706 d’oiseaux, 109 de reptiles et 78 d’amphibiens. Et compte 22 espèces de primates, dont trois grands singes : le gorille de montagne déjà cité, le gorille des plaines de l’Est et le chimpanzé de l’Est. Si vous êtes déjà allé aux Virunga, je vous en prie, pas de commentaire. Pensez aux autres.

Revenons à l’okapi, qui a été photographié en un lieu d’où on le croyait disparu. Car personne n’en avait jamais vu dans les Virunga depuis 50 ans. Des biologistes de la Société zoologique de Londres ont installé un piège photographique, qui a donc donné ce résultat inouï (ici, avec photos). Je ne trouve pas ce résultat seulement beau, mais franchement incroyable. Car des dizaines de milliers de soldats campent dans les Virunga et alentour. Des factions, de sinistres factions qui s’entretuent quand elles ne s’en prennent pas aux paysans pauvres de la région. Schématiquement, trois groupes sont présents. D’abord l’armée nationale congolaise, si on peut appeler ainsi cette milice. Puis les ignobles Interhamwe, milice génocidaire hutue – du Rwanda voisin – repliée là après avoir découpé à la machette 800 000 Tutsi en 1994. Enfin, les troupes d’un soudard congolais, rebelle tutsi qui prend prétexte de la présence des Hutus haïs pour mener ses affaires.

Tragique ? Tout cela dépasse nos pauvres mots habituels. En plus des trafics et du braconnage, omniprésents, la faune sauvage des Virunga voit disparaître la forêt dense qui est son univers. Car le charbon de bois est devenue une industrie qui pèserait cent fois plus que l’écotourisme lié aux gorilles de montagne. En 2006, le commerce du charbon de bois aurait rapporté plus de 30 millions de dollars, contre 300 000 pour le tourisme. Voilà pourquoi votre soeur est muette, et la forêt en perdition.

Et pourtant ! Au milieu de ce merdier sans nom, les rangers qui surveillent le parc restent. Des dizaines d’entre eux ont été assassinés. Mais ils restent. Je les vois comme de grands humains, je les sais attachés à la vie sauvage, malgré l’horreur absolue des conditions locales. Qu’on me permette de saluer la très noble figure de l’un d’entre eux, Paulin Ngobobo. Menacé dans sa vie, il est pour le moment caché à Kinshasa, en attendant une improbable éclaircie. Une poignée d’étrangers tentent eux aussi l’impossible, parmi lesquels Robert Muir, de la Société zoologique de Francfort. Ce dernier cherche et trouve (peut-être) des solutions pour réduire la pression sur la grande forêt magique (ici, en anglais).

C’est dans ce pandémonium géant que l’okapi a trouvé un petit espace. Oui, je sais, comme bonne nouvelle, on devrait pouvoir faire mieux. Je vais donc chercher. Mais de vous à moi, n’est-ce pas tout de même réconfortant ?

10 réflexions sur « Une très bonne nouvelle (si) »

  1. 140e anniversaire de la naissance de Francis Jammes (poète)
    ……Car il nous a ouvert sa fenêtre sur le parfum des jasmins après la pluie, sur le chant du bouvreuil doux comme de l’eau, sur les dents de lait de nos chères Pyrénées, sur « ses clairières dans le ciel ».

  2. je me demandais quand tu allais parler de l’okapi . bravo pour cet article très complet , qui se soucie de ces régions fertiles magnifiques vivant sous le règne de la terreur permanente pour ce qui est du monde des humains et désertée par l’O.N.U ? les femmes y sont mutilées, parfois recousues dans un hopital de fortune puis rconduites malgré leurs volonté dans leurs villages de modestes paysans encerclés par des mercenaires .

  3. Cher Fabrice,

    Je vais dire un truc horrible. Si cet animal a survécu, comme la plupart des bêtes rares des Virungas, c’est certes grâce aux courageux Rangers qui les protègent, mais peut-être aussi, et même probablement, aux milices qui s’entre-tuent et massacrent alentour… Oui, c’est ignoble, mais tant qu’ils se tuent entre eux, ils ne pensent pas trop à tuer les bêtes, sauf quand ils sont affamés… Mais comme la plupart du temps, ils dévalisent les paysans, les animaux ont peut-être encore de beaux jours devant eux…
    J’ai vu récemment un documentaire sur Arte, où on parlait encore des gorilles de motagne, après la diffusion du film « Gorilles dans la brume », dans lequel on disait que les pauvres primates avaient payé un lourd écot aux guérillas ambiantes, mais malgré tout, ils avaient fini par être plus nombreux qu’à l’époque où Dian Fossey avait décidé de les sauver…
    Rassurez-vous, je n’irai pas faire l’apologie de la guerre, mais il semble fort que, tant que le genre humain sera occupé à se massacrer, ça sera un répit pour la nature… Struggle for life, c’est bien connu, et ça semble être démontré là dans sa cruelle crudité, une fois de plus.
    Malgré tout c’est un espoir pour la faune sauvage, et un désespoir pour l’humanité…
    Amicalement, Tinky 🙂

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