Ma tante Thérèse (une suite)

À la demande générale (de deux ou trois d’entre vous), je poursuis ce dimanche les aventures de ma tante Thérèse à moi. Comme précisé hier, n’y touchez pas ! Elle est à moi. Je rappelle que ces phrases étaient et demeurent destinées aux enfants. À nous, donc. Et ma flemme, évoquée hier, elle aussi, grandit à vue d’oeil. Je vous avertis par anticipation que je vais me sauver dans la brousse quelques jours. Dès mardi, plus rien. J’ai dans l’idée que tout le monde survivra.

Thérèse et le perroquet

Ma tante Thérèse pensait à chaque seconde aux animaux. Ceux qu’elle avait, ceux qu’elle aurait, ceux qui étaient vivants, ceux qu’elle guérirait, ceux qui étaient morts, ceux qu’elle ressusciterait, ceux qu’elle arracherait pour finir aux griffes des affreux et des méchants. Comme tu le sais peut-être, ces deux dernières catégories sont assez nombreuses.

Un jour, en se mettant à la fenêtre d’une des deux minuscules chambres, qui donnait sur la cour des immeubles de la rue Larrey, Thérèse a vu un perroquet qui volait, en liberté. Elle savait bien qu’il allait mourir, tôt ou tard. De froid ou de faim. Car un perroquet du Gabon ne mange pas des croûtes de pain de Paris, ou alors seulement en apéritif.

Alors Thérèse s’est mise à la fenêtre et elle a commencé à parler à l’oiseau. Au début avec sa voix à elle, comme un roucoulement grave de biquette qui se terminait neuf fois sur dix par une explosion de rire. Le perroquet paraissait se moquer d’elle, tu ne peux même pas imaginer. Il volait, disparaissait vers la Grande Mosquée, revenait, et repartait. Je crois qu’il avait décidé de la faire mariner. Mariner comme les sardines au fond de leur boîte pleine d’huile.

Alors ma tante a décidé d’utiliser les grands moyens. Elle a commencé à siffler comme un pinson, puis à parler du nez, un peu je dois dire comme un perroquet enrhumé. Rien à faire. L’oiseau échappé continuait à voler. Et cela a duré un jour, une nuit, un jour. Libre à toi de ne pas me croire. Je ne dis pas que Thérèse ne dormait pas, je jure qu’elle ne dormait presque plus. Elle veillait l’animal. Et le troisième jour, elle a choisi d’appeler le perroquet, tout simplement. En utilisant le prénom de son fils, Coco, ce qui tombait bien, non ? “ Coco ! Coco ! rentre à la maison ! ”. Comme ça. Cent fois. Deux cents fois. “ Allez, mon Coco ! viens voir maman ! tu vas attraper froid ! ”. Deux cents fois, trois cents fois. Si je peux me permettre, les voisins en avaient assez, tu peux en être sûr et même certain.

Dans l’après-midi du troisième jour, Thérèse piquait du nez contre le rebord de sa fenêtre, et elle ne savait plus où elle habitait. Elle continuait de temps en temps à lancer ses appels dans le vide, avec de moins en moins de conviction. C’est sans doute parce qu’il avait bon cœur que vers les cinq heures, sans s’annoncer, le perroquet a fait son entrée triomphale chez ma tante Thérèse. En une seconde fatale, il était entré dans la chambre, passant au-dessus de sa tête. Pour un peu, il serait reparti aussi vite. Mais ma tata savait être rapide comme l’éclair. À croire qu’elle faisait semblant de sommeiller, pour mieux l’amadouer : d’un coup, elle s’est relevée, et a fermé la fenêtre. Toc ! Coco venait d’entrer dans la grande famille de la rue Larrey.

Coco et le bruit de la banane

Le perroquet Coco s’était enfui de chez son ancien propriétaire, qui était un grand patriote. Ma tata Thérèse l’a compris le jour où il a commencé à siffler la Marseillaise, hélas en faisant des fautes terribles au passage. Le début était splendide, tonitruant, et j’accompagnais avec un vif plaisir l’animal. À pleins poumons, je hurlais sans aucune hésitation : “ Le jour de gloi-oi-r’ est arrivé ! ”. Mais cela se gâtait aux environs de : “ Entendez-vous, dans nos campagnes, mugir ces féroces soldats ? ”. Coco sautait carrément deux notes, et toute la chanson dérapait.

La Marseillaise devenait la Paimpolaise, ou pire encore, on ne reconnaissait plus rien. Autour de cette grave question, il y avait deux interprétations. Certains jours, Thérèse défendait bec et ongles le Coco. Pour elle, le perroquet avait appris la chanson sur un disque, qui était rayé, car à l’époque, mais oui, les disques pouvaient être rayés et radoter comme des petits vieux. Mais quand elle était furieuse contre sa ménagerie personnelle, ou pire encore contre Coco, l’infâme, l’insupportable Coco, elle disait que l’oiseau perdait la tête. La boule. Qu’il n’avait aucune mémoire.

Et là, je suis bien obligé de faire un commentaire, car c’est faux. Coco avait une mémoire d’éléphant, ce qui n’est pas si fréquent chez les volatiles. Un jour, j’étais assis à la table de la salle de séjour de tata Thérèse, et j’ai entendu dans mon dos un petit bruit que je n’ai pas reconnu tout de suite. Avant même que je me retourne, ma tante m’avait dit : “ Tiens, je t’ai épluché une banane ”.

Là, j’étais plutôt content, car j’aime bien les bananes, et j’avais justement reconnu le bruit étrange et délicat d’une peau qu’on casse avec le pouce avant de tirer sur les fines lanières pour manger le fruit. Avant de continuer à lire, pense à ce bruit dans ta tête, juste une seconde : tu casses la banane à la tête, et tu tires sur les rubans de sa peau. Tu y es ? Bon, on continue : je me suis donc retourné, et je n’ai pas vu de banane. Car il n’y en avait pas. En revanche, la tante Thérèse était là, elle, avec un rire de hyène tachetée qui barrait son visage. Il faut dire qu’elle imitait très bien ce carnassier, dans ses grands jours.

Thérèse a ricané, au moins trois ou quatre fois, vraiment très fort, et elle a dit : “ Et alors, elle est où, la banane ? ”. Moi, qui avais sept ou huit ans, pas plus, je ne savais absolument pas quoi lui répondre. Il n’y avait rien sur la table. Rien. Thérèse s’est tournée vers la cage de Coco – oui, elle lui avait trouvé une cage – et elle a annoncé, comme si elle présentait un artiste sur la scène : “ La banane, c’est lui ”.

Et le plus incroyable, c’est que c’était vrai. Le bruit de la banane qu’on épluche, c’est Coco qui le faisait. À la perfection. Ce bruit phénoménal, je l’ai entendu des dizaines ou des centaines de fois. Et à chaque fois, j’ai aussitôt vu une banane dans mon imagination. Coco, lui aussi, était un magicien. D’ailleurs, je n’étais pas le seul à être trompé par lui. Quand l’envie lui prenait, il imitait la voix de ma tante Thérèse, sans trembler. Ce perroquet n’avait pas froid aux yeux, pour un perroquet. Et celui qui tombait dans le panneau, c’était un minuscule chien appelé Riri qui traînait toujours dans les pattes de ma tante, surtout dans la cuisine.

Voilà comme les choses se déroulaient. Ma tante préparait à manger dans la cuisine réservée aux fennecs et aux chats. Le chien Riri se frottait là-bas à ses jambes, car il adorait Tata. Pendant ce temps, j’étais assis à la table de la salle de séjour en train de lire les aventures de Blek le Roc, le grand héros de mon enfance. Entre les deux pièces, je te le rappelle, il n’y avait qu’un couloir. Eh bien, sans prévenir, avec exactement la voix de ma tante, Coco faisait : “ Riri, viens voir le susucre ”. Et aussitôt le chien arrivait en frétillant de la queue et tournicotait pendant trois minutes en attendant que tata lui donne une friandise.
Allez, je recommence pour ceux qui n’ont pas bien suivi. Le chien était dans la cuisine avec ma tante. Et donc, si la voix de Thérèse l’appelait dans la salle de séjour, c’est qu’elle avait trouvé le moyen de se couper en deux morceaux, l’un pour la cuisine, et l’autre pour la salle de séjour. Ou bien que le chien Riri n’avait qu’un tout petit pois dans la tête. Qu’il était bête comme un pou. Réellement couillon sur les bords. Mais ça, jamais je ne le penserai, car il ne faut pas dire du mal des morts, et Riri, qui m’aura tant fait rire, n’est plus de ce monde. Qu’il repose en paix !

12 réflexions sur « Ma tante Thérèse (une suite) »

  1. Ah, les animaux sont merveilleux !
    Chez ma mère, on a eu un énorme matou européen tigré entier, du nom de Roméo. Non loin de là habitait une tarée qui maltraitait autant ses gosses – que la DASS lui avait retirés – que son animal familier, une toute petite chatte européenne écaille de tortue qu’elle ne nourrissait jamais… La pauvre petite bête mourait de faim… Eh bien, Roméo nous l’a ramenée, un beau jour, comme on ramène un gosse perdu ! Au départ, ma mère râlait bien un peu, ayant surtout peur de cette voisine cinglée, mais moi, j’ai juré qua jemais un chat ne mourrait de faim chez nous, et j’ai nourri la pauvre petite bête dans le dos de ma mère. Un jour, la psychopathe d’â côté est arrivé pour faire un scandale, prétextant qu’on lui avait volé sa chatte, etc… Je ne me suis pas démontée, et je lui ai dit qu’elle n’avait aucun crédit eu égard qu’elle maltraitait déjà ses gosses qu’on lui avait retirés, et qu’en plus, si je mettais la SPA sur le coup, elle serait bien ennuyée… Mais il n’empêche, c’est quand même Roméo qui au départ nous a ramené cette drôle de petite réfugiée tricolore !
    Et avec les chats que nous avons eu chez moi quand j’étais gamine, il y aurait à en raconter pour des pages… En tout cas, la Tante Thérèse, elle est extra !
    Merci, Fabrice !
    Tinky 🙂

  2. c’est vrai que sans eux (les animaux) la vie serait terne…moi j’avais une chambre d’hotes dans un endroit reculé de haute-loire et un chien fantastique..Arti, dans le coin, il y avait 3 itineraires de PR qui faisaient entre 9 et 25km dans les gorges de la loire près d’ Arlempdes et Goudet notamment. quand mes hotes souhaitaient en emprunter un, bien sur ils me demandaient le topoguide correspondant. mais, peu sure de leur sens de l’orientation dans ce coin très sauvage, (et peu être aussi inquiète de voir se perdre mon gagne pain !!)je leur indiquait tout simplement de suivre Arti…à l’ennoncé du nom de la rando, il prenait la tête du groupe et je vous jure qu’il les a tous rammenés !! les personnes le connaissant mal s’inquietaient du fait qu’il puisse s’égarer (le chien !) ils ne se doutaient pas que la problematique était inversée !!en attendant, lorsqu’ils traversaient des petits hameaux ou village, le chien fier et étendard du groupe en tête leur permettait d’être reconnus comme etant « chez l’ Alexandra », les portes s’ouvraient et souvent un petit coup à boire etait proposé…le soir ils s’en revenaient, ravis de n’avoir pas été ainsi des anonymes…l’homme de la ville obtenait ainsi ce qui lui manque le plus…exister en tant qu’être humain..ça , c’est mon chien qui leur donnait.

  3. Bel hommage. Merci de partager ces souvenirs avec nous.
    Votre Tata Thérèse me fait penser à une autre Tata, qui préfère la compagnie des animaux à celles des humains et qui n’est pas aussi sourde qu’elle en a l’air. Si elle estime que vous méritez sa confiance (et ces Tatas ont comme un don pour percevoir ces choses-là), alors elle vous dévoile son trésor : un album plein de photos, toute une vie, qu’elle commentera longuement. Et, je vous le dis, de ces récits, on en sort toujours grandi.

  4. en réponse à Marie,
    oui, Arthémus est encore vivant mais perclu de rhumatismes et je crois, très affecté de ne plus avoir toutes ces responsabilités…comme à moi, cette vie lui manque je crois…je lui ferai une carresse de votre part

  5. ^-^ pas trop quand même, c’est pas un blog pour les animaux…à la base sur ce post, c’est la Tata Therese l’héroïne…et elle le mérite, et pas parce que c’est la tata de fabrice.
    mais merci pour lui

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