The Dry Salvages (une rivière vive)

Je n’ai pas les yeux en face des trous. La faute au sommeil qui manque. Bon, je ne vais pas pleurer, non plus. J’ai vu, ailleurs qu’ici, deux merveilles authentiques. Avant toute chose, le prodigieux vallon de mon coeur sous la neige. Alors qu’elle tombait dru, je suis sorti, et j’ai marché dans la tourmente.

Le monde avait disparu. Le monde auquel on s’habitue tant avait sombré, et ses formes connues avaient pris des couleurs, une couleur unique qui semblait une peinture. Des flocons, par millions, étaient empalées sur les épines des buissons. J’ai vu l’orbe parfait d’une tige de ronce, dont les pointes verticales montaient droit au ciel. Elles avaient l’air de guetter les voltigeurs.

Un autre jour, je suis descendu à la rivière, et elle était devenue folle de sa puissance. Elle roulait des flots massacrants. Cinq fois plus lourde et vive qu’à l’ordinaire. Je pense qu’en ces moments de fête, plus rien ne lui résiste. Les arbres, les pierres, les animaux partent au courant. Je l’ai regardée comme on regarde un être vivant qui jamais ne mourra. Avec de l’envie, oui, je crois bien. Une telle fougue pourrait faire perdre le sens des choses communes.

Je n’entends pas jouer les esthètes, mais en écrivant trois mots sur cette déesse, j’ai pensé à un poème de T.S Eliot. Je ne suis, ni de près ni de loin, un spécialiste. Mais j’ai tout de même pensé à un texte, The Dry Salvages. Et comme je l’ai dans une édition bilingue, je peux vous en donner les premiers mots : « I do not know much about gods; but I think that the river/Is a strong brown god – sullen, untamed and intractable ». Ce qui veut dire : « Je ne sais pas grand chose des dieux, mais je crois que le fleuve/Est un puissant dieu brun – buté, sauvage et intraitable ».

Là-dessus, c’était hier, j’ai entendu quelques mots de François Hollande, responsable socialiste autant que je sache. Il définissait les cinq priorités qui seraient celle d’un gouvernement de gauche aujourd’hui. Aucune n’évoquait même la nature ou l’écologie. Pauvre petit bonhomme. Et ce matin, le choc McCain/Obama. D’un côté, je m’en fous intégralement. D’un autre, je souhaite ardemment que le couple maudit soit balayé et que Sarah Palin disparaisse de ma vue, fût-elle lointaine.

Je crois bien que j’appartiens à la race humaine. À condition d’ajouter ceci : la partie la plus profonde de moi, celle de l’âme, celle de l’animal ancien, ne joue plus le jeu. Je m’éloigne, cela ne fait aucun doute.

19 réflexions sur « The Dry Salvages (une rivière vive) »

  1. un petit coucou rapide !
    De retour de ma Brière chérie, où j’ai vu des bretons paître dans la brume matinale, et des mésanges noires jouer dans les branches, je vous embrasse tous ! et grosse bise particulière à Stan !
    « Quand tu te lèves le matin,
    remercie pour la lumière du jour
    Pour ta vie et ta force
    Remercie pour la nourriture
    Et le bonheur de vivre.
    Si tu ne vois pas de raison de remercier,
    la faute repose en toi même « .
    Tecumseh , chef Shawnee .
    Aussi, merci pour l’amitié, merci pour la rivière, et merci pour les branches dorées dans le soleil que je m’apprête à contempler de nouveau !

  2. La rivière est bien vive ici, l’eau monte, ça bouillonne, la force, le bruit… d’énormes troncs d’arbres font une pause stoppés par le radier du pont, en attendant de poursuivre leur chemin plus en amont, tout y est !
    Eh Michel S., si tu me lis, c’était comment à Bonnefont, et à Chadron… ?

  3. jg a raison, Fabrice, nous comprenons, j’en suis sûr. Tu t’éloignes de ce qu’il y a de pire en l’homme et aspire à te rapprocher de ce qu’il y a de mieux en l’Homme, celui avec la majuscule, celui auquel on pense en voyant les oeuvres de Munier, Hainard et bien d’autres. Nous ne te suivons pas, nous t’accompagnons…

    Eh, le cyclo ! Les bois flottés, c’est comme en roue libre, c’est toujours vers l’aval (dommage pour le vélo !). 😉

    @Nicolas. Ce chef indiens d’Équateur n’est pas inconnu de ceux qui ont lu les livres et/ou vu les documentaires d’Éric Julien au sujet des Kogis de Colombie. Malheureusement, les jeunes de cette communauté, comme ceux de beaucoup d’autres, s’éloignent des savoirs ancestraux. Pour ceux de la région parisienne, il y a une conférence d’Éric Julien jeudi 6 novembre, à l’Institut de Géographie (5e arrdt)
    http://www.inrees.com/activites-conferences.php?url=Kogis-Novembre

  4. Quand la nature reprend ses droits, c’est une tout autre déferlante qui s’abat sur ses contemplateurs (cf le progrès : « maudites cévennes »), et ces faits-diveristes mi-grands-mère à moustache, mi-pompiers, mi-flics, mi-victimes, mi-bourreaux (jamais responsables, ni à devoir se remettre en question !)s’en prennent enfin à autre chose que la fatatilité !

    Des montagnes, de la pluie : on les tient !

  5. @ Hacène et à vous toutes et tous…
    Toute cette eau m’a fait perdre la tête, bien sur que c’est vers l’aval que partent les bois flottés ! et d’ailleurs les 2 troncs que je guettais sont partis ce matin, l’eau monte encore !
    Bon sang que la rivière est belle, quelle puissance ! Puissance que je ressens déjà en période hors crues, alors là…
    J’aimerais bien savoir ce que font les poissons dans ces cas là… c’est à dire que font-ils face au courant démultiplié, à l’opacité de l’eau, aux nouveaux espaces qui leur sont ouverts…

  6. Toute cette eau déferlante nous la devons à notre belle agriculture. Et elle à beau être belle (l’eau) avec elle part l’humus, le sol et le reste.

  7. Cyclo,

    Ah ! comme tu as raison. Où vont les poissons ? Et les larves, et tous ces organismes que j’admire tant à la belle saison ? Ces gens-là doivent avoir de sacrées combines pour supporter une telle révolution de leurs conditions de vie. Apprendre d’eux ? Apprendre des bestioles et des animalcules pour s’en sortir nous-mêmes ? Je n’ai rien dit. Bien à toi,

    Fabrice Nicolino

  8. Vorreisapere,

    Eh non, pas là. Pas en ce moment. La crue est un moment de grâce où justement la rivière se laisse aller à ses penchants les plus profonds, les mêmes qu’à l’époque où l’homme courait encore dans la savane, poursuivi par un tigre à dents de sabre.
    La crue d’automne est ce moment où tout disparaît pour mieux renaître. Place nette ! On récure, on creuse, on crée le monde une nouvelle fois, on ouvre des territoires pour la grenouille et la libellule. L’agriculture, cette saleté industrielle, ne vient qu’ensuite ponctionner jusqu’à plus soif. Mais en attendant, quelle joie !

    Bien à vous,

    Fabrice Nicolino

  9. je lis Into the wild en ce moment et je retrouve du Fabrice dans le jeune Chris. Attention a ne pas mourir de faim quand même !
    Sinon, moi aussi je comprends et j’ai toujours compris ça. Nous sommes des animaux, c’est aussi bête que ça. Alors les odeurs de pluie mouillée, d’humus, les couleurs rouges, or et ses feuilles en parterre remplacera toujours merveilleusement les tapis rouges des petits politiques. C’est ça le bonheur non ?

  10. @Fabrice
    J’ai bien peur d’avoir été un poil grossier (comme souvent) et à côté du sujet (idem).La raison en est que mon attention était capturée par les catastrophes « naturelles » de ces derniers jours, d’où une certaine fermeture à la poésie. J’en suis désolé.

  11. Non Fabrice, ne pars pas, on a encore besoin de toi. Et pas que nous qui te lisons et sommes acquis à la « cause ».

    Cordialement

    Bernard

  12. cela est bon de tout quitter ,et partir dans ce qui ressemble le plus possible a des coins sauvages.On se renouvelle et l’on voit sincerement la vie ,les gens autrement.

  13. A Vorreisapere. A l’Origine (jadis ou naguère ?)les crues déposent effectivement des limons et tout le monde y trouve son compte. Actuellement, en de nombreux endroits, la déforestation accompagnée du drainage des zones humides (et je ne parle pas de l’urbanisation galopante) renforcent les effets dévastateurs des crues et sécheresses. Surtout: Se souvenir que les personnages (rien à voir avec les Castors !) ayant encouragé ces « délires » se sont habilités ( bientôt un passé décomposé ?) à exercer un pouvoir de police sur l’eau, lors de pénuries !!!.

  14. Vorreisapere,

    Mais pas le moins du monde ! Qui peut d’ailleurs prétendre être dans le sujet, ou hors ? Pas du tout ! Et, surtout, pas de manières ici, entre nous. Au moins ici. Bien à vous,

    Fabrice Nicolino

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *