Considérations sur l’imbécillité (en Espagne et ailleurs), bis repetita

Préambule qui n’a rien à voir ou presque : Henri Pézerat, mort le 16 février 2009, a été enterré hier par ses amis. À l’heure qu’il est – cela peut changer, je l’espère en tout cas -, aucun article de presse n’a rappelé son rôle proprement historique dans la bataille contre l’amiante. Nous verrons, mais j’y reviendrai. Et maintenant, sans transition, la suite.

Le texte qui suit n’est pas neuf, car il a été publié la première fois ici le 28 janvier 2008, il y a plus d’un an. Le relisant à la suite d’une recherche sur un autre sujet, je me suis dit qu’il méritait bien d’être remis en ligne ( un autre, complémentaire, ici). Souvenez-vous comme l’Espagne inspirait nos politiques de gauche, Ségolène Royal en tête, quand son économie de pacotille brillait encore de tous ses feux toxiques. Ou de droite, quand Aznar entendait détruire le fleuve qui a donné son nom à la péninsule ibérique – l’Ébre – et détourner ses eaux jusqu’aux plantations chimiques de tomates, loin au sud. Tout n’était donc que faux, tout n’était que carton-pâte. Mais il faudrait pourtant faire confiance à ceux qui prétendaient exactement l’inverse. Eh bien, si cela vous dit d’y croire encore, ne vous retournez pas pour voir si je suis là. Car j’ai déjà disparu.

Le 28 janvier 2008. Avouons que ce papier s’adresse d’abord à ceux qui croient encore dans la politique. Je veux dire la politique ancienne, celle qui émet les signaux que nous connaissons tous, celle de madame Royal, de monsieur Sarkozy. Celle venue en droite ligne de 200 ans d’histoire tourmentée.

On le sait, ou l’on finira par le savoir, je ne porte plus guère attention aux acteurs de ce jeu de rôles, mais je ne cherche pas à convaincre. Je ne fais qu’exprimer un point de vue. Et voici pour ce jour : j’aimerais vous parler d’Andrés Martínez de Azagra Paredes. Un Espagnol. Cet ingénieur, également professeur d’hydraulique, propose un néologisme : oasificación. Pour nous, Français, ce n’est pas très difficile à comprendre : il s’agit de créer des oasis. Martínez est un homme très inquiet de l’avenir de son pays, menacé par des phénomènes de désertification dont nous n’avons pas idée. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà, comme aurait dit Montaigne. Mais nous avons grand tort, en l’occurrence, de ne pas tendre l’oreille.

Martínez, en tout cas, a des solutions ( attention, en espagnol : ici). Cela consiste, sommairement résumé, à récupérer l’eau, de pluie surtout, et à restaurer un couvert végétal là où il a disparu. En mêlant savoirs ancestraux et technologies nouvelles. J’avoue ne pas en savoir bien plus. Est-ce efficace ? Peut-être.

Mais la vraie question est autre : l’Espagne devient un désert. Bien entendu, il est plus que probable que nous ne serons plus là pour admirer le résultat final. Le processus est pourtant en route (ici) : le tiers du pays est atteint par des formes sévères de désertification, et le climat comme la flore et la faune seront bientôt – à la noble échelle du temps écologique – africains. J’ai eu le bonheur, il n’y a guère, de me balader sur les flancs de la Sierra Nevada, cette montagne andalouse au-dessus de la mer. Je me dois de rappeler que nevada veut dire enneigée. De la neige, en ce mois de novembre 2005, il n’y en avait plus.

Pourquoi cette avancée spectaculaire du désert en Europe continentale ? Je ne me hasarderai pas dans les détails, mais de nombreux spécialistes pensent que le dérèglement climatique en cours frappe davantage l’Espagne que ses voisins. Et comme le climat se dégrade aussi en Afrique, notamment du nord, il va de soi que les humains qui ont tant de mal à survivre là-bas ont tendance à se déplacer plus au nord, au risque de leur vie quand ils tentent la traversée vers les Canaries ou le continent.

Et que fait le gouvernement socialiste en place ? Eh bien, avec un courage qui frise la témérité, il vient de décider la création d’un Plan national contre la désertification. Tremblez, agents de la dégradation écologique ! Je ne vous surprendrai pas en écrivant que les choix faits depuis 50 ans n’ont jamais qu’aggravé les choses. La surexploitation des ressources en eau, la déforestation, l’agriculture intensive et l’urbanisation sont les points les plus saillants d’une politique d’autant plus efficace qu’elle est évidente, et rassemble tous les courants qui se sont succédé au pouvoir.

Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?

Donc, Zapatero. Il me fait penser à DSK. Ou à Moscovici. Ou à Delanoé. Ou à tout autre, cela n’a pas la moindre importance. Il se vante donc de l’état de l’économie sous son règne, espérant bien remporter les élections générales du 9 mars prochain. Comme je m’en moque bien ! Car il y a tout de même un peu plus important. Certes, le socialistes locaux ont stoppé – pour combien de temps ? – le démentiel Plan hydrologique national de la droite, qui entendait détourner une partie des eaux de l’Èbre – fleuve du Nord qui a donné son nom à la péninsule – jusque vers l’extrême sud et les côtes touristiques.

Certes. Mais la soi-disant bonne santé du pays repose, pour l’essentiel, sur la construction. Qui n’est bien entendu que destruction. Jusqu’à la crise des subprimes, ces damnés crédits immobiliers américains, l’Espagne était considérée comme un modèle (ici) à suivre partout en Europe. Écoutez donc cette nouvelle chanson, dans la bouche de Patrick Artus, gourou financier bien connu : « La crise récente risque de montrer qu’il s’agissait de “faux modèles” à ne pas suivre. Que reste-t-il du dynamisme de ces pays, une fois enlevés l’expansion des services financiers et de la construction, qui y représentaient 50 % à 80 % des créations d’emplois ? ».

Zapatero est un grossier imbécile. Je vous le dis, vous pouvez le répéter. Imbécile, je pense que cela va de soi. Grossier, car dans le même temps que sa ministre de l’Environnement faisait semblant d’agir contre l’avancée du désert, on apprenait la teneur de quelques chiffres officiels. L’an passé – de juin 2006 à juin 2007 -, les mairies du littoral espagnol reconnaissaient l’existence de projets immobiliers plus nombreux que jamais. Soit 2 999 743 nouveaux logements, 202 250 lits dans l’hôtellerie, 316 terrains de golf et 112 installations portuaires avec 38 389 places neuves pour les jolis bateaux. Sans compter 90 cas de corruption établis, impliquant 350 responsables publics.

Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (ici). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.

19 réflexions sur « Considérations sur l’imbécillité (en Espagne et ailleurs), bis repetita »

  1. Fab,

    ton titre d’aujourd’hui comme le texte me font penser aux quatre façons fondamentales d’être con:
    sous l’angle des CONcepts ou de la CONscience;
    sous celui de la CONduite, s’y prendre pour faire;
    de la CONditition sociale;
    du CONportement.

    J’oubliais mais c’est une autre affaire, vous pouvez être CONtre mon découpage, ceci dit, il suffit comme tu le montres d’être con sur un de mes points pour que çà devienne instantanément inhumain et/ou humanicide

  2. @ Hacène,

    Et si tu nous recausais de C. Larrrère?

    (Ses articles ds le « Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale » (/s la direction de M Canto-Sperber) me laissaient sur ma faim et je ne vois pas bien comment elle peut permettre de faire avancer le scmillibiliblic. Je n’ai pas écouté. Si tu arrives à me convaincre restera le podcast…)

  3. Merci Eugène ! Tu me rappelles que je n’ai pas encore écouté ladite émission.
    Je ne sache pas avoir déjà causer de Mme Larrère. Tout juste dit qu’une émission allait être diffusée, avec parmi les sujets évoqués Arne Næss, suffisamment peu connu en France pour que je trouve cela intéressant d’entendre parler sur lui (suis inculte en la matière), surtout si les philosophes invités sont à contre courant de la majorité (pour ce que j’en sais, assez affligeante en France) des représentants de la discipline. Mme Larrère fait-elle réellement avancer le Schmilblick ? Je ne la connais pas suffisamment pour le dire, tout juste à travers un petit ouvrage qui relève plus de l’histoire des idées (des autres, pas les siennes).
    Toi qui est le roi de l’apostrophe, quelles sont tes CONclusions sur ce que tu as lu d’elles (et d’autres du même acabit) ?

  4. on se pend au cou d’un cheval, et il vous envoie sa photo !!! ah , les lorrains cabotins …allons Jivaro, point de soupir, je blague .
    J’aurai donné n’importe quoi pour rester face au Sancy, et faire mon jardin . je l’ai contemplé vautrée dans la neige, mais aussi sur des bruyères vrombissantes d’actives butineuses au pied d’un petit résistant sec et tout noueux . Quand j’y suis, je me fous de savoir où sont plantés les stériles, et où les cons ont décidés de lancer leurs futures offensives contre la planète, les gens, la vie . J’écoute le vent .

  5. Et, bientôt, au milieu de ce désert nouveau, Grande Cata, euh, pardon, Gran Scala et des millions de CONtaminés au Bling-Bling qui viendront s’y vider les poches.

    PS : Hacène, merci pour l’info France Culture. Je viens d’en écouter une bonne moitié, plus qu’intéressante pour ceux et celles qui veulent en savoir plus sur la Deep Ecology. C’est bon de mettre des noms et des mots sur des choses que je ne faisais jusqu’ici que ressentir !

  6. Fabrice, juste un détail qui m’a légèrement écorché la pupille, surtout qu’il figure dans le titre de ton beau billet : il y a un excès de « l » à « ton » « imbécillité ». Je sais bien que l’imbécilité est souvent excessive… mais je connais également ton amour des mots !
    😉

  7. Christina,

    Je te remercie vraiment de ta vigilance, mais en l’occurrence, tu me vois embarrassé. Je pensais, je pense toujours d’ailleurs, qu’imbécile prend un l et imbécillité deux. Mais si je me trompe, que Dieu me pardonne. Ou bien toi.

    Fabrice Nicolino

  8. C’est un projet intéressant, je parle de l’oasification d’ Andrès Martinez, pas du bétonnage des côtes ou de la construction du canal Ebre- Andalousie.
    La construction de bassin ou d’étang permettent une remontée de la nappe phréatique en amont, un maintien de la faune aquatique et si c’est bien géré (ce n’est pas toujours le cas), un soutien du débit durant l’étiage estival.

  9. C’est dimanche, on reste en friche avec un soupçon de de magie espagnole, mélancolique, un grand chant qui a traversé les années, loin des tomates hors sol et de toute cette m..:
    Bésame Mucho (« embrasse-moi beaucoup ») est un boléro composé en 1940 par la chanteuse mexicaine Consuelo Velázquez, d’après une aria d’Enrique Granados. Ce titre est devenu l’une des chansons les plus reprises du XXe siècle.(wikipedia)
    Enrique Granados y Campiña (Enric en catalan) (né le 27 juillet 1867, à Lérida – décédé le 24 mars 1916, en mer) est un compositeur et pianiste espagnol. Cesária Évora, née le 27 août 1941 à Mindelo sur São Vicente au Cap-Vert, est une chanteuse capverdienne. Elle est surnommée La Diva aux pieds nus, surnom dû à son habitude de se produire pieds nus, en soutien aux sans-abri, femmes et enfants pauvres de son pays.

    http://www.youtube.com/watch?v=Esdl_3kKSBk

    Et aussi le Brésil et son merveilleux chant:

    http://www.youtube.com/watch?v=-fShSYpAgF0&feature=related

    http://www.youtube.com/watch?v=xhqWtMm7r4s&feature=related

    http://www.youtube.com/watch?v=QYNx1D74mtQ&feature=related

    http://www.youtube.com/watch?v=PSFIWnd7_p8&feature=related

    http://www.youtube.com/watch?v=zY_0a9DUhIQ&feature=related

    Pour les jours de vent et de grisaille, et à l’unisson de nos âmes, merci les musiciens!merci les chanteuses. conseil : Brad Mehldau.

  10. Hacène,

    les philosophes brassent du vent et les idées des autres en se faisant mousser.
    Exemple: depuis que les sciences de la terre de l’air de l’eau et du feu sont nées, cette quadripartition ne fait plus partie de leurs références structurantes et on ne les entend plus en causer! càd que leur champ se réduit au fur et à mesure que les sciences avancent. Qd de véritables sciences humaines seront là c’est bien simple, il n’auront plus rien à moudre, sauf à se faire les porte parole récapitulant le tout pour garder une perspective cohérente… se sera un autre monde et d’autres discours sur la sagesse…

  11. « ce » et pas ‘se’ sera… et au passage deux ailes pour voler (LL). Bon çà arrive à tout le monde et qd c’est parti c’est parti…

  12. @ Fabrice : mea maxima culpa ! Je viens de vérifier… et tu as mille fois raison ! Quelle imbécillité de ma part de ne pas avoir vérifié avant d’affirmer !
    😉

  13. infoberkkk:

    Quarante tonnes de coquilles Saint-Jacques à la poubelle
    Cette marchandise pêchée en Normandie n’a pas trouvé d’acheteurs, notamment en Espagne, gros marché d’exportation.

    C’est inédit. Quarante tonnes de coquilles Saint-Jacques de Normandie ont dû être jetées ce vendredi faute de trouver des acheteurs.

    «D’un seul coup, en quinze jours, on a vu le marché s’écrouler, a expliqué Paul Françoise, président de la commission coquillages et pêche à pied du Comité national des pêches. Tous les stocks des transformateurs de coquilles sont pleins, on a dû en détruire quarante tonnes. Cela n’est jamais arrivé, surtout en cette période de l’année. Je n’ai jamais vu cela en trente ans.»

    Principal responsable de cette crise: l’Espagne, gros marché d’exportation. «Avec la crise, nous ne vendons plus rien», a résumé Paul Françoise. Quant au marché français, «la noix fraîche étant un produit assez cher, on voit que le consommateur en achète une fois et puis c’est tout». ….

  14. Petit message juste pour chercher la petite bête : d’après Le Petit Robert 2009 « La graphie imbécilité avec un seul l, d’après imbécile, est admise ».

    Comme ça vous avez tout les deux raisons, Fabrice et Christina 🙂

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