Tours et détours infinis de la chimie

Publié sur Charlie

C’est une histoire américaine tellement française. La semaine passée, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, aux ordres de la FNSEA et de l’agrochimie, a donc obtenu le retour des tueurs d’abeilles – ces fameux néonicotinoïdes – sur la betterave industrielle. Seulement sur elle. Pour le moment. Les députés, qui ne savent rien et ne veulent rien savoir, ont avalisé le fabliau selon lequel tout cela est provisoire.

Aux États-Unis, la revue scientifique Science (1) a publié en juin une étude qui montre une pollution des sols du New-Jersey par un redoutable produit chimique, l’Acide perfluorononanoïque (PFNA en anglais). Les PFNA appartiennent à un groupe de plus de 5000 composés appelés perfluorés (PFAS en anglais).

Le film Dark Waters, sorti en 2019, raconte justement le combat d’un avocat contre le géant de la chimie DuPont qui déverse des déchets bourrés d’un PFAS, qui décime pour commencer les vaches d’une ferme.

Les PFAS se retrouvent – mon poussin de lecteur, accroche-toi à ton siège – dans les textiles et tapis, mousses anti-incendie, cornets à popcorn, emballages pour pâtisseries, pesticides bien sûr, fils électriques, cire à parquets, chaussures et vêtements, vernis et peintures, produits de nettoyage. Sans immense surprise, ils atterrissent tôt ou tard dans l’air, la poussière domestique, l’eau potable. Comme ils sont fort stables, chimiquement parlant, ils font partie de ce qu’en Amérique on appelle les forever chemicals. Des produits chimiques éternels. Beaucoup sont cancérogènes, la plupart sont des perturbateurs endocriniens, certains s’attaquent en plus à la reproduction et au fœtus.

Dans ces conditions, la publication de Science évoquée plus haut ne pouvait manquer d’intéresser. Des PFAS dans les sols ? Les scientifiques signataires appartiennent à des institutions comme l’agence fédérale EPA ou le Department of Environmental Protection (DEP), toutes deux surveillées de près par l’administration Trump. L’étude conduit malgré tout à un coupable hautement probable, l’usine de West Deptford, propriété de la transnationale belge Solvay. J’y vois que la pollution « is consistent with Solvay being the source of these compounds ».

Dans le passé, cette boîte avait déjà pollué alentour en relâchant des PFAS, mais cette fois, elle nie toute responsabilité. Selon ses braves communicants, elle prétend que la nouvelle pollution peut très bien provenir d’un autre site, aujourd’hui fermé, qui fabriquait entre autres des mousses anti-incendie. Mais une association pugnace comme j’adore, Consumer Reports (3) a gratté le sujet pour nous, et obtenu sur décision judiciaire communication d’échanges entre Solvay et le DEP, c’est-à-dire l’administration.

La vérité est épouvantable. En fait, Solvay a bel et bien blousé tout le monde. Comme l’usine avait été épinglée une première fois, elle a simplement changé de PFAS. Sur les 5000 existants, très proches chimiquement, il n’était pas très difficile de trouver un ou des substituts. Et c’est ce que Solvay a fait, utilisant des produits qui ne sont pas recherchés dans les analyses ordinaires. Ils ne sont pas même soumis à réglementation ! Consumer Reports réclame évidemment que les PFAS, tous très proches, soient considérés comme un bloc et soumis de ce fait aux mêmes normes de contrôle. Mais Solvay a aussitôt reçu le soutien du lobby American Chemistry Council, jurant que chaque PFAS est différent et que chacun doit être réglementé individuellement. Soit 5000 fois une tâche qui prend des années.

Concluons dans la gaieté avec Erik Olson, directeur au Natural Resources Defense Council (NRDC), ONG écolo : « We don’t want to continue on this toxic treadmill ». Non, le gars veut pas continuer sur ce tapis roulant toxique, ce qui n’est pas bête. Il ajoute : « Un PFAS est progressivement éliminé, mais remplacé l’un des milliers d’autres qui ont des structures chimiques similaires, et dont on peut attendre qu’ils posent des problèmes identiques à la santé et à l’environnement ». On en est là. Là-bas, ici, partout.

(1) https://science.sciencemag.org/content/368/6495/1103

(2) https://theintercept.com/2020/06/04/pfas-chemicals-new-jersey-solvay/

(3) consumerreports.org/water-quality/new-forever-chemicals-are-contaminating-environment-regulators-say/

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La loi nouvelle qui bousillera tout

Est-ce une découverte ? Non, ces gens sont des voyous. Dans un autre contexte, à une autre époque, sous d’autres cieux, Macron et ses amis seraient traités comme tels. Le vote – en première lecture -, mardi 6 octobre, de la loi ASAP n’est jamais qu’une bassesse de plus. Comme ces gens ont de l’humour – noir -, ils jouent sur l’acronyme anglais ASAP, qui veut dire As soon as possible. Aussitôt que possible. Il s’agit sur le papier de simplifier et d’accélérer les procédures pour les futures installations industrielles. Au détriment des écosystèmes, des animaux, de la beauté ? Pardi.

Cette loi est un capharnaüm de 50 articles qui mêlent savamment – c’est voulu – tout et n’importe quoi. On y parle de permis de conduire, de réforme du statut des agents de l’Office national des forêts, des squatteurs, de l’installation en mer des éoliennes, de la vente des médicaments en ligne, des résidents des Ehpad.

Mais le dur de l’affaire est dans les articles 21, 23, 24 et 26.

23 malabars du droit de l’environnement, dont Christian Huglo, Corinne Lepage, Dominique Bourg, Alexandre Faro y voient une volonté à peine déguisée d’abattre d’un coup les acquis de toutes les lois passées dans ce domaine.

Impossible d’entrer dans tous les détails (1), mais un point mérite développement. L’article 23 donne au préfet le droit exorbitant d’autoriser le début des travaux d’un projet avant toute Autorisation environnementale, aujourd’hui obligatoire. Certes, celle-ci resterait nécessaire, mais sous certaines conditions, ne pourrait bloquer le début d’un chantier : une aubaine pour les promoteurs.

D’une façon générale, les pouvoirs du préfet, créature à la merci du pouvoir politique parisien, seront démultipliés, au moment même où Macron renvoie au néant les propositions pourtant acceptées par lui de sa « Convention citoyenne pour le climat ».

Détail qui ne trompe guère : le seuil des marchés publics sans publicité ni concurrence devrait passer à 100 000 euros pour des travaux. En une année, il est passé de 25 000 à 40 000 euros, puis 70 000 euros en juillet. Miam-miam. 

(1) Voir cet excellent article : lemoniteur.fr/article/projet-de-loi-asap-le-cri-d-alarme-des-experts-du-droit-de-l-environnement.2080081

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Comment vivent les amoureux de la bidoche

J’avoue savourer, de temps à autre, la lecture de Porc Magazine, la revue du porc industriel. C’est alors une échappée onirique dans un monde qui ne peut être qu’imaginaire. J’espère, en tout cas. Trois extraits retenus au pif.

Le premier : « Deux spécialistes de la chimie, Evonik et BASF, ont investi dans une startup technologique chinoise, SmartAHC. Celle-ci (…) a développé des dispositifs de surveillance et des logiciels qui utilisent l’intelligence artificielle et l’Internet des objets ».

Le deuxième : « Une maternité de deux salles de 32 cases liberté chacune a ainsi été construite. “Et pourtant le plan initial du bâtiment comportait des cases standard de 2 m de large. J’hésitais même à mettre des cases balance à l’époque. Mais, aujourd’hui, je suis convaincu que cela aurait été une erreur” », détaille Nicolas L. Aucun regret donc, mais, d’après l’éleveur, certains principes doivent être respectés pour que ce système fonctionne. Le premier : la solidité du matériel, le deuxième : l’ergonomie de la case, mais aussi dans la salle, et le troisième : pas de stress ! ». Le même éleveur : « Il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir des truies à tout casser ou bien leur ingéniosité pour ouvrir un verrou qui serait un peu trop facile à manipuler ! »

Le troisième : « En conceptualisant son nouveau bloc naissage de 240 truies dans son élevage de multiplication, Jean-Baptiste B. n’a pas hésité à investir dans des équipements de gestion d’ambiance pour éviter que le mercure s’affole dans les salles ». On est bien, hein ?

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