L’armée et la grande arnaque nucléaire

Publié en avril 2021

Les journalistes sont vraiment des feignasses. Entre janvier et décembre 2013, 182 documents – 2000 pages – sont déclassifiés par le ministère de la Défense. Tous ces gens, et j’en connais, qui suivent les activités de l’armée pour leurs journaux respectifs, avaient le devoir élémentaire de lire. L’ont-ils fait ? Par chance pour nous, un chercheur, Sébastien Philippe, et le journaliste qui sauve l’honneur, Tomas Statius, ont tout dépiauté. Ce qui donne un éblouissante travail, « Enquête sur les essais nucléaires français en Polynésie » (PUF, 15 euros) (1).

Bon, on peut résumer vite, mais il est bien mieux de lire. La France a réalisé en Polynésie 193 essais nucléaires entre 1966 – De Gaulle – et 1996 – Chirac. Soit environ 800 fois Hiroshima. Jusqu’en 1974 – Chirac est alors Premier ministre -, les essais sont aériens, c’est-à-dire qu’ils partent balancer leurs radionucléides dans le monde entier. À partir de 1975, on enterre les explosions, détruisant au passage la structure des lagons.

Le livre rapporte des faits, en partie reconnus par l’armée, mais en reprenant tout depuis le début, et en refaisant patiemment tous les comptes. Sans grande surprise, la sous-évaluation de la contamination est omniprésente. Exemple avec les îles Gambier, habitées bien sûr, qui sont à 400 km de plusieurs tirs aériens. L’armée n’a prévenu personne – elle finira par construire un blockhaus -, et le nuage se moque de toute façon des précautions. Le son de l’explosion se propage à la vitesse de 340 mètres par seconde sur l’océan. En vingt minutes, il atteint les Gambier.

D’abord une boule de feu, puis une masse incandescente de plusieurs milliers de degrés, qui disperse d’innombrables poussières radioactives. Après le seul essai Aldébaran – le 2 juillet 1966 – 61 millions de becquerels se déposeront au mètre carré. Les cancers suivront. Il est plaisant de lire ce que nos responsables écrivaient sur le sujet en temps réel. Par exemple, un médecin militaire adresse une lettre dès le jour de l’explosion au grand ponte du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) Francis Perrin. Pour lui – bonne, mauvaise foi, mélange des deux ? -, le tir a libéré des doses radioactives « très inférieures » à ce qui est admissible.

L’essai – connu – le plus insensé date du 17 juillet 1974 et va contaminer lourdement Tahiti. L’équipe du livre est parvenue à modéliser le trajet du nuage de Centaure – nom de code -, qui n’est pas parvenu à la hauteur souhaitée. Et qui, poussé par les vents, a foncé droit sur la grande île de la Polynésie « française ». 110 000 personnes ont été exposés, dont la plupart ont reçu plus que la dose de radioactivité ouvrant droit à indemnisation. À condition de développer l’une des 23 maladies faisant partie d’une liste officielle. L’armée, qui a su très vite que les retombées de Centaure atteindraient Tahiti, a préféré ne rien dire.

On permettra un commentaire. Le livre fait certes œuvre utile, mais dans le même temps, angoisse. Car passé un intérêt de façade dans quelques journaux, tout retombera, comme autant de poussières, d’une certaine manière radioactives elles-même. L’opinion semble indifférente. Nul ne parle des immonde essais nucléaires français dans le Sahara, bien après l’indépendance algérienne. Nul ne parle des irradiés de Brest, ces prolos cancéreux d’avoir travaillé au plus près des bombes nucléaires des sous-marins d’attaque. Nul ne parle de la base secrète française B2-Namous – et de ses innombrables déchets -, que la France éternelle a conservée en Algérie bien après 1962. Nul ne parle bien sûr de l’atoll Bikini des îles Marshall, où les Américains ont également fait exploser leurs bombes H. Nul ne parle des Anglais en Australie. Des Russes à Semipalatinsk (Kazakstan).

Les journalistes feignasses ont donc bien raison d’être les porte-serviettes de l’armée, qui peut dormir sur ses deux oreilles. Sait-on quoi que ce soit sur ce qu’elle entreprend en notre nom ? Croyez-vous qu’ils ne s’exercent pas, en ce moment même, sur des armes toutes nouvelles ?

(1) Il faut y ajouter le collectif Interprt, lancé dans une toute nouvelle discipline qui promet : l’architecture forensique.

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Les campagnols foutent le grand bordel

Ah bougres ! Les campagnes du cœur de la France – Massif central – sont à feu et à sang à cause d’une bestiole très jolie et ultrachiante, le campagnol. Souvent, on l’appelle le rat-taupier pour l’excellente raison qu’il vit beaucoup sous terre. Et n’oublions pas qu’il est – qu’ils sont elle et lui – des copulateurs hors-pair. Toutes les quelques années, ils peuvent passer d’un individu à l’hectare à 1200.

Pour le paysan, cata garantie. Ceux de Haute-Loire ou du Cantal voient en ce moment leurs prairies retournées au point que l’herbe ne parvient plus à s’y réinstaller. On pourrait remettre des haies ou entasser des pierriers où les prédateurs comme la fouine pourraient s’installer, avant de massacrer du campagnol. On pourrait surtout arrêter de flinguer des renards.

Cet animal somptueux peut être chassé et piégé toute l’année, entre autres parce qu’il dérange les chasseurs. Il boulotte un peu trop à leur goût ces faisans d’élevage relâchés la veille de leurs grandes battues bidonnées. Donc, on le traque. C’est extrêmement con, car un renard mange chaque année des milliers de micromammifères, en particulier des campagnols. Il y est si adroit qu’on a nommé l’un de ses comportements de chasse, le mulotage. Le voir sauter sur place, queue au vent, est une splendeur.

Et justement. Un collectif de dizaines d’associations du Doubs (renard-doubs.fr) a rédigé un argumentaire parfait qui rétablit quelques vérité de base. S’appuyant sur des estimations officielles – franchement, c’est à n’y pas croire -, le collectif écrit qu’un seul renard, par ses prélèvements de campagnols, pourrait rapporter à la collectivité jusqu’à 2300 euros par an. Un seul renard !

Un autre calcul fait rigoler avant de faire réfléchir. Un campagnol mange son propre poids d’herbe chaque jour. L’action énergique d’un renard permet de « sauver » 3,5 tonnes d’herbe par an, soit une tonne de foin. Or, en 2018, dans l’Est de la France, la tonne de foin se vendait autour de 180 euros. Avis sans frais à ceux qui gueulent contre le campagnol.

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Marcher pour le climat, vraiment ?

Le 28 mars, dimanche passé, pas loin de 400 organisations, dont beaucoup chères à mon cœur, ont organisé une nouvelle fois des marches pour le climat. Selon leur appel, il faudrait interpeller les députés de manière qu’ils améliorent la loi en discussion. Il faudrait donc une « vraie » loi sur le climat, car les mesures prises ne seraient pas « à la hauteur ».

Toutes ces excellentes personnes – et nombre le sont vraiment – participent du vaste déni planétaire qui sévit depuis le tout début du dérèglement voici quarante ans. Ils oublient en route cette évidence : la trajectoire officielle nous conduit au pire.

En janvier dernier, Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, clamait dans l’indifférence générale : « Nous nous acheminons vers une augmentation catastrophique de la température de 3 à 5 degrés au cours du XXIe siècle ». Et pourquoi ? Parce que la funeste COP21 de 2015 – les embrassades Fabius-Royal des Accords de Paris – a relancé la machine à illusions, qui consiste à croire qu’on peut s’attaquer au monstre sans rien toucher à notre façon de vivre. Ce n’est pas seulement un conte de fées, c’est aussi un crime contre l’avenir.

Or nos 400 organisations se contentent de se montrer naïves et même niaises, façon si tous les gars du monde voulaient bien se donner la main. Dans la réalité, il est un marqueur décisif : la bagnole. Relancer cette industrie par la voiture électrique, outre les problèmes moraux que cette merde pose, revient à dire qu’on repart pour cinquante ans. Comme avant. Je tends l’oreille du côté des 400, et rien ne vient. Jamais.

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