En hommage à Anil Agarwal (sur une grande idée)

J’ai eu la chance de croiser la route de l’écologiste indien Anil Agarwal. Cet homme, né en 1947, est mort en 2002 d »un cancer rare qui lui aura dévoré le cerveau et les yeux. Mon Dieu ! Il avait été ingénieur mécanicien, avant de devenir correspondant scientifique du journal Hindustan Times.

Mais c’est en 1980 que sa vie a basculé. Il a 33 ans – l’âge d’un autre -, et décide de fonder le Centre for Science and Environment (CSE), qui deviendra célèbre dans le monde entier. Cette structure lance dans la foulée le quinzomadaire Down to earth. Moi, j’ai toujours traduit le titre de ce journal par : Les pieds sur terre. Je m’y suis abonné sur le conseil avisé d’Alain Le Sann, de Lorient, que je salue au passage. Et je ne l’ai pas regretté.

Anil Agarwal, dans la tradition de Gandhi, était passionnément proche de son peuple de pauvres et de paysans. Mais il était également écologiste, et bien entendu, cela compliquait les choses. À ma connaissance, il a été l’un des premiers à penser, à proclamer que les gueux devaient s’emparer de la crise écologique, et chercher leurs propres remèdes. J’ai sous les yeux un petit livre qu’Anil avait écrit avec sa chère amie Sunita Narain, Quand reverdiront les villages (1992 pour la traduction française). On y lit des témoignages fabuleux sur le rôle que peuvent jouer des structures communautaires plus ou moins anciennes dans la restauration des équilibres naturels. Par exemple Chipko. Par exemple les Pani Panchayats. Par exemple l’Association pour la gestion des ressources des collines, dans les villages de Sukhomajri et Nada.

Bref. J’ai rencontré cet homme il y a une vingtaine d’années, et je me souviens de son rire et de ses yeux. Ce qui est déjà beaucoup. Nous avions discuté une paire d’heures, et il avait évoqué devant moi une idée que je n’ai jamais oubliée. Il souhaitait la création d’un salaire minimum mondial. Je dois avouer à ma grande honte que je ne me souviens plus très bien du reste. Mais cette idée a germé, et ne m’a plus quitté.

Il y a un peu plus d’un an, j’ai écrit ici, coup sur coup, deux textes qui comptent davantage que d’autres à mes yeux (ici et ici). Je les reprends en quelques phrases. Pour commencer, je crois qu’il n’y a pas pire désordre moral et même mental que le racornissement de l’Occident sur ses biens matériels. C’est bien sûr une infamie, mais c’est aussi une rare stupidité. Car rien n’arrêtera le flot des réfugiés écologiques. Nous y perdrons ce qui reste de notre âme, nous y perdrons aussi le reste.

Il n’y a rien de plus urgent que de trouver les moyens d’un vrai discours universel, qui relie de façon solide, authentique et sincère, le sort de qui meurt de faim à celui de qui meurt de voracité. Si nous y parvenons, des portes s’ouvriront devant nous. Si nous en restons au cadre de la France, si nous continuons nos défilés Bastille-Nation pour sauver la télévision à écran plasma, nous échouerons, et ce sera le sang rouge des pires batailles.

Donc, un véritable discours universel. Depuis le temps que je pense à cela, j’ai eu le temps d’assembler quelques pièces du puzzle. En voici trois, qui sont majeures. Un, l’économie de casino qui nous plonge en ce moment dans la crise qu’on sait, cette économie a produit des milliers de milliards de dollars qui ne savent où s’investir. Sur cette planète pourtant dévastée. Deux, il existe dans le monde une force de travail colossale qui n’est pas employée. Combien d’humains au chômage ou en situation de sous-emploi ? Plus d’un milliard, j’en jurerais, bien que ne disposant d’aucune statistique précise. Trois, les écosystèmes naturels sont tous menacés d’effondrement à plus ou moins long terme. Sans eux, ni avenir ni société. Pas même de téléphone portable.

Je propose donc de réfléchir au lancement d’un nouveau mouvement. Neuf. Audacieux. Utopiste. Fou. Révolutionnaire ô combien. Ce mouvement proclamera l’unité irréfragable du genre humain. Et créera une coordination planétaire entre groupes du Nord et du Sud. Dont le but premier sera de s’emparer, en s’inspirant des méthodes radicales et non-violentes de Gandhi, d’une fraction des richesses financières de la planète. Moi, je n’ai jamais eu peur de l’expropriation. S’il faut dépouiller un Bill Gates de l’argent qu’un système criminel lui a octroyé, je n’y vois pas l’ombre d’un inconvénient. Et des Bill Gates, il y en a des milliers.

Un mouvement planétaire. Si fort qu’il permettrait la création d’un Fonds mondial, doté de 500 milliards de dollars pour commencer. Juste pour commencer. Cet argent serait bien entendu dévolu, pour l’essentiel, aux communautés locales et paysannes du Sud. Pas pour nous faire plaisir. Pas pour nous rassurer. Pas pour leur faire acheter notre bimbeloterie.

Non, pas pour cela. Pour que ceux qui n’ont ni travail ni pitance puissent être payés dignement afin de restaurer les écosystèmes dont dépendent si directement leurs vies. Ici une rivière. Là un coteau, une forêt, une mangrove, un banc de corail. Ailleurs une barrière végétale contre l’érosion, la diffusion de connaissances agro-biologiques, ou des travaux de génie écologique.

Un tel mouvement uni du Nord au Sud changerait, dès ses premiers pas concrets, la face du monde et de la crise écologique. Car il secouerait de fond en comble les pouvoirs corrompus du Sud. Car il redonnerait de l’espoir. Car il montrerait le chemin. Car il nous élèverait tous au-dessus de nous-mêmes. Il n’y a aucun doute que la constitution d’une telle force nous aiderait, lentement mais sûrement, pas après pas,  à susciter de nouveaux enthousiasmes, de nouveaux engagements. La jeunesse du monde, tellement désabusée, y trouverait matière à redresser la tête, et à avancer enfin.

Voilà. Ce que je dois à Anil Agarwal. Cette idée un peu vague de salaire minimum mondial me poursuit depuis vingt ans. Et elle m’a conduit au point que je viens de décrire. Aussi bien, je peux vous l’avouer : Anil était l’un de mes frères. Et il l’est encore.

L’adresse de Down to earth : ici

L’adresse du  Centre for Science and Environment : ici

11 réflexions sur « En hommage à Anil Agarwal (sur une grande idée) »

  1. merci Fabrice,
    j’ai l’impression de me trouver devant un artiste que l’on voudrait féliciter après un concert sans pouvoir dire un mot …
    merci, tout simplement

  2. Tiens c’est drôle de repenser à ce revenu universelle…Il n’y a pas si longtemps j’y ais repensée aussi…

    La crise économique a actuellement un cout astronomique; entre ce que les banques demandent pour être renflouées (tous ça pour continnuer à laisser partir des millards en paradis fiscaux!) et maintennant ce que demandent les industries automobile, sous menace de « dégraisser »; alors qu’ils ont toujours bénéficiés d’aides et de défiscalisations dans chaque pays où cette indusrtie est implantée…Je me demandais aussi qu’elle serrait la prochaine industrie à crier « bobo » aux états…

    Je me faisais la réflexion comme ça, que ça commençait à ce voir; que c’est l’ouvrier qui paye pour aller travailler! En tous cas; le chomage coute finalement moins cher à la communauté que « ce travail là »…Je repensais donc à ce revennu en me disant que pleins de personnes y avaient réflèchis et que c’était faisable; on est loin de cette logique aussi qui dit que les personnes pensionnées doivent
    repayer des impôts à la communauté sous prétexte que la population vieilli…

    Il faudrait une abolition totale du secret banquaire; je serrais curieuse de voir qu’elle somme retournerait alors à la communauté!

    Imaginez ça; un monde où tous le monde aurraient de quoi vivre; le travail redevennant une valeur de réalisation de soi; les objets retrouvant leur valeurs réelles (vu que les personnes qui les aurraient fabriqués n’y serraient pas obligées!)…Et puis finalemment l’argent perdrait sa « sacro-sainteté »…

    Au risque de passer pour une horrible « coco », je pense que c’est une solution pour arriver à une décroissance sontennable et hummaniste; je signe a deux mains pour qu’on restitue l’argent pris à la communauté!

  3. L’idée d’un revenu universel minimum est séduisante… Mais si nous gardons le même système il est fort à parier que ça deviendra très vite un revenu misérable international garanti.

    Et si ceux qui nous gouvernent devaient être dépossédés d’un pouvoir qu’ils utilisent monstrueusement, il faudrait plutôt assurer à chacun la bouffe, un toit, l’accès à la culture, les moyens de vivre heureux sans passer par un équivalent monétaire dont nous devrions nous méfier beaucoup.

    De même, nous voulons une qualité de vie et pas un niveau de vie, et ça commence à se savoir que le PIB ne mesure rien de bon.

  4. Bonjour à tous,

    Je me suis mal fait comprendre. Il ne s’agit nullement d’un revenu minimum d’existence, mais d’un plan visant à mettre au travail un milliard d’humains au moins. Pour eux-mêmes, pour leur propre avenir.

    En somme, cela n’a rien à voir avec les discussions françaises d’il y a quinze ans sur un revenu garanti sans contrepartie. J’y insiste : il s’agit d’autre chose.

    Bien à vous,

    Fabrice Nicolino

  5. Non Fabrice; vous parlez bien d’un « salaire » pour restaurer notre biosphère…

    En fait c’est moi qui malheureusement « délire » sur une valeur qui a bien été galvaudée et défformée; depuis que la « valeur-travail » à détronée « la valeur-vie »…

    Je suis « intermitante », et ce revenu universel est quelque chose qui est souvent discuté entre nous!(nous savons que nous ne sommes pas fait pour rester sans rien faire plus de quinzes jours!) Quelque chose qui fait « peur » depuis la lente compréhention de ce que le communisme à apporté…A l’heure actuel il est inconcevable de payer des gens à ne rien faire pour être polie; et depuis dailleur notre esprit de solidarité dégringole! Non notre réflexion ne va en aucun cas vers un « système communiste » remis a un seul pouvoir; mais un « dû » qui empêcherrait les personnes de mourrir de faim à côté d’entrepôts remplis…
    Et j’insiste qui n’empêcherait en rien les personnes de travailler et de se réaliser…

    J’ai profité de votre article ici pour exprimer ma « douce utopie délirante » en sachant d’avence qu’elle ne serrait pas très bien comprise; car ce que cette réflexion fait germer en en moi m’ammène à deux constatations simplistes je suis daccord mais tous de même c’est très voyant…

    Seul les « travailleurs-pauvres »(peut-on encore parler ici de classes moyennes?) payent des impôts à la communauté; et une partie de ces impôts est reversée au fonctionnement de leurs outils de travail, aux bénéfices de personnes qui ne payent pas d’impôts à la communauté…Et une personne qui n’a que la faim ou la peur en tête est prête à tous pour survivre y compris détruire en dépis de tous « bon sens » son moyen de subsistance qui lui a été léguer pas ses aïeux!

    Au sein du mvt de la « décroissance choisie » commence à poindre une réflexion similaire qui fait dailleur passer les « décroissants » pour de doux « irréaliste d’extrème gauche »; en fait il ne sagit pas de ça dutout; mais bien d’une recherche pour un certain retour en arrière; c’est à dire une autonnomisation des personnes en les responsabilisant (donc un truc ou finalemment il y aurrait peu de pouvoir!)

    L’expérience montre, que des systèmes économiques sans monnaie ne peuvent que rester petit; et que lorsqu’on responsabilise des personnes même très pauvre; celle-ci retrouvent du « bon sens » en respectant leur environnement…Je pense à toute ces personnes qui vivent à côté de réserves naturelle et qui ont su comprendre que le respect de leur « faune » leur apportaient plus que le braconnage!

    Je suis belge; je vis dans un pays qui est un « paradis fiscal caché »; et je comprend bien ce mécanisme de dillapidation des biens de la communauté, car si un paradis fiscal sert beaucoup l' »argent sale »; il sagit surtout d’un beau système de déffiscalisation des plus riches…Je pense que les sommes que l’ont retrouveraient si on levait le « secret banquaire » sont astronomiques; et la restitution de ces fonds doit être réflèchi pour qu’ils servent au mieu la communauté (mondiale)…

    Donc ce qui pourrait ammener plus d’hummanisme » tous en remetant l’homme au sein de son écosystème; ne serrait en aucun cas un « assistanat » tand décrié; mais un soutient vers une réele autonnomisation de personnes responsabilisées par rapport à leur envirronement!

    Si un jour ces sommes devaient être restituées; elle devraient servir à « ça »; et c’est là que je rejoint de loin votre raisonnement! Notre « belle solidarité » a été pervertie par cette notion d' »assistanat » qui amène des personnes vers une « non-vie »; on doit soutenir les gens pour qu’ils se réalisent et non pour les maintennir en état de gaspillage de leur « savoir-faire »…(depuis la crise économique; je reviens un peu du système des micro-crédits »!)

    Pourquoi est-ce que je parle de « revenu universel »; et bien pourquoi une personne qui c’est fait dépossédée de ses terres ancestrale devrait payer avec un salaire, ce qu’on lui a pris???

    Je m’excuse d’avoir profité de vos « belles pages » pour m’exprimer la dessus; mais c’est ce qui me séduit dans la réflexion de la « décroissance choisie »; un hummanisme qui réintègre l’homme dans son milieu naturelle…Je pense que c’est quelque chose de nouvau, et qui pourrait ammener des pistes vers une amélioration de notre mode de vie! C’est un mouvemment qui commence à être pas mal médiatisé; et donc qui subit une désinformation; les « décroissants » ne sont en aucuns cas des « doux-dingues » qui veulent vivrent en yourthe en faisant les poubelles; mais une nouvelle notion d' »hummanisme écologique »!(peut-être est-ce une notion réinventé; je repense à votre article sur la « deep écologie »!)

    Je vous remmercie de m’avoir prêter vos « belles pages » pour pouvoir m’exprimer sur ces pistes de réflexion!

  6. Ben…avec mon air bête j’avais compris et ne disais rien. Mais quand même…remettre un vieux cuir (en retraite) au « turbin » pour lui-même et son avenir,…faut le faire ! Je plaisante, bien que dans cette façon de voir les choses, trop de personnes préfèrent effectivement la « retraite » à une action noble envers leur prochain. Tous sur le Titanic pour la Bérézina? alors tous les rigolos, dont je suis, à vos canoës quitte à couler sous les vagues du naufrage!

  7. Bon ben, voilà…Personne ne réagit à mon idée « mal » émise! Je suis très triste de l’amalgame fait entre « solidarité » et « assistanat »…On ne peut pourtant pas s’autonnomiser en crevant de faim! Là je suis désolée de vous le dire a tous mais il y a un « Sarckosisme » qui viens de l’emporter!

    Fabrice merci de me laisser m’exprimer ici; j’ai compris qu’il faut sortir du PIB; mais en gardant la « valeur-travail-salaire »; une telle opposition limite vraiment ma réflexion, ou alors je ne sais vraiment pas me servir de mon cervau car quelque chose m’échappe!

  8. Et si, tout simplement, on décidait que chacun contribue à la vie de la communauté en travaillant quelques heures par semaine (Larrouturou avait écrit jadis que 2 heurs par jour suffiraient) pour gagner un revenu de base (manger, se loger, s’habiller)?

    Pour le reste, il serait libre de « rien foutre al païs », ou bien de choisir telle association d’utilité publique ou telle action d’utilité publique qui lui plairait. Artistes, sportifs, bricoleurs, savants s’en donneraient à coeur joie, pour le plus grand bonheur de leur entourage et de la société tout entière.

    Mais là, je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans… connaîtront peut être. Les autres, c’est moins sûr. Mais on peut faire comme le vieillard de La Fontaine, planter des arbres sans se soucier de savoir si nous en profiterons.

    Car nous avons profité d’arbres plantés par d’autres.

  9. Merci Fabrice de rappeler ces idées fortes d’Anil Agarwal. Je les avais retrouvées dans ton intervention à Lorient. je signale que l’on continue à traduire certains articles de Down to Earth et que nous avons publié un ensemble de textes traduits sur « environnement et pauvreté ».

  10. Cher Alain,

    Merci à toi. J’en profite pour dire qu’Alain Le Sann est l’un des très rares, en France, à se préoccuper du sort des pêcheurs artisanaux, du Nord mais aussi du Sud. Le bulletin dont il s’occupe avec quelques valeureux, Pêche et développement, est une source précieuse d’infos rares.

    Mais dis-moi, cher Alain, quand lance-t-on une campagne pour la fin de la pêche industrielle ?

    Bien à toi,

    Fabrice Nicolino

  11. Je vous trouve un peu dur avec les défilés Bastille-Nation. Si cela fait référence aux manifestations, cela me semble exagéré mais je comprends l’idée d’arrêter de vouloir amasser des biens matériels.
    Par ailleurs l’idée du fond monétaire mondial me met tout de suite mal à l’aise quand on voit l’inefficacité des institutions mondiales existantes.
    D’autre part, les riches sont au pouvoir ce qui rend l’obtention de fonds difficiles voir impossible, et c’est une raison pour laquelle ils sont riches. Pour ma part je me demande si il ne faudrait pas créer une autre économie indépendante de l’économie existante basée sur la finance internationale. Le but étant à terme que cette nouvelle économie remplace l’ancienne. Bon c’est une idée comme ça.
    Je continue ma lecture…

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