Une fabuleuse victoire indienne (vive le Pérou libre ! Kawsachun Piruw !)

(Ce texte est long, et rien ne vous oblige. Il tente de mettre en perspective les événements en cours au Pérou. C’est loin ? Oui. Plutôt non, puisque cette histoire nous dit la vérité du monde. Loin de nos petits engouements et passades, des hommes se battent pour de vrai.)

Le sujet n’est peut-être pas affriolant, mais il n’empêche que le Pérou est proche. Et qu’il m’est cher. J’y ai passé un petit temps à des époques si lointaines qu’elles me semblent incertaines. Mais pourtant. C’est à mes yeux l’un des plus beaux pays au monde, dans lequel la vraie nature fait de la résistance, tant bien que mal. On y trouve dans les hauteurs, comme chacun sait, des lamas, des vigognes, des alpagas. Et dans la sombre forêt amazonienne, des caïmans, des jaguars, des centaines d’espèces d’oiseaux et un nombre incalculable d’insectes, parfois et même souvent inconnus des hommes.

Dans ce pays, il ne faut s’étonner de rien. Car même les hommes, même certains hommes sont inconnus de nous. L’an passé, une agence publique brésilienne –  la Fondation nationale de l’Indien (Funai) –  a publié des photos bouleversantes saisies depuis un hélicoptère. On y voit, entre Brésil et Pérou, six huttes et un terrain cultivé, où poussent le manioc et des pommes de terre (ici). Et quelques Indiens qui n’ont jamais eu de contact avec notre monde malade, envoyant des flèches vers le ciel. Cette vision m’habite en profondeur, je n’ai aucune honte à l’écrire. La seule chose que je regrette, c’est que les flèches ne puissent atteindre leur cible, qui est de toute évidence notre être.

Le Pérou est un pays indien. Son nom même viendrait de celui du fleuve Biru, par lequel les funestes Conquistadores s’engouffrèrent en pays inca, voici 500 ans. D’autre sources évoquent l’existence d’un chef  indien applelé Birú, d’où viendrait l’appellation de ce grand pays découpé par les envahisseurs. Le Pérou d’aujourd’hui est un désastre et une honte. Il compterait environ 29 millions d’habitants, dont beaucoup massés le long de la côte. Lima, à elle seule, dépasse les huit millions d’habitants. Combien d’Indiens parmi les Péruviens ? À peu près la moitié, auxquels il faut ajouter presque 40 % de mestizos, des métis de Blancs et d’Indiens. Los descendientes españoles, les descendants d’Espagnols, d’Européens en général, et même de…Japonais n’atteignent pas 15 %. On trouve aussi, dans ce pays martyre de l’histoire, quelques centaines de milliers de Noirs, dont les ancêtres ont été traînés de force sur le continent américain.

Et malgré cela, les Blancs du Pérou continuent, pour beaucoup d’entre eux, d’employer le mot de cholos quand ils parlent des autres, c’est-à-dire de leur peuple. Or cholos, dès l’invasion espagnole, a désigné les chiens bâtards qui traînaient autour des maisons, puis les enfants bâtards nés de père espagnol et de mère indienne, puis par extension tout ce qui n’était pas puro. 87 % de la population péruvienne n’est pas pura. Est-ce le cas d’Alan García Pérez, le président en titre ? La question de sa « race », figurez-vous, est un sujet de conversation. Tandis que certains vantent ses « traits espagnols », d’autres affirment qu’il est tout de même moins blanc que blanc, ce qui cacherait d’anciennes coucheries avec des Indiennes. Ainsi va le monde péruvien.

Quoi qu’il en soit, Alan García, qui a déjà été président entre 1985 et 2000, a ruiné une première fois son pauvre pays, lui laissant une inflation de plus de deux millions de pour cent avant de s’enfuir à Paris. Oui, ce charmant monsieur a vécu de longues années chez nous, où il s’est acheté, sûrement avec son salaire, un appartement de 200 mètres carrés rue de la Faisanderie, dans les quartiers riches de notre capitale. Pendant ce temps, les Indiens quechuas, aymaras, chachapoyas, aguarunas, asháninkas, shipibos, cañaris, mochicas, chimúes, tallanes, tumpis ont continué à trimer, car il faut bien que quelqu’un le fasse.

Depuis juin 2006, malgré les désastres qu’il a causés, García est de nouveau président. Disons pour rester modéré qu’il est vendu corps et âme au libéralisme made in America. C’est d’ailleurs pourquoi il a des ennuis en ce moment. Je vous résume en quelques mots. En parallèle du Traité de libre commerce (TLC) signé avec le gouvernement de W.Bush, García a pris des décrets qui ouvrent l’Amazonie péruvienne – 60 % du territoire – à la propriété privée et aux transnationales forestières, minières et pétrolières (ici). Sans aucune discussion, alors que la loi l’y oblige.

Les Indiens, ces sots, sont aussi des ingrats. Au lieu de préparer leurs baluchons, ils ont commencé à barrer des routes et occuper diverses installations dans le nord-est du pays. Jusqu’à indisposer la patience de monsieur García, qui a envoyé la police. D’où des affrontements terribles dans la petite ville de Bagua, à 1 000 km de Lima. Deux jours de combats – les 5 et 6 juin – ont provoqué la mort de dizaines de personnes. Je gage qu’on ne saura jamais combien. La télévision officielle a tenté une opération usuelle, présentant les Indiens comme des terroristes assoiffés de sang. Et les policiers comme des héros de la nation tout entière.

Là-dessus, les choses se sont encore envenimées après la mise en accusation du chef indien Alberto Pizango, accusé par le pouvoir d’être le « responsable intellectuel » de la violence. Pizango s’est dans un premier temps réfugié à l’ambassade nicaraguayenne de Lima avant de partir à La Paz, en Bolivie, où le président indien Evo Morales lui a accordé le droit d’asile. Et ? Et grosse surprise :  Alan García a pris peur, au point de suspendre le décret le plus controversé. Ce n’est qu’une halte, bien entendu. Un armistice dans une guerre totale entre la vie et la mort, nous en sommes bien d’accord, n’est-ce pas ? Il reste que ce samedi 13 juin 2009 en restera illuminé chez moi.

Oui, je pense autant qu’il m’est possible aux émeutiers de Bagua et d’ailleurs. Et même s’ils devaient perdre la partie, j’aimerais leur dire – mais comment ? – qu’ils nous montrent la seule voie praticable. Je veux dire la révolte. La vraie. La seule. Celle qui s’achève par la victoire. Ou une défaite qui annonce d’autres soulèvements. Je sais bien que notre France abreuvée, saoulée d’objets et de publicité, tourneboulée par les dérisoires événements électoraux de dimanche dernier, dort à poings fermés. Mais tous ne sont pas couchés. Je vous salue ! Je vous salue sans savoir quoi faire de plus, pour le moment du moins. Je vous salue, frères indiens. Parmi les quelques mots quechuas que je traîne dans ma besace, il y a warak’ay, qui signifie jeter une pierre avec une fronde. Et kawsachun sikllakay, qui pourrait vouloir dire Vive la beauté ! J’emploie le conditionnel, car je n’ai jamais prononcé ces mots. Peut-être quelqu’un en saura-t-il plus que moi ? Et surtout pas de malentendu : je sais parfaitement qu’il existe des dizaines de peuples indiens au Pérou. Les Quechuas ne sont pas en première ligne cette fois. Mais demain ? Je sens, je suis même sûr que nous nous retrouverons sur le chemin de sikllakay.

25 réflexions sur « Une fabuleuse victoire indienne (vive le Pérou libre ! Kawsachun Piruw !) »

  1. « Des hommes se battent pour de vrai ».
    Pile. Exactement.
    Un exemple?

    Nous vivons dans nos démocraties, assoupies, indifférentes, sous influence médiatique avancée, blablateuses..qui ne serviraient au final, qu’à noyer le poisson?
    NOUS avons des choses à perdre! pas eux, peut-être aussi..
    quoique non: ils ont aussi des choses précieuses à perdre.

  2. Parmi les légendes concernant le Petit Peuple, il en est une qui indique comment venir à bout d’un lutin trop farceur, comment le retenir un moment ou le décourager de revenir : répandre ou faire en sorte qu’il répande lui-même du riz, des lentilles, du sable ou toute autre chose semblable : il ne pourra faire autrement que de tout ramasser grain par grain en les comptant. Il est clair que nous sommes le petit peuple de nos dirigeants qui depuis très longtemps nous jette des paillettes, sur lesquelles la plupart d’entre nous se rue de manière irrépressible, tâchant de ne pas en manquer une seule. Quand nous saurons passer outre, l’éveil pourra avoir lieu et la résistance aussi…

  3. Je croyais jusque-là vivre dand un pays où l’exercice de la liberté menait directement en prison, j’ai certainement du me tromper…

  4. Nicolas, pourrais-tu préciser ta pensée une bonne fois pour toute ?
    1/ Quelle est ton action immédiate, globale, coordonnée ? Comment la mets-tu en place ?
    2/ Si nous ne sommes pas libres, a) que nous en soyons conscients ou qu’au contraire nous n’ayons pas la moindre idée du monde dans lequel nous vivons, cela ne change pas grand chose, b) tu ne pourras pas faire ce que tu penses être le mieux, sauf si tu considères qu' »un gars ou une nana comme toi » a les moyens de « forcer le système ». Dans ces conditions, que de notre côté nous fassions mumuse ou pas, nous attendons que toi tu fasses ce que tu as à faire…

  5. Merci Fabrice de parler des révoltes indiennes dans le nord-est de l’Amazonie péruvienne. Les enjeux sont fondamentaux, pour eux, pour nous et pour la planète toute entière. Mais personne ne s’en soucie. Tout au plus découvre-t-on deux entrefilets dans un quotidien français et il faut se tourner du côté du Guardian pour avoir un article de fond sur les évènements sur place. J’ai des amis là-bas, près de Yurimaguas, qui se battent aux côtés des Aguarunas pour préserver ce joyau tour à tour émeraude, céladon ou jade… La situation sur place est très préoccupante. Le pétrole, l’acajou et… le palmier à huile pour ne citer que quelques unes des menaces qui pèsent sur cette immense forêt, ses fleuves, ses peuples et la biodiversité dans son ensemble.
    La corruption est à son apogée et cela se vérifie sur place tous les jours. Aucune loi n’est respectée, toutes sont détournées et ignorées. Il y a deux ans, je survolais un petit bout de cette Amazonie pour constater que le géant Romero avait commencé à raser la forêt, ayant au préalable chassé les Indiens qui y vivaient depuis toujours… pour installer une monoculture de palmier à huile et une usine d’extraction, prélude à un vaste projet dans la région. L’étude d’impact environnemental, obligatoire pour toute installation de ce type… elle n’avait même pas encore été terminée et rendue au gouvernement et autorités « compétentes »… Cela n’aurait rien changé, certes, mais cela démontre dans quel état d’esprit et dans quel contexte tout se passe au Pérou. Tous les droits les plus élémentaires sont bafoués… quant à la forêt…
    On ne peut qu’admirer le courage de ces Indiens qui ont choisi de lutter, avec leur petits moyens mais leur immense courage. C’est une leçon que nous devrions tous retenir. Quelle honte et quel scandale que nos médias n’y prêtent aucune attention ! Mais il faut dire que des groupes français sont impliqués comme Perenco, discret sur la scène médiatique mais ô combien destructeur dans ces régions tropicales.

  6. Croyez-vous qu’il soit bien nécessaire de continuer à discuter avec Nicolas? Depuis le début, j’essaie de comprendre où il se situe (à part l’amertume et le dénigrement) et je n’y parviens pas.

    Plusieurs des commentateurs de ce blog ont tenté, les uns après les autres, d’établir avec lui quelque chose qui ressemble, même de loin, à un dialogue, sans succès.

    Pourquoi s’acharner encore?

  7. Nous pourrions interpeler les médias (tv et radio). Avec internet, il est facile de les contacter. Il suffit de se rendre sur leur site et de cliquer sur contact. Demandons leur des comptes. Demandons leur pourquoi ils ne parlent pas de ce qui se passe réellement là-bas au lieu de nous bassiner tous les jours avec les détails, les hypothèses, de l’enquête sur l’accident d’avion, enquête dont ils ne devraient parler que lorsqu’elle sera terminée. Je cite cet accident mais je pourrais citer les procès, les scandales financiers… Est ce que ces vies ont moins d’importance ?

  8. PS : on peut se rendre utile même derrière son écran et son clavier ; souris des villes ou souris des champs, même combat 🙂

  9. @ chaperon rouge, les combats des indiens en Amérique du Sud ont débuté depuis quelques mois déjà entre autre à cause de l’extraction du pétrole . Et déjà oublié les autochtones d’Indonésie(vivent les agro-carburants), du nord-niger (vive l’uranium),qui continuent la bataille souvent synonyme pour eux de prison de torture et de mort .je loue leurs courages tout autant que j’ai honte d’appartenir à une démocratie , parmi d’autres, si fratricide . Oui, nous pouvons, nous devons demander des comptes

  10. @Nicolas;

    J’ai pas de voiture; j’ai pas de terrasse en teck; je ne consomme pas d’huile de palme; je consomme du papier recycler au maximum…Je suis pacifique!

    Si tous le monde si mettait…C’est ça la liberté, elle se mérite!

    Si cela ne vous parrais pas grand chose; relisez comment on en arrive à déposséder les gens de leur dignité de vie!

    Autre chose un peu pour changer; incroyable; hier on était le 14 juin; des tas d’hirondelles sont revennuent; elles ne sont pas aussi nombreuse qu’avent; mais où étaient-elle ce printemps?
    J’en avais vu si peu; et tout d’un coup les voila!
    Si quelqu’un y comprend quelque chose; se serrait sympa de m’éclairer!

  11. Pour Benedicte
    T’iras quand même dire à ton Martial que les photos d’oiseaux sauvages au flash et au nid sont absolument à proscrire et que ce sont des pratiques d’un autre âge en terme d’approche naturaliste !
    Heureusement que « pour se nourrir de beauté » il existe des photographes beaucoup plus responsables !!
    Cordialement
    Sylvain

  12. Dis donc, Nicolas, tu es gonflé. Tu pousses d’autres à la révolte, ce qui est un peu facile, non ? Et toi tu fais quoi ? Toi aussi, va jusque au bout de tes idées !
    Note qu’après je renonce à discuter avec toi…

    Sylviane, ça fait un moment qu’elles sont là, les hirondelles ! (en seine-et-marne). J’ai revu aussi les pipistrelles, le soir. Par contre, c’est certain que depuis quelques années on voit moins d’insectes. je suppose que d’autres l’on constaté également ?

  13. Merci Hélène;

    J’essaye de comprendre; on en avait discuté ensemble; j’ai passer tous le printemps le nez en l’air à la recherche des hirondelles; je n’en voyais que peu; ou je ne les entendais juste; je voyais surtout les quelques martinets rescappés…Je lisais les commentaires ici; d’autres qui en avait vu plus que moi; et je me disait c’est comme ça; ici il n’y en a presque plus…Et puis tous d’un coup; des dizaines dans le ciel alors que la saison est bien avencée…J’ai sans doute bien mal regarder ce printemps; ça m’échappe…

    Merci pour les bonnes nouvelles sur les pipistrelles aussi; ici force m’est de constater qu’elles sont dramatiquemment moins nombreuses!Et là ce n’est pas parce que j’ai mal regardé, voici déjà quelques années qu’elles sont en déclin!

    Pour les insectes; c’est vrai; j’y ais fait ducoup plus attention…J’ai l’habitude de passer mes soirées chaudes porte et fenêtres grandes ouvertes avec souvent une lampe allumée tand que je vaque à mes occupations…Les insectes et papillons trompés par la fausse lune qu’est mon ampoule sont moins nombreux…Et pourtant je ne suis pas dans une région agricole! Il n’y a pas si longtemps encore je relachais des papillon de nuit à l’envergure de plusieur cm; et ici même les petits moucherrons sont en déclin; je ne sais pas comment cela s’appelle; ces petits insectes qui recouvre le plafonds si on laisse la lampe allumée; il y en a toujours, mais moins!

  14. Hier soir, chez moi les fenêtres étaient ouvertes et la lumière allumée (ampoule éco ;). Eh bien pas un papillon de nuit…

  15. Enfin tu dis ce que tu penses (et qu’on attendait depuis un bon moment) : une dictature, un pouvoir fort et unique.
    Eh bien non, non et NON !

  16. À tous,

    Je me suis bien gardé d’intervenir dans les innombrables proclamations de Nicolas, malgré les (petites) provocations qu’il me destine. Je crois en avoir vu d’autres, un rien pires.

    À tous les autres, je me permets de donner un avis : tout commentaire en entraîne d’autres, interminables. C’est à vous de voir, mais cela me semble à moi lassant. Bonne journée,

    Fabrice Nicolino

  17. @ Sylvain, je le vois cet après-midi, donc je transmets . Juste pour élargir ton jugement , »mon » Martial a démarré la photo sur le tard et n’était pas photographe à l’origine . Avant, depuis tout gosse, il se contentait de contempler son environnement . Puis, dès la fin de son boulot, il fonçait, une paire de jumelle au cou , dans la boucle qu’il connait sur le bout des doigts . Aucune plante ne lui échappe, aucun chant d’oiseau, qu’il soit d’alerte, régional, etc . Se promener en sa compagnie est un pur bonheur et son amour du vivant est certain . Depuis peu, il veut transmettre cette passion, notamment aux écoliers . Sans ses observations, on ignorerait le retour de la huppe (2 observées), de l’alouette, de l’oedicnème..on ignorerait encore que les petits passereaux se noient facilement dans les points d’eau laissés dans la forêt si on oublie de laisser une branche à leurs portées, etc . Maintenant, il est évident que chacun peut progresser, donc, merci de tes conseils . la majorité des photos étant prises en plein jour, je pense que tu peux tout de même en contempler quelques unes sans culpabilité .

  18. « Un gouvernement mondial aux pouvoirs renforcés est la solution, un régime fort à l’échelle planétaire est encore la seule et unique issue, avec tous les paramètres qu’ils faut prendre en ligne de compte pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être !… »

    Nicolas: est-ce que tu comptes en parler à ton cheval?

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