La France et le principe de destruction (barrages sur le Mékong)

Notre pays, grand et généreux, est la patrie des droits de l’homme. Et conquérant, avec ça. En 1858, nos troupes débarquent en Annam sous les ordres du vice-amiral Rigault de Genouilly. L’Annam, je le précise, fait partie du Vietnam d’aujourd’hui. L’Indochine dite française vient de naître. En 1946, près d’un siècle après, la France libérée du fascisme se lance dans une guerre barbare contre les nationalistes – communistes – du Vietnam, et finissent par prendre une raclée dans la cuvette de Dien-Bien-Phu en 1954. Le pays – le Vietnam – est coupé en deux, ce qui prépare la piste pour une seconde guerre, américaine, qui conduira aux gentils épandages de dioxine sur la forêt tropicale.

Pourquoi cette courte histoire ? Parce que nul n’entend se souvenir de rien. Ce pourrait être l’étendard de nos sociétés malades : l’oubli alzheimerien. Quoi qu’il en soit, je vais vous toucher deux mots du Mékong, l’un des plus beaux, l’un des plus grands fleuves du monde. Né au Tibet, il passe par la Chine, le Myanmar (Birmanie), Le Laos, la Thaïlande, le Cambodge, le Vietnam. La biodiversité créée et entretenue par ce géant est à ses dimensions. Et sa productivité biologique est prodigieuse. Il y aurait 1300 espèces de poissons dans ce fleuve et pour ne prendre qu’un exemple, sachez que 70 % des protéines des villageois cambodgiens proviennent du poisson.

Il y a seulement deux ans, le 13 novembre 2007, 175 associations du monde entier adressaient une lettre ouverte aux dirigeants de l’Asie du sud-est. Du monde entier, d’ailleurs, non. Un seul groupe français avait apposé sa signature, Les Amis de la Terre. Les autres devaient dormir (ici), le ventre plein. Que voulaient les éveillés ? Alerter sur les extrêmes dangers d’un plan de six barrages géants sur le Mékong. Le fleuve abreuve et nourrit des dizaines de millions d’humains et des milliards de non-humains. Tous ses écosystèmes naturels seraient à jamais altérés, appauvris, banalisés, détruits bien entendu par de tels ouvrages.

Évidemment, aucune réponse. Évidemment, la France, d’autres pays européens, la Commission de Bruxelles financent le massacre. Entre-temps, le plan est passé de 6 à 11 barrages majeurs sur le cours du fleuve (ici). Car il s’agit d’un plan, stratégique et donc implacable. Les pays de la région entendent « développer » leur économie de la même manière que le fit la nôtre (ici). Notre lamentable sort matériel, ici, est lié par force à la création, là-bas, de routes, d’autoroutes, d’antennes-relais pour les téléphones portables, de grosses bagnoles, de turbines, de tranches nucléaires, de TGV. Sans oublier la traduction en lao, khmer et ti?ng vi?t des jeux télévisés de TF1.

Or donc, sans vaste mouvement mondial, le Mékong va droit à la mort. Chacun s’en moque, mais il est presque certain que des animaux aussi rares que le poisson-chat géant du Mékong (Pangasianodon gigas) ou le dauphin d’Irrawaddy disparaîtront au passage. Ainsi. Et qu’au moins nos écologistes officiels, qui passent la main dans le dos de Jean-Louis Borloo chaque matin et chaque soir, ne prétendent pas qu’ils ne savaient pas. Car ils savent, et tout, croyez-moi. Ils savent, mais comme leur pensée n’existe pas, ils semblent en fait ne rien comprendre à ce qui se passe.

Eppure, pourtant, c’est simple. Mais oui. Un principe mène le monde jusque dans le moindre détail, et c’est celui de la destruction. En l’occurrence, peu importe le pourquoi. Car nous pouvons, car nous devons tomber d’accord sur le comment. Oui certes, la machine a échappé à son concepteur, et avance sans relâche. Qu’elle se nomme capitaliste, qu’elle s’appelle ailleurs socialiste, puisque le mot communiste est proscrit, n’y change absolument rien. La destruction règne en maîtresse sur la marche du monde.

Et c’est bien pourquoi aucun accommodement n’est possible. Les boutiquiers qui entendent sauver un doigt pendant qu’on arrache un à un tous les membres de l’être sont des boutiquiers. Quand je vois ceux de France Nature Environnement (FNE) se réjouir de la future création d’un parc national (ici), je me dis que, décidément, ils font partie de ce tout qui avance en dévorant. Pas un mot sur la destruction d’un des plus grands fleuves du monde, et des risettes télévisées pour quelques centaines d’hectares en France. Oh !

En attendant mieux, laissons libre une partie de notre cerveau, qui servira peut-être un jour ou l’autre. Il est des jours où j’aimerais inventer un autre mot qu’écologiste pour désigner ce à quoi je crois. Car partager ce mot avec ces autres-là, franchement, est-ce bien acceptable ?

23 réflexions sur « La France et le principe de destruction (barrages sur le Mékong) »

  1. pour beaucoup de gens le lien avec la nature est coupé,et la disparition d’écosysteme ,et d’espèces,ne creer meme pas de vagues angoisses dans leurs tétes ,mais pouvoir avoir de l’argent et penser en terme de jeux social ,voila le challenge ,creux certe,mais dynamique et dynamite.

  2. Bonjour
    Permettez moi une reflexion naïve sans remettre en cause quoique ce soit d’écrit ci dessus:
    Peut-on envisager le fait que « nos écologistes officiels » travaillent sur beaucoup de sujets différents (avec les moyens et les restrictions matérielles ou financières qui sont les leurs) et ne peuvent peut être pas être au top sur TOUTES les problématiques ou scandales écologiques ?

  3. À Grégoire,
    J’aurais pu, voici quelques années ou même mois, faire la même remarque. Après avoir lu, et souvent relu, les articles de Fabrice (et ceux de quelques autres), j’ai compris une chose, c’est que la question écologique est un tout indissociable. Donc il est probable que ne pas être au sommet sur toutes les problématiques, c’est vraisemblablement ne l’être sur aucune, c’est n’avoir rien compris au phénomène de destruction totale en cours.

  4. Fabrice,
    Absolument.
    Permettez moi juste de préciser que je ne le pense pas forcement. Ni ne le réfute. Il s’agissait plus d’une réflexion à voix haute qu’autre chose (si tant est que l’expression ait du sens sur un blog)
    Bien à vous également.

  5. Bonjour

    Pour être allé à deux reprises au Laos, je vous confirme que la pression du « développement » est à l’oeuvre.

    Quelques exemples en vrac : Vientiane cette petite capitale, une ville calme de province voit croitre chaque jour le nombre de scooters et autre 4×4 rutilants des nouveaux hommes d’affaire commerçant avec les pays voisins.

    Je doute fort que le bois qui transite vers les pays voisins (Chine, Thaïlande, Vietnam) soit issu de coupes de forêts gérées durablement.

    Parlez svp du projet du barrage gigantesque d’EDF (qui est l’actionnaire majoritaire) Nam Then 2, si vous avez des informations récentes, dont l’objectif n’est que de vendre de l’électricité à la Thaïlande voisine.

    Pour info, le Laos est le pays de l’Asie du sud-est à la diversité rizicole la plus importante, on peut parler de riz de terroir. Il existe des projets de développement local des communautés paysannes bien intéressants.

  6. Fabrice, je crois que l’oubli alzheimerien (volontaire?), que tu evoques ici s’appelle aussi deni. On en parlait l’ete dernier, on citait Lacan et ce qu’il pensait etre cette pathologie qu’est la « Passion de l’ignorance ». Je viens a l’instant de tomber sur cet edito en or de george Monbiot, sur le deni collectif, ou personel, mais surtout celui erige en systeme de pensee et d’action chez les ideologues neoconservateurs aux Etats Unis (qu’il rebaptise les « deni-ologues. »). Ceux capables de masquer, d’ignorer des pans entiers de la realite,meme si celle-ci leur saute a la figure (oui, idem les « officiels » chinois cites plus haut. Idem la psychopathie clinique).
    Derniere chose, hier matin, je me suis reveille pour constater un trou, une absence. Les martinets, envoles, partis, dans la nuit. Les premiers migrateurs a repartir de maniere disons flagrante. Chaque annee ca me fait le meme effet. Spleen ornithologique. D’accord, ils sont repartis en Afrique. Se rassasier. Se refaire une sante sous le Sahel. Surtout, passer la flamme a leur progeniture, leur montrer le chemin, le monde. Automne, nous voila.

  7. david l’automne est encore loin faut pas pousser,.Mais savoir que la chimie,la pollution prive le cerveau de regénérèssence(article apparemment scientifique),et augmente les maladie,ce n’est au fond pas surprenant.Mais le déni ,quel invention du diable!!!

  8. le Vietnam centre est également menacé par l’exploitation de l’aluminium par la Chine . pour l’instant, le gouvernement vietnamien a du reculer car un vétéran et héros de la nation lutte haut et fort contre ces projets . mais il est âgé de 95 ans …
    la situation dans cette région est d’ores et déjà assez dramatique : alcoolisme et pauvreté sont le lot des populations autochtones en perte d’identité .

  9. moi aussi david je trouve le ciel bien vide, ici, y a plus 1 seul martinet. ces fous adorables, qui peuvent dormir en volant (g lu, je ne sais plus où)

  10. Il me semble aussi que des travaux d’approche ont été faits par la France en vue de la construction d’une centrale nucléaire dans le centre du Vietnam. L’officiel « Courrier du Vietnam », pince sans rire, répondait par avance aux inquiétudes de la population en disant que le lieu choisi serait éloigné des zones habitées. Comique quand on connaît la largeur du pays dans sa zone centrale.

    Après que DSK lui ait fait les gros yeux en l’accusant « d’exporter la famine » quand il a été question (fugitivement) de bloquer les exportations de riz pour (tenter de) maîtriser la spéculation, on peut dire que le Vietnam est l’objet de tous les soins de son ex colonisateur. Merci qui?

  11. Hé !

    Pardonnez, mais je ne suis pas d’accord avec ces accents apocalyptiques. D’une certaine façon, la situation est pire que cela. En ce qui me concerne, je ne crois pas à la fin de l’humanité. Je crois à la dislocation des sociétés humaines sous les effets de la crise écologique planétaire. Je crois donc aux affrontements, ce qui est loin d’être rigolo.

    Il y aurait bien une solution : changer. Mais à ce propos, bien entendu, il y a comme un problème.

    Fabrice Nicolino

  12. Pour les histoires qui se recoupent, amicalement…m’a écrit un jour Pierre Ascaride. Alors…t’inquiètes pas Fabrice. A demain ( pour se pousser un peu )…A après-demain même ( pour accueillir  » les réfugiés climatiques » )…A après…Après ?…on verra bien !

  13. demain serra sans doute térrible,sans doute a partir des années 2030,mais on sera vieux,c’est pour les enfants plutot,comme quoi les riches ,et les ultras riches (le livre:comment les riches détruise la planete),se foutent de leurs enfants,et ainsi de suite .l’économie a été inventé pour se distinguer les uns des autres;et se battre d’une façon ou d’une autre,en général pour vivre dans trop de danger.

  14. Je ne pense pas que les humains soient capables de sauver quoi que ce soit. Pas assez fondamentalement généreux et altruistes pour ça. Et même si, suite aux affrontements à venir prévisibles, il ne doit survivre que des poignées dissémminées, on continuera à se taper sur la gueule pour savoir qui est le possesseur de ci ou de ça. Pardon. Que les optimistes gardent le moral. Rien n’est perdu, j’espère très sincèrement me gourrer et quoi qu’il arrive je me battrai jusqu’au bout. En attendant, carpe diem et à chacun sa conscience.

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