Ça ne plaisante plus (sur l’aéroport Notre-Dame-des-Landes)

Vous le savez, tout le monde devrait savoir qu’un projet d’aéroport – Notre-Dame-des-Landes – menace d’engloutir 1400 hectares de bocages merveilleux. Merveilleux et préservés au point qu’ils sont classés par nos grands bureaucrates dans la série ZNIEFF (zone naturelle d’intérêt écologique). Cela se passe à Nantes, ville dirigée par un pauvre monsieur Ayrault, socialiste comme ce parti en pond chaque matin dans ses incubateurs intensifs. La droite et la gauche sont TOTALEMENT d’accord pour pulvériser un lieu de beauté et le changer en une zone aéroportuaire à l’air surchargé de kérosène. S’il était besoin d’une preuve, la voici. Tous ces gens préfèrent la fuite en avant.

Il n’y a donc pas d’autre choix que la bataille frontale. C’est ainsi. Mais elle commence – déjà – à prendre une très vilaine tournure. Une habitante des lieux, une habitante des lieux menacés – je remercie M., évitant de la nommer – m’envoie à l’instant la copie d’un article du quotidien nantais Presse Océan en date du 8 août dernier. Je crois, connaissant un petit peu la musique, qu’il est la première pierre d’un redoutable édifice (ici). On veut, c’est clair, criminaliser le mouvement naissant pour mieux l’écraser.

Attention ! Je ne prétends pas qu’il existe, caché quelque part, un ténébreux personnage occupé à tirer les ficelles. Je ne suis ni ne serai jamais conspirationniste. Mais il est manifeste que, consciemment ou non, les partisans les plus militants de l’aéroport songent déjà à une contre-offensive, au demeurant fort classique. L’article de Presse Océan, insupportable de bout en bout, signale peut-être le début d’une nouvelle manche.

Que dit-il ? Prenons son titre : « Le visage des encagoulés ». Sous-titre : « Ils appartiendraient à la mouvance “anarcho-autonome” ». Cela ne vous rappelle rien ? Si. Tarnac. Julien Coupat. La traque insensée d’armées de flics tentant à toute force de démontrer qu’une bande de jeunes se sont attaqués aux lignes de chemin de fer. Alliot-Marie, hier ministre de la police, s’est déconsidérée un peu plus – mais est-ce possible ? – en affirmant sur l’air des lampions que ces jeunes révoltés étaient des apprentis terroristes.

C’est la même chanson à Notre-Dame-des-Landes. La même. Le titre de Presse Océan renvoie à un vol organisé dans un supermarché de Vigneux-de-Bretagne. Une photo illustre le tout, prise par une caméra de surveillance. Deux « encagoulés » se servent dans ce qui semble être un présentoir de bouteilles de Champagne. Ma foi, j’espère pour eux qu’il était bon. Et ? Tout le reste n’est que filandre. Un abominable tricotage, partant de ce fait divers, aboutit au projet d’aéroport. Car certains opposants locaux jamais nommés auraient fait affaire avec ces « anarcho-autonomes », ces détrousseurs de marchands. Toutes les sources du journaliste sont masquées, incertaines donc, ce qui ne veut pas dire douteuses.

Moi qui connais ce métier, je vois bien qu’aucun militant n’a accepté de parler au plumitif. Moi qui connais ce métier, je vois combien les « sources proches du dossier », évoquées, ne doivent pas être trop éloignées de la gendarmerie du coin. Au reste, cette dernière est utilisée comme référence. Et quelle ! Les gendarmes « soupçonnent clairement certains de ces partisans [anarcho-autonomes ] d’avoir participé jeudi au pillage du Super U de Vigneux-de-Bretagne ». Soupçonnent ! Pas de preuve, pas d’interpellation, juste un soupçon. Et tout l’article part néanmoins de là !

Je vous laisse juge de ce passage, où rien n’est authentifié. Où rien n’est, comme on dit, sourcé. Quelle belle vie que celle de romancier ! Lisez donc : « Les profils de ces activistes varient. “Côté âge, ça va du mineur au retraité”. La plupart sont désocialisés : étudiants attardés, Rmistes, allocataires de pension X ou Y… À l’intérieur même de cette mouvance, des sous-groupes émergent. Le milieu a ses codes. Lacets rouges sur des Rangers ? Ce sont les Redskins. Il a aussi ses slogans : “Soyons touTEs des électrons libres et de notre union naîtra la bombe atomique sociale”. Côté message politique, la confusion règne. “Ils veulent tout se réapproprier, sans aucun système de hiérarchie. Mais l’autogestion n’a jamais été un mode de fonctionnement politique”. Ils se réunissent parfois dans un local associatif, baptisé le B17, siège d’associations et partis politiques à Nantes, en bas de la rue Paul-Bellamy ».

Un minuscule commentaire : qui a prononcé les phrases placées entre les guillemets à l’anglaise ? Une déontologie de base contraint tout journaliste à le préciser quand des mots apparaissent comme des citations. Car autrement, n’est-ce pas, tout devient possible. Oui, qui a pu dire, selon vous, «Côté âge, ça va du mineur au retraité» ? Vale, il n’est pas encore question de pleurer. La vie et le combat impliquent de prendre des coups. Voici ce que j’appellerai un crochet du droit, sévère. Il s’agit simplement de rester souple, de reculer d’un pas, puis de revenir avec un magnifique uppercut qui fera trembler ces mâchoires imbéciles. J’y ajouterai personnellement un straight-punch, autrement dit, un direct. Mais cela peut attendre.

15 réflexions sur « Ça ne plaisante plus (sur l’aéroport Notre-Dame-des-Landes) »

  1. Merci Fabrice, de nous aider à lire! Oui, de plus en plus souvent, il faut et il faudra apprendre à lire la langue des journaleux. Comme je ne regarde que hyper rarement la télé, et encore moins souvent le journal télé, je suis très sensible à tout ça quand ça m’arrive de la regarder, j’ai l’impression qu’on se fout de notre g. gros comme ça, et que les gens avalent tout rond. « Ils l’ont dit à la télé » (!)
    Par contre, pour l’écrit, j’ai plus de mal à prendre du recul, à lire entre les lignes. Alors je choisi ceux qui savent lire, et qui interprêtent, selon moi, de façon juste, ou au moins honnête, et je m’appuie sur leurs critiques, commentaires. Fabrice, vous faites partie de ceux que j’ai choisis.
    Pour ce qui est de l’aéroport… beurk. Soutient sans faille à ceux qui luttent.

  2. Là encore, j’en avais parlé avec une amie qui était à ce camp climat:
    « Parait qu’il y a eu un saccage dans un supermarché »
    Réponse de mon amie:
    « Oui. Rien à voir avec nous. C’est tellement facile de faire des trucs pour décrédibiliser des mouvements. Les médias ont bondi dessus. Ca les arrange. Nous, on s’est dit qu’on ne commenterait pas ».
    Lamentable!! Faut voir un reportage de France3 sur dailymotion qui parle de ce camp climat: pour eux, c’est des anarchistes anti-croissance qui refuse le dialogue. Le cliché!!!
    Imaginez: nous gérons tous nos vies sans demander le matin à l’état si il faut prendre de la confiture de cerise, de prunes ou rien. Vous autogérez votre petit déjeuner. Vous êtes un anarcho-punk? Non, vous vous prenez en main et quand vous le faites en groupe, ca s’appelle de la démocratie participative. Mais pour les médias, c’est dangereux visiblement.

  3. « Non, vous vous prenez en main et quand vous le faites en groupe, ca s’appelle de la démocratie participative »

    Heu plutôt de la démocratie directe. La démocratie participative, ça n’est pas la même chose. C’est plus récent et ça s’affilie plus à ce qui a pu être mis en place à Porto Allegre: un système où les « citoyenNEs » peuvent participer, sur certains points des décisions à prendre, mais sans pour autant avoir le dernier mot.
    Peut-être que je lance un troll là je sais pas. En tout cas, la démocratie participative pour moi qui habite Nantes, ça me fait plus penser à tout le blabla que fait la mairie, à savoir consulter (et pas laisser décider) l’opinion des habitantEs, pour faire croire à une décision démocratique quand en fait tout ce qu’illes pourront dire empechant la décision sera ignorer. Un peu comme pour l’aéroport, et son « enquête publique ». Mais ça se retrouve dans d’autres décisions, comme celle du Grand Projet pour la Ville qui détruit des quartiers que les médias appeleraient « banlieues » comme Malakoff, les Dervallières, en faisant des réunions publiques où la parole des concernées n’a finalement pas grande utilité…
    La démocratie directe, c’est un vieux principe où c’est la base qui prend les décisions qui la concerne, qui les fait remonter par mandatement précis et révocable si il le faut, et qui s’organise de cette façon avec d’autres bases.

  4. Pas besoin d’être conspirationniste pour imaginer que face à de tels intérêts certaines personnes soient prêtes à de telles pratiques pour discréditer un mouvement. On voit ce qui se passe pour de simples interviews d’homme politique sur le terrain, avec la collaboration inavouée d’adhérents du parti. Mais bon, rien non plus dans ce sens. Des voyous lors d’une manifestation ? Ca alors, on n’y est pas habitué ! Il y a quasiment toujours des casseurs au sein des manifs, quelle que soit la cause défendue. Pourquoi pas là, monsieur Jollivet ? Cela en dit long sur le journalisme. Journaliste d’investigation devrait être un pléonasme, c’est un discriminant. Jérôme Jollivet n’en est sans doute pas un, en tout cas pas sur cet article.
    J’ai fait un tour sur Gogol Earth, il est vrai que le coin semble bien sympa, avec un maillage bocager apparemment pas mal préservé…

  5. La lecture de l’article de Presse Océan du 8 août dernier montre bien que les jeunes présents à Notre-Dame -des- Landes avaient de bonnes raisons de se montrer « intolérants avec la presse ». Mais est-il bien nécessaire d’être journaliste pour écrire de semblables articles ?
    « Criminaliser le mouvement naissant pour mieux l’écraser ». Il faut se souvenir, car ce n’est pas si ancien, que les attentats du 11 septembre 2001 ont fourni, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, l’occasion de voter des lois qui restreignent considérablement les libertés privées et publiques. En France, sous le gouvernement Jospin, la loi relative à la sécurité quotidienne de novembre 2001 a été promulguée dans une indifférence quasi-générale; depuis lors, pas une année ne s’est passée sans que des lois sécuritaires n’aient été votées (loi Perben 1, loi Perben 2 ….) sans susciter beaucoup plus de réactions. Leur objectif inavoué, mais bien réel : empêcher l’expression de toute contestation et la criminaliser si nécessaire. C’est exactement ce qui est en train de se produire pour le projet de construction de l’aéroport de Notre-Dame -des-Landes.

  6. @Bruno. Le PS fait aussi bien que l’UMP. Voir la scène où Besancenot est piégé par un adhérant du PS sous les yeux d’un membre du parti fort réjoui…

    @René. Bien d’accord !

  7. Bonjour à tous,
    Je viens de recevoir cette invitation par mail:

    Pour préparer la rentrée sociale (et autre…), à l’initiative de gens de SUD-Hôpital, un stage de formation à l’action directe non violente se déroulera à Bordeaux le week-end des 5-6 septembre.

    Il est à prix libre pour les petits et sans revenus, et 40-50 euros pour les autres. Un hébergement est possible sur place.

    Inscriptions sur manifesteAROBASEdesobeir.net

    Faîtes tourner l’info, il y a encore plein de places !

    http://www.desobeir.net/
    _________________________________________________
    les désobéissants organisent un stage par mois,ils passent dans toutes les régions de France.
    Plus nous seront formés à ces techniques, plus nous seront une force pour résister à des projets tels que cet aéroport.N’hésitez pas à aller voir leur site.

  8. « la rentrée sociale », ça me fait bien marrer.

    La planète se meure tous les jours, mais pendant les vacances, les « bourgeois » ou les « prolos » se la coulent douce sur la plage et quand ils rentrent de vacances, c’est l’heure de « la rentrés sociale » parce que y’a plus d’argent dans le porte-monnaie?

  9. D’un côté on fait tout pour donner une image négative de ceux qui tentent de résister au rouleau compresseur et à la bétonneuse, et de l’autre on laisse les vrais délinquants faire du « greenwashing ». Je suis tombé sur un exemple démentiel : la groupe Vinci a inventé l’éco-autoroute !!! Sur l’affiche officielle, on n’y voit aucune voiture, mais uniquement des vélo, des gens en roller et pied !
    Voir le site officiel :
    http://www.arcour-a19.com/
    Et le commentaire de Karl sur Carfree France :
    http://carfree.free.fr/index.php/2009/06/23/eco-autoroute-a19-greenwashing-a-tous-les-etages/#more-3484
    Comment une communication comme celle-là peut-elle être légale ?

  10. « La lecture de l’article de Presse Océan du 8 août dernier montre bien que les jeunes présents à Notre-Dame -des- Landes avaient de bonnes raisons de se montrer « intolérants avec la presse ». » (René)
    Ce n’est pas parce que des journalistes écrivent parfois n’importe quoi, parfois même des éléments très précis de désinformation, que l’on doit voir fleurir les bonnes vieilles pratiques inaugurales de toutes les dictatures. Ainsi, on s’associerait encore une fois aux campagnes de Reporters sans frontières pour dénoncer les dictatures où « la presse n’est pas libre » mais on mesurerait l’espace à cette même presse dès lors qu’elle déplairait un peu à deux pas de chez nous. Mauvais début pour une société qui s’invente.

  11. François « Mauvais début pour une société qui s’invente » croyez-vous qu’on la laissera tranquillement s’inventer jusqu’au bout?..la dure limite des intérêts en place est partout, et on s’y cogne, on s’y use, obligés de déployer des ruses de sioux pour faire passer un peu de bon sens et de justice et de beauté, en période de guerre, pardon pour ce mot, mais il y a de çà dans l’air, mêm si c’est une drôle de.. tout cela est très stratégique, on ne peut pas se permettre de laisser dire n’importe quoi par le premier je m’enfoutiste, ou ignorant voire, malveillant venu, ; et je ne crois pas que ce réflexe soit du même ordre que les embedded américains en Irak.de toute façon les journaux ont souvent joué de drôles de jeux! en 1914 ils racontaient que les fusils « boches » tuaient plus que les français ou ;l’inverse me souviens pas, mais enfin une énormité de ce genre…eh bien voilà tout cela continue, comme avant, comme tout le temps.

  12. à françois.
    fabrice débute son article en parlant de bataille frontale. la presse quotidienne régionale fait partie des adversaires dont il faut se méfier comme le prouve la suite du texte.
    cette presse n’est de toute façon ni libre ni neutre donc il est nécessaire pour tout mouvement social de bien définir les relations qu’il va entretenir avec elle, voir de refuser tout contact.
    d’autres canaux d’informations sont disponibles comme ce blog et bien d’autres,ainsi que quelques journaux « alternatifs »… je ne vois donc pas en quoi cela serait une atteinte à la liberté de la presse, faut pas pousser quand même!!

  13. A Alain
    Entièrement d’accord !

    A François,
    Je ne pensais pas m’attaquer à la liberté de la presse en écrivant « que les jeunes présents à Notre-Dame- des-Landes avaient de bonnes raisons de se montrer intolérants avec la presse » et je ne retire rien à ce que j’ai dit. Et pour moi, il n’y a pas que la presse régionale qui ne soit « ni libre, ni neutre », comme l’affirme stéph 77. Il suffit de se souvenir comment la presse nationale audiovisuelle et écrite a traité l’opération policière menée à Tarnac en novembre dernier, le quotidien « Libération », pour ne parler que de lui, titrant « L’ultra-gauche déraille », se rappeler comment elle a parlé de Sud-Rail après la fermeture de la gare Saint-Lazare le 12 janvier de cette année ( Sud, le nouvel ennemi public, selon « Le journal du dimanche » du 18 janvier ). Je ne parlerai pas des « usagers pris en otage », lors de chaque grève, ou de ces « privilégiés » que sont les fonctionnaires. Il est tout de même remarquable qu’en cas de grève, de conflit ou de contestation sociale, d’occupation d’usine , la presse, dans sa grande majorité, se trouve, comme on dit, « du bon côté du manche ». Enfin, écologistes et partisans d’une remise en cause du système économique sont (mais un peu moins maintenant) tournés en ridicule: « Vous voulez en revenir à la bougie ? » ou « Souhaitez-vous vivre dans des grottes? »
    Il semble donc qu’il ne s’agit pas seulement « de journalistes qui écrivent parfois n’importe quoi », mais bien de gens qui servent en conscience ou non une idéologie et un système. En conséquence, comment s’étonner si, à certains moments ou dans certaines circonstances, on ne les accueille pas à bras ouverts ?
    Pour terminer, peu de risques que je m’associe à une campagne de « Reporters sans frontières », association financée partiellement et indirectement par la C.I.A. ( Cf. le livre de Maxime Vivas « La face cachée de Reporters sans frontières » ).

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