Sébastien Genest a-t-il un rapport avec le Liberia ? (Acte 1)

Les forêts tropicales, c’est loin, n’est-ce pas ? Elles brûlent, on les découpe en rondelles, on en fait des allumettes ou des porte-fenêtres ou des pistes de danse. C’est loin. Et du même coup, comme il est facile de s’indigner ! Haro sur ces vilains et méchants qui font tant de mal à la biodiversité ! Tiens, je vais faire un communiqué de protestation qui ira se perdre dans le cyberespace, autre nom du trou du cul du monde.

Je vous raconte cela pour la raison que les écologistes de salon me rendent malade. À de rares exceptions près, rien n’est jamais tenté en France contre les entreprises qui importent chez nous du teck, de l’acajou, du movingui, de l’ipé. Vous voulez en acheter sur le net ? Voyez donc cette toute petite boîte bolivienne qui exploite 175 espèces d’arbres (ici). Je serais étonné que vous ne trouviez pas ce que vous cherchez. Et ces prix ! Cessons de rire tout de même : la société française, par indifférence, intérêt, plaisir, est massivement complice de la destruction des forêts lointaines. Un jour prochain, les larmes de crocodile ennoieront le monde entier, mais ce sera trop tard. L’évidence du crime planétaire s’impose de jour en jour.

Venons-en à celui qui doit se prendre pour une tête de Turc. Ma tête de Turc à moi. J’ai nommé Sébastien Genest, que j’ai secoué comme un prunier il y a quelques mois (ici). Sébastien Genest est le président en titre de France Nature Environnement (FNE), qui assure regrouper 3 000 associations locales et régionales de protection de la nature en France. Je n’ai pas vérifié, mais FNE est sans conteste le poids lourds de ce milieu associatif. Il ne le croira pas, mais je n’ai rien de personnel contre lui. Je ne le connais pas. Et ceux qui le fréquentent et m’en parlent lui trouvent des qualités. Le problème n’est donc pas personnel, il est beaucoup plus grave.

Exceptionnellement, ce papier sera découpé en deux parties. Non par goût du suspense – encore que -, mais parce que les choses sont un peu compliquées pour tout avaler d’une seule bouchée. Si tout se passe bien, la seconde viendra demain. Mais voici la première, qui concerne un pays africain nommé Liberia. Comme Liberté. Des anciens esclaves noirs revenus des États-Unis ont fondé en Afrique de l’Ouest, en 1847, une petite république indépendante. Il y aurait à dire. Quoi qu’il en soit, entre 1989 et 2003, une guerre civile d’une rare sauvagerie a tué là-bas 150 000 personnes, essentiellement civiles. Le Liberia a été le pays des enfants-soldats, comme la Sierra Leone voisine, entraînée elle aussi dans une guerre civile atroce, intimement liée à la première.

La forêt tropicale a joué un rôle essentiel de refuge pour les combattants, leurs machettes, leurs fusils d’assaut. Mais aussi de moyen de financement clé, par le biais d’une surexploitation folle d’un écosystème d’une rare richesse. Le Liberia abrite aujourd’hui encore le désormais si rare hippopotame pygmée et l’une des dernières populations d’éléphants des forêts en Afrique de l’Ouest. Massivement aidé après la fin de la guerre civile par des fonds internationaux, le Liberia avait entrepris une mise à plat de son système d’exploitation forestière, et les plus confiants imaginaient déjà que ce pays martyr deviendrait un exemple international de bonne gestion. Raté.

Oh oui, raté ! L’ONG Global Witness (ici) rapporte des cas de pillage des ressources naturelles, partout dans le monde. Il y à faire. Or, le 15 juillet dernier (ici), elle dénonçait la décision du Liberia d’accorder « to timber pirates » – à des pirates du bois –  des permis d’exploitation portant sur 25 ans. Global Witness vise deux entreprises servant de prête-noms à la Samling, cette transnationale dont le nom même effraie d’un bout à l’autre de la terre. Citation de Natalie Ashworth, de Global Witness :« Étant donné le rôle de combustible de la guerre civile au Liberia qu’a pu jouer l’industrie du bois, donner cette dernière à des entreprises parmi les plus prédatrices au monde pourrait se révéler désastreux. Samling est le genre d’opérateur qui ne devrait être autorisé nulle part près des forêts du Liberia. Encore moins en lui offrant leur contrôle pour des décennies ».

Je résume : Samling, transnationale, est dénoncée par des peuples forestiers du monde entier. À cause des destructions irréparables auxquelles elle se livre. À cause des innombrables violations des droits de l’homme que sa présence implique. Mais. Mais la Samling vend tout de même son bois dans le monde entier, sans apparemment rencontrer le moindre problème. Y a quelque chose qui cloche là-dedans, j’y retourne immédiatement. À demain, si vous le voulez bien.

25 réflexions sur « Sébastien Genest a-t-il un rapport avec le Liberia ? (Acte 1) »

  1. le probleme c’est que tout le monde le sait. mon bo(bo) frere qui est ingénieur travaux,me dit qu’ils utilisent du bois tropical pour les fenetres ,portes etc…a mini prix.Le probleme c’est que l’addition sera tellement salé que l’on pourra méditer ce proverbe indien:Quand le dernier arbre sera abbatut,le derniers animal tuer,l’homme blanc s’appercevras que l’argent ne se mange pas.Nous soustraire a nos responsabilité voila ce qu’on sait faire.

  2. J’ai croisé il n’y a pas longtemps un c… Qui m’expliquait que cela ne servait à rien de parainer des enfants africains, car ils devenaient des « bêtes sauvages » armés de « kalachnikov »…Je lui ais répondu aimablement que sa terrasse en tek avait surement armé quelques gamins…Il m’a regardé avec un regard d’incompréhension; comme quand je dis que je ne veux plus de voitures!

    Merci Fabrice de m’éclairer sur le fait que je ne dis pas trop de bêtises! ^^

  3. « La société française, par indifférence, intérêt, plaisir, est massivement complice de la destruction des forêts lointaines. » Sans doute, mais par ignorance aussi. Suite à ce billet, je me suis un peu documenté et j’ai appris avec stupéfaction que 39 % des bois tropicaux importés en France seraient d’origine illégale (l’ensemble de l’Europe n’étant d’ailleurs pas en reste). Mais bien pire, au cours du printemps passé, le gouvernement français s’est opposé à un renforcement des contrôles concernant ce type d’importations. Voir lien ci-après : http://www.vedura.fr/actualite/5348-bois-illegal-france-oppose-renforcement-controles.
    Et sans vouloir me faire l’avocat du diable, le quidam acheteur d’un mobilier de jardin en tek peut-il avoir conscience qu’il participe, par son achat, à la destruction de la forêt tropicale ? C’est beaucoup demander, me semble-t-il, au commun des mortels.

  4. Moi ce qui m’interpelle, c’est comment le quidam aujourd’hui peut ignorer qu’il participe à la déforestation en achetant son salon en teck alors que depuis plusieurs années des assos nationales comme Greenpeace (je me souviens de leur campagne contre lapeyre), les Amis de la Terre, entre autres diffusent sur le sujet, et même Yann Arthus Bertrand en a déjà parlé dans son émission Tv la Terre vue du ciel à plusieurs reprises (si c’est pas de l’info-matraquage, hein…). J’en conclue donc moi aussi que « La société française, par indifférence, intérêt, plaisir, est massivement complice de la destruction des forêts lointaines. »

  5. Effectivement, le commun des mortels n’est qu’un animal à 2 pattes, dans l’incapacité de se poser des questions, ou de tenter de se renseigner sur l’origine de ce qu’il achète (par ex); c’est bien sur ce point d’achoppement-là que tout le reste peut prospérer: «Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire.»
    [ Albert Einstein ]

    Voici une délicieuse phrase du même:
    «Le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mis dans les mains d’un psychopathe.»

  6. Les enfants, tout cela va changer, cessez de vous inquiéter, allons… ! notre président est enfin devenu écologiste…, aujourd’hui même ! vous n’avez pas entendu son discours ?
    absolument sidérant !

  7. A quoi bon montrer du doigt les « méchants » constructeurs de bagnoles, ou les vilains vendeurs de bois tropical.

    Ceux-ci ne font que répondre à la demande du consommateur.

    Ce sont les gamins et ados qu’il faut avertir et préparer au changement climatique qui va les affecter pour des décennies. Il faut commencer à les détourner de tous ces gadgets issus du monde de la mode et des tendances, qui commence par le dernier mobile flashy en passant par les tongs très tendance pour finir par les jeux video qui les abrutissent. Il est là le vrai combat pour la sauvegarde de notre planète, et par uniquement en montrant du doigt les habiles créateurs de l’inutile et de l’éphémère.

  8. @hifi

    Mais bien-sûr ! les 800 000 000$ de budget mondial de publicité (neuro-marketing) n’y sont pour rien, l’obsolescence programmée dans les techno-gadgets allant croissant pas plus !, les 3h30 d’abrutissoir de masse (tv) quotidiens non plus…

    Pour notre génération c’est foutu! Inutile de faire quoi que ce soit ; c’est aux ch’tites n’enfants de porter le poids des conneries de notre société de croissance et d’avoir leur enfance pourrie par cette vision apocalyptique afin que nous on puisse continuer à se gaver en étant totalement déresponsabilisé et en les instrumentalisant !

    A ce sujet, le dernier journal la décroissance : « Laissez les enfants tranquilles » est pertinent :
    http://www.ladecroissance.net/images/journal62_gd.jpg

  9. @ hifi,
    Il faut aussi arrêter de dire que l’ industrie ou l’agriculture répondent « à la demande du consommateur ».
    Cela fait des années que l’on entend cette phrase partout.C’est du bourrage de crâne.
    Le consommateur achète ce qu’il trouve dans les magasins.Point.
    Tout est fait via les diverses stratégies marketing, pour que le consommateur consomme toujours plus, pour exciter son désir d ‘acheter .
    Le consommateur non-averti, ou ayant besoin de remplir un manque,ou obnubilé par sa télé, ou que sais-je ?, est juste le dindon de la farce.

  10. Exactement, Marieline. On a créé des besoins qui n’existaient pas. Et on fait croire que c’est nous les salauds. Seulement décérébrés (mais peut-être moins qu’avant…)

  11. Erratum :
    Le budget mondial de la publicité est 800 milliards et non 800 millions. (j’ai oublié trois zéros dans mon message plus haut)

    Désolé 🙂

  12. Sylviane, si je puis me permettre :

    La publicité cible d’abord les enfants, qui représentent un capital à conditionner le plus tôt possible…

  13. @lionel

    C’est quoi « pourrir leur enfance » ?

    Leur enlever leur portable à la con pour s’envoyer leurs images à la con et jouer pendant des heures sur des consoles à la con .

    C’est ça leur enfance, ou l’enfance que vous leur souhaitez ?

  14. @ Marieline

    « ….Le consommateur achète ce qu’il trouve dans les magasins.Point. »

    J’ai rêvé quand au moment des fêtes de Noël des milliers dee gens faisaient la queue devant les grilles des magasins pour acheter la dernière console ou le dernier I-Phone ???

    C’est bien le consommateur qui en demande, non ?

  15. Bien sûr, mais les besoins on les a créés. On vivait aussi bien avant l’ère du téléphone portable.
    Bon, c’est vrai qu’internet c’est bien aussi 😉

  16. Ce n’est pas parce que c’est en rayon, qu’on est obligé d’acheter. Inutile de se chamailler, on est tous responsables, de celui qui agite la carotte à celui qui se jette dessus sans réfléchir.

  17. Chaperon rouge, on ne se chamaille pas, on discute !

    @ Hifi, tout est affaire de conditionnement du consommateur par la publicité et les médias.
    Combien de télés, de radios, d’affiches ont annoncé préalablement la sortie de ces gadgets, ont excité le désir d’achat ??
    Il y a 20 ans(ou 30, ou 40 ) , quand vous étiez enfant , aviez vous rêvé d’une console, ou d’un
    i-phone , aviez vous même conçu que cela puisse exister ? en aviez vous le besoin ? je suppose que non…

  18. Pour poursuivre sur le thème de la télé, de la consommation, et de la responsabilité des spectateurs j’ai trouvé un article très intéressant sur le site arsindustrialis.org. Je vous mets un extrait:

    On pourra s’étonner de cette absentation (elle était prévisible) ou s’en lamenter (c’est un peu tard) mais non pas faire comme s’il ne s’était rien passé. Plus d’un électeur sur deux ne s’est pas déplacé, le fait est là. Je laisserai aux politologues le soin de faire l’analyse détaillée de ce qu’il faut bien appeler, après Freud, un malaise dans la civilisation, cependant je tenterai une remarque : le désengagement des citoyens est à la mesure de leur perte de participation dans leurs vies mêmes, perte de participation qui est un des effets dévastateurs du modèle consumériste (entendons par là d’un modèle dans lequel ce n’est pas la demande qui déclenche l’offre mais bien l’inverse) dans lequel nous nous débattons depuis quelques décennies. B. Stiegler et Ars Industrialis l’ont bien montré, après avoir prolétarisé le travailleur le système hyper-consumériste a prolétarisé également le consommateur en lui retirant ses savoir-vivre comme faire soi-même la cuisine, s’orienter sans GPS, recoudre un bouton, etc. Nous devenons des presse-boutons pressés, des agités de la zapette perdus dans un environnement hyper-informatisé qui nous échappe et nous submerge. N’oublions jamais que la télécommande doit d’abord se lire comme la télé commande. A qui commande-t-elle ? Patrick le Lay, ex-PDG de TF1 a jadis répondu dans une élan de sincérité aussi étrange que subit (on pourrait appeler cela le retour du refoulé mais peut-être ou sans doute, était-ce plutôt un bref accès d’hubris) la télé commande à notre cerveau ou plutôt à ce qu’il en reste, pour pouvoir en découper des tranches de « temps disponible  » et les vendre sans vergogne au marketing. Une sorte de time-share de la psyché, chaque annonceur louant qui, trente secondes, qui, deux minutes, de cet espace de plus en plus désaffecté, au sens premier du mot (privé d’affect), qu’est devenu notre for intérieur. Nos consciences ont été peu à peu transformées en friches industrielles, et l’histoire de la pensée est devenue une Loft-Story où quelques désirs factices et pré-fabriqués s’ébattent mollement dans un loft déshumanisé. Une perte de sens généralisée et radicale s’ensuit, et la politique n’étant finalement que l’art de donner du sens à nos vies prises collectivement en tant que faisant société ensemble, elle est la première victime collatérale du pouvoir illimité qu’elle a elle-même laissé au marketing…

  19. Si E. Todd emploie correctement la négation (la négation de la proposition A est non(A) et non pas -A), ça se défend, surtout si derrière il est précisé qu’elle n’est pas mauvaise non plus. Mais vu les idées qui macèrent dans les crânes de nos « intellectuels », je ne pense pas que c’est ainsi qu’il fallait l’entendre. Je pense que tu confirmes, Marie ?

  20. En effet, le tout est de savoir ce qu’on entend par « nature »… La maladie, c’est naturel et pourtant rarement vécu comme étant bon…

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