Fâché avec Robin des Bois

Avant de vous expliquer cette malheureuse histoire avec Robin des Bois, laissez-moi vous dire deux mots d’Annie. Annie Thébaud-Mony. J’ai le privilège de connaître cette chercheuse de l’Inserm, infatigable combattante des droits humains. Elle a écrit récemment un livre remarqué, Travailler peut nuire gravement à votre santé (La Découverte).

Depuis des lustres, elle se bat pour le droit des travailleurs à vivre sans être constamment menacés. Cela l’a menée loin. Sur le front international de la grande bagarre contre l’amiante, par exemple. Mais aussi, bien plus près de nous, en Seine-Saint-Denis, où elle tente de faire émerger la vérité (volontairement) engloutie des cancers professionnels.

Bref, Annie est une brave. Elle m’envoie hier, ainsi qu’à d’autres, un communiqué signé par une coalition internationale, Platform on Shipbreaking. Des associations du monde entier ont uni leurs forces pour poser un problème jusqu’ici dédaigné : celui du démantèlement de nos vieux navires, gravement pollués pour la plupart.

Vous vous souvenez de l’histoire affligeante du Clemenceau, faisant des ronds dans l’eau avant de revenir, la queue basse, à Brest. Un petit miracle s’était produit : sous la pression première d’une minuscule ONG à laquelle appartient Annie, Ban Asbestos (Interdire l’amiante !), la France avait dû renoncer à livrer le vieux porte-avions bourré d’amiante à des chantiers navals de démolition en Inde. Greenpeace ayant embrayé, et l’histoire étant devenue mondiale, le gouvernement français s’était totalement ridiculisé.

Bref. Platform on Shipbreaking publie donc un nouveau communiqué, que m’envoie Annie. Lequel dénonce le démantèlement, sur les plages d’Alang, en Inde à nouveau, du paquebot Blue Lady, l’ancien France. Extrait du texte :  » L’autorisation d’échouer le bateau a été donnée sur la base d’une vague inspection visuelle du navire, inspection menée par un comité technique issu des mêmes agences qui sont accusées de violer la loi concernant le démantèlement des navires. Aucun échantillonnage des polychloropyphényls n’a été fait alors qu’ils sont présents en quantité importante dans ce type de navires. Le comité n’a pas remarqué la présence de 5 500 points de détection des incendies contenant des substances radioactives. Plus de mille tonnes de matériaux contenant de l’amiante, recensées antérieurement, ont été considérées comme quantité négligeable, ceci en dépit du fait qu’une étude réalisée en 2006 à la demande de la Cour suprême indienne montre que 16% des travailleurs d’Alang présentent des signes d’asbestose, et suggère la survenue ultérieure probable de cancer chez les travailleurs exposés ».

Voilà. Et Robin des Bois, là-dedans ? Il s’agit d’un groupe écologiste créé en France par Jacky Bonnemains, Katia et Marlène Kanas en 1985. Jacky est resté seul à bord. C’est un homme de grand talent, que je connais depuis près de vingt ans, et que j’ai souvent défendu contre les critiques. Je n’ai pas le temps de détailler ici pourquoi. Souvent, je dois tout de même le dire, à cause de complaisances supposées – que j’ai contestées publiquement – avec des industriels ou des institutions, dans le nucléaire par exemple.

Je pensais, je pense toujours que Jacky est un homme intègre, qui a rendu d’innombrables services à la cause écologiste. Et pourtant, je suis fâché avec lui. Pour longtemps, je le crains. Pourquoi ? Mais parce que j’ai osé lui adresser, au moment du Clemenceau, un petit mot de protestation. Ferme, je dois dire. Jacky soutenait en effet la position de la Marine nationale, défendait même la réputation de celle-ci, prétendant contre toute évidence que les conditions d’un démantèlement correct du Clem’ étaient réunies en Inde.

Or, je savais, et il ne le contestait d’ailleurs pas, qu’il ne s’était pas rendu en Inde pour juger de l’état des « chantiers » locaux de démantèlement. Pour soutenir, sur ce dossier, l’armée, il lui avait suffi de photographies ! Alors non. Alors non. Je me suis fâché, nous nous sommes fâchés. Et cette amitié sincère de près de vingt ans a sombré dans un trou noir. Un de de plus.

Je vais vous dire, et ce n’est pas un mystère. Un écologiste qui oublie la misère humaine, qui se rend aveugle à la domination, à l’exploitation, aux désastres réels du monde réel, ne saurait être à mes yeux un écologiste. C’est une position, n’est-ce pas ? Elle est évidemment discutable. Mais c’est la mienne. Et voilà pourquoi je salue et embrasse Annie Thébaud-Mony. Et voilà pourquoi je suis fâché avec Robin des Bois.

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