Le gang des saucissonneurs

Cela faisait longtemps, au moins quelques jours. Eh oui, nouveau service consacé au Grenelle de l’environnement (1). Je le (re)dis, il s ‘agit d’un rendez-vous organisé par Sa Seigneurie Sarkozy, fin octobre, à Paris. Six groupes de travail, qui comprennent nombre d’ONG écologistes, mais aussi des industriels, et des lobbyistes, doivent rendre leur copie à cette date. Et lancer en France une « révolution écologique » aussi vague qu’improbable.

Bon, j’en ai déjà dit bien du mal. Pour ne pas perdre le rythme, je continue. Hier, je déjeunai avec une amie, et tombai bien d’accord avec elle. Le Grenelle, quelle régression de la pensée ! Et voici pourquoi en quelques mots. L’écologie scientifique, c’est la complexité. Qui oblige à l’intégration d’une telle multitude de données, avec boucles de rétroactions, que l’esprit humain ne parvient jamais qu’à l’approximation. Vous me direz que ce n’est déjà pas si mal, et je tomberai aisément d’accord avec vous.

N’empêche. Approximation. Comment décrire un écosystème ? Avec quels concepts, avec quels mots, par l’art de quelles connaissances ? Mystère. Ceux qui prétendent y être parvenus sont à mes yeux des naïfs. Ou d’extraordinaires vantards. Un peu des deux, peut-être. Quel scientifique saurait réellement dire ce qu’est une forêt tropicale ? Ou les relations entre les courants marins, le réchauffement global, le krill, les tsunamis, la mort de la morue, le sort des baleines à bosse ? Oui, qui ?

Néanmoins, les (vrais) écologistes ont su créer des outils. Et, mieux, des visions. J’ai en tête par exemple la carte fabuleuse créée par mon ami Roberto Epple, un Suisse allemand. L’Europe y figure sous la forme de bassins versants des fleuves. Les pays ayant disparu, on découvre, stupéfait, saisi, que l’Europe, c’est l’Elbe, le Danube, la Loire, la Volga, le Rhin. Et d’un coup, tout change. Tout s’éclaire.

Des concepts sont nés au fil des décennies, qui nous seront bien utiles dans cet avenir si menaçant. Il faut, bien entendu, concevoir les problèmes dans leur globalité. L’eau, par exemple, douce et salée. Donc, le bassin versant d’un fleuve, ensemble cohérent. Ou les sols. Ou la pollution chimique, de quelque manière qu’elle se répande. Ou la forêt, de quelque manière qu’on s’en occupe.

Est-ce le cas au Grenelle de l’Environnement ? Non, vous imaginez bien. À vieille pensée, vieux découpage. Je vais vous dire : je ne crois même pas que les lobbies soient derrière cette opération. Ce n’en est pas une, d’ailleurs. Elle exprime seulement l’insondable ignorance de la presque totalité de la société française. Le point de vue y est segmenté, compartimenté, chacun plaide pour telle micro-mesure, tel misérable engagement, tel obscur dossier. La vie, la vie réelle du monde et des écosystèmes naturels qui le portent, y est saucissonnée. Découpée en tranches fines, pour que chaque convive puisse repartir avec quelque chose dans le ventre.

C’est ridicule. Et un peu honteux pour les écologistes qui siègent. Car ils ont déjà cédé sur l’essentiel. Les mots et ce qu’ils désignent. Ces mots si chèrement conquis en quarante années d’efforts. Ces mots qui sont notre richesse commune, notre vraie grande richesse. Voyez-vous, on peut à bon droit parler d’une défaite culturelle de première ampleur. Ceux qui ne savent rien ont imposé leur vocabulaire, qui est inepte. Parmi les six commissions du Grenelle, je retiens ces intitulés : « Promouvoir des modes de développement écologiques favorables à la compétitivité et à l’emploi », « Construire une démocratie écologique : Institutions et gouvernance », « Construire un environnement respectueux de la santé », « Préserver la biodiversité et les ressources naturelles ». Vous irez regarder les autres sur le site indiqué en bas.

Que vous dire ? Ce n’est pas de l’écologie. C’est de la langue de bois, supposée réunir tout le monde le temps d’une danse publique et de quelques discours. Où est le groupe : « Comment sauver les eaux de France ? ». Je ne cite cet exemple que pour me faire comprendre. Où est-il ? Nulle part. La question n’étant pas posée, elle ne sera pas réglée. Grenelle, défaite des mots et de la pensée. Et du même coup, triomphe annoncé du peinturlurage. En vert. Hélas.

Nota bene :  le titre de cet article est une vacherie. Il ne faut pas m’en vouloir, enfin pas trop. Les saucissonneurs donnent du fil à retordre, depuis une dizaine d’années, à notre vénérée police nationale. Ces voyous, très soudés entre eux depuis des décennies – ils viennent souvent des mêmes cités -, repèrent leurs victimes soigneusement. Parfois en allant lire, gratuitement, dans les bibliothèques publiques, le Who’who, livre qui donne des milliers d’adresses de célébrités grandes et petites. Les voleurs entrent ensuite, saucissonnent leurs victimes – d’où leur nom -, et les pillent consciencieusement. Voilà. Dieu me pardonne !

(1) www.legrenelle-environnement.gouv.fr/

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