Un dernier pour la route (sur Orsenna)

Sauf coup de théâtre, j’abandonne lâchement Orsenna au bord de la route, et je trace. Il ne faut pas croire, j’ai quand même mieux à faire. Mais notre académicien est comme ces industriels qui accumulent les jetons de présence dans les conseils d’administration. Orsenna, mais oui, est un cumulard. Je découvre qu’il a des liens solides avec l’univers si merveilleux des biocarburants. Vous voyez quoi, je pense. Il s’agit d’utiliser des matières végétales alimentaires et de les changer en carburant automobile. Dans un monde qui compte plus d’un milliard d’affamés chroniques, je crois pouvoir y distinguer une attitude violemment morale.

Le 2 juillet 2008, Proléa (ici) invitait – dignement, on l’espère – Érik Orsenna et une autre vedette de l’esprit – Jean-Hervé Lorenzi – à discuter biocarburants (ici). Devant la presse. Pour prendre de la hauteur, comme noté dans le communiqué de Proléa. Proléa, c’est très simplement le cœur de l’industrie des biocarburants en France. Rendant compte de cette réunion entre amis, bien entendu avec l’aval d’Orsenna, Proléa écrivait alors ceci, quelques mois après de nombreuses émeutes de la faim : « Les interventions des deux personnalités ont sans conteste permis de mesurer l’ampleur des crises qui se télescopent : alimentaire, climatique, environnementale et financière. Le poids des agrocarburants dans ce cadre paraît bien faible. Pratiquement un épiphénomène ».

Un épiphénomène décrit par les écologistes vrais, mais aussi l’ONU, la FAO, le FMI, la Banque Mondiale, l’OCDE comme crucial dans le déclenchement de la hausse du prix des aliments. Mais un épiphénomène pour Orsenna. Bon. Et rebelote d’ailleurs, car l’homme a de la suite dans les idées, le 15 octobre 2009, il y a seulement quelques jours, au cours d’un nouveau raout. Je vous livre le début du joyeux communiqué de Proléa diffusé pour l’occasion : « Il n’y a pas d’opposition entre cultures alimentaires et cultures de rente – qu’elles soient destinées à l’exportation ou à la production de biocarburants – ont répété les intervenants du colloque “Alimentation, énergie, climat : le choc des cultures”, organisé par Proléa en partenariat avec SciencesPo et AgroParisTech ».

Notre excellent, Notre Excellence Orsenna, grand expert en toutes choses, n’hésita pas, pour l’occasion, à déclarer :« S’il n’y avait pas de culture de coton en Afrique, il n’y aurait pas non plus d’élevage… Cette culture de rente est le seul moyen d’accumuler du capital pour investir dans le développement agricole ». On jugera, ceux qui savent un peu jugeront. J’ai assez parlé du désastre des biocarburants, de leur infamie concrète, récemment encore, pour aider qui le veut se faire un jugement informé, réellement informé sur le sujet.

Encore un mot sur Proléa et son art de la présentation. Tout est fait, dans la communication de ce vaste regroupement industriel, pour faire croire qu’on est entre Français. Occupés à touiller dans notre bonne grande bassine du colza ou du tournesol made in France. C’est pensé, on se doute. Ces gens, qui sont mondialisés comme peu d’autres, ont grand intérêt, en l’occurrence, à faire croire qu’ils n’ont rien à voir avec la débâcle planétaire des biocarburants. Pardi ! Alors, ils font semblant d’être de bons besogneux de chez nous, qui se contenteraient de valoriser des cultures qui ne trouvent pas preneurs dans un autre circuit de leur industrie.

Tartuffe pas mort ! Derrière les masques, dans la coulisse, Proléa est au centre de l’industrie du soja importé notamment d’Amérique latine. Par ailleurs, et pour ne prendre qu’un exemple, l’une de ses structures, Sofiprotéol, a acheté il y a quelques mois le groupe Oleon, lequel a mis en service au début de 2009 une usine de distillation de biocarburants à Port Klang, en Malaisie. La Malaisie, tiens donc, encore un beau pays comme les aime Orsenna. Survival International (ici), association dont je n’ose plus vanter les mérites, vient de rendre publique une vraie bonne nouvelle noyée dans toutes les autres.

Voici. Citation : « Le bureau britannique de vérification de la publicité, Advertising Standards, a interdit l’encart publicitaire placé par le Comité malaisien de l’industrie d’huile de palme. La publicité prétendait que l’huile de palme malaisienne était “durable” et contribuait à la “réduction de la pauvreté, en particulier parmi les populations rurales” ». Je le précise, car tout le monde ne le sait pas : les palmiers à huile sont désormais massivement utilisés pour fabriquer des biocarburants vendus au Nord. Et bien entendu, Oleon, qui fait partie de Proléa, l’ami d’Orsenna, Oleon utilise dans son usine malaisienne de l’huile de palme. Stephen Corry, directeur de Survival International : « L’idée que l’huile de palme malaisienne est écologique et contribue au bien-être de l’humanité ne passera pas, en particulier auprès des Penan. L’expansion de cette industrie sur leurs terres est un réel désastre ».

Mais Érik Orsenna, ami de l’eau et des barrages, ami des hommes et des biocarburants, nouveau prophète écologiste promu par une presse imbécile autant qu’ignorante, Érik Orsenna est grand. La preuve.

4 réflexions sur « Un dernier pour la route (sur Orsenna) »

  1. Claude Lévi-Strauss est mort. Il aurait eu 101 ans le 25 novembre prochain.
    Ca doit chauffer dans les rédactions! La mort du grand homme volant la vedette pendant quelques jours aux vingt ans de la chute du Mur de Berlin…
    Mais tirerons-nous un jour des enseignements de sa pensée, si rare, si précieuse? Rien n’est moins sûr.

  2. « Ce que d’abord vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité. » La mort de Lévi-Strauss chassera ici la vie de voyages d’Orsenna…

  3. J’avais toujours déploré en silence que ton livre ne s’intitule pas « La faim, la bagnole, le blé et nous – Une dénonciation des AGROcarburants ». Je ne resterai pas silencieuse cette fois quand je vois que sur ton blog tu ne les désignes pas comme il convient de nécrocarburant.

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