Comment bidonner le débat sur l’énergie ?

Cet article a été publié dans Charlie-Hebdo du 21 novembre 2012

Avant de vous laisser avec ce papier, un commentaire s’impose : vous ne trouverez la plupart des informations qu’il contient nulle part ailleurs. C’est un fait. Qui me fait réfléchir à cette rude question : qu’est donc une information utile ? Et par voie de conséquence : à quoi sert de déterrer des faits ? Notez que ce ne sont que des questions, pas des conclusions. Voici l’article :

Carton plein pour Delphine Batho, ministre de l’écologie. Pour organiser un débat sur l’énergie, elle prend quatre partisans du nucléaire et du pétrole, plus une anguille politicienne. Chapeau bas.

Vous ne connaissez pas Laurence Tubiana ? C’est un tort, les gars et les filles. Les socialos, à peine au pouvoir, avaient promis une grande discussion publique sur ce que les gens sérieux appellent la « transition énergétique ». C’est-à-dire le passage d’une économie menée par le charbon, le pétrole, le gaz et le nucléaire à une autre, encore dans les limbes, où domineraient les renouvelables, à commencer par le solaire et l’éolien. On appelle cela le « débat sur l’énergie ».

Ce que les socialos avaient oublié de dire, c’est que l’arnaque était au programme. Résumons : la ministre de l’Écologie, Delphine Batho, annonce le 10 novembre la composition d’un comité de pilotage comprenant cinq « personnalités ». Citons Anne Lauvergeon, ancienne patronne d’Areva, militante du nucléaire. Puis Pascal Colombani, ancien administrateur du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), militant du nucléaire. Enfin Bruno Rebelle, ancien de Greenpeace et remarquable anguille.

Rebelle a fait la campagne de Royal en 2007, puis tenté de torpiller en 2008 la candidature Voynet l’écolo à Montreuil, où il a figuré sur la liste municipale de Brard, ancien stalinien, tout en animant un microcourant interne au PS. Il faut suivre. Après avoir tenté de couler Voynet, il rejoint Europe Écologie (EELV) en juillet 2009, juste après le triomphe des écolos aux élections européennes. Un pur hasard, sûr. Mais début 2012, alors que se profile la victoire de Hollande, il retourne au PS. Quelle énergie, hein ?

Bon, et les deux autres ? Voyons le cas Tubiana.  C’est un monument du « développement durable », oxymoron bien connu. Madame Tubiana est de tous les comités Théodule, en France comme ailleurs, et elle est férocement de gauche, puisqu’elle a été conseillère de Jospin quand celui-ci était Premier ministre en 1997. Parmi tant d’autres breloques, elle est directrice de l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales), sorte de gros think tank associé à Sciences Po. Racontons à ce propos une belle histoire, qui se passe le 19 octobre 2007 à Paris.

Ce jour-là, l’Iddri invite pour une conférence celui qu’on appelle au Brésil le « roi du soja », Blairo Borges Maggi en personne. Sa boîte, Grupo André Maggi, est le plus grand producteur de soja dans le monde. Or quelques semaines auparavant, le journal Le Monde a mis en cause Maggi dans la déforestation massive de l’Amazonie, et l’heure a sonné d’une grande opération de « communication ». Grâce à l’Iddri. Précisons que le soja, transgénique en l’occurrence, était inconnu au Brésil vers 1970, et qu’il y occupe aujourd’hui des dizaines de millions d’hectares. Au détriment de la forêt ? Et des Indiens, et des petits paysans ? Devine. C’est ce philanthrope que madame Tubiana invite à faire sa pub à Paris, le 19 octobre 2007, sous les applaudissements de l’Iddri. Titre de la conférence :  « Production agricole, commerce et environnement, le cas de l’État du Mato Grosso ».

À ce stade, posons cette horrible question : qu’est donc l’Iddri ? Qui paie les raouts, les conférences, les billets d’avion ? Madame Tubiana elle-même ? Peut-être, ou pas. On trouve dans le collège des fondateurs les entreprises suivantes : EDF, EpE, GDF Suez, Lafarge, Saint-Gobain, Veolia Environnement. Et dans EpE, d’excellents garçons comme Bayer, BASF, Vinci, EADS, et même Total. Madame Tubiana est bien entourée, et peut noblement piloter le débat sur l’énergie, pas ? Reste le cinquième personnage du comité Batho. Lauvergeon, Colombani, Rebelle, Tubiana : qui est le dernier ? Eh bien, il se nomme Jean Jouzel, et il est climatologue.

Est-ce tout ? Non. Il siège au conseil d’administration de l’Iddri, en compagnie de Total – le pétrole -, EDF – le nucléaire – et GDF Suez – le gaz. Pour ne rien vous cacher, il est même président de l’Iddri que dirige madame Tubiana. Est-ce tout ? Non. Il a fait toute sa carrière scientifique au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Cette fois, on y est, le compte est bon.

Les blessés et tabassés de Manuel Valls (à Notre-Dame-des-Landes)

Marie Jarnoux, habitante de Notre-Dame-des-Landes et valeureuse refusante m’envoie un bien triste document qui éclaire le comportement des flics et des militaires sur place. Comme je n’arrive pas à reproduire, faute d’un savoir technique suffisant, le document lui-même, je vous le résume. Il s’agit d’un état des blessés rédigé le 26 novembre 2012 par madame Stéphanie Lévêque, médecin à Couëron, près de Notre-Dame-des-Landes. Cet état porte sur deux jours d’observation sur place, et signale :

——-Pour le samedi 24 novembre,  11 blessures par flash-ball, au thorax, à la joue, à la lèvre supérieure (avec probable lésion dentaire), aux doigts, à la cuisse, aux côtes (avec doute sur une possible fracture), au genou;

——-3 traumatismes de genoux;

——-2 traumatismes de poignets;

——-1 plaie tympanique;

——-1 personne choquée par les gaz

——-1 plaie au crâne suturée par 2 points;

——-1 plaie au crâne suturée par 15 points;

——-6 blessures par explosion de grenades assourdissantes, dont 3 impacts dans les cuisses de 3 personnes, 1 impact dans un avant-bras, 1 dans la malléole, 10 dans les jambes d’1 personne, 10 dans les jambes d’une autre, avec probable lésion du nerf sciatique, 1 impact dans l’aine d’1 personne avec suspicion d’un corps étranger près de l’artère fémorale

Ces blessures se sont accompagnées de débris en métal ou en plastique dur et coupant, d’une taille de 0,5 à 1cm de diamètre, profondément pénétrés dans les chairs, au risque de léser artères, nerfs ou organes vitaux. Tous n’ont pas été retirés. Certains blessés ont été retardés, sur la route de l’hôpital, par les barrages de police. Le médecin juge cette dernière attitude « inadmissible ».

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Blessés du dimanche 25 novembre

——–1 blessure par grenade assourdissante avec débris dans un doigt;

———1 fracture de cheville;

———1 blessure à la main;

———1 impact de flashball au thorax avec suspicion de fracture de côte et lésion pulmonaire.

Ce constat n’est qu’une faible partie de ce qui s’est passé pendant ces deux jours. Madame Lévêque rapporte ce qu’elle a vu personnellement. Environ 100 personnes ont été blessées par la police de M.Valls, dont je reparlerai bientôt. Il faut garder cela en mémoire.

François de Rugy le supplétif d’Ayrault (à Notre-Dame-des-Landes)

Je disais il y a peu ici, à propos bien sûr de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : « Dans cette hypothèse […] nous allons voir apparaître d’autres contre-feux, d’autres propos manipulateurs, d’autres pseudo-héros fatigués de la bagarre, appelant au calme et à la concertation ». Eh bien, cela n’a pas tardé, comme on va le voir si l’on est patient.

Je ne connais pas François de Rugy, et sans souhaiter vexer quiconque, il ne me presse pas de le rencontrer. Ce monsieur est jeune encore – il est né en 1973 – et il est déjà un solide apparatchik de la politique. Dès 1991, il rejoint Brice Lalonde dans la goûteuse comédie appelée Génération Écologie, largement téléguidée, comme tant d’autres petites aventures de l’époque, par Mitterrand lui-même. En 1997, sans doute pour une excellente raison, il entre aux Verts au moment où le PS s’empare de Matignon – Jospin – et distribue quelques miettes de pouvoir au parti de Dominique Voynet.

Dès 2001, il est conseiller municipal de Nantes, sous une mandature Ayrault – le Premier ministre n’a lâché son poste de maire de Nantes, gagné en 1989, qu’en mai 2012, au bout de 23 ans – et devient maire-adjoint chargé des transports et l’un des vice-présidents de la communauté urbaine Nantes-Métropole. Autorisons-nous un premier éclat de rire libérateur. De Rugy, écologiste officiel, a mené au nom de la ville de Nantes la politique des transports. Autrement dit, fatalement approuvé les orientations de Jean-Marc Ayrault dans ce domaine qui inclut, aux dernières nouvelles, le transport aérien, donc Notre-Dame-des-Landes.

En 2007, il est l’un des députés élus sous l’étiquette Verts, et il sera réélu en 2012. J’ajoute qu’il n’est nullement secret que de Rugy se voyait déjà ministre de Hollande. On peut lire dans Presse Océan du 28 mars 2012 ceci : « Lors d’un déjeuner avec des journalistes, le député Vert de Loire-Atlantique a estimé “qu’un certain nombre d’entre nous [ndlr les députés Verts] doivent être prêts à relever le défi : nous sommes quelques uns à […] pouvoir [devenir ministres]” a-t-il précisé soulignant qu’il connaissait bien François Hollande pour avoir siégé avec lui pendant cinq ans à la commission des Finances de l’Assemblée Nationale et qu’il l’avait soutenu dans les primaires socialistes ».

On se doute peut-être qu’un homme doté de telles ambitions n’est pas à l’aise avec la pègre anarchiste qui campe dans les arbres de Notre-Dame-des-Landes. Une phrase circule, qu’on retrouve jusque sur la page Wikipédia consacrée à François de Rugy (ici), et qui lui est attribuée. Je dois dire que je n’ai pas retrouvé la source, ce qui est fâcheux. Mais si François de Rugy ne l’a pas prononcée, il se fera un plaisir, je pense, de rectifier, ce que je ne manquerai pas de faire à mon tour. Cette phrase, la voici : « Les squats de maisons à NDDL ne servent pas la lutte des vrais opposants au projet d’aéroport que sont les agriculteurs, la population et les politiques ». Je dois dire que la phrase est pour le moins vraisemblable.

En tout cas, François de Rugy semble bien décidé à défendre son plan de carrière. Un ami – F.L, merci – me transmet un échange sur les listes internes d’Europe Écologie-Les Verts. Voici l’intervention de François de Rugy, qui signe en toute modestie, comme le défunt Franklin Delano Roosevelt, FDR. Vous n’êtes pas obligé de me croire, mais mon petit doigt me dit que FDR se verrait bien président. On en reparlera sans doute.

—–Message d’origine—–
De : construire-debats@googlegroups.com
[mailto:construire-debats@googlegroups.com] De la part de François DE RUGY
Envoyé : lundi 26 novembre 2012 18:05
À : Liste de discussion CETT
Objet : [Construire-debats] Tr: NDDL : ça avance… à tous petits pas…

Pour info
—- Envoyé avec BlackBerry® d’Orange —-

—–Original Message—–
From: « François DE RUGY » <[…]>
Date: Mon, 26 Nov 2012 16:55:23
To: Liste de discussion Pdl-échanges<pdl-echanges@listes.eelv.fr>
Reply-To: […]
Subject: NDDL : début de négociation… à tous petits pas…

Bonsoir,
Ci-dessous une dépêche de l’Agence France Presse qui semble indiquer que les opérations de police pourraient s’arrêter dans la lignée des communiqués d’ouverture et d’apaisement sortis samedi par le gouvernement. Cela reste évidemment à confirmer et cela se fait à tous petits pas, personne ne voulant perdre la face, ce qui est malheureusement logique. Une conférence de presse d’EELV est prévue ce mardi au niveau national : l’occasion d’enfoncer le clou ! On entr’aperçoit le bout du tunnel…
FDR

ND-des-Landes: l’Etat prêt à stopper les opérations de gendarmerie sous conditions

26/11/2012 17h11 – AÉROPORT-TRANPORT-ENVIRONNEMENT-GOUVERNEMENT-TRANSPORTS –
Monde (FRS) – AFP

NOTRE-DAME-DES-LANDES (France / Loire-Atlantique), 26 nov 2012 (AFP) – L’Etat est prêt à stopper les opérations de gendarmerie sur le site du futur aéroport controversé de Notre-Dame-des-Landes en échange d’un gel de toutes les nouvelles constructions illégales, a-t-on appris lundi auprès de la préfecture.

L’Etat propose « d’engager une discussion sur les bases suivantes », a indiqué la préfecture de Loire-Atlantique dans un communiqué : en échange du « gel de toutes les nouvelles constructions illégales sur la ZAD » (zone d’aménagement
différée réservée à l’aéroport), « la contrepartie serait de stopper les interventions de la gendarmerie sur site ».

axt-am/bar/df

© 1994-2012 Agence France-Presse

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Mon commentaire sera bref : François de Rugy sert les intérêts de ses amis socialistes au pouvoir. Il susurre, il suppute, il rêvasse que tout va s’arranger, ce qui l’arrangerait tant. Il me fait penser – il sera content, car on parle là d’un vrai président – à Giscard, annonçant à la France, les yeux dans les yeux, que la crise économique est finie. En 1974, en 1975, en 1976, en 1977, en 1978, en 1979, en 1980. Pour 1981, il était excusé.

Le dialogue au milieu des grenades (à Notre-Dame-des-Landes)

Bon, je ne suis pas devin, et d’ailleurs, cela ne me tenterait pas. Dans ces conditions, que penser de cette « Commission du dialogue » annoncée hier par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault ? Je ne suis pas devin, mais j’ai un avis. Dans le meilleur des cas, cette commission signifie qu’il y a au moins deux lignes au gouvernement. Celle d’Ayrault, purement misérable, qui pense régler la question de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes avec une série d’affrontements bien médiatisés, de manière à passer du vrai sujet à un autre, qui serait : êtes-vous pour la chienlit ? On connaît, pauvre petit bonhomme, on connaît par cœur. C’est l’habituelle attitude de tous les gouvernements dépassés. Et le tien l’est, aucun doute.

L’autre ligne pourrait être celle de Hollande, qui n’est tout de même pas con à ce point. Il a lu deux ou trois livres, il sait un tout petit peu son Histoire, et il se méfie. On sait quand commence un mouvement authentique, mais nul ne sait comment l’arrêter. Ni même si c’est possible. Hollande, qui est aussi politicien qu’Ayrault, mais un poil moins borné, aurait décidé une mesure conservatoire. Gagner du temps, six mois en l’occurrence, permettrait peut-être d’y voir un peu plus clair, et de décider en dehors des fumées lacrymogènes. Notez que ce n’est qu’hypothétique, et qu’à coup certain, Hollande est pour cette saloperie d’aéroport.

Je le disais plus haut : « dans le meilleur des cas ». Car dans le pire, nous assistons à une petite manœuvre visant à dérouter, diviser et finalement démobiliser notre mouvement. En effet, rien n’a bougé sur le fond. Mais on assiste déjà à une recomposition dans le camp certes fort hétérogène des opposants. Le parti dit écologiste a aussitôt offert un satisfecit au gouvernement des matraqueurs, osant même cette longue phrase d’anthologie : « EELV se félicite des signes favorables que le gouvernement a envoyé samedi sur le dossier de Notre-Dame-des-Landes. L’annonce par le Premier ministre de la création d’une commission du dialogue dès la semaine prochaine, répondant à la proposition d’EELV de mise en place d’une médiation, est en ce sens une excellente nouvelle ».

Je dois dire qu’ayant lu cette foutaise, j’y ai vu une calamiteuse tentative de prendre ses désirs pour des réalités. Et à ce stade, le désir à peine dissimulé des écolos de service semble bien être : passons aux choses sérieuses, préparons les prochaines élections, défendons nos postes. Dans cette hypothèse, que je tiens pour l’heure comme la plus vraisemblable, nous allons voir apparaître d’autres contre-feux, d’autres propos manipulateurs, d’autres pseudo-héros fatigués de la bagarre, appelant au calme et à la concertation. Pour ce qui me concerne, je ne pense qu’une chose : on ne lâche rien. Et l’on n’accorde aucune confiance aux socialistes.

Opération militaire à Notre-Dame-des-Landes (suite)

Les soudards sont à l’œuvre. Les militaires détruisent le pays de Notre-Dame-des-Landes comme s’ils étaient face à un ennemi. Je viens d’avoir au téléphone l’une des résistantes les plus courageuses du lieu, Marie Jarnoux, qui habite sur place. Elle tient, ils tiennent grâce à tous ceux qui se sont précipités sur place. Mais c’est dur. Dieu que c’est dur. À l’heure où j’écris, vers 17 heures, les bois du bocage sont remplis de manifestants venus soutenir les refusants. Les routes qui viennent de Nantes sont pleines de voitures et de tracteurs. Les Ayrault et les Valls sont loin d’avoir gagné. La bagarre ne fait que commencer. Et la solidarité doit enfler et déferler sur les intrus. Libérez le bocage !