Comment ne pas rechercher un poison

Christophe Béchu, ministre de l’Écologie, avec le nez rouge du comique professionnel. L’a pas l’air. Mais la chanson, si. Savourons une décision toute récente : le 27 juin paraît au Journal officiel un arrêté Béchu, qui demande à 5 000 entreprises de rechercher « sous trois mois, la liste des substances PFAS utilisées, produites, traitées ou rejetées par son installation ».

Les PFAS dont il est question sont appelées à un grand avenir, car ces mixtures chimiques ne disparaissent pas dans l’eau, l’air, les sols. Ou les corps. Et c’est pourquoi on les appelle des forever chemicals. Des produits chimiques éternels. Où trouve-t-on des PFAS ? Eh bien, partout, car leurs propriétés antiadhésives, imperméabilisantes, résistantes aux fortes chaleurs, en font des candidats parfaits pour les usages industriels. Ils sont utilisés aussi bien pour les poêles que pour les pesticides, dans les vêtements, les emballages alimentaires – miam – les mousses anti-incendie, les cosmétiques, et la liste continue jusqu’au bout de la terre.

Inventés dans les années Trente du siècle passé, ils ont vivoté jusqu’au 29 juillet 1967, date d’un grave accident sur le porte-avions USS Forestal, qui tue 134 soldats après un incendie géant. Des petits malins se disent que des mousses contenant des PFAS auraient été bien plus efficaces contre les flammes. Nul ne s’interroge sur rien, et l’aventure continue. Dans les années 70, on trouve dans le sang des personnels exposés des traces de PFAS. Et alors ?

En 2001, Giesy et Kannan montrent une contamination des ours polaires, des poissons, des oiseaux. Et alors ? On découvre dans la foulée, que le sang de toute la population américaine – il doit pouvoir rester deux ou trois épargnés – contient des PFAS. Et pareil en Europe. L’air des cimes en contient. La glace arctique aussi. Est-ce bien embêtant ? Un peu. On relie en effet les PFAS à des cancers des testicules, du sein, du rein. À des maladies thyroïdiennes, de l’intestin, à des lésions du foie, à de nombreux risques pour les fœtus, dont les effets ne se feront sentir qu’à la puberté, ou après.

À ce stade, résumons : on sait ce qu’il faut savoir depuis trente ans, et l’on se demande ce que nos ministres de la Santé et de l’Écologie ont bien pu faire pour contraindre si peu que ce soit l’industrie à la prudence. Oui, qu’ont donc tenté les responsables de la santé Kouchner, Douste-Blazy, Guigou, Mattei, Bertrand, Bachelot, Touraine, Buzyn ? Rien. Et pareil chez les ministres de l’Écologie Bachelot, Lepeltier, Jouanno, Kosciusko-Morizet, Batho, Martin, Royal, Pompili. Zéro plus zéro égale la tête à Toto.

Béchu a l’air bien parti pour suivre cette noble route. Revenons à sa décision historique du 27 juin : il donne trois mois à une petite fraction de l’industrie – 5000 entreprises – de déclarer s’ils utilisent des PFAS. Il connaît bien sûr la réponse, mais ça permet de gagner du temps, ce qui n’est pas rien. Lorsqu’on reparlera des PFAS, qui sait où il aura atterri ? À Angers, son fief électoral ? Au secrétariat d’État aux normes de la charcuterie et de la baguette réunies ? Loin du mistigri en tout cas, qu’il aura refilé à une autre préposé.

Au fait, les amis, savez-vous combien il y a de PFAS différents les uns des autres ? Tous les organismes officiels s’accrochent comme des noyés au chiffre ridicule de 4700 assemblages distincts. L’agence publique en charge de notre protection, l’ANSES, écrit ainsi sur son site calamiteux (2) : « Les substances per- et polyfluoroalkylées, également connues sous le nom de PFAS, sont une large famille de plus de 4000 composés chimiques ».

C’est tellement faux qu’on s’en pince la peau du bras. Le chiffre semble s’inspirer d’un rapport de l’OCDE, en 2007, qui dénombrait exactement 4730 PFAS. L’agence en charge de l’environnement aux États-Unis – l’EPA – en comptait 14 735 il y a trois ans. PubChem, sous la tutelle des National Institutes of Health, fait autorité, et en annonce…6 millions. On parle désormais de 7 millions. Bechu demande à 5000 entreprises d’en rechercher 20 en priorité. Nez rouge, oui. 

(1)https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047739535

(2) https://www.anses.fr/fr/content/pfas-des-substances-chimiques-dans-le-collimateur

Le charbon, champion du monde de l’énergie et du mensonge

Le charbon habite le si vaste pays du mensonge. Officiellement, on rasera gratis demain, car on aura éliminé le charbon – gros émetteur de gaz à effet de serre -, par des énergies dites renouvelables. Mais c’est pipeau. En 2022, la puissance installée de toutes les centrales à charbon de la planète a augmenté de 19,5 GW. Elle aurait dû baisser, puisque des centrales à charbon ont été arrêtées – pour un total de 26 GW -, mais dans le même temps, de nombreuses installations ont été ouvertes, pour une puissance installée de 45,5 GW. 59% des centrales nouvelles se trouvent en Chine (1).

La Chine, qui prétend tout ce que les niais – et les corrompus – veulent croire, est une spécialiste de la désinformation, qui a très grossièrement truandé ses chiffres publics. On apprenait ainsi, le 4 novembre 2015, que la consommation de charbon était supérieure de 17% depuis des années à ce qui était annoncé. Pour la seule année 2012, 600 millions de tonnes avaient été dissimulées. Seules les dictatures accomplies sont capables de tels exploits.

L’Inde, au-delà de grandes différences, est sur une pente comparable Sa production a augmenté de 6,3% en 2021 – 805 millions de tonnes -, et même de 11% en 2022, correspondant à 893 millions de tonnes. On devrait atteindre dans deux ans le milliard. Mais ça ne suffit pas, tant la demande est grande. En 2022, la consommation a été de 1,027 milliard de tonnes, obligeant le pays à importer massivement cette arme de destruction massive du climat. Dans ces conditions, qu’attendre ? En 2022, selon l’Agence internationale de l’énergie, la consommation mondiale a encore augmenté de 1,2%, dépassant les huit milliards de tonnes.

Malgré les falbalas des tentures officielles et des Sommets de la Terre, le charbon reste, et de loin, le plus grand producteur d’électricité dans le monde. Ne pas oublier que l’électricité n’est pas un minerai ou un puits dans lequel plonger son tuyau. Pour en obtenir, il faut d’abord cramer une énergie dite primaire. Dont le gaz, le pétrole, l’hydro-électricité, l’uranium, etc. Mais le charbon, en 2022, est le champion incontesté, avec 35,9 % du total.

C’est un peu fâcheux, car selon Global Energy Monitor, un Observatoire américain, « le rythme mondial des arrêts de centrales devrait être quatre fois et demi plus rapide, afin de mettre le monde sur la bonne voie pour éliminer le recours au charbon dans le secteur électrique d’ici 2040, comme requis pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris sur le climat ».

Il est assez douteux que cela s’arrange, car la situation fait penser aux fameuses boucles de rétroaction climatiques. On explique par un exemple : le dérèglement climatique a tendance à faire fondre le permafrost, ce sol gelé des immensités arctiques et sibériennes. Le permafrost relâche ainsi des gaz à effet de serre, dont le terrible méthane. Ce qui augmente le dérèglement global, qui accélère la fonte du permafrost, qui etc. Cette rétroaction dite « positive » – eh oui – est un emballement.

Or on le sait, la crise climatique provoque des phénomènes extrêmes, dont des sécheresses sans précédent. Comme en Chine l’été passé, où l’hydro-électricité – le tiers de la production mondiale -, s’est effondrée, obligeant à massivement augmenter la consommation de charbon. À une échelle moindre, l’Europe a fait pareil à cause de la guerre en Ukraine et des craintes sur l’approvisionnement en gaz.

Si on veut passer, malgré tout, un bon moment, on peut écouter (2) l’historien Jean-Baptiste Fressoz nous raconter à quel point la « transition énergétique » est un mythe. C’est lumineux. Il montre que dans l’histoire de l’énergie, on ne fait jamais qu’empiler les offres les unes sur les autres. Ainsi du bois-énergie, qui n’a pas été remplacé par le charbon. Ainsi du charbon, qui n’a pas été remplacé par le pétrole. Ainsi du pétrole ou du gaz, dont la consommation mondiale n’a jamais été aussi forte, malgré le solaire et le vent. Ainsi de ce nucléaire dont nous sommes si fiers, et qui ne change rien à l’augmentation sans fin de supposés besoins énergétiques.

(1)https://www.connaissancedesenergies.org/centrales-charbon-un-parc-mondial-qui-se-moque-de-lagenda-climatique-230406

(2)https://www.youtube.com/watch?v=YbebLbnGyoU

Anna Karina, les pesticides et moi

Que ceux qui se souviennent d’Anna Karina dans Pierrot le fou lèvent le doigt. Dans ce film de Godard, sorti en 1965, on l’entend répéter, les pieds dans l’eau : « Qu’est-ce que j’peux faire, j’sais pas quoi faire ». Eh ben, au risque de surprendre, Anna Karina, c’est moi. Je ne sais plus quoi faire contre les pesticides. Cela fait bien 25 ans que j’écris sur le sujet, y compris dans des livres solides, mais rien ne bouge.


Ce qui bouge, ce sont les études, qui s’empilent. Celle publiée le 15 mai (1) apporte des informations inédites sur le déclin apparemment fatal des oiseaux communs en Europe. Les signataires – quatre chercheurs principaux – ont étudié en détail le sort de 170 espèces d’oiseaux sur 20 000 sites de 28 pays européens. En tentant de préciser l’impact de quatre « pressions anthropiques », c’est-à-dire provoquées par les activités humaines : changements dans le couvert forestier, changement climatique, urbanisation, intensification agricole.

Bien entendu les causes du massacre des oiseaux sont multiples. Même les chats, si nombreux, y jouent leur rôle, de même que les pales des éoliennes. Mais le très grand responsable, c’est l’usage massif des pesticides et des engrais de synthèse. Grâce à des techniques mathématiques récentes, les scientifiques sont parvenus pour la première fois à hiérarchiser les menaces. Interrogé par Le Monde, Vasilis Dakos, l’un des signataires de ce travail, estime qu’il « permet de révéler des liens de causalité ». Non pas seulement de corrélation, comme bien souvent, mais de causalité. Les insectes sont tués par les pesticides, et les oiseaux insectivores les suivent dans le néant : le bruant ortolan a perdu 93% de ses populations en Europe depuis les années 80.

Une autre publication (2) permet de retrouver un SDHI, le boscalid. L’agrochimie prétend contre l’évidence que les fongicides SDHI – ils s’attaquent aux champignons des récoltes – ne sont pas toxiques au-delà de leur cible (3). En réalité, le Pristine, mixture contenant du boscalid, réduit la durée de vie des abeilles ouvrières. Et des effets létaux ont été observés à des doses inférieures à celles utilisées dans les laboratoires pour obtenir une autorisation de mise sur le marché.

Passons à la grande et enivrante politique française. La rumeur m’est parvenue que Macron, quand il en éprouvera le besoin, pourrait remplacer Élisabeth Borne par l’ancien ministre de l’Agriculture Julien Denormandie. Ce ne serait pas la meilleure nouvelle de l’année. En septembre 2021, Macron, pour une raison restée inconnue, déclare : « Je veux que sur ce sujet des pesticides, la présidence française de l’Union européenne [qui commencera en janvier 2022] porte, et je m’y engage ici, une initiative forte, avec tous les collègues, de sortie accélérée des pesticides ».

Le lendemain, Denormandie, plus au fait, apparemment, des vrais rapports de force, recadre rudement Macron : «Nous sommes dans un marché commun, donc cette question doit être européenne ! Sinon, nous créons juste de la compétition déloyale, sur le dos de notre agriculture et de notre environnement !». Et aussi, mais surtout : « Notre position est toujours la même : pas d’interdiction sans alternative ». Et il n’y a pas d’autre choix. Pour eux.

(1)https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2216573120

(2)https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0269749120366537

(3)J’ai consacré un livre à l’effarant scandale des SDHI : Le crime est presque parfait (LLL)

(4)https://theconversation.com/pesticides-et-abeilles-comment-les-fongicides-sattaquent-a-la-reine-205070

(5)https://pubs.acs.org/doi/pdf/10.1021/acs.est.2c09591

Investissez chez Veolia et Suez !

C’est parti mon kiki, et les villes vont douiller. Les villes, c’est-à-dire le pékin. Il y a quelques semaines, Veolia, transnationale « française » de l’eau organisait un gentil voyage de presse – c’est la boîte qui paie, pas le journal – à Bergerac, en Dordogne. L’occasion était trop belle, car pour une des premières fois en France, un camion-citerne nettoyait les rues avec de l’eau « usée », au lieu d’utiliser l’eau potable habituelle.

À Bergerac, le projet reste modeste, mais l’idée est en train de flamber partout. À Sainte-Maxime (Var), à Deauville (Calvados), en Vendée, où Veolia a vendu à l’agglomération des Sables d’Olonne et à Vendée Eau – distributeur public – le programme Jourdain (1). Jourdain comme le fleuve martyrisé d’Israël, comme ils sont drôles. Les choses sont loin d’être simples, mais enfin, il s’agit de développer un système dont on parle chaque jour un peu plus, le REUT, pour Réutilisation des eaux usées traitées. La promesse Jourdain – on en reparlera à l’arrivée, au mieux en 2027 – consiste à récupérer dans une station d’épuration une fraction de l’eau et de la réinjecter en amont du barrage du Jaunay par une canalisation de 27 km. Les subventions publiques atteignent déjà 7,7 millions d’euros, mais ce n’est, on l’espère pour Veolia, qu’un tout petit début. Pour la transnationale, mais on l’avait compris, le système REUT est, comme l’indique son site, « une nouvelle réglementation, de nouvelles opportunités ». Sur fond de sécheresse chronique, l’argent public ne peut que couler à flots.

À Nice, Christian Estrosi, maire désormais macroniste, vient d’annoncer un plan de 700 millions d’euros pour la station d’épuration d’Haliotis 2, dont une bonne part pour l’utilisation des eaux usées. Cette fois, ce n’est pas Veolia qui profitera de l’aubaine publique, mais sa sœur jumelle et concurrente, Suez. La version officielle annonce : « La Métropole de Nice disposera dès 2028 d’une unité industrielle de Réutilisation des Eaux Usées Traitées capable de recycler 5 millions de mètres cubes d’eau par an sur le territoire ».

Pour mieux comprendre les enjeux de ce énième putsch sur les ressources publiques, garder dans un coin de la tête que la France « produit » 8,4 milliards de m3 d’eaux usées chaque année, dont moins de 1% est à nouveau utilisé. Or le plan Macron annoncé ce printemps (3) prévoit de multiplier par 15 ce pourcentage d’ici 2030. Miam Veolia. Miam Suez. La manne servira massivement pour les besoins de l’agriculture industrielle : arrosage des grandes cultures et arboriculture notamment.

Mais voici l’heure d’une explication de base. Il y a plus d’un traitement de l’eau, on s’en doute. Rappelons à ce stade que l’eau du robinet est déclarée potable sur simple décision politique. L’exemple le plus récent est celui du chlorothalonil, pesticide cancérogène probable, interdit en Europe depuis 2019. Tous les pesticides créent des produits de dégradation par milliers, dont très peu sont recherchés dans l’eau dite potable. Ces métabolites peuvent être, et sont souvent plus toxiques que les molécules de départ. Dans le cas du chlorothalonil, un seul de ces métabolites – le R471811 – rend la consommation d’eau non conforme dans le tiers de la France. Que fait-on ? Rien.

Et tout est à l’avenant à la sortie des stations d’épuration. Il reste dans l’eau du robinet des quantités faibles mais réelles de joyeusetés comme les microplastiques – mais oui -, des résidus de médicaments, de métaux lourds, de pesticides bien sûr, de cosmétiques, de sous-produits du chlore. Tous sont potentiellement dangereux, et nulle autorité n’est capable de seulement penser leur synergie – l’effet cocktail – quand ils sont avalés par un consommateur quotidien.

Mais ce n’est rien encore avec le système REUT, dont les eaux seront bien plus farcies de polluants non traités. Qui se retrouveront dans les nappes, dans les sols, dans les goûteuses cerises. Il y aurait bien une autre voie, celle d’une nouvelle culture de l’eau, entraînant la société sur des chemins nouveaux. Mais que diraient Veolia et Suez ?

(2)https://www.actu-environnement.com/ae/news/reutilisation-eaux-usees-traitees-bergerac-41679.php4

(3)https://www.huffingtonpost.fr/environnement/video/le-plan-eau-de-macron-veut-accelerer-la-reutilisation-des-eaux-usees_215933.html

(4)https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/04/05/l-eau-potable-en-france-contaminee-a-vaste-echelle-par-les-metabolites-du-chlorothalonil-un-pesticide-interdit-depuis-2019_6168450_3244.html

Raoni en vitrine publicitaire de Macron-le-petit

Qui est derrière la belle photo ? Le 4 juin, Macron-le-petit reçoit à l’Élysée le chef amérindien du Brésil, Raoni. Embrassades, effusion, énième engagement solennel pour la sauvegarde de l’Amazonie. Et si l’entremetteur Robert Dardanne était à la manœuvre ? C’est ce qu’affirme l’association Maïouri Nature Guyane (1) et disons d’emblée que cela tient la route. Dardanne s’est en effet décerné le titre de président de l’association « Forêt Vierge », et a réussi un coup de maître en approchant Raoni dès 2016, lui faisant faire une tournée européenne en 2019. Il a bel et bien joué son rôle dans la rencontre Macron-Raoni.

Est-il sincère ? Passons à la question suivante, et démêlons les fils. La Guyane dite française – 285 000 habitants – manque d’électricité. Actuellement, pour en produire, il faut compter sur le fioul – la centrale de Cayenne – le barrage du Petit-Saut, divers petits ouvrages. Sans oublier ce dont on va parler, c’est-à-dire les centrales à biomasse. Retenons à l’arrière-plan l’existence de la base de fusées de Kourou, qui consommerait, selon des chiffres officiels, 18% de l’électricité guyanaise. Insistons sur l’adjectif officiel, car tout ce qui concerne Kourou est le plus souvent secret d’État.

Revenons à Dardanne. Il se présente comme un écologiste, mais son itinéraire vrai montre un businessman opportuniste, constamment à la recherche d’un coup. Dans l’immobilier, dans le transport aérien, dans l’informatique, dans le soin aux vieux dans les maisons de retraite. En 2005, il crée avec d’autres la société Voltalia – il en était le P-DG et y reste influent -, qui entend développer la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables (2). Dont en Guyane la biomasse. En deux mots, on crame du bois et des déchets végétaux, dont la combustion chauffe de la vapeur d’eau. Cette dernière, sous pression, actionne une turbine qui fait tourner un alternateur. Chouette, hein ?

Ben non. Les opposants locaux parlent d’une opération qui menace l’équilibre agricole et forestier d’un joyau : la Guyane est couverte à 96 % d’une forêt équatoriale humide. Voltalia possède deux des trois centrales à biomasse de Guyane, et se bat avec des concurrents comme Idex, qui en installe deux nouvelles à…Kourou l’insatiable. Les gens d’Idex présentent leur groupe (3) comme « un acteur indépendant engagé depuis 60 ans dans la décarbonation des territoires ». Soit depuis…1963. Bien inventé.

Maintenant, l’essentiel. Un lobby informel d’une rare intensité travaille depuis des années, qui réunit notamment, côté public, l’Ademe, l’Agence française de développement (AFD), la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la Forêt (DDAF). Soutenant comme de juste l’industrie par des subventions, il a obtenu l’incroyable : l’Europe a accepté le maintien d’une dérogation scélérate (4). Résumé incomplet : on pourra, en Guyane, utiliser 15% de la surface agricole pour « faire » de la biomasse, contre 3% en France métropolitaine. Ce que ne disent pas les lobbyistes, c’est qu’on produira massivement des biocarburants, en détournant du marché alimentaire des plantes comestibles. En Guyane, les « plantations à vocation énergétique » pèsent 70 000 tonnes, mais pourraient atteindre 160 000 tonnes en 2030.

Qui va morfler ? D’évidence, la forêt. Tous les gens intéressés à cette belle aventure le nient, mais l’engrenage finira par emporter le bras, et le reste. La Guyane dispose de politiciens de classe, comme ce monsieur Thibault Lechat-Vega, qui se prétendait l’an passé proche de la France insoumise. Devenu vice-président de la Communauté territoriale de Guyane (CGT), il soutient à fond l’usage de la biomasse. Citation : « Quand est-ce que l’on va arrêter de nous mettre sous cloche alors qu’un quart des Guyanais n’a pas accès à l’électricité ? ».

Il y aurait bien une solution ou plutôt deux. Le soleil, omniprésent – à quand des chauffe-eau solaires pour tous les habitants ? – et le vent, fort et stable, au moins sur le littoral. Ne manque que le courage politique.

(1)https://blogs.mediapart.fr/maiouri-nature-guyane/blog/040623/les-pyromanes-de-lamazonie-guyanaise-profitent-de-limage-du-leader-raoni

(2)https://www.voltalia.com/fr

(3)https://www.idex.fr/

(4)https://www.euractiv.fr/section/energie/news/biomasse-en-europe-l-exception-guyanaise-qui-fait-grincer-des-dents/