Archives mensuelles : décembre 2010

L’obésité, c’est la faute à personne (et à tout le monde)

Je ne le fais pas exprès, mais il me semble que ce papier-ci complète à merveille le précédent. Je viens de lire dans Le Monde daté de ce 3 décembre, mais publié hier, un entretien que je juge délirant. Au sens le plus fort, qui est grave. En page 3, la journaliste Pascale Santi interroge le professeur Arnaud Basdevant, chef du service de nutrition de l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. Basdevant a été chargé par Sarkozy d’un plan de trois ans de lutte contre l’obésité. Laquelle frappe désormais 6,5 millions de Français, tandis que le surpoids touche 14 millions de victimes supplémentaires. Je dis victimes à dessein. C’est, je crois, ce que l’on écrit en face d’une épidémie. Et il s’agit bien d’une épidémie. Au total, le tiers de la population française est directement concerné.

Je ne peux vous renvoyer vers le lien de l’article, réservé aux abonnés du quotidien. Il va donc falloir, ou non, faire confiance à mon commentaire. Basdevant n’a pas une chance d’obtenir des résultats, pour la raison évidente qu’il regarde la question avec des œillères de cheval percheron. Je ne croyais pas que l’on pouvait à se point clamer sa cécité. À moins qu’il ne s’agisse d’autre chose. Mais, sincèrement, je n’en sais rien. Le fait est que, selon le bon docteur Basdevant, les causes de l’obésité sont « très complexes ». Il y a de nouvelles pistes : le rôle de la flore digestive, les rythmes du sommeil, le stress, l’environnement sans précision.

Un extrait, qui donne le ton général : « C’est l’ensemble de la chaîne de soins qu’il faut rendre accessible et cohérente, du médecin traitant à la prise en charge dans les centres spécialisés, au niveau de chaque “territoire de santé” défini par la loi “Hôpital, patients, santé et territoire”. L’accès, la qualité et la sécurité des soins sont au centre de nos préoccupations ». J’imagine que vous avez compris. L’obésité n’est pas une affaire sociale, politique, économique. Elle n’a rien à voir avec les stratégies industrielles des grands de l’agroalimentaire. Aucun intérêt contraire à la santé publique ne serait à affronter. Tout est affaire de soins. De médecine. De moyens. Des spécialistes. De technique. De pseudo-science. Aussi incroyable que cela paraisse, les mots d’industrie et de publicité ne sont pas prononcés.

L’obésité, c’est donc la faute à pas de chance. Ou à l’irresponsabilité. Et merde ! Voyons de plus près le cas Pierre Meneton. Ce chercheur de l’Inserm, mondialement connu pour ses travaux sur les liens entre facteurs génétiques et maladies cardiovasculaires, met les pieds dans le plat à propos du sel dans un entretien donné en 2006 au magazine TOC. Il y dénonce l’ajout de sel dans quantités d’aliments industriels. Notre corps n’a besoin que de un à deux grammes de sel par jour, mais, dit Meneton, la moyenne en France de la consommation quotidienne varie de 9 à 12 grammes. Il accuse : « Le lobby des producteurs de sel et du secteur agroalimentaire industriel est très puissant. Il  désinforme les professionnels de la santé et les médias ».

En janvier 2007, Meneton récidive et rencontre des journalistes du Point, auxquels il déclare : « Les Français sont empoisonnés de façon chronique par le sel que rajoute en excès l’industrie agroalimentaire au moment de la fabrication de ses produits  ». Et il ajoute même que l’excès de sel serait responsable en France, chaque année, de 75 000 accidents cardiovasculaires, suivis de 25 000 décès ! L’industrie agroalimentaire lui intente un procès, qui aura lieu en 2008. Mais le lobby du sel est débouté et bel et bien accusé de désinformation. L’adjonction de chlorure de sodium – le sel – dans une infinité d’aliments tue massivement, en France et dans les autres pays développés. Pourquoi l’industrie agit-elle de la sorte ? Le sel augmente artificiellement le poids de certains produits et donc leur prix de vente. Il permet également de donner du goût à des produits bas de gamme qui en manquent singulièrement. Enfin, il donne affreusement soif, ce qui selon certains critiques, ne serait pas pour déplaire à des groupes capables de fabriquer aussi bien des plats transformés gorgés de sel que des boissons susceptibles de mieux les faire passer.

Dans ces conditions, il n’y a aucune raison de s’étonner de ces études scientifiques sur les liens entre surconsommation de sel et obésité. L’une des plus frappantes, publiée en 2008, est l’œuvre d’une équipe britannique, et porte sur 1600 enfants. Il existe une association significative entre consommation de sel et consommation de boissons sucrées, elles-mêmes reliées à l’obésité. Qui ignore encore que l’obésité est une épidémie mondiale ? Si l’on en croit les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2005, 1,6 milliard d’hommes de plus de 15 ans sont en surpoids et 400 millions sont obèses. Et ce drame, car c’en est un, ne frappe plus seulement les nations riches. Des pays comme la Chine et l’Inde, et même africains, découvrent l’obésité au moment où tant d’autres – plus d’un milliard d’humains – souffrent de faim chronique. L’alimentation des humains est devenue une industrie comme les autres.

Mettre en taule les obscurantistes (avis autorisé du CNRS)

Mon ami Jean-Loïc, scientifique réputé, m’envoie la copie électronique du numéro 250 du journal du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Vous pouvez le télécharger ici et le déguster tranquillement. Moi, qui connais la presse, je peux vous dire qu’il doit coûter cher à fabriquer dans sa version papier, car il est en quadrichromie, c’est-à-dire tout couleur. Si Jean-Loïc me l’envoie, ce n’est certes pas pour admirer sa qualité d’impression, mais plutôt pour me signaler un très extraordinaire papier publié page 17.

Il s’agit d’un article dont le titre prometteur est : « Fauchage des vignes OGM : une perte pour la recherche ».  Le surtitre donne une idée encore plus précise du contenu : « Le 15 aou?t dernier, des faucheurs ont de?truit la totalite? des vignes transge?niques expe?rimente?es par l’Inra. Le biologiste Yves Dessaux explique les conse?quences d’un tel acte ». Yves Dessaux est directeur de recherche a? l’Institut des sciences du ve?ge?tal du CNRS et charge? de mission a? l’Institut e?cologie et environnement. Il est donc autorisé à parler du haut de l’autorité conférée par son poste prestigieux. Et il ne s’en prive pas.

Vous lirez – ou pas – la totalité de l’article signé Julien Bourdet. Moi, je me concentre sur les propos d’Yves Dessaux, rapportés par le journal, et qui servent d’ossature au tout. Première citation : « Il y a un co?te? obscurantiste chez les fau­cheurs. Ils croient par principe que les OGM sont dangereux sans me?me chercher a? savoir si c’est le cas ». Premier constat : on peut être scientifique et manier le vieil outil de la disqualification avec maestria. N’oublions pas que Dessaux s’adresse en priorité à ses pairs. Lesquels, du moins le pense-t-il sans doute, réagissent au mot obscurantiste comme le chien de Pavlov au stimulus. Nous aurions d’un côté les lumineux chercheurs, ouvrant la voie royale de la connaissance. Et de l’autre des malheureux perdus dans le noir profond de cavernes qu’on imagine néolithiques. Paléolithiques, peut-être ? Sûrement.

Le plus drôle est ailleurs. Les Faucheurs ne voudraient pas savoir, ces bourriques. Dessaux lève-t-il parfois le nez de la paillasse de son laboratoire ? Je n’en jurerais pas. Car il suffit de chercher la page que Wikipédia (ici) consacre aux Faucheurs volontaires d’OGM pour apprendre ce que beaucoup savaient déjà : leur charte s’oppose aux essais d’OGM en plein champ, mais reconnaît le droit aux essais en milieu confiné. Quels imbéciles, hein ? Ils pensent, car ils savent, et je pense moi aussi, car j’ai lu, que la dissémination des OGM est impossible à contrôler hors des labos. Ne serait-ce qu’à cause des pollens que les vents dispersent aux quatre coins de l’horizon. Mais n’est-il pas plus confortable, pour un Dessaux, de fabriquer des personnages grotesques pour mieux les ridiculiser ?

Cela serait déjà un bien bel article, mais ce n’est pas fini. Dessaux est aussi policier, juge et même maton. Je crois qu’on peut appeler cela de la polyvalence, et c’est un point à noter à l’heure où l’on demande toujours plus aux agents de l’État. Car Dessaux ajoute : « Mais les peines encourues par les faucheurs ne sont pas assez dissuasives pour prote?ger ces recher­ches ». N’est-ce pas, directement, un appel à foutre en taule ces malandrins ? Sauf erreur de lecture, je crois bien que oui. Voilà où en est la science officielle en cette fin 2010. Nous avons encore un peu de pain sur la planche.

Cette panne qui ne vient pas (la fée électricité)

Juste un mot. Il fait froid, et nous risquons de faire sauter la marmite énergétique française. À cause du chauffage. Paraît-il. Demain, il fera chaud, et ce sera le tour – qui sait ? – des climatiseurs. Ce sera l’été, la canicule, et EDF aura vendu à l’Europe voisine, au prix fort, une électricité nucléaire qu’on ne pourra plus mettre dans les TGV. Ou les cafetières, je ne sais plus. Est-ce que je rigole ? Ben oui, tout de même. Le système énergétique français a été conçu pour la gloire d’EDF et la surpuissance du corps des Ponts et Chaussées, qui a transformé notre pays indolent en champion mondial du nucléaire.

Tout a été pensé pour le gaspillage. Tout a été dimensionné pour le gaspillage frénétique d’une électricité symbole de pouvoir politique. Et voilà que ces imbéciles surdiplômés se montrent incapables de gérer une (petite) vague de froid fin novembre. Imaginez une seconde un autre pouvoir politique. Et un système énergétique basé sur la sobriété. Volontaire si possible, imposée si nécessaire. Aurait-il été difficile de prévoir sur les compteurs individuels deux niveaux de puissance ? L’un quand tout va bien, l’autre quand il est nécessaire de se montrer responsable, de gré ou de force ? Dites. N’aurait-on pu imaginer un système où l’on basculerait automatiquement sur un service de base, sans toutes les merdes et gadgets électroniques qui bouffent tant d’une énergie devenue précieuse ? Mais il aurait fallu un autre monde. C’est du conditionnel passé.