Archives mensuelles : janvier 2013

Les rennes du Père Noël aux mains des ordures

Ce papier a été publié dans Charlie-Hebdo le 26 décembre 2012

Rien ne va plus pour les rennes du Grand Nord canadien. Le plus grand troupeau du monde a perdu 95 % de ses effectifs, et les Innu regardent mourir leur vieux compagnon. La faute à l’exploitation minière.

C’est difficile à croire, mais le renne n’a pas toujours été l’esclave du Père Noël, bondissant sous le fouet. En Amérique du Nord, il a longtemps peuplé le monde sous le nom de caribou. Pendant le Pléistocène, qui commence, jeunes gens, il y plus de deux millions d’années, on le trouvait jusque dans le Nevada – à côté de San Francisco – et le Tennessee actuels. Ses troupeaux, comme ceux du bison, obscurcissaient l’horizon. Et puis l’homme, ses pièges, ses flingues.

L’animal a replié ses bois vers le Nord et les sols acides, vers l’extrême froid, là où la tuerie est moins industrielle. En Alaska, dans le nord du Labrador et du Québec, il conserve quelques vraies hardes, mais plus pour très longtemps. Un communiqué du ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) du Québec vient de tomber, comme un coup de hache (1). Un inventaire aérien confirme que l’immense troupeau de la rivière George est en train de mourir.

Un mot des lieux : la rivière George se jette dans la baie d’Ungava, à hauteur du village inuit de Kangiqsualujjuaq. Deux connards missionnaires lui ont donné le nom de Georges III, roi d’Angleterre et d’Irlande, mais dans la langue inuktitut, on l’appelle Mushuau Shipu, ou rivière sans arbre. Car ce pays entre Labrador et Québec est une immense toundra posée sur le granit, couverte de mousses et de lichens, que les caribous boulottent.

Le troupeau de la rivière George – de la sous-espèce dite toundrique au Québec – était jusque vers 1993 le plus important de la planète, atteignant alors entre 800 000 et 900 000 têtes. Avant de chuter de moitié – à 385 000 – en 2001. Et à 74 000 animaux en 2010. Et à 27 600 à l’été 2012. En vingt ans, la population a diminué de 95 %. Qui dit mieux ? Personne. Mettez-vous une seconde à la place des Inuits, des Innu, des Cris, des Naskapis, même si c’est rigoureusement impossible. Pendant des millénaires, le sort de ces peuples du Grand Nord a dépendu de l’état de santé des caribous, qui tombent comme des mouches. D’où une légère inquiétude existentielle chez ces pauvres arriérés de primitifs.

Pourquoi cet invraisemblable déclin ? Chez les officiels, aussi cons que les nôtres, la cause est entendue. Les caribous seraient trop nombreux et le surpâturage, au cours de leur migration, empêcherait les mousses et lichens de se reconstituer. Le problème existe certainement, mais permet de mettre au second plan le dérèglement climatique, dont les effets sur la végétation sont d’ores et déjà considérables. Surtout, cette thèse simpliste dissimule les responsabilités écrasantes du pouvoir politique.

L’association Survival (2), qui défend les peuples indigènes partout où l’on empêche de vivre, c’est-à-dire partout, a rencontré les principaux intéressés. George Rich, un vieil  Innu du nord-est du Canada : « L’exploitation et l’exploration minières à outrance sont l’une des principales causes de la disparition des caribous. La compagnie Quest Minerals a, par exemple, récemment annoncé qu’elle projetait de construire une route qui traversera le cœur de l’aire de mise bas du caribou et que des hélicoptères et des avions survoleront la zone pour atteindre les sites d’exploration ».

Le « développement », cet autre nom de la destruction, a en effet détruit massivement les pâturages et les routes de migration des caribous toundriques. Les exemples sont si nombreux qu’ils ne laissent place à aucun doute. Citons la compagnie Cap-Ex Ventures, qui exploite le fer dans la région, après avoir construit barrages hydro-électriques et ligne de chemin de fer. Quest Minerals de son côté, la boîte citée par George Rich, est spécialisée dans l’extraction des terres rares, qui pourrait démarrer sur place en 2016.

Les terres rares, rappelons les bonnes choses, sont vitales pour la fabrication des éoliennes, des cellules photovoltaïques, des ordinateurs, des téléphones portables, des bagnoles électriques. Tu l’as dit, y a un problème.

(1) http://communiques.gouv.qc.ca/gouvqc/communiques/GPQF/Aout2012/16/c7587.html
(2) http://www.survivalfrance.org/

Cyclone à La Réunion (et sur Notre-Dame-du-Littoral)

Que ces gens sont cons. C’est à pleurer. Je vous ai parlé l’an passé, il y a quelques jours, d’un projet de route à La Réunion (ici). Propulsée par le lobby local des BTP,  cette route doit être bâtie sur l’océan Indien, au long de 12 kilomètres seulement, mais pour un coût extravagant qui pourrait atteindre 3 milliards d’euros. Une dinguerie d’autant plus retentissante que l’île est en permanence menacée par des cyclones, dont la gravité ne peut que croître à mesure que s’aggrave la crise climatique.

Au moment où je vous écris – jeudi à 10h11 -, l’un de ces ouragans dévaste l’île et ses côtes. 68 000 foyers n’ont plus l’électricité, et ce n’est visiblement pas fini ( ici). Des vagues de six à huit mètres de  hauteur déferlent, et déferleraient de même sur le chantier de cette folie de route. Que ces gens sont cons.

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Un article piqué à Métro :

 68 000 foyers sans électricité à La Réunion

L’alerte rouge est déclenchée. Depuis 10 heures ce jeudi matin (7 heures à Paris), les habitants de La Réunion sont confinés chez eux dans l’attente du passage du cyclone tropical Dumille, qui arrive par le nord-nord-ouest de l’île. La préfecture interdit aux Réunionnais de sortir de chez eux « pour quelque cause que ce soit » et pour au moins une durée de vingt-quatre heures.

Au moment où l’alerte rouge a été déclenchée, le cyclone était centré à 125 kilomètres au nord-nord-ouest de l’île, et il avançait vers le sud-sud-ouest à une vitesse de 22 km/h, selon Météo France. A La Réunion, l’intensité maximale de la tempête est attendue dans l’après-midi.

Des vents violents ont déjà balayé l’île dans la nuit, jusqu’à 176 km/h sur les hauteurs. Des arbres et des poteaux électriques ont été arrachés. A 11h30 heure locale, 68 000 foyers étaient privés d’électricité, selon EDF.

Un bulletin de vigilances « fortes pluies » a été déclenché sur l’ensemble de l’île. Plus de 150 millilitres d’eau (soit 150 litres par m2) ont été enregistrés à Cilaos, dans le sud de l’île, et jusqu’à 300 millilitres d’eau sur le piton de la Fournaise. Plusieurs routes sont inondées. Sur la côte nord, des vagues de 6 à 8 mètres, et jusqu’à 10 mètres de haut sont observées, selon la préfecture.

En raison de l’alerte rouge, toute l’activité économique de La Réunion est paralysée. Les deux aéroports et le port de commerce sont fermés depuis mercredi et le trafic des bus a été suspendu. Des centres d’hébergements ont été ouverts dans les communes de l’île pour accueillir d’éventuels sinistrés.

 Rajout à 15h54, cet extrait du Parisien :

15 h 20. Les fondations du pont de la rivière Saint-Etienne emportées par les flots. Submergés, fermés à la circulation puis emportés, les radiers de la construction ont fini par céder dans le sud de l’île. En 2007, c’est le pont entier qui avait été emporté après le cyclone Gamède.

Une belle année 2013 (et ceci n’est pas un hoax)

D’abord mes excuses pour avoir employé dans mon titre le mot hoax, qui signifie bobard. Pour une raison que j’ignore, le son m’en est agréable. Et pour le reste, du fond de mon âme, je vous souhaite, amis lecteurs de Planète sans visa, une vraie belle année 2013. D’un côté, nul n’est dupe, car la roue continuera sa route. Et de l’autre, cela fait du bien de partager un moment de paix et de joie. Aussi incroyable que cela paraisse, en ce moment précis, je suis heureux.

Heureux, pas béat. Aucun politique français – aucun responsable à ma connaissance – n’aura évoqué dans ses vœux la crise écologique, à quoi rien ne peut être comparé. Et dans ces conditions, dites-moi, pourquoi les écouter ? Moi, je pense en cet instant au marché aux poissons de Soumbédioune, sur une des plages de Dakar. Le retour des pirogues, le cri des gosses, les rires des mamas se disputant le poisson à peine débarqué, toute cette algarabía – un foutoir sonore – danse dans ma tête. Un jour d’il y a un moment, je suis allé avec l’un des pêcheurs juste en face, sur les îlots de la Madeleine, aujourd’hui parc national. J’y ai vu ce matin-là des milans noirs, plusieurs phatéons à bec rouge, un balbuzard. Le monde semblait pouvoir être sauvé. Et voilà ce que je pense, au moins quelques fragiles secondes : le monde peut être sauvé. Je vous embrasse.