Archives mensuelles : novembre 2012

Je suis allé à Notre-Dame-des-Landes, et j’y retournerai

En pensant à Lilou

Pour ceux qui ne sont pas au courant, car il y en a. Ayrault, actuel Premier ministre et ancien maire de Nantes, veut imposer un deuxième aéroport à cette ville de 300 000 habitants. Il a ressorti pour cela un projet des années 60, qui nécessite de détruire un bocage de près de 2 000 hectares somptueusement préservés. Sur place, la bataille fait rage entre 200 à 300 jeunes qui occupent les arbres et les clairières, d’une part, et environ 1000 flics de l’autre.

Mardi passé, avant-hier, j’étais à Notre-Dame-des-Landes. Je ne peux pas vous raconter pour le moment, car j’y étais en mission commandée. Mais c’était d’une rare beauté. Le bocage convoité par les abrutis du projet d’aéroport est somptueux, gorgé d’eau, décoré de houx géants, d’aubépines, de chênes. On s’y enfonce dans une boue noire qui paraît pouvoir vous aspirer, on y rencontre un peuple sautillant de Hobbits – des jeunes squatters venus de France, de Belgique, d’Angleterre, d’Allemagne, d’Afrique du Sud, d’Australie – qui refusent l’argent et toutes les conneries du monde. Dans ce pays neuf fait pour Peter Pan, le Lapin Blanc, John le Lézard ou le chat du Cheshire, traverser le miroir est un véritable jeu d’enfants.

Vous suivez un chemin, en pleine forêt, encerclé par les bouleaux et les châtaigniers, et vous tombez sur une clairière où les Hobbits ont planté une maison sublime, faite de matériaux récupérés dans les déchetteries et poubelles de notre si pauvre univers. Ou vous vous retrouvez comme par magie au pied d’une cabane poussée dans les arbres, tenue par des cordes et des nœuds, sans l’ombre d’un clou ou d’une vis. Je vous résume : ceux qui refusent le grand massacre sont d’une part un collectif d’habitants, que j’ai rencontrés. Ils sont épatants, et s’appuient avec bonheur sur les 200 à 300 Hobbits dispersés dans les forêts alentour. Ajoutons quelques dizaines de paysans, dont la propriété serait en partie ou en totalité touchée par les sagouins de l’aéroport. Ne pas oublier les flics. Depuis le 9 octobre, ils sont entre 500 et plus de 1 000 à tenter de virer les Hobbits. Avec des dizaines d’engins, parfois des hélicos. Ils ont aidé à détruire quantité de cabanes, mais aussi des maisons en dur, qui étaient là depuis des lustres. Ces pauvres barbares n’ont visiblement pas conscience de la triste besogne qu’on leur fait accomplir.

Bon, stop, car j’ai à faire. J’ai à écrire. Encore un mot : le samedi 17 novembre, une grande manifestation nationale a lieu sur place. Il s’agira de réoccuper le bocage au nez et à la barbe des gardes mobiles. Et de rebâtir, poutres et planchettes en main, ce qui a été détruit. Si la flicaille ne gâche pas cette fête, cela sera sans doute grandiose. Parmi les lecteurs de Planète sans visa, quantité ont déjà demandé : mais qu’est-ce qu’on peut faire ? Il y a des jours où je ne sais pas quoi répondre, mais en ce matin du 8 novembre 2012, je vous le dis sans hésiter : il faut aller à Notre-Dame-des-Landes. Il faut montrer que nous sommes là, bien là, et que ce lamentable aéroport ne doit pas être construit. Merde ! L’heure n’est pas à la dérobade. Il faut y être. Il faut en être. Pas de mot d’excuse.

Le site des Hobbits : http://zad.nadir.org/

Le site de l’Acipa, la grande association locale : http://acipa.free.fr/

Une vidéo : http://www.laseiche.net/les-chroniques-de-la-seiche/article/si-loin-si-proche-3-en-pays-de

Un impitoyable match Sarkozy-Al Gore (sur le climat)

François N. a déposé en commentaire, et qu’il en soit remercié, une formidable vidéo qui ne dure – hélas – que  30 secondes (ici). On y voit Nicolas Sarkozy, en 2009, alors qu’il est président de la République. Nous sommes précisément le 23 septembre à New York, au beau milieu d’une réunion qui rassemble des dirigeants du monde entier. La date est importante, car deux mois et demi plus tard se tient la grande conférence mondiale sur le climat, à Copenhague. Les politiciens du monde entier sont rappelés à leur responsabilité historique : le dérèglement climatique menace sans détour les civilisations humaines.

Que va donc faire un homme – Sarkozy – qui a promis en 2007, au temps du Grenelle de l’Environnement, une « révolution écologique » ? La veille, le 22, il a fait un grand discours sur le sujet, du haut d’une tribune de l’ONU. Vous en trouverez le texte en bas de cet article. Rien de ce qu’il promet ne sera tenu, ce qui va de soi. Qui se conduirait de la sorte dans le domaine privé serait vite traité de charlatan, de bouffon. Mais pas lui, lors même qu’il annonce : « Nous savons que nous devons le limiter [le réchauffement] à 2° et que si nous ne réussissons pas, ce sera la catastrophe. Ce point ne supporte plus aucun débat. Nous sommes, au-delà de nos différences, la dernière génération à pouvoir agir ».

Mais revenons à la vidéo proposée par François N., qui est un extrait d’un interview donné à France 2. Comme c’est court, je me propose de tout citer. Sarkozy a le visage grave des grands jours de la République. Il veut être cru. Voici : « Des scientifiques et des savants du monde entier se sont réunis pendant des mois et des mois pour dresser un constat c’est le constat qui est accablant. Le monde va à sa perte si on continue à émettre du carbone – ses mains se lèvent, comme pour monter au ciel, et son regard suit – qui crée un trou dans la couche d’ozone et qui brise les équilibres de la planète. Ça – il fixe la caméra -, c’est un constat ».

Que dire ? Commençons par le moins grave. Des scientifiques et des savants ? Hum, ce ne serait donc pas la même chose ? Des mois et des mois, alors que le Giec a été lancé vingt-et-un ans plus tôt, en 1988 ? Passons généreusement. Le pire est bien entendu cette ridicule confusion entre deux phénomènes majeurs, mais distincts. La couche d’ozone d’altitude protège la planète de rayonnements solaires ultraviolets, potentiellement meurtriers. Ce qu’on a compris en 1985, c’est que certains produits chlorés pouvaient expliquer un amincissement très inquiétant de cette protection vitale. Le dérèglement climatique provient, lui, d’une émission incontrôlée de gaz à effet de serre, parmi lesquels le CO2, dont la conséquence est l’augmentation continue de la température moyenne du globe.

Donc, Sarkozy se trompe en profondeur. Il se situe là au pire niveau des discussions de bistrot. Il est con. D’autant plus con – à cette hauteur, il faut parler de connerie stratosphérique – qu’il est le président de la République. Sur un sujet comme celui-là, qui en commande tant d’autres, il n’a simplement pas le droit d’être une buse. Il l’est pourtant, et au passage, pardon aux buses, qui sont de magnifiques oiseaux. Sarkozy, alors qu’il fait de la politique depuis près de 40 ans – nous sommes en 2009 -, n’a jamais pris soin de lire un livre sur la question. Il n’a pas même parcouru les pages wikipédia qui résument le tout,  ce qui lui aurait pris un quart d’heure. La seule explication est qu’il s’en fout totalement. Cela ne l’intéresse pas. Il aura passé des centaines, peut-être des milliers d’heures à scruter la carte électorale de la France, tantôt pour battre la gauche, tantôt pour s’imposer dans son parti, mais pas une seule à se renseigner sur la crise climatique.

Mais cela va plus loin encore. Car Sarkozy, ce 23 septembre 2009, n’improvise pas. En face de France 2, même s’il a l’air direct – cela se travaille avec des pros du media training -, il ne fait que répéter ce qu’un conseiller lui aura écrit sur une feuille deux heures avant. Il ne batifolerait pas sur un sujet de cette nature. Non, il adapte ce que d’autres ont synthétisé pour lui. Ce qui signifie que ses conseillers sont aussi désespérément incultes que lui. Est-ce étonnant ? Non, pas pour moi en tout cas. Dans un monde mieux fait, cela ferait réfléchir les écologistes de salon qui ont participé au honteux Grenelle de l’Environnement, donnant un brevet de haute moralité à des gens comme Sarkozy ou Borloo, qui ne vaut évidemment pas mieux. Notez que ces écologistes-là ont fait de même, un ton au-dessous, avec Hollande,  au cours de la Conférence Environnementale de septembre dernier. Hollande, soyez-en assurés, ne vaut pas mieux que Sarkozy. Il est manifeste, pour qui l’écoute, qu’il n’a jamais rien lu de sérieux sur la crise écologique. Ce qu’il veut, tout comme Sarkozy en 2007, c’est deux ou trois points de croissance en plus.

Comme on vote aux États-Unis ces jours-ci, je vous fais remarquer que ni Obama ni Romney n’ont sérieusement parlé de la crise climatique. Malgré l’incroyable tempête Sandy, qui a ravagé la côte Est étasunienne. Le drôle, c’est que la seule parole tant soit peu sensée est venue du milliardaire Michael Rubens Bloomberg, maire de New York depuis 2002 et fondateur de l’empire financier Bloomberg LP. Annonçant – alors qu’il est « indépendant » des deux grands partis américains – qu’il voterait Obama, il a ajouté, parlant explicitement du dérèglement climatique  : « En 14 mois, deux ouragans nous ont forcé à évacuer des quartiers entiers, ce que notre ville n’avait jamais fait auparavant. Si c’est une tendance, elle n’est pas viable ». Je précise que, n’étant pas devin, j’ignore si Sandy peut être corrélée au réchauffement de la planète. En revanche, je suis sûr que la question se pose.

Et ce grand couillon d’Al Gore ? On n’aura pas entendu, dans la campagne qui s’achève, celui qui fut vice-président de Clinton de 1992 à 2000. Gore ne vaut pas mieux que notre Sarkozy, et peut-être moins à bien y réfléchir. Car ce royal hypocrite est désormais l’une des grandes fortunes de ce monde malade, notamment au travers du fonds de pension Generation Investment Management LPP. Il est au conseil d’administration d’Apple, il est actionnaire de Google, mais comme monsieur a des vapeurs, il donne aussi dans le discours « écologiste ». Vous savez sans doute qu’il est l’acteur et le seul orateur du film An Inconvenient Truth, Une vérité qui dérange en français. Sorti en 2006, le film a permis à Gore d’apparaître comme un combattant ferme du dérèglement climatique, ce qui a pesé lourd dans son obtention, en 2007, du Prix Nobel de la Paix.

Qui oserait attaquer pareille icône ? Dès 1992, il publie un livre correctement informé sur la crise écologique, Earth in Balance. Je me souviens en avoir écrit une critique favorable. Quelle sottise ! Quelle crédulité ! En 1997, à Kyoto, pendant la fameuse conférence sur le climat, Gore assume et défend à 100 % – n’oublions pas qu’il est alors le vice-président – le sabotage américain, qui conduira au fiasco dont nous ne sommes toujours pas sortis. Depuis, et jusqu’à la lamentable campagne électorale en cours, Gore n’a cessé de jouer sur tous les tableaux. Gagnant du fric avec la destruction du monde, et prétendant être, dans le même temps, le Chevalier blanc des Amériques. L’avez-vous entendu ces dernières semaines ? Non pas. Il a laissé faire, comme à l’habitude. Obama, Gore, Sarkozy, Hollande : le monde est gouverné par des nains. Avec toutes mes excuses aux nains – décidément, les mots trahissent -, car Dieu sait qu’ils ne sont pas concernés. Le monde est gouverné par d’épouvantables couillons.

 

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Sommet sur le climat à l’ONU – Discours du Président Sarkozy

(New York, 22 septembre 2009)

Mesdames, Messieurs les Chefs d’Etat et de gouvernement,

Aujourd’hui, nous avons 87 jours pour réussir ou pour échouer. Grâce au constat des savants unanimes, nous savons que le réchauffement climatique est une réalité. Personne ne peut contester cette réalité.

Nous savons que nous devons le limiter à 2° et que si nous ne réussissons pas, ce sera la catastrophe. Ce point ne supporte plus aucun débat. Nous sommes, au-delà de nos différences, la dernière génération à pouvoir agir. Et pour la première fois, nous devons décider non pas pour nos pays, non pas pour nos régions, non pas même pour nos continents, mais nous devons décider pour la planète.

En résumé, nous avons le choix de la catastrophe ou de la solution. Nous décidons pour la planète tout entière et ce que nous ne déciderons pas, ceux qui nous suivront ne pourront plus le faire. Rarement un choix a été aussi crucial pour l’avenir de l’humanité.

Monsieur le Secrétaire général, regardons clairement où nous en sommes. Nous sommes aujourd’hui sur la voie de l’échec, si nous continuons ainsi. Ce n’est pas la peine d’être hypocrite, ce n’est pas la peine de nous lancer dans les petits jeux diplomatiques ou politiques. Ce n’est même pas la peine que je vous inflige un discours grandiloquent à 87 jours de Copenhague. Nous avons besoin de propositions, d’actions, de responsabilités.

Nous savons parfaitement quels sont les quatre principes qui feront le succès de Copenhague :

– Réduction de 50 % des émissions mondiales d’ici à 2050.

– Pour les pays développés, ce n’est pas une réduction de 50 % qu’il faut, c’est une réduction d’au moins 80 % d’ici 2050.

– Pour les pays émergents, il faut réduire la croissance de leurs émissions avec l’aide financière et technologique des pays développés, j’y reviendrai.

– Et enfin, d’une façon ou d’une autre, il faudra payer pour les pays les plus vulnérables, ceux d’Afrique et les petits Etats insulaires, il n’y a pas d’autre choix.

Qu’est-ce qu’il manque ? Il manque aujourd’hui deux choses : la volonté et la confiance.

Il y a beaucoup de dirigeants qui ont peur qu’on leur demande de choisir entre la croissance et la protection de l’environnement, on peut les comprendre, confrontés qu’ils sont à la pauvreté et au chômage. Mais ce choix, personne n’a à le faire et en Europe, nous démontrons qu’on peut passer d’une croissance forte en émission de carbone à une croissance durable. Nous l’avons démontré en Europe avec le paquet énergie-climat et nous l’avons démontré en France avec la création d’une fiscalité écologique.

Personne n’aura à choisir entre le chômage et l’environnement, entre la propreté et la protection de la planète. Dans les bonnes nouvelles, il n’y en a pas beaucoup, mais je veux saluer le leadership du nouveau gouvernement japonais qui a pris des engagements très forts et également les engagements de la Chine. Mais maintenant, il faut aller beaucoup plus loin.

Je veux proposer qu’on mette en place un mécanisme efficace pour financer ceux qui en ont besoin et pour opérer les transferts de technologie. Si on ne fait pas cela, les pays émergents ne nous rejoindront pas. Or, ils doivent nous rejoindre parce qu’ils sont comptables, eux aussi, de l’avenir de la planète.

Le Mexique a fait une proposition de contribution universelle, la France la soutient. La Commission européenne a évalué à 100 milliards d’euros par an d’ici 2020 le financement que nous pourrions envisager pour aider les pays en voie de développement à s’adapter au nouveau concept de la croissance durable, nous sommes prêts à le faire. Vraiment, m’adressant aux pays en développement et aux pays émergents, je vous le dis, les transferts financiers et les transferts de compétences technologiques, nous sommes prêts à les faire. Soyez vous-même au rendez-vous de la planète.

Je dois être franc, en France et en Europe, nous taxons les entreprises polluantes, aucun pays ne pourra s’exonérer d’efforts. Soit nous y allons tous ensemble et nous vous aiderons à financer, nous vous aiderons par les transferts de technologie ; soit nous n’y allons pas et dans ce cas là, nous serons obligés de créer une taxe carbone aux frontières de l’Europe. On ne peut pas avoir, face à la gravité de la situation, une partie du monde qui protège la planète et une autre partie du monde qui dit non sans raison, ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Pour l’instant, on ne veut pas s’y mettre. Il faut qu’on s’y mette tous et nous, les pays développés, on vous y aidera, financièrement et technologiquement.

Je veux également dire que la France fera des propositions avec le Brésil et les pays du bassin du Congo sur la question de la forêt. Il y a 20 % des émissions qui sont dues à la destruction de la forêt. Il faut aider les pays qui ont les plus grandes forêts du monde, qui sont des réservoirs pour la protection de l’environnement, à les entretenir, à les protéger, voire à les développer. Cela, c’est une solidarité active. Je pense à l’Amazonie, je pense à la forêt du bassin du Congo, je pense bien sûr à la forêt de Sibérie. Les forêts sont les biens de l’humanité.

Enfin, je souhaite que l’on prenne une initiative particulière pour l’Afrique. Il y a 17 % des Africains seulement qui ont accès à l’énergie primaire, on ne peut pas laisser l’Afrique dans cette situation. Au fond, nous, les pays développés, nous devrons payer et transférer de la technologie ; vous, les pays émergents, vous devrez vous engager à réduire vos émissions sans que cela ne nuise à votre croissance ; quant aux pays pauvres, ils doivent être au cœur de la stratégie de Copenhague. Mais tous, nous tirerons un bénéfice de cette nouvelle croissance.

Enfin, je terminerai, Monsieur le Secrétaire général, en faisant deux propositions. La première, c’est qu’enfin nous nous décidions à créer une seule organisation mondiale de l’environnement. Ce n’est pas tout de faire de Copenhague un succès, encore faut-il savoir qui gérera les conséquences des décisions prises à Copenhague. Il y a une soixantaine d’organisations éparses qui s’occupent des mêmes questions, créons une Organisation mondiale de l’environnement, décidons du principe de cette création dès Copenhague.

Deuxième chose, je propose que les chefs d’Etats des principales économies qui représentent rien moins que 80 % des émissions de gaz à effet de serre, nous nous retrouvions à la mi-novembre, c’est-à-dire entre votre réunion, Monsieur le Secrétaire général, et Copenhague pour sortir des jeux de rôles, des discours qui ne sont pas suivis d’effets, des jeux diplomatiques, pour mettre sur la table des propositions concrètes.

Vous l’avez compris, Mesdames et Messieurs, la conviction absolue de la France, c’est que le temps n’est pas notre allié, le temps est notre juge, nous sommes déjà en sursis. Prenons nos responsabilités, non pas dans les discours, mais dans les faits, la France et l’Europe sont bien décidées à faire cela. Je vous remercie.