Brennilis, une centrale nucléaire pour l’éternité

Ce texte a été publié le 7 novembre 2012 dans Charlie-Hebdo

Ce devait être la vitrine du démantèlement des centrales nucléaires. C’est devenu une gabegie. Un foutoir dont les travaux ont commencé en 1985. Dernier gag : EDF ne sait plus où mettre les déchets, et ne peut donc plus démonter le réacteur.

Ils vont finir par avoir la médaille. Dernier exploit en date de la nucléocratie méritante : Brennilis, une centrale nucléaire dont le démantèlement a commencé en 1985. Le bled d’à côté – 450 habitants – se trouve dans les Monts d’Arrée, au cœur de la Bretagne. Sur la carte postale, on peut voir une petite rivière – l’Elez -, deux affluents – le Roudoudour et le Roudouhir -, un marais – le Yeun Elez -, et le lac de Saint-Michel. Le tout fut très beau jusqu’en 1962, car c’est alors que le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) y commence la construction d’une centrale 100% française.

Brennilis est une modeste gagneuse : entre 1967 et 1985, elle produit 6,235 TWh (milliards de kWh), à comparer aux 10 TWh crachés chaque année par une centrale comme la bonne vieille Fessenheim. Après dix-huit ans de déambulateur et de pas de sénateur, on arrête tout en 1985, car les meilleures expériences ont une fin. Il ne reste plus qu’à démanteler, ce qui ne saurait être que plaisanterie pour nos grandioses atomistes associés. Seulement, ça merdoie. La commission Peon, qui a lancé tout notre programme électronucléaire, avait prévu un coût de démantèlement de 19,4 millions d’euros. La cour des Comptes, dans un rapport de 2005, l’établissait à 480 millions, soit la bagatelle de 25 fois plus. Et c’est loin d’être fini.

De 1985 à ces derniers jours, sans jamais se presser, nos excellents amis déchargent le combustible, vidangent les circuits, décontaminent et démontent les bâtiments. Sauf le réacteur, que l’on confine en attendant les beaux jours. Pendant des années, ces messieurs de l’atome promettent un « retour à l’herbe » en lieu et place de la centrale. Comme par un coup de baguette magique, il ne restera rien de cette si belle aventure. Le préfet du Finistère – entre 1992 et 1996 – Christian Frémont déclare en 1995 : « EDF, le CEA, les grandes entreprises et l’ensemble des intervenants ont déclaré leur intention de faire de cette opération une vitrine. Il faudra y veiller ». Tu parles, Charles ! Frémont quitte son poste et vole vers des postes plus prestigieux : il sera directeur de cabinet de Borloo au ministère de l’Écologie, puis directeur de cabinet de Sarkozy entre 2008 et sa si malheureuse défaite de 2012.

Brennilis, pendant ce temps, rouille sur pied. Et fuit. Une étude de la Crii-Rad établit en 2007 que la centrale, qui n’a plus l’autorisation d’émettre quelque rejet radioactif que ce soit, continue à le faire. Il y a du tritium dans l’air et en certains points, des concentrations de 3 000 becquerels par kilo de césium 137, alors qu’on ne devrait pas en trouver plus de 50. Cette même année 2007, on apprend que le réacteur, une fois démantelé, ira croupir dans l’Ain (au Bugey), où doit l’accueillir une usine construite par EDF, au doux nom d’Iceda (Installation de conditionnement et d’entreposage de déchets activés).

Quand ? Mañana por la mañana, demain ou un autre jour. En 2007 toujours, le Conseil d’État annule un décret autorisant le démantèlement total pour « insuffisance d’information de la population ». Pour une vitrine, ça la fiche bien. Commentaire inspiré de Bertrand Dubuis, responsable EDF de Brennilis, dans la foulée (Le Télégramme, 10 octobre 2007) : « Nous préparons actuellement un nouveau dossier. Nous le déposerons au mois de juin prochain en espérant pouvoir reprendre le chantier mi-2009 et réaliser le démantèlement total à l’horizon 2020 ».

Mais le mieux était encore à venir, et Charlie vous remercie d’avoir attendu si longtemps. Le 22 octobre 2012, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) envoie balader EDF, proprio de Brennilis, et lui refuse de procéder à un démantèlement complet. Tout est une fois de plus bloqué, et pour des années. La farce est particulièrement goûteuse, car l’explication l’est. Brennilis ne peut être démantelée, car ses déchets doivent aller dans l’Ain. Or, crotte de bique, le tribunal administratif de Lyon a annulé le permis de construire de l’usine Iceda, mettant tout le projet à terre.

Résumons pour les malentendants : le réacteur de Brennilis devait être envoyé dans l’Ain, et stocké dans une usine EDF spécialement conçue. Mais l’usine étant dans le lac, Brennilis est contrainte de conserver son réacteur jusqu’à des jours meilleurs, qui risquent de se compter en décennies. La nouvelle promesse des nucléocrates : la fin du démantèlement en 2025. On les croit sur parole.

20 réflexions sur « Brennilis, une centrale nucléaire pour l’éternité »

  1. Nous parlons ici de l’équivalent d’une maquette de centrale, d’une grande simplicité ( autant qu’une centrale puisse l’être )…
    Les enfumages à propos des démantèlements sont un véritable voile qui nous masque la réalité :
    EDF prévoyait un coût de démantèlement d’un EPR à la moitié ( pardonnez mes approximations, les chiffres étant en l’occurrence assez peu importants, seul le raisonnement l’est ) du coût de la construction soient… 2.5 Milliards d’€…
    Non ! Le coût du bâti a plus que doublé entre temps, donc 5 ou 6 Milliards seraient plus proches de la réalité !
    Une étude britannico-suédoise ( très concernés puisque EDF avait l’intention d’en construire en Angleterre ) parle de… 16 Milliards d’€, là on est carrément à 2.5 fois le coût de la construction et on ne parle pas des surprises à venir.
    Mais comme l’est la question des déchets évoquée pour Brennilis, la construction d’une centrale nucléaire est liée au « recyclage » des déchets ( entre guillemets car il n’y a pas de recyclage, uniquement des stockages pour des millénaires ) donc à la construction de sites comme celui de Bure dans la Meuse;
    Il n’est pas pensable de construire des centrales sans site de stockage, or à ce jour il n’existe pas de site de stockage à long terme et le site de Bure présente des failles pour le moins énormes… et des centrales à démanteler il va y en avoir pléthore dès que nos gouvernants seront éveillés et cesseront d’accorder des permis d’exploitation à des centrales déjà périmées depuis des années !
    À moins qu’ils n’accordent ces dérogations que pour échapper à la question du stockage ???
    Allez donc savoir !

  2. Pffff!

    Un détail pourtant: Manana por la manana (je sais pas faire le pti truc sur le n qu’on fait en espagnol) ça veut dire « demain matin »… et si j’ai bien suivi… ben c’est pas pour demain matin, la fin du feuilleton tragi-comique. Peut-être à pâques… ou à la trinité, mais de quelle année?

  3. ACTUALITE DU MOUVEMENT NO TAV http://endehors.net/news/manifestation-no-tav-a-lyon-le-3-decembre-contre-la-rencontre-hollande-monti

    « Le 3 décembre 2012, les chefs d’Etat français et italien François HOLLANDE et Mario MONTI se réuniront en sommet à Lyon pour conclure le plan de financement de la Ligne à Grande Vitesse reliant Lyon à Turin (LGV ou TAV en italien). Afin de montrer notre détermination et vivre des moments forts de rencontres et de solidarités entre les différentes luttes françaises et italiennes, nous vous invitons à nous rejoindre.

  4. Autour du mou­ve­ment NO TAV cela fait vingt-deux ans qu’en Italie la vallée de Susa est en lutte. Entre mani­fes­ta­tions à 80 000 per­son­nes, blo­ca­ges rou­tiers, assem­blées popu­lai­res, occu­pa­tions de chan­tiers et autres le mou­ve­ment NO TAV est créa­tif, massif et tenace. C’est qu’il le faut pour faire face aux expro­pria­tions, expul­sions et aux procès qu’on leur impose.
    Enfin, que l’on soit en lutte contre d’autres LGV comme au Pays Basque, contre OL Land à Lyon, contre l’aéro­port de Notre Dame des Landes, contre le nucléaire, les OGM ou l’extrac­tion du gaz de schiste, contre la ligne Très Haute Tension Cotentin-Maine, contre sa propre usine Ilva à Tarente (Italie) ou contre bien d’autres infra­struc­tu­res encore, nous affir­mons que nous lut­tons contre la même logi­que techno-indus­trielle : celle de la com­pé­ti­ti­vité économique dans le mépris total des popu­la­tions et de leur envi­ron­ne­ment.

    Afin de mon­trer notre déter­mi­na­tion et vivre des moments forts de ren­contres et de soli­da­ri­tés entre les dif­fé­ren­tes luttes fran­çai­ses et ita­lien­nes, nous vous invi­tons à nous rejoin­dre :

    En France :
    – 30 novem­bre et 1er décem­bre : Forum contre la LGV Lyon-Turin à Lyon. Le ven­dredi 30 novem­bre de 16h à 21h et le 1er décem­bre de 9h à 18h, à l’espace Sarrazin, 8 rue Jean Sarrazin. Contact : col­lec­tif­bolgv@gmail.com

  5. On ne sait pas maîtriser le nucléaire quand ça s’emballe, on ne sait pas quoi faire des déchets et on ne sait pas démanteler.
    A ce stade, ce n’est plus de l’incompétence, c’est de la démence. Notre avenir est entre les mains de fous furieux.
    Vous imaginez ça, un avion dont on ne contrôle pas la direction en cas de tempête, dont on n’a pas prévu de roues ni de piste d’atterrissage et qui contient des produits mortels pour une éternité ? Le type qui ferait rouler des gens là-dedans serait viré pour faute lourde. En France, on lui donne les commandes.

    Dès le départ, à Brennilis, c’était foireux. La filière à eau lourde est un fiasco ; le tritium est un gaz radioactif très volatil qu’on ne détecte que quand la dose maximale est dépassée de dix fois.
    En plus de ça, ils ont été construire la centrale sur un site à un point d’affleurement de l’eau. Si bien qu’il faut pomper sous le réacteur pour éviter que l’eau de la nappe ne remonte jusqu’au niveau de l’installation. On a à a faire à des fortiches.
    Pour paraphraser une devise Shadok : « Il vaut mieux pomper d’arrache-pied même s’il ne se passe rien que risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas. »
    Pour la petite histoire, l’usine est située au lieu-dit des « Portes de l’Enfer » où est censé habiter l’Ankou qui personnifie la mort dans les légendes bretonnes.
    Mais bon, soyons rationnels et, comme disait l’autre : « Je ne suis pas superstitieux parce que ça porte malheur. »
    Frédéric

  6. Interessant ces questions du cout de demantelement. La commission PEON avait royalement prevu 15% du cout de la construction. En tant qu’architecte je n’ai jamais pu comprendre comment demonter une centrale dont on a perdu les plans et dont les concepteurs sont morts ou trop vieux pour se souvenir, tache dangereuse, sale et pleine d’imprevus, de laquelle on ne peut extraire aucun materiau de valeur, pourrait couter moins que de la construire, avec des materiaux neufs, propres, non dangereux, au comportement sans surprises. Ce qui couterait encore le moins cher, ca serait de demonter les centrales avant de les mettre en service. Ca ne garantirait pas qu’on aurait encore les plans (puisque les plans du fameux « barillet » de Superphenix ont ete perdus avant meme qu’il soit mis en service, ce qui a empeche de le reparer des la premiere tentative de l’utiliser) mais au moins on travaillerait dans un environnement propre et neuf, et on pourrait revendre l’acier!

  7. Laurent,
    Je reprends l’une de vos phrases en changeant juste un mot.
    « Ce qui coûterait encore le moins cher, ça serait de démanteler les centrales avant de les mettre en service. »
    Bref, de ne pas les construire du tout !

  8. Une petite partie de pêche électrique dans la rivière Ellez vous tente ? Ou peut-être préférez-vous une visite guidée de feu la centrale de Brennilis ? Pas besoin de contacter l’office de tourisme des monts d’Arrée, EDF peut sans problème vous organiser une petite journée sympathique au pays de l’Ankou…

    Peut-être même repartirez-vous avec un exemplaire du Spirou des années 70 dont l’histoire se passe précisément là et dont le titre était… » l’Ankou ».

    Mais qui est donc cet Ankou qui semble hanter ces douces collines bretonnes ? Et bien, vous ne le croirez peut-être pas, mais ce personnage mythique présent dans de nombreux contes bretons ou celtiques représente… le serviteur de la Mort. Son rôle étant de collecter dans sa charrette grinçante (karr an Ankoù, karrigell an Ankoù, karrik an Ankoù) les âmes des défunts récents…

    On dit aussi que celui qui aperçoit l’Ankou meurt dans l’année.

    Alors, toujours partant pour une petite visite ?

    http://energie.edf.com/nucleaire/deconstruction/carte-des-centrales-en-deconstruction/centrale-de-brennilis/vie-de-la-centrale-48059.html&open=1

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