L’état réel du monde (l’enfumage de l’entreprise Wilmar)

Ce papier ne concerne pas notre quotidien. Mais un écologiste sincère peut-il détourner son regard de ce qui se passe ailleurs, au loin, qui touche les hommes, les bêtes, les arbres ? Vous avez comme moi la réponse, et c’est pourquoi je souhaite que vous lisiez ce qui suit avec l’intérêt que cela mérite. Mais commençons par planter le décor : Wilmar.

Wilmar est une énorme entreprise asiatique, qui fait son chiffre d’affaires – près de 45 milliards de dollars en 2011 – dans l’agriculture industrielle. Et plus précisément encore grâce au palmier à huile, dont on tire non seulement des matières grasses à bon marché, mais aussi des biocarburants, autrement appelés nécrocarburants. La si précieuse Emmanuelle Grundmann a écrit il y a peu un livre bourré d’informations rares sur le sujet (Un fléau si rentable, Calmann-Lévy, 262 pages, 16,90 euros, 2013). Je ne me souviens pas d’y avoir lu mention des surfaces plantées en palmier à huile, mais le chiffre doit y être. Celui qui me tombe sous la main, qui date de 2009, parle de 15 millions d’hectares dans le monde. Nous devons en ce cas avoir dépassé les 20 millions, car cette culture industrielle est une peste qui se répand comme telle.

Inutile de m’appesantir : le palmier à huile n’est comparable, dans les temps présents, qu’au désastre total engendré par le soja transgénique, qui a changé la structure physique de pays comme le Paraguay, l’Argentine (au nord), le Brésil (au sud). Et comme lui, il détruit tout : les cultures paysannes locales, les animaux, les forêts bien sûr. Parler de crime paraît modéré, compte tenu de l’extrême violence des destructions. Mais si l’on doit s’accorder sur le mot, disons alors qu’il s’agit d’un crime majeur.

Wilmar, donc. Le 9 décembre dernier, je reçois un message des Amis de la Terre, association pour laquelle j’ai une sympathie mesurée, mais réelle. Son titre est un cri de triomphe : Huile de palme : la multinationale Wilmar cède sous la pression de la société civile et de ses financeurs. Une telle annonce est si inattendue qu’immédiatement, et contre l’évidence, j’espère une vraie bonne nouvelle. Ce que dit le communiqué, c’est que « les Amis de la Terre ont interpellé BNP Paribas, la Société Générale, le Crédit Agricole et Axa. Seule la BNP Paribas a réellement pris au sérieux la gravité des pratiques dénoncées et reconnu sa responsabilité en tant que financeur de Wilmar. Alertée, la banque française a à son tour fait pression sur Wilmar pour leur demander de rendre des comptes ».

Wilmar, rendre des comptes, et sous la pression des Amis de la Terre ? Dès la lecture de cette phrase, je savais qu’on se trouvait en pleine fantasmagorie, celle qui préside aux communiqués triomphants d’autres associations, comme Greenpeace ou le WWF, qui ont un besoin vital de prouver à leurs chers donateurs que l’argent est bien employé. Oui, une complète fantasmagorie. Et le reste était pire encore : « Lucie Pinson, chargée de campagne Finance privée pour les Amis de la Terre conclut : “L’annonce de Wilmar montre que notre stratégie de pressions sur les banques peut être très efficace et entraîner des changements au sein des entreprises. Nous avons pu le constater lors des différents entretiens avec BNP Paribas. Il est donc plus que jamais utile que les citoyens se mobilisent pour interpeller leur banque” ».

Oh ! des changements au sein des entreprises ? Wilmar la vertueuse aurait décidé de ne plus s’approvisionner auprès de fournisseurs d’huile travaillant dans l’illégalité. Fantastique ! Je profite de l’occasion pour dire aux Amis de la Terre qu’en Indonésie et en Malaisie, terrains privilégiés de profits pour Wilmar, la loi, c’est eux, représentée sur place par leurs amis. Inverser un tel rapport de forces nécessite un peu plus qu’agiter ses petits bras. Croyez-en un vieux cheval fourbu comme moi.

Ce n’est pas tout, car j’ai reçu dans le même temps que ce communiqué une information accablante de l’association Grain, l’une des plus chères à mon âme (c’est ici). Vous lirez, je l’espère, mais je dois en faire un commentaire, qui conclura mon propos. Nous sommes cette fois au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique avec ses 170 millions d’habitants. Je ne sais évidemment pas ce que cette poudrière va devenir, mais il faudrait être bien sot pour espérer qu’elle n’explosera pas. Les affrontements entre chrétiens, animistes et musulmans ne sont que l’une des faces d’une dislocation générale, sur fond de folie écologique.

Dans ce pays ne subsistent que des confetti de forêts tropicales, et ces confetti se changent en poussière rouge latérite. Le village d’Ekong Anaku, dans le sud-est du pays, conserve – conservait ? – l’usage d’un lambeau de quelques milliers d’hectares. Et puis les corrompus de Lagos, la capitale, se sont emparés de ce que les villageois avaient accepté de transformer en réserve. 10 000 hectares d’un seul tenant. Un vol pur et simple dans ce pays dirigé par des kleptocrates. En 2011, le voleur, qui n’avait pas payé un centime son butin, décide de le revendre à une opportune société étrangère, empochant un nombre indéterminé de millions de dollars. Et cette entreprise, c’est Wilmar International, celle qui s’achète une belle conscience auprès des naïfs des Amis de la Terre.

Le point de vue d’un chef villageois : « Obajanso [le voleur] n’avait absolument pas le droit de vendre ces terres. Si vous achetez un bien volé, vous ne pouvez pas dire qu’il vous appartient. » Si. Au Nigeria comme en Malaisie, c’est possible, et c’est même certain. Wilmar a commencé de planter des palmiers et on voit mal cette transnationale rendre le bien si mal acquis à ses légitimes propriétaires.

Quelle morale à tout ce qui précède ? J’en vois une : faire semblant d’agir et d’obtenir des résultats est encore pire que de ne rien faire du tout. Cela détourne, cela assoupit, cela trompe. J’en vois une autre : qui n’a pas envie d’affronter les monstres doit rester à la maison. La bataille contre la destruction du monde fait partie d’une guerre de tranchées dans laquelle nous avons le grand privilège d’être à l’arrière, buvant du champagne et festoyant, tandis que d’autres meurent. Je n’ai aucune envie de mourir, mais il serait temps de se mettre d’accord sur les enjeux du combat et les risques que nous décidons en conscience de courir. En attendant, qu’on nous foute la paix avec les bluettes. Les activités d’une transnationale sont par définition amorales. Et quand elles s’attaquent ainsi, frontalement, aux être vivants, à tous les êtres vivants, arbres compris, il faut avoir le courage élémentaire de désigner un ennemi. Pas un adversaire. Un ennemi.

communique-amis-de-la-terre.pdf

11 réflexions sur « L’état réel du monde (l’enfumage de l’entreprise Wilmar) »

  1. Bonsoir,

    Merci.

     » Je n’ai aucune envie de mourir, mais il serait temps de se mettre d’accord sur les enjeux du combat et les risques que nous décidons en conscience de courir. »

    Vous pensez a quoi?

    Bien a vous,

    1. Comment répondre à une si vaste question, qui ne concerne pas seulement le thème traité ici ?
      D’abord cerner les enjeux : on voit bien qu’à tous les niveaux, aussi bien les rencontres mondiales (prochainement le COP 21) que les confrontations régionales (les parcs d’attractions, les nouvelles constructions en général, n’ont aucun impact sur la trajectoire du développement tel qu’il est conçu et réalisé actuellement. C’est déjà un énorme travail de réflexion à faire sur ce qu’on veut pour nos enfants, pour déterminer les limites de ce qu’on peut faire et de ce qu’on ne doit pas faire. Une prise de conscience globale des gens partout dans le monde : ce n’est pas simple, parce qu’on a déjà été très loin dans la complexité des liens qui nous lient d’un bout à l’autre de la planète !

  2. C est désolant et la lutte n est pas gagnée
    Mes voisins Togolais de Lomé ont coupé toute la haie d arbre qui ceinturait le mur de leur maison
    Je les aient engeulés et j ai été attéré par la raison de leur geste, les oiseaux qui venaient dans les arbres le jour et la nuit faisaient trop de bruit…..misère c est loin d etre gagné, les charboniers eux étaient content et on a bien été étouffés par les fumées pendant trois jours

  3. Bonsoir Fabrice : Animaux et plantes sont nos frères et sœurs . Ce ne sont pas de simples « choses » . J’espère qu’un jour , lointain sûrement , ils seront reconnus comme des êtres à part entière et au même statut juridique que nous les hommes . Hélas , c’est une utopie ; je rêve mais c’est un mal qui m’est nécessaire dans ce monde d’abrutis qui ne pensent et ne voient qu’à très court terme . Mes amitiés et bonne soirée

  4. Quand je pense que le détestable palmier à huile sert à produire l’huile de palme qui entre dans la composition , entre autres, de l’infect « nutella » dont malheureusement raffollent les gosses et même de nombreux jeunes adultes dont l’éducation au goût s’est résumée à se goinfrer de macdo et de pizzas industrielles. Le combat, à l’autre bout de la chaine, passe aussi par l’éducation des consommateurs chez nous, dés le plus jeune âge!

  5. Hélas, s’il n’y avait que le nutella… mais l’huile de palme s’est insidieusement invitée dans un grand nombre de produits bio, dans les cosmétiques… Pas toujours facile de l’éviter, aussi ne pas hésiter à fouiner ici
    http://vivresanshuiledepalme.blogspot.fr/
    J’avais déjà donné le lien sous un autre billet, mais au cas où…

  6. les récentes prises de position officielles des AdT ont en effet de quoi déconcerter et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle n’ont plus rien à voir avec ce que les braves de cette assoc ont défendu jusque là. En cette période de voeux en tous genre on ne peut souhaiter qu’ils se réveillent et fassent le nécessaire pour revenir sur les rails.
    Dans un autre style, que penser des Robinsdesbois.org qui se financent par la vente de savons à l’huile de palme de Colombie et l’huile de jojoba d’Israël sans la moindre référence autre que le fait qu’elle soit bio ! (présent sur une bonne partie des salons bio) Aider le cachalot à ce prix là : non merci !

  7. Merci pour la suggestion de lecture du livre d’Emmanuelle Grundmann, que je réserverai à la bibliothèque locale.
    Et félicitations pour l’ensemble de votre œuvre. Je me prépare à lire « Qui a tué l’écologie? ». Au Canada aussi, je commence à noter des préoccupations similaires aux vôtres. Bonne continuation.

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