Malheureux tous ces simples d’esprit

Il faut s’y faire, nous n’aurons pas la médaille. Nous, les critiques de ce monde impossible. Car nous serons toujours aux avant-postes, à la proue du grand navire, sondant le fond. Solitaires. Appelons cela un destin. Nous n’avons rien fait pour cela, et en réalité, nous ne méritons aucune récompense. C’est ainsi. Mais cela n’interdit pas de cogner, on s’en sera peut-être rendu compte ici.

J’ai sur ma table un vilain livre fatigué, dont la couverture médiocre rappelle le papier Kraft. Il s’agit d’un salmigondis de déclarations, tracts et articles, le tout paru en 1974 chez Jean-Jacques Pauvert, pour soutenir la candidature de l’écologiste René Dumont aux élections présidentielles. Son titre (raté) ? À vous de choisir.

Pour être sincère, c’est à peu près illisible. Le jargon y domine. Les visions y sont souvent datées, et manquent hélas de souffle. Et pourtant. Et pourtant, relisant une partie des textes rassemblés, j’en suis resté stupéfait. Interdit, si vous voulez. Car c’est aussi sublime, admirable, prophétique, vrai, supérieur, et de loin, à tout ce qui pouvait être raconté à l’époque.

En ce temps, justement, tous ceux qui tiennent le crachoir étaient déjà là, ou s’affairaient dans les coulisses. Tous. Buffet, Hue, DSK, Royal, Mélenchon, Emmanuelli, Chevènement et tant d’autres à gauche. Bayrou, Sarkozy, Chirac, Fillon à droite. Qu’on me comprenne : ce n’est qu’un échantillon, mais représentatif je crois. Auquel il faudrait ajouter des héros comme B-HL, André Glucksmann ou Alain Duhamel.

Que se passait-il en France en cette année 1974 ? Georges Pompidou allait mourir, obligeant à de nouvelles élections présidentielles. Le parti communiste, encore surpuissant, attaquait à l’arme automatique Alexandre Soljenitsyne, dont L’archipel du Goulag venait de paraître en russe, le 28 décembre 1973. Le chef stalinien Georges Marchais vouait aux enfers soviétiques tous ceux qui osaient prétendre que l’Urss était un camp. Pour lui et ses amis, le seul problème véritable était qu’on ne produisait pas assez. L’avenir, prolétarien en diable, serait aux hauts-fourneaux, à la sidérurgie, au béton armé, au nucléaire, à la profusion. Les écologistes étaient de simples petits-bourgeois, dont l’histoire débarrasserait tôt ou tard les hommes.

Côté socialiste, un certain François Mitterrand appelait à rompre avec le capitalisme. À nationaliser. Et à produire comme jamais. Vous ne croiriez pas le ton des envolées, lorsqu’il s’agissait de signer le désopilant Programme commun (1972). Pourtant, tous les fins politiques, à commencer par Lionel Jospin, qui commençait sa carrière dans l’ombre de Mitterrand, admiraient avant que d’applaudir.

L’écologie ? Les socialistes ne connaissaient pas même le mot, lui préférant la désastreuse expression « qualité de la vie ». J’ai retrouvé les 110 propositions de François Mitterrand pour les élections de 1981. Attention, 1981, pas 1974. En 1974, il n’y avait rien, pour la raison insupportable, à leurs yeux, que l’écologie jouait contre l’emploi, et l’industrie.

En 1981, quand la gauche s’apprête à prendre le pouvoir, le PS consacre 3 de ses 110 mesures à ce qu’il appelle « les équilibres naturels ». C’est si grotesque que je m’empresse de les reproduire in extenso :

101. Une charte de l’environnement garantissant la protection des sites naturels, espaces verts, rivages marins, forêts, cours d’eau, zones de vacances et de loisirs, sera élaborée et soumise au Parlement après une large consultation des associations et des collectivités locales et régionales avant la fin de l’année 1981.

102. La lutte contre les pollutions de l’eau et de l’air sera intensifiée. Les entreprises contrevenantes seront pénalisées.

103. Les normes de construction de machines et moteurs dangereux à manier et générateurs de bruit seront révisées et strictement appliquées.

J’espère que vous riez autant que moi. En 1981, les grands savants socialistes ne savaient strictement rien du phénomène le plus important jamais advenu dans l’histoire humaine, au cours des deux millions d’années passées. Assurément, cela relativise.

Concernant la droite, c’est pareil, bien entendu. Giscard, l’homme de l’Algérie Française, et Chaban, l’homme de l’État UDR – l’UMP de ce temps englouti – ne rêvaient que d’une seule et unique chose : achever ce qui tenait encore debout. Par tous moyens techniques et financiers disponibles. Le premier l’ayant finalement emporté, nous eûmes le plus grand programme électronucléaire jamais entrepris, sans le moindre débat public sur le sujet. Giscard ! Dire qu’une génération entière d’Alain Duhamel l’a présenté comme l’homme le plus intelligent du pays. Imaginez les autres.

Reste le cas Dumont. Le petit livre dont je vous ai entretenu au début est décidément un improbable chef-d’oeuvre. Il vante l’agriculture biologique et pourfend tous les gaspillages. Il annonce page 60 que le climat pourrait bien se trouver bouleversé par l’augmentation des émissions de gaz carbonique ( en 1974 !). Il décrit l’avenir souhaitable des énergies renouvelables, dont le solaire et le vent. Il affirme que la croissance sans limites est absurde et criminelle. En bref, il dit la vérité.

Non pas toute la vérité. Mais davantage de vérités que la totalité des classes politique, médiatique et intellectuelle de l’époque. Incomparablement ! Tous les autres sont ridicules, à jamais. Ou le seraient si la mémoire était un bien collectif, perpétuellement entretenu par les hommes.
On sait qu’il n’en est rien, ce qui permet à quelques dames, dont l’inénarrable Ségolène Royal et l’archibureaucrate Marie-Georges Buffet, et à tant de messieurs – voir les cas Adler, Allègre, Attali, B-H L, Colombani, Daniel, Dantec, Debray, Ferry, Finkielkraut, Gallo, Hollande, Houellebecq, Imbert, Jospin, Julliard, July, Kahn, Manent, Minc, Nabe, Revel, Rosanvallon, Sarkozy, Slama, Sollers, Sorman,Taguieff, et on en oublie hélas un millier au moins – de pérorer comme si rien n’avait changé ni ne changerait jamais.

Bon, je l’ai dit dès le départ : c’est ainsi. Et je ne me plains pas. Personne ne m’a obligé, je suis où je souhaite être. Et puisque je parle de moi, je pense qu’il est juste de dire ce que je faisais en 1974. J’avais alors 18 ans, et ne pouvais voter. Mais je n’aurais pas donné ma voix à Dumont. Non. Je croyais, avec une ferveur à peu près totale, à la révolution sociale. Étais-je néanmoins écologiste ? Possible. Très possible, mais c’est à vous de juger. En 1972, j’ai participé – j’avais 16 ans – à la première manif à vélo dans les rues de Paris, contre la bagnole.

J’y étais allé en tandem avec Jean-Paul Navenant, depuis la banlieue lointaine, et je me suis retrouvé sur la Seine avec mon ami Kamel, à bord d’un minuscule canot pneumatique. Je me rappelle les CRS, un peu plus tard, vers le Louvre, qui tentaient de nous assommer. Kamel avait sur la tête le canot, que nous n’avions pas eu le temps de dégonfler.

Dès le départ, c’est-à-dire pour moi à l’été 1972, je fus du grand combat pour le Larzac. Et je me dépensai également contre le nucléaire triomphant de ces années anciennes, de Malville à Plogoff. En réalité, ma conscience à moi s’était éveillée à la lecture d’un numéro du mensuel Actuel, paru en octobre 1971. Sa Une clamait un mot unique : Beuark ! Avec un dessin représentant un couple juché sur une voiture s’enfonçant dans un océan de merde.

C’est là que j’ai vu écrit, pour la première fois, le mot Écologie. Mais j’ai pensé aussi que seule la révolution viendrait à bout du désastre. Et j’ai fait ce que je pouvais pour qu’elle advienne au plus vite. Comme on a vu depuis, cela n’a guère marché. En tout cas, et c’est seulement cela que je voulais vous dire – je suis un authentique bavard -, tentez de regarder tous les braves aveugles qui nous gouvernent d’un autre oeil. Ils ont eu tort hier, ils ont évidemment tort aujourd’hui. L’écologie n’est pas la garantie d’avoir raison. Elle est seulement la certitude que la pensée, bonne ou bancroche, se déploie dans le cadre qui convient. Et pour ceux qui vivent cette longue saison en ma compagnie, il n’y a pas l’ombre d’un doute : l’humanité, pour des raisons complexes et ténébreuses, détruit la vie sur terre.

12 réflexions sur « Malheureux tous ces simples d’esprit »

  1. oui, il n’y a pas l’ombre d’un doute, et c’est là-dessus précisement que l’humanité doit travailler et avancer et vite (en plus!). Il existe une constante chez tous les peuples, tous ont une conscience du sacré de la vie .Pour Seatle, on ne pouvait abîmer la terre parce qu’elle est recouverte des cendres des ancêtres, et parce qu’elle est d’une beauté indescriptible, pour les boudhistes, c’est une évidence, et même pour les chrétiens qui n’ont pas su comprendre la notion de temple (tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église), ils se devaient d’être les temples vivants de Dieu, ce qui est le défi de toute une vie, et non sortir du problème en bâtissant à l’exterieur, même en recouvrant à l’aide de la main du maitre Michel Ange (ou Boticelli, que j’aime Boticelli !).les guaranis, avant de disparaitre dans les années 50 mangeaient leurs morts : ils devenaient ainsi des sépultures vivantes qui pouvaient se défendre et protéger le sens du sacré .La vie nous dépasse, par sa beauté, par son immortalité suggérée par le renouveau incessant, par son effrayante puissance . Nous devons nous élever ou disparaitre .la vie, elle , continuera avec ou sans nous de toutes façons .Et Bébert, les listes de coupables sont inutils : à un moment ou à un autre, nous avons tous été bons à jeter au goulag, car il est impossible de rester pur toute une vie .ce qu’il faut c’est avancer et être suffisament nombreux afin de contrer la mort des éco-systèmes.

  2. Cela dit, quelques travailleurs volontaires pour des actions d’intérêts publics peuvent être bienvenus..et même son altesse sérinissime pourrait travailler plus pour gagner plus !

  3. « Pour des raisons complexes et ténébreuses » qui peuvent, peut-être, se résumer à un complexe de supériorité de beaucoup d’humains vis-à-vis de la nature, leur refus viscéral d’en faire partie et, du coup, ce goût répandu pour des religions anthropocentriques – non ?
    Dernière en date de certains croyants (si on peut en rire un peu) : des prêtres orthodoxes grecs et arméniens se sont affrontés à coups de balai et de pierres à l’intérieur de l’église de la Nativité jeudi dernier, à l’occasion du traditionnel nettoyage des lieux…

  4. tout à fait d’accord, orgueil et manque de vue globale : concevoir une vision cosmologique et non anthropo de « l’univers » ou plus simplement de la vie, et bien-sûr que l’on peut en rire et répéter « malheureux tous ces simples d’esprit »! . Pour Carole, des révoltes ont court, mais elles sont écrasées régulièrement , plus au sud et à l’est .

  5. pour carole toujours, je suis ravie de voir un tel entrain, mais pourquoi n’est-ce toujours pas pour davantage d’équité nationale et internationale avec les agriculteurs,et contre les agrocarburants, les ogm, les partis pris des principales multinationales petro-chimiques, agro-alimentaires et pharmaceutiques ?

  6. René Dumont, oui : il y a des combats d’aujourd’hui qui paraissent bien pâles. Il y a encore plus sidérant (enfin sidérant, disons plutôt du bon sens que des anciens avaient naturellement) du côté de Thoreau, de Hudson… et tous ces naturalistes passionnés qui ont par leurs écrits philosophiques, littéraires (scientifiques aussi certes, mais c’est intéressant de voir les apports venant justement d’auteurs qui embrassaient et dépassaient la science en racontant des histoires). Ces auteurs vivaient en accord avec leurs idées, immergés dans la nature. Ils étaient conscients, visionnaires, admirables.

  7. Pour Bénédicte : ben pour moi dans ce cas là, la demande d’un référendum pour le TCE est lié à tout ce que tu évoques vu que le TCE comporte toujours la gravure du néo libéralisme dans le marbre de la constitution et donc tous les problémes évoqués qui y sont rattachés.
    Attac , il me semble bien est contre tout ça et appelle à ce rendez vous à Versailles. Non seulement tout est lié mais en plus , Sarko se fout bien de notre gueule en le faisant passer en catimini par les parlementaires acquis à sa cause en majorité. As tu remarqué le silence à ce sujet par les grands médias ? comme pour les problémes de la planéte ……..
    Alors si le TCE passe , on ira encore plus vite dans le mur

  8. oui tout est lié..il y a pas mal de chose que l’on tente de faire passer en catimini en ce moment 1-parce que ce sont les fêtes, 2- parce qu’on sort d’une période de grèves (des lois ou propositions de lois passent toujours dans ces moments, vous avez remarqué ?), c’est lié,et tu as raison, mais j’aimerai tant que ce que j’évoque soit traité en priorité parce que c’est une question de vie ou de mort pour d’ores et déjà la moitié de la population mondiale, mais aussi pour des centaines de milliers d’autres êtres vivants .enfin, c’est lié

  9. moi aussi j’aimerais que les gens se mobilisent pour le partage entre les peuples, arrêter les massacres des milieux naturels etc etc mais voila , c’est pas ça qui se passe ! enfin de nombreuses personnes sont dans des assoc, ong etc quand même et heureusement sinon ce serait vraiment désespérant!
    ça l’est déjà beaucoup ! toujours pareil ….. que peut on faire ? accompagner José Bové dans sa gréve de la faim contre les OGM ? et étendre ça à tous les problémes environnementaux et les injustices ?
    pour l’instant j’ai vu ces appels à un rassemblement contre le TCE et par de nombreuses personnes luttant contre tout ça (certes pas tous , les raisons du vote non contre le TCE en 2005 étaient diverses mais au moins les miennes étaient contre ce monde injuste et destructeur de la planéte )

  10. « l’inénarrable Ségolène Royal »? Ah bon?

    Fevrier 2004 – Charente-Poitou : Ségolène Royal (PS), élue vendredi présidente de Poitou-Charentes, a appelé les maires de la région concernés par des essais OGM en plein champ à reprendre des arrêtés d’interdiction, au nom du principe de précaution.

    La première mesure qu’entend prendre l’ancienne ministre socialiste « va porter sur l’arrêt des OGM en plein champ », a-t-elle déclaré dans son discours d’investiture.

    « Les maires concernés vont être sollicités pour reprendre des arrêtés d’interdiction et je me porterai garante auprès d’eux en cas de contentieux, au nom du principe de précaution et de l’incompatibilité avec la mise en place d’une filière d’agriculture biologique », a-t-elle affirmé.

    De tels arrêtés pris par plusieurs dizaines de maires dans différentes régions ont été jusqu’ici annulés par les préfets.

    Cependant, la nouvelle présidente a estimé que le poids politique pouvant être donné par les régions peut changer la donne. Mme Royal, qui entend faire de Poitou-Charentes un pôle d’excellence environnementale, entend structurer dans cette région une filière bio, de la production à la transformation et à la commercialisation.

    Mme Royal a également annoncé sa volonté de faire interdire les pesticides de marque Gaucho et Régent, soupçonnés par les apiculteurs et des scientifiques de décimer les abeilles, estimant que la récente décision du Conseil d’Etat allait l’y aider.

    Elle a indiqué avoir demandé qu’on lui fasse l’état des stocks de ces pesticides en possession des agriculteurs dans la région.

  11. Vous avez dit  » inénarrable »?
    jeu 25 oct 2007

    PARIS (AP) – Nicolas Hulot s’est dit jeudi soir « plus que satisfait » après les arbitrages rendus par le président Nicolas Sarkozy dans le cadre du Grenelle de l’environnement, ajoutant qu’un « virage » important avait été pris. Interrogé sur France 2, l’animateur a estimé que le bilan du Grenelle était « totalement inespéré ». « On vient là de rentrer dans l’opérationnel », a-t-il salué. « Les mesures que nous avions proposés dans le pacte écologique sont pour la plupart actées », a-t-il estimé, sans compter « bien d’autres mesures ».

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