Transition (énergétique), mon cul

Ce papier a été publié par Charlie Hebdo le 5 mars 2014

Il faut sortir une loi sur l’énergie, mais en enfilant gentiment les écolos sans qu’ils se barrent en courant. Margerie et Proglio sont au pouvoir, mais chut, faut pas le dire.

C’est une enflade. Le mot n’existe pas dans le dictionnaire, mais il illustre bien ce qui est en train de se passer. Enflade, d’enfler, qui signifie arnaquer. Officiellement, tout ce beau gouvernement est d’accord sur la transition énergétique. En gros, cela ne peut pas durer. Le pétrole abondant et bon marché,  c’est fini. Les fossiles – pétrole encore, gaz, charbon – détruisent l’équilibre du climat. Le nucléaire, malgré les fantasmes nucléocrates, ne représente jamais que 5,7 % de l’énergie primaire mondiale, avec une tendance à la baisse.

Par ailleurs, les renouvelables : l’eau – hydro-électricité -, le bois, le soleil, le vent, réclament de grands investissements pour pleinement prendre la place. D’autres contraintes martyrisent l’horizon, à commencer par la loi Énergie de 2005, qui oblige la France à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 80 % d’ici 2050. Il faudrait commencer maintenant.

Hollande est pour. Comme il n’est contre rien, il est pour une loi sur la transition énergétique qui préciserait enfin les contours du bouquet énergétique français dans dix, dans vingt, dans trente ans. L’emmerde c’est qu’il faut trancher, ce qu’il ne sait pas faire, et qu’il se branle de la crise écologique. En janvier 2013, le père François promet un « grand débat ouvert et citoyen » pour le printemps, suivi d’une belle synthèse en juin et d’un projet de loi devant le parlement en octobre 2013. Mais rien ne vient.

Le 11 décembre, un an après les promesses, une première réunion d’une fumeuse Commission se tient. On cause, entre soi. Le 7 février 2014, le ministre de l’Écologie Philippe Martin, qui a le sens de l’humour, déclare : « Les travaux sur la loi de transition énergétique avancent bien et les délais seront tenus ». Il est question maintenant d’une présentation au conseil des ministres ce printemps et un vote après, en juin, ou en septembre, ou à la saint Glin-Glin, ça dépendra.

Pourquoi ? Parce que dans les coulisses, où les industriels ont déjà gagné, la bataille fait rage. Il n’est pas question de les embêter si peu que ce soit. Pas au moment même où Hollande croit s’en tirer avec son pacte de responsabilité, dont la propagande dit qu’il pourrait créer 300 000 emplois. Deux grands patrons, qui font antichambre à l’Élysée, illustrent les manœuvres en cours. Christophe de Margerie, PDG de Total, a la pleine oreille de Hollande, qu’il voit régulièrement. Or il se plaint sans détour de Philippe Martin, qui est aussi, on l’oublie, ministre de l’Énergie. Pour le Christophe, l’opposition de Martin au gaz de schiste, secteur où Total est très présent hors de nos frontières, est un casus belli.

De son côté, Henri Proglio, patron d’EDF jusqu’en novembre au moins – Hollande veut le remplacer -, tente d’arracher une concession majeure : augmenter la durée de vie de nos centrales nucléaires, prévues au départ pour trente ans, jusqu’à cinquante, voire soixante ans.

Derrière les deux poids lourds, Pierre Gattaz, ennemi déclaré de toute contrainte « écologique », et le Medef avec lui. Ce n’est pas un secret d’État que Martin a failli démissionner plusieurs fois depuis le début de l’année, ce qui ferait grand désordre après le licenciement de Delphine Batho en juillet 2013. Des témoins, indirects mais fiables, rapportent des discussions à l’Élysée, au cours desquelles Martin était seul contre tous. Seul contre les productivistes du gouvernement, Montebourg bien sûr, Moscovici, Ayrault, Cazeneuve et Hollande soi-même. La morale de l’affaire est très simple : il ne fait pas le poids.

Que contiendra la loi à l’arrivée ? C’est là que cela se complique, car les braves soumis d’EELV, y compris Cécile Duflot, ont déjà annoncé qu’ils rompraient l’alliance avec le PS en cas de reniement trop visible, par exemple sur la date de fermeture de Fessenheim. Un ponte du parti écolo, moyennement charitable, raconte à Charlie : « Je ne vois pas comment ils vont s’en sortir. Ni Duflot ni Canfin ne veulent lâcher leur place, mais Hollande ne veut rien lâcher sur un dossier qu’il juge stratégique. Donc, ça devrait saigner ».

On verra. Pour l’heure, rideau de fumée sur la ligne d’horizon.

4 réflexions sur « Transition (énergétique), mon cul »

  1. Grande réunion publique : « L’écologie politique a 40 ans : penser et agir, quelle articulation, quelle dynamique ? » Lundi 17 mars à 19h30 Salle Colonne, 94 boulevard Blanqui 75013

    Un conseil : quand c’est pollué faut pas faire trop de sport…

  2. Les ecologistes (pas le ‘parti’, mais les gens) ont bien commence a nettoyer la notion d’energie de sa charge ideologique, mais il y a encore beaucoup a faire!

    Les Anglais, gens pratiques et concrets, utilisent un mot qui revele assez franchement cette charge ideologique: « power », deploye dans ses multiples formes, comme « power supply », « power grid », « power back-up », etc.

    « Pouvoir », « source de pouvoir », « reserve de pouvoir », « reseau de pouvoir »… C’est quand meme plus evocateur, n’est-ce pas, que notre vocabulaire qui semble tombe d’un cours de physique: « electricite », « alimentation en electricite », « reseau de distribution d’electricite », « groupe electrogene »…

    Comme par ailleurs, la notion « d’energie » en physique est une abstraction (contrairement a la notion de « travail », qui peut etre observe et mis en evidence), il faut se demander serieusement si la pollution ne vient pas essentiellement de la: De la tentation de conjuguer le concept physique, reel, de « travail » avec celui, tres humain, de « pouvoir », et de fantasmer ainsi cette creature de Frankenstein, « l’energie » au sens contemporain du terme.

    On sait bien que le pouvoir corrompt. Avons-nous atteint le pouvoir de corrompre meme la nature? (c’est une vraie question, enfin pour moi…)

    Ici un excellent article d’erudition, extremement instructif sur les motivations ideologiques de l’energie nucleaire:

    http://www.liberation.fr/terre/2014/03/10/le-paradoxe-fukushima_985957

  3. « Seul contre les productivistes du gouvernement, Montebourg bien sûr, Moscovici, Ayrault, Cazeneuve et Hollande soi-même.  »

    Comme vous n’avez pas écris de points de suspension, permettez moi de rajouter Le Foll à cette liste de productivistes.

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