Un bon petit verre de métazachlore

Publié par Charlie-Hebdo je ne sais plus quand, mais il n’y a guère.

Loin dans la belle campagne française – l’Yonne profonde -, on sert à boire au robinet une eau surchargée d’un pesticide dangereux pour la santé. Dans le silence et les filouteries coutumières. En novlangue, il s’agit d’une « variation de qualité ».

Il arrive parfois ce qui va être raconté. On reçoit un mail, on l’oublie deux ou trois heures, et puis on y revient. On commence à trouver cela intéressant. D’un côté, c’est banal. De l’autre, ça raconte bel et bien la façon dont les gens normaux et ordinaires sont traités chaque jour dans l’immense démocratie qui est la nôtre.

Un jour donc, Priscilla Ferte appelle au secours. Elle est maraîchère bio dans un petit village de l’Yonne, Villeneuve-les-Genêts. Elle vient de recevoir un courrier de la SAUR, l’un des grands de la distribution de l’eau. La lettre, datée du 18 février, est un pesant chef d’œuvre. Il s’agit, selon l’objet, d’une « restriction de consommation sur le réseau d’eau potable ». À la suite d’une « variation de la qualité de la ressource en eau », il ne faut plus boire cette dernière, ni laver les légumes ou cuire des aliments avec. Une autre lettre, à suivre, annoncera « un retour à la situation normale ».

Que faire ? Priscilla s’alarme avec quelques autres, et faute de mieux, se tourne vers le quotidien local – L’Yonne Républicaine – pour en savoir plus. Elle apprend ainsi que l’Agence régionale de santé (ARS) a réalisé le 12 février une analyse d’eau dévastatrice. Elle n’en ferait qu’une par an, ce qui laisse de la marge pour les surprises. Environ 2000 personnes des environs reçoivent au robinet une eau qui contient 7,48µg par litre de métazachlore, un pesticide. L’µg est une unité de mesure qui signifie microgramme. Et ce n’est pas lerche, car ainsi que le monde entier sait, un microgramme est un millionième de gramme. Par litre d’eau. Seulement, la limite légale de concentration de métazachlore dans l’eau est de 0, 1 µg par litre, soit 74,8 fois moins. Or, bien que les études manquent – comme c’est étrange -, le métazachlore est dangereux. Très toxique pour les organismes aquatiques, cancérogène suspecté pour les humains, il doit être manipulé « avec des gants de protection appropriés résistant aux agents chimiques » et à l’abri de lunettes de professionnels.

Au Luxembourg, une affaire comparable a eu lieu, presque hilarante. Premier acte en septembre 2014 : on découvre une pollution grave au métazachlore sur un affluent de la Haute-Sûre, rivière qui se jette dans le lac-barrage d’Esch-sur-Sûre, le grand réservoir d’eau potable du Luxembourg. Et l’on se rassure aussitôt en jurant que le risque est nul. Deuxième acte quelques jours après : en vérifiant les effets de la première pollution, on en découvre une autre, chronique, dans le lac. Au métazachlore. Le 3 d’octobre, on décide de ne plus fabriquer d’eau potable à partir du lac-barrage. Le choc ébranle tout le Luxembourg. Par chance, il y a les réserves spéciales, c’est-à-dire les grandes nappes souterraines. Acte trois : une semaine plus tard, de nouvelles analyses montrent que les nappes sont elles aussi polluées par le métazachlore jusqu’à une profondeur de 150 mètres. Et là, panique. La ministre de l’Environnement locale convoque en urgence une conférence de presse, et en l’absence de solutions – faut-il changer toutes les eaux du Luxembourg ? –, les autorités décident que la farce sera grandiose. On met à la poubelle la norme européenne de 0,1 µg par litre, et on la multiplie par 30.

Bien joué. Mais c’est encore très au-dessous de la contamination française de Villeneuve-les-Genêts. N’écoutant que son devoir d’information, Charlie décide alors d’appeler l’ARS de Bourgogne. Il en ressort qu’après une amélioration due à de pauvres parades techniques  – du charbon actif en poudre -, la pollution au métazachlore a recommencé de croître. Notre noble administration de la santé s’est contentée d’un communiqué, estimant que le journal et les visites domiciliaires des élus suffisaient à informer la population. Une fraction de cette dernière n’est pas même au courant des événements courants. Circulons, car il n’y a rien à voir. Ni à savoir. Si, tout de même : le producteur du métazachlore n’est autre qu’un philanthrope bien connu : BASF, géant de l’agrochimie et tueur patenté d’abeilles.

 

2 réflexions sur « Un bon petit verre de métazachlore »

  1. Si dieu existait, on pourrait dire que le Luxembourg subit une punition divine; qu’arriverait-il alors aux autres paradis fiscaux ? Hélas, ce n’est pas aussi simple…
    Par ailleurs, la réglementation sanitaire force indirectement les petits producteurs agricoles à s’alimenter en eau de ville plutôt qu’à la source, quand ils en disposent d’une, surtout si celle-ci est pure; c’est pour que la pollution soit partagée par tous !

Répondre à miaou Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *