600 000 milliards de dollars qui volent au vent

On va commencer par prendre ses gouttes, pour se calmer, car ce qui suit va sans doute achever pépé, et filer une maladie de cœur à tous les autres. Permettez-moi de vous présenter le site internet Slate. Slate signifie ardoise et a été créé aux États-Unis, où il semble gagner de l’argent. Je n’en sais guère plus, et préfère vous renvoyer à la source (ici). Depuis février 2009, Slate a une édition française, mais bien distincte de l’américaine, qui ne possèderait que 15 % du capital. On compte parmi les fondateurs l’ancien patron du journal Le Monde – Jean-Marie Colombani -, l’ultralibéral Éric Le Boucher, l’ultra Jacques Attali (ici).

J’aimerais bien dire du mal de ce Slate-là, mais voilà : je ne l’ai encore jamais lu. Ou plutôt, je n’ai lu pour l’heure qu’un seul article, mais qui aura fait son effet (ici en ligne, et dans son intégralité dans les commentaires). Il est signé Diogène, pseudonyme collectif utilisé par un groupe d’économistes distingués, parmi lesquels Patrick Artus, entre autres directeur de la recherche et des études de Natixis et professeur à Polytechnique. J’imagine que ces braves ont choisi Diogène en pensant à celui de Sinope, car celui-là était fils de banquier. Il y en eut d’autres, dont le Diogène de Séleucie ou celui d’Appolonie. Non, bien entendu, celui de Sinope. Celui-ci, on s’en souvient peut-être, cherchait en plein jour, dans les rues d’Athènes, aidé d’une lanterne, un homme véritable. Mais on aura probablement oublié qu’il passait un temps important à se masturber, ce qui n’est évidemment pas le cas du Diogène de Slate. Ceux de Slate sont tout, sauf des branleurs, à ce qu’on raconte en tout cas.

Alors, cet article. Je ne vais pas le paraphraser. Sachez qu’il est très clair, fluide, simple en apparence du moins. Diogène nous rapporte que le marché mondial financier des produits dits dérivés  représente environ 600 000 milliards de dollars de transactions chaque année. C’est tellement beaucoup que cela représente en fait dix fois la valeur du Produit intérieur brut (PIB) mondial. C’est-à-dire dix fois l’ensemble des biens et services produits par la totalité des pays du globe. Où l’on voit pour commencer, où l’on constate une nouvelle fois sans grande surprise que le jeu de roulette planétaire n’a plus aucun rapport avec une quelconque économie réelle, gagée sur des biens matériels existants.

La suite ? Bah ! vous vous doutez bien qu’une telle frénésie est également une bombe thermonucléaire. 90 % de ces échanges échappent au circuit de la Bourse classique et se traitent de gré à gré, empêchant toute vue d’ensemble de ce qui se passe et passera. Où est l’argent ? Où va-t-il ? Que fait-il ? Personne n’est en mesure de le dire. Oh, ne sautez pas tout de suite par la fenêtre ! Des réformes sont en cours, qui obligeraient les produits dérivés à passer devant des Chambres de compensation. Mais celles-ci ne seraient pas de taille, en toute hypothèse, à faire face à d’éventuelles défaillances massives.

La morale d’une telle leçon ? La première crève les yeux : nous y allons droit. Mais vous le saviez déjà. J’en ajouterai deux plus personnelles. La première est que cette machine géante à faire du fric quoi qu’il en coûte ne peut qu’accélérer la ruine des écosystèmes. Car la défense des équilibres sur quoi repose la vie n’a que peu de rapport avec l’univers du casino. Elle nécessite du temps, elle commande de dépenser beaucoup d’argent dans un but général et abstrait. Il s’agit de défendre la vie au motif qu’on la préfère à la mort. Nos amis aux 600 000 milliards de dollars sont assez étrangers à ces fumeuses interrogations. Quand ces gens-là auront tout détruit – perspective qui se rapproche à grands pas -, combien nous auront-ils coûté, sinon tout justement ?

La seconde question est destinée, sans espoir d’aucune réponse, à ce pauvre Diogène de Slate. Si j’étais eux, je crois bien que je me tairais un peu, tout de même. Car cela fait au moins vingt ans que moi, qui m’intéresse si peu à l’économie – cette économie-là -, je sais que les marchés dérivés nous mènent au chaos. Seulement, lorsque des critiques de leur monde le disaient ou l’écrivaient, ils avaient tort. Ils étaient idéologues. Ils étaient contre la marche triomphale du monde. Maintenant que le désastre est patent, c’est à qui – chez eux – se montrera le plus critique, le plus lucide, le plus inquiet.

Tenez, Chantal Jouanno, sous-ministre à l’Écologie, n’est-elle pas devenue, par quelque miracle, une pasionaria de la taxe Tobin, qui révulsait les siens naguère ? Que Diogène explique plutôt comment il a pu passer à côté d’une telle révolution dans le domaine qui était pourtant le sien ! Où avait-il mis sa lanterne ? Où se cachaient l’homme, les hommes et le monde ? Ceux qui se couvrent du manteau de Diogène n’auront jamais tort, car ce sont eux qui fabriquent jour après jour le vrai de l’instant. Ce qu’ils sont ? D’habiles artisans du ministère de la Vérité, celui de George Orwell. Slate, Attali, Colombani, Le Boucher. Et 600 000 milliards de dollars qui tournent de plus en plus vite. Pas drôle ? Non, pas trop.

18 réflexions sur « 600 000 milliards de dollars qui volent au vent »

  1. L’article de Slate

    La prochaine catastrophe financière est en marche

    Les transactions sur les produits financiers dérivés représentent dix fois le Pib mondial!

    Les marchés de produits financiers dérivés représentent plus de 600 000 milliards de dollars de transactions annuelles, soit rien moins que dix fois le Pib (Produit intérieur brut) mondial! Selon certaines estimations, le risque ultime que représentent ces marchés est compris entre 1 000 et 4 000 milliards de dollars. La plupart des «accidents» que la planète financière a connu depuis deux ans, à commencer par les «subprimes», ont, en effet, impliqué les marchés dérivés.

    Or les 9/10ème des transactions sur produits dérivés sont opérées sur des marchés dits de «gré à gré». Contrairement aux Bourses, où l’ensemble des offres et des demandes de produits standardisés est centralisé, sur les marchés de «gré à gré» les échanges sont bilatéraux et portent sur des opérations généralement non standardisées. Ces opérations ne permettent pas une vue d’ensemble précise des transactions et des risques. Elles réduisent de facto la liquidité potentielle des produits par une fragmentation extrême des transactions. Plus grave encore, ces opérations bilatérales laissent entier le risque sur la contrepartie des transactions. Or celles-ci peuvent un jour s’appeler LTCM, Lehman Brothers ou AIG… avec les conséquences que l’on sait. C’est pourquoi, depuis peu, les Gouvernements et les autorités financières préconisent un basculement progressif des modes de règlement ne privilégiant plus le «gré à gré» mais la compensation sur des marchés réglementés, ce qui a le mérite de supprimer le risque de contrepartie.

    Très bien. Les risques sur de nouveaux AIG, Lehman ou Merrill Lynch… n’existeront plus pour les dérivés de crédit ainsi compensés. Mais là n’est pas pour nous l’essentiel. L’essentiel découle du fait qu’il y aura, d’une part plusieurs chambres de compensation en concurrence et que, d’autre part, chacune d’elles n’aura ni la surface financière suffisante ni un actionnariat susceptible de la renflouer en cas de crise majeure.

    Après avoir poussé à la démutualisation des Bourses, les avoir fragilisées par l’incitation à créer des plateformes de négociation ou même à traiter les ordres en interne, on va maintenant leur demander d’être le garant en dernier ressort des risques de l’essentiel des activités de marché (d’abord les dérivés de crédit puis ultérieurement et logiquement les dérivés de taux, de change, d’actions, de matières premières, d’énergies…).

    Les chambres de compensation existantes sont tantôt contrôlées par un actionnaire majoritaire (Deutsche Borse, Nyse Euronext,…), tantôt détenues de façon très fragmentée par des consortiums associant des Bourses, de grandes banques, des fonds d’investissement et des courtiers, certains de ces investisseurs se retrouvant également actionnaires de Bourses et/ou de chambres concurrentes! Ces deux formes d’actionnariat sont porteuses de risque systémique. En cas de choc majeur sur un ou plusieurs marchés, les chambres de compensation, généralement dotées de fonds propres relativement limités, n’auront plus d’actionnaires susceptibles de les soutenir, contrairement au temps où les Bourses étaient des structures de place, de type coopératif.

    En temps ordinaire, les utilisateurs-actionnaires précités pèseront très fortement pour réduire les coûts qui leur seront facturés et feront jouer la concurrence entre les chambres pour obtenir des réductions de leurs dépôts de garantie, des appels de fonds et des garanties demandées. Plus grave, en cas de crise, les utilisateurs continueront à faire des arbitrages et cela pourrait amener les chambres à ne pas pouvoir relever les appels de marge au niveau exigé par les très fortes turbulences rencontrées. Et, en cas de problème de liquidité pour un ou plusieurs des intervenants, voire même en cas de défaillance(s), faute d’avoir des actionnaires capables de faire leur devoir, ces chambres seront elles-mêmes en quasi faillite. Il faut se rappeler, en effet, qu’elles n’ont pas le privilège des banques centrales de pouvoir prendre des risques presque sans limite grâce à leur pouvoir de création monétaire.

    Accepter que les chambres prennent des risques disproportionnées par rapport à leur surface financière ou leur permettre un refinancement quasi illimité auprès des banques centrales serait une fuite en avant très risquée. On pourrait se retrouver dans un environnement institutionnel de même nature que celui qui a conduit aux dérives constatées, aux Etats-Unis, avec Fannie Mae et Freddy Mac que le Trésor américain a dû quasiment nationaliser pendant la crise de l’automne 2008.

    Pour que la compensation des dérivés par des chambres de compensation sécurise vraiment les marchés financiers, ne faudrait-il pas imposer la création d’une structure de réassurance obligatoire – ou d’un «super fonds de garantie» – pour en faire un pare-feu capable de résister aux chocs violents?

    La Banque des Règlements Internationaux (BRI) vient de prouver qu’elle était consciente du problème. Des banques centrales travaillent sur la question. Pourvu que leur diagnostic soit entendu assez tôt et que les mesures d’accompagnement à la hauteur de ces nouveaux enjeux soient prises…

    Diogène

  2. apparemmemt les gardes fou qui régissent la bourse deviennent moin sur, avec le marché des produits dérivés(le « gré a gré)et cette souplesse non standardisé creer des différence de niveau de valeurs pouvant creer des cracks boursier,et dévalorisation de certains marché qui peuvent etre térrible au niveau mondial.Pas drole et comme tu l’exprime fabrice ,les écosystème en patissent ,et donc nous tous aussi;

  3. on peut qd mêm se dire que ces gens qui ont écrit cet article auraient pu penser à ceux de leurs lecteurs qui tout en n’étant pas des idiots ne possèdent pas le vocabulaire dont il se servent..m’est avis qu’il y a moyen d’écrire la mêm chose, dans le fond mais juste en précisant, au passage, quelques petites notions…histoire de se dire que ceux qui lisent suivent,ce journal n’est pas spécialisé dans la bourse que je sache; en même temps…si tout le monde comprend, c moins drôle! En même temps faut se dire que si c’était si grave, le type se serait arrangé pour se rendre vraiment intelligible au plus grand nombre puisque ses écrits sont censés leur apporter de la lumière; devraient aller faire un tour chez manicore!

  4. Chapeau bas devant tous ceux qui ont eu le courage de lire l’intégralité de l’article. Me suis arrêté avant la fin du premier tiers. Imbuvable ! Franchement, écrire de manière pointue sur le sujet qu’on maîtrise le « mieux », c’est simplissime, y a qu’à se parler à soi-même, ou écrire pour ses pairs. Moi, suis pas du sérail, je passe mon chemin…

  5. le diogène de slate sans se masturber,jouie de pouvoir avoir(a voir)le control financier,et donc les levier décisionnels pour souvent le pire.Au passage (la conséquence de ces antidiogène de la destruction),j’ai entendue que les grands singes(nos frères),auront disparut dans 20 ans si rien n’est fait.De plus ils ont vraiment le cynisme dans la peau;diogène pronait des valeurs a l’opposé de ce diogène de slate;oups j’ai glissé sur une lettre sylviane.

  6. A propos des banques, voici ce que déclarait Thomas Jefferson en 1802 (président des Etats-Unis de 1801 à 1809):  « Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat. Si le peuple américain permet un jour que des banques privées contrôlent leur monnaie, les banques et toutes les institutions qui fleuriront autour d’elles priveront les gens de toute possession, d’abord par l’inflation ensuite par la récession, jusqu’au jour où leurs enfants se réveilleront sans maison et sans toit, sur la terre que leurs parents ont conquis ».  

  7. « antidiogène de la destruction » c quoi? Rebondissant sur ce que dit Hacène, je me demande si le rédacteur de cet article maitrise bien son sujet..en même temps la branlette intellectuelle c quand mêm un exercice vachement répandu! « j’me comprends ».

  8. Diogene pronait je crois la liberté d’esprit,et la vie était pour lui ,la découverte de l’ame,et il pensait que vivre simplement (tres simplement )était une façon saine de vivre,dénué d’artifices.et l’appelation « diogène »a ce monstre financier,est pure délire,car leurs façon de concevoir le monde,et leurs façon de vivre dénotent tout le contraire des idéaux du philosophe.voila marie,j’espère etre plus limpide,et éffectivement leurs articles sont imbuvables ,car fait pour etre compris par certains.la valeur monetaire est arbitraire,dénué de sens ,car creer dans le cerveau et de sociétés ,peu scrupuleuses.mais les achats de nourritures,de logements,sont lié aux fluctuations de valeurs abstraite.

  9. Utiliser le nom du philosophe Diogène pour ce monstre est aussi juste que les dénominations suivantes « république populaire de Chine  » ou
    « République algérienne démocratique et populaire « 

  10. Quand les téradollars remplacent trop rapidement les millards de dollars, il faut s’inquiéter. La bulle n’est hélas que la partie émergée de l’iceberg de notre système sans âme. Accrochons-nous, 2010 va tanguer !

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