Jaime Semprun est mort

Inutile de beaucoup parler. La plupart ignoraient tout de Jaime Semprun, mort ces derniers jours. Il était un intellectuel, dans un sens perdu depuis si longtemps qu’il paraît n’avoir jamais existé. Penseur dans le fil situationniste, il avait créé et dirigeait une maison d’édition admirable, L’Encyclopédie des nuisances. Comme il était libre, il s’est beaucoup trompé. Je ne partageais pas la vision générale qu’il s’était faite de la vie sur cette terre, mais sa pensée était profonde, mais elle était féconde. Dans ce monde de pacotille qui est le nôtre, il était inévitable que sa disparition ne fasse pas une ligne, en dehors de l’hommage que lui a rendu Jean-Luc Porquet dans Le Canard Enchaîné.

Si vous avez envie de lire certains de ses livres, vous finirez bien par les trouver. Il ne se contentait pas de réfléchir, il savait écrire. Et sinon, restons-en là. Éditeur, il avait publié avec Ivrea quatre tomes prodigieux de textes et de lettres de George Orwell. Cette seule action suffirait à illustrer une vie, à mes yeux du moins. Voilà. Fini.

18 réflexions sur « Jaime Semprun est mort »

  1. Une anecdote en hommage :
    Un jour, il y a peut-être deux ans ? une librairie de ma région – ma mémoire flanche, j’hésite entre deux – avait rempli sa vitrine rien que de l’Encyclopédie … C’était beau …. J’étais plantée devant comme Cosette devant la grande poupée ! Pas de sous pour les acheter tous évidemment ! En acheter un ? Mais lequel ? En acheter trois ? Et regretter les autres … Beaucoup bavé ce jour là ! Grosse frustration. Mais en même temps le bonheur de savoir que ça existe …

    « Comme il était libre, il s’est beaucoup trompé »
    Oumpf !

  2. Il y a aussi un petit article du nouvel obs’. J’ai découvert l’Edn il y a douze ans à l’occasion de recherches sur les situationnistes et sur Guy Debord dont j’avais appris qu’il avait écrit occasionnellement pour cette revue, et c’est comme cela que j’ai pu connaître la pensée de Semprun, notamment par le biais du « discours préliminaire » et « histoire de dix ans », les deux premiers numéros de la revue qui m’avaient beaucoup impressionné. Il faudrait rééditer pour l’occasion cette oeuvre de salubrité publique (notamment contre cette canaille, promis à une longue carrière d’illusionniste, d’Attali) , dont je ne connais que des bribes, intitulé « précis de récupération » où il s’était grillé auprès de l’intelligentsia installé pour le restant de ses jours. Un intellectuel qui va manquer dans le paysage dèjà très appauvri de l’époque.

  3. Cher Fabrice Nicolino, Oui, hommage soit rendu à Jaime Semprun, et surtout attention à ce regard là qui était le sien. Ses livres donc, et un angle d’attaque à ne pas oublier.
    Après avoir lu l’article de J-L Porquet, j’ai fait un billet sur mon blog de Médiapart, histoire de signaler cette pénible disparition. Le billet fut en une une bonne partie de la journée, mais retiré de cette vitrine le soir-même…
    http://www.mediapart.fr/club/blog/jean-claude-leroy/110810/salut-jaime-semprun
    Très cordialement.
    jean-claude leroy

  4. Vous êtes libre d’écrire ce que vous voulez, Monsieur, mais êtes-vous sûr de ne pas vous tromper en affirmant que c’est à Paris que Jaime Semprun est mort ?

  5. Bonjour Fabrice,

    Dans le cache de Google Reader (l’application de Google pour les flux RSS), il y a une note de Planète sans visa, datant du 29 mai 2008, intitulée « La soirée du Canard enchaîné (sur Jaime Semprun) », qui raconte une rencontre entre Semprun, Porquet et vous-même, qui en disait plus long sur le défunt et sur son œuvre que la présente note. Apparemment elle n’est plus en ligne ici, dommage.

  6. Monsieur,

    Vous vous trompez sûrement et, de surcroît, vous n’avez que faire de mon amabilité pour rectifier en douce votre billet, un peu comme on réécrit l’histoire dans « 1984 ». Lisant votre dernier paragraphe, je me dis : quel hommage !

  7. Madame ou monsieur,

    Qui que vous soyez – car moi, je signe -, vous êtes un imbécile. Peut-être un proche de Jaime Semprun, mais un imbécile à coup certain. Si j’avais voulu réécrire quoi que ce soit en douce, aurai-je publié votre premier commentaire ? C’est parce que je ne recevais pas de précision de votre part que j’ai ôté le lieu – Paris – de mon petit texte, à titre conservatoire. Car en effet, j’avais écrit machinalement Paris, sans y réfléchir. Et il eût été absurde de laisser quelque chose dont je ne savais rien.

    Pour le reste, je sens dans vos mots tout ce qui a pu pourrir le climat quotidien dans les cercles influencés par le courant situationniste, auquel je n’ai jamais, et par chance pour moi, appartenu. Je ne sais si vous avez lu la correspondance d’Orwell. Si oui, alors vous en faites un singulier usage. Ma foi, je m’en remettrai.

    Fabrice Nicolino

  8. Plus sérieusement, le dernier livre de Semprun, cosigné avec René Riesel, paraît assez largement contredire tes propres positions, Fabrice. Auras-tu l’occasion de revenir sur « Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable » ? J’imagine que je ne serais pas le seul à te lire avec intérêt.

  9. « Comme il était libre , il s’est beaucoup trompé ». Alors comme ça, quand on l’est pas, libre, on ne se trompe pas? 🙂

  10. Jean-Luc,

    Je ne saurais te répondre, car je n’ai pas lu le livre de Semprun cosigné avec Riesel. D’une façon générale, je me sens en opposition définitive avec ce courant, pour de multiples raisons qu’il est impossible d’évoquer ici. Mais je peux au moins dire qu’à mes yeux – et je sens déjà le regard épouvanté des laudateurs -, il n’est que la marge extrême du monde qu’il a toujours prétendu détruire. Au plan théorique, je note, au fil des années, un tour de passe-passe stupéfiant qui fait disparaître le sujet même de l’histoire, telle que fantasmée si longtemps par les tenants du situationnisme, et c’est-à-dire le prolétariat, comme classe universelle émancipatrice. Dépourvue de ce socle imaginaire, cette pensée, fertile sur de nombreux points, ne pouvait qu’être incapable d’ouvrir la moindre perspective.

    Attention ! je ne dis pas que d’autres y sont parvenus, cela se saurait. Je dis, car je pense que ce mouvement n’a pas su produire la moindre analyse sur son être ni ses actes. Par exemple, comment diable un groupe anti-autoritaire a-t-il pu tolérer – fût-ce une seconde, et cette seconde a duré d’innombrables années – l’infâme domination d’un homme comme Debord ?

    Au-delà, je crois et j’ai d’ailleurs vu que ce courant ne pouvait pas penser vraiment le neuf, qu’il a toujours tenté d’identifier au vieux. Il ne suffit pas d’une langue, aussi maîtrisée qu’elle soit, pour produire une théorie générale de la société, laquelle demeure le grand enjeu intellectuel et moral des années présentes.

    Bien à toi,

    Fabrice Nicolino

  11. Sylvie,

    J’ai juste voulu dire que la liberté est le risque évident de la recherche, et que la recherche sincère conduit à son lot d’erreurs, fatalement. La liberté implique la faute, et bien souvent l’aberration. Quant à ceux qui se sentent entravés, que dire ? Qu’il leur reste à libérer la partie d’eux qui peut l’être. Elle existe chez tous, me semble-t-il.

    Fabrice Nicolino

  12. Et ça y’est, c’est reparti sur le supposé autoritarisme de Debord, toujours et encore ce même procès d’intention qu’on faisait jadis à Breton. Pour une époque si peu soucieuse de fidèlité à sa parole, on comprend que des hommes aussi cohérents dans leurs actes et leurs pensées puissent déranger et ce n’est pas pour rien qu’on les célèbre si peu (voir à ce propos la comparaison féconde que faisait l’Edn en 1997 entre Orwell et quelqu’un comme Malraux dans leur brochure « George Orwell devant ses calomniateurs »). Max vincent a répondu admirablement à ces sophismes à la suite d’un article d’un certain Lemi « de l’exclusion en avant-garde ». Pour Jaime Semprun, ce qu’on pourrait lui reprocher c’est d’avoir adopté dans les dernières années une position anti-industrielle qui certes, sur de nombreux points, permettaient d’en finir avec des vieux dogmes marxistes et situationnistes poussiéreux et inadaptés à la nouvelle ère du capitalisme mais qui s’est révélé à la longue une impasse théorique. Tous ceux qui s’intéressent à la critique sociale savent bien que l’Edn n’a pas été en mesure de produire une théorie adéquate sur la société présente, reste tout de même un héritage important dû à l’obstination de son éditeur qui, de la revue à la maison d’édition, aura permis de brasser un certain nombre d’idées et qui, même dans ses erreus et ses impasses, est à coup sur porteur de leçons pour l’avenir pour ceux en tout cas qui voudront bien se donner la peine de se pencher sur cette pensée.

  13. Si ta description du « courant » dont se réclamait Semprun était juste, si lui-même « n’a pas su produire la moindre analyse sur l’être ni sur les actes » de ce courant, alors je ne vois pas comment sa pensée pourrait mériter d’être par toi qualifiée de « profonde » et de « féconde » …

    Ta description du courant en question est au minimum incomplète – fort partiale en fait : on dirait un règlement de comptes.

    Revenons à Semprun. Il a plus d’une fois pointé le « vieux » – chez les situationnistes ou les gauchistes, comme du côté des écologistes – avec une certaine précision.

    Il parlait du « désastre déjà accompli dans les esprits », de l’ « enfermement dans le monde stérilisé de la simplification technique ».

    Dernièrement, il identifiait les « experts » catastrophistes à une nouvelle bureaucratie mondiale actuellement en formation. Le « vieux », encore et toujours à l’œuvre.

    Je ne suis pas un « laudateur ». Semprun n’est pas toujours profond ni convainquant. « L’abîme se repeuple » lui a valu les félicitations de Finkielkraut. Il faut bien croire qu’il les avait méritées.

    Il n’a sans doute pas su penser le « neuf », en effet. Mais il était sur la voie.

    Par exemple, en énonçant que « ce que l’homme fait à la nature, et la façon dont il le fait, c’est-à-dire la sorte de relation qu’il entretient avec elle, est l’exacte mesure de son humanisation ».

    Il a averti que « la réalité du désastre est inconnaissable par les moyens qui ont servi à la produire » – ceci pour les écologistes « scientifiques » et ceux qui leur accordent une bien excessive confiance.

    Il avait dit aussi, il y a longtemps, que « ce n’est pas sous l’empire de la peur que les hommes organiseront leur liberté, ce n’est pas de la panique que peut naître la conscience ».

  14. Jean-Luc,

    Je plaide coupable sans détour. Rentrant hier tard, j’ai découvert ton mot, et d’une manière stupide, j’ai cru pouvoir – et devoir – y répondre en quelques minutes. J’avais tort, bien entendu, et tu as bien raison de constater le très faible niveau de ma réponse. Je tâcherai donc d’y revenir d’une manière appropriée.

    Et mes excuses.

    Fabrice Nicolino

  15. Ben,

    Je maintiens intégralement à propos de Debord. Mais je n’ai aucunement envie de polémiquer sur une question qui me laisse désormais indifférent. Je ne changerai pas ton avis sur le sujet, et il y a peu de chances que le mien soit modifié par un éventuel échange. À distance raisonnable, pour ma part, je trouve risible que des destructeurs d’idoles aient pu accepter si longtemps le rôle de chef d’un homme prétendument leur égal. Bah !

    Fabrice Nicolino

  16. Tu dis dans une de tes réactions, que le situationisme n’a ouvert aucune perspective. Tu dis encore ne pas savoir si d’autres en ont ouvert? Lis ou relis Cornelius Castoriadis!
    Autre chose, peux-tu me laisser une adresse mail.
    Je voudrais t’envoyer un article écrit suite à l’écoute de ton intervention chez Ruth Stegassy sur les agrocarburants.

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