Je laisse la parole bien volontiers à Corinne Lepage. J’ai ferraillé avec elle plusieurs fois, et son passage au ministère alors de l’Environnement, au temps lointain où Alain Juppé était Premier ministre – 1995-1997 – m’a arraché bien des sarcasmes. Cette femme est de droite, sans l’ombre d’un doute. Mais elle est aussi écologiste, envers et malgré tout, et se montre au total bien plus critique que quantité de soi-disant militants, membres des associations ou partis officiels. Lisons ensemble ce texte paru sur Rue89 (ici), et qui me semble très éclairant.
Trois points. Un, nous sommes au milieu de l’été, ce qui rend émollientes bien des cervelles d’ordinaire mieux disposées à la bataille. Deux, le Grenelle de l’Environnement était bel et bien un deal passé entre compères. Un partage du territoire français, façon Yalta. Je te donne ceci, tu me dois cela. Enfin, la « bande des Quatre » – Greenpeace, WWF, Fondation anciennement Hulot, France Nature Environnement – que je dénonce dans mon livre Qui a tué l’écologie ?, ne moufte pas, et pour cause. C’est elle qui gagne le concours sarkozien. C’est elle qui pourra participer au débat, tandis que les autres feront tapisserie en attendant. Et nous n’aurons que nos yeux pour pleurer. À moins que.
Le décret qui entube en douce les assos pour l’environnement
Par Corinne Lepage | Présidente de Cap21 | 19/07/2011 | 19H35
Les mauvais coups se font généralement le 14 juillet ou le 15 août. C’est encore plus tentant en période de crise majeure, comme actuellement. C’est sans doute pour cette raison que le Journal officiel du 13 juillet publie un nouveau décret concernant les associations. Celui-ci fixe les modalités d’application au niveau national de la condition prévue au premier point de l’article R.141-21 du code de l’environnement, concernant les associations et fondations souhaitant participer au débat sur l’environnement dans le cadre de certaines instances.
Pour pouvoir participer, une association devra désormais compter au moins 2 000 adhérents. Quant aux associations d’utilité publique, elles devraient exercer leur action sur la moitié des régions au moins, et disposer d’un minimum de 5 000 donateurs, pour pouvoir se faire entendre.
Les seuls organismes ayant le droit de le faire entendre leur voix sur les politiques environnementales sont des organismes publics au sein desquels seules ces grandes associations ont le droit d’être représentées. De plus, l’Etat s’octroie le droit de vérifier les conditions de financement des associations pour s’assurer « de leur indépendance ».
Les assos les plus gênantes pour les lobbies handicapées
Ce texte est liberticide au regard de la liberté d’association ou plus précisément du droit des associations à se faire entendre. Il exclut en particulier toutes les associations d’experts qui ont fait l’essentiel du travail en termes d’alerte au cours des dernières années. Mouvement des générations futures – Criirad, Criigen, réseau santé environnement, Inf’OGM, pour n’en citer que quelques-uns – n’auront aux termes de ce texte plus le droit de participer, voire plus le droit d’être agréés puisque c’est l’agrément au titre de l’environnement lui-même qui est touché par ce décret scélérat.
Autrement dit, non seulement aucun texte de protection des lanceurs d’alerte n’a jamais été pris par ce gouvernement, du temps de monsieur Borloo comme a fortiori du temps de madame Kosciusko-Morizet, mais plus encore, c’est la capacité des associations les plus dérangeantes pour les lobbies défendus par le gouvernement qui est ici mise en cause. En effet, sans agrément, la capacité de porter plainte avec constitution de partie civile reste très réduite. Dans ces conditions, les procès mettant en cause ces lobbies deviennent beaucoup plus difficiles.
De la même manière, le fait que les agréments soient conditionnés par le nombre de personnes rendra très difficile la tâche des associations locales, constituées contre tel ou tel projet, telle ou telle infrastructure. Les préfets pourront toujours soutenir qu’elles ne remplissent pas les conditions. Ainsi le gouvernement s’est-il attaqué avec efficacité, une fois encore, aux modestes contre-pouvoirs que notre pays compte encore.
? Référence concernant l’arrêté du 12 juillet 2011 fixant les modalités d’application au niveau national de la condition prévue au 1° de l’article R. 141-21 du code de l’environnement concernant les associations et fondations souhaitant participer au débat sur l’environnement dans le cadre de certaines instance (JORF n°0161 du 13 juillet 2011, page 12 154).
RAJOUT, PLUS TARD DANS LA MÊME JOURNÉE : une amie me fait savoir que le WWF, étant une fondation et non une association, ne peut ester en justice. Cette structure ne profite donc pas de la mesure sarkozienne. Dont acte. Par ailleurs, une lettre d’une flopée de petites associations, contresignée par le WWF et Greenpeace, a été adressée à madame Kosciusko-Morizet, pour protestation. Ce qui demeure, c’est que le coup de force élyséen est la rançon du pacte signée au moment du Grenelle de l’Environnement, une sorte de conséquence logique dont sont éminemment responsables le WWF, Greenpeace et les deux autres cités au début de cet article.
Une mention pour France Nature Environnement, dont 70 % du financement est public. Dans une lettre interne d’explication, cette association argumente d’entrée de la sorte :
« Une réforme globalement positive, notamment grâce à l’intervention de FNE
Cette réforme était nécessaire. En effet, si la diversité contribue souvent à l’intérêt du débat, les conditions actuelles d’octroi de l’agrément aboutissaient à des abus. C’est bien la légitimité et la représentativité qui doivent d’abord primer dans le dialogue environnemental. »
J’espère vivement que ces gens paieront un jour leur vilenie, mais je n’en suis pas tout à fait certain.
