Jean-Paul Besset vient de démissionner du poste de président d’Europe-Écologie/Les Verts.
Moi, je clame sans hésiter que j’aime Jean-Paul Besset. Il s’agit d’une amitié, exigeante, et qui a commencé il y a bien longtemps, car je le connais depuis plus de vingt ans. J’ai rencontré Jean-Paul en janvier 1988, quand se lançait l’hebdomadaire Politis, qui existe encore. Il en deviendrait rédacteur-en-chef après une première crise lourde, à la fin de cette même année 1988, et tous deux, je crois pouvoir le dire, devînmes de véritables amis. Ensemble, nous faillîmes changer Politis en un hebdo écologiste dès septembre 1990. Ce qui ne s’est pas fait, pour une raison que vous découvrirez si vous lisez la page Wikipédia consacrée à Politis (ici).
Être amis, ce n’est pas chaque jour le printemps. Il nous arriva des heurts, certains assez violents. Mais l’amitié est aussi un rocher de granit. Il survit. Il ne bouge guère. Mon amitié est intacte. Avant de me connaître, Jean-Paul avait été un dirigeant de la Ligue Communiste Révolutionnaire, et contribué à lancer en 1976, en compagnie d’un certain Edwy Plenel, et de bien d’autres, le quotidien Rouge. Ensuite, il rejoignit le PS – mon Dieu, quelle horreur ! – et servit au cabinet de Laurent Fabius, Premier ministre à partir de l’été 1984. Mais Jean-Paul n’étant pas un courtisan, il partit ensuite en Nouvelle-Calédonie, mener une très aventureuse opération : la création d’un quotidien qui ne soit pas à la botte des Caldoches, les descendants en Kanaky de nous autres, les Blancs. Là-bas, il était devenu l’ami de Jean-Marie Tjibaou, qui serait ensuite assassiné.
Rien que cela devrait lui valoir médaille. Quand je le rencontrai à Politis, nous tombâmes d’accord sur l’essentiel. La crise de la vie. La nature. L’écologie. La bataille si hautement nécessaire. Nous partîmes ensemble de ce journal en septembre 1990. Nous avions envie, dans la suite, de créer un autre titre, que nous aurions appelé Apache. Je ne peux dire tout ce que nous avons tenté ensemble, jusqu’à créer la microscopique mais vaillante Agence d’information écologique (AIE), au tout début de 1992.
Le temps a passé. Pas l’amitié. Depuis trois ou quatre ans, Jean-Paul savait bien que nous avions divergé. Il était devenu ce que les journalistes appellent le « bras droit » de Nicolas Hulot. Il l’avait puissamment aidé à rédiger le fameux Pacte Écologique. Ensuite, aux dernières européennes, ayant adhéré – Dieu du ciel – à Europe-Écologie, il était devenu député, avec bureau à Bruxelles. Après une vie de combat, il avait bien gagné quelque repos, ce me semble en tout cas. Au moment de la fusion entre les Verts et Europe-Écologie, il était au centre du dispositif. Le poste de président du mouvement unifié lui était réservé. Bien que critique radical de cette forme-là de politique, je lui avais dit combien j’étais content pour lui.
Les événements ont décidé d’une autre suite. Jean-Paul vient de démissionner d’un poste pour lequel des centaines d’ambitieux vulgaires se seraient entretués. Il ne peut plus supporter ce qui est un enfer politicien. Et sans doute pire. Car l’histoire des Verts, que je n’écrirai jamais, reste à faire. Et elle serait pleine d’enseignements sur la marche du monde, à n’en pas douter. Je voulais en tout cas saluer mon ami. Lui dire combien j’aime son geste. Comme il réconcilie avec le projet humain. Comme il donne espoir à ceux qui en manquent parfois. La liberté n’est donc pas morte. Jean-Paul, ¡ abrazo !
PS : Il est certain que l’acte de Jean-Paul sera bientôt privé du moindre sens. Les apparatchiks, les innombrables nuls de cette histoire sauront le noyer sous des commentaires ineptes, de telle manière que plus personne n’en saisira le sens. Et les moins épouvantables oublieront vite qu’il existe décidément, et quoi qu’on dise, d’autres manières de faire de la politique. Mais pas à cet endroit.
La lettre de démission de Jean-Paul Besset
Pourquoi j’abandonne
J’ai décidé de renoncer à toute responsabilité au sein d’Europe Ecologie-Les Verts. Cette décision est mûrement réfléchie. Elle n’est le fruit ni d’un coup de tête ni d’un coup de blues. Elle révèle l’impuissance que je ressens de plus en plus douloureusement face à une situation de conflit interne qui m’apparaît, en l’état, dominante, indépassable, broyeuse d’énergie et d’espérance. Elle vise aussi à dissiper l’illusion fédératrice que ma présence entretient dans la direction du mouvement, entre marteau et enclume.
Autrement dit, j’avoue l’échec, personnel et collectif : je ne souhaite plus m’épuiser à construire des passerelles alors que l’essentiel des préoccupations consiste à entretenir les suspicions ou à rêver d’en découdre pour affaiblir tel courant, détruire tel individu ou conquérir tel pouvoir. Je n’assumerai pas plus longtemps la fiction et l’imposture d’un rôle revenant à concilier l’inconciliable.
Si ma mise à l’écart volontaire, dont je pèse amèrement le sens négatif aux yeux des militants sincères, peut servir à quelque chose, c’est de dissiper le rideau de fumée et chasser l’hypocrisie: que les masques tombent ! Que les couteaux sortent s’ils doivent sortir ou que les convictions l’emportent enfin sur les ambitions, mais qu’au moins il se passe quelque chose, qu’Europe Ecologie-Les Verts échappe à ce climat délétère de guerre froide et de paix armée !
I have a dream… Oui, j’avais fait le rêve que les Assises de Lyon, le 13 novembre, seraient une date « constituante », consacrant l’aboutissement d’une démarche de dépassement collectif pour construire une force alternative, responsable et désirable, indispensable aux enjeux de l’époque. Cette journée devait marquer les esprits au point de les transformer grâce à un sentiment d’appartenance commune, emportés par une dynamique qui submergerait les inévitables aigreurs, les petits calculs, les préjugés stupides, les médiocrités recuites. J’ai cru que la force de l’essentiel l’emporterait sur les turpitudes usuelles. Qu’il y aurait donc un avant et un après Lyon…
Je me suis trompé. Lourdement. Il est impossible de parvenir à faire la paix entre ceux qui aspirent à la guerre.
Il y a bien un après Lyon… mais, à l’image du nom retenu (Europe Ecologie-Les Verts), il reproduit ce que nous avions eu tant de mal à contenir dans l’avant Lyon : le scénario des crispations et des jeux claniques, la comédie du pouvoir, le monopoly des territoires. Règlements de compte, délices du déchirement, obsessions purificatrices et procès en sorcellerie saturent à nouveau l’espace, au point de rendre l’air interne irrespirable et le travail politique secondaire.
La fusion-dépassement n’a pas eu lieu. Le fossé des défiances reste plus béant que jamais entre ceux supposés vouloir rester en famille et ceux suspectés de chercher le divorce pour la recomposer, rendant impossible toute entreprise commune. D’un côté, le parti où nombre de Verts verrouillent une reproduction à l’identique, avec les mêmes têtes, les mêmes statuts, les mêmes pratiques, les mêmes courants, la même communication pseudo radicale, la même orientation servile vis à vis de la gauche; de l’autre côté, la Coopérative que certains veulent instrumentaliser en machine de guerre contre le parti. Dans ces conditions, aucune discussion sereine, aucun désaccord rationnel ne peut exister. Chaque choix est hypothéqué, chaque initiative s’avère lourde de conflits.
Par bonheur, la dramaturgie de nos luttes fratricides en reste aux simulacres. Elle ne tue pas vraiment mais elle use, elle ronge, elle épuise, elle désespère. Certains bâtisseurs, comme mon vieux complice Pascal Durand, ont déjà pris leurs distances. A mon tour de déclarer forfait et de refuser d’assumer plus longtemps un rôle d’équilibre alors qu’on me somme chaque instant de choisir un camp, de dénoncer machin ou de sacrifier truc, de justifier le moindre acte des « autres », de prendre parti dans le choc des ego, de participer au grand concours des détestations, bref de faire tout ce que je déteste.
J’ai contribué à construire un mouvement que je juge désormais métastasé et auquel, pas plus que quiconque, je ne sais apporter de remèdes. Je n’entretiens aucun ressentiment, j’apprécie les qualités individuelles des un(e)s et des autres, je ne regrette rien du chemin. Mais, sous l’impact de trop fortes pesanteurs internes engendrées par les coutumes du vieux monde politique dont toutes – je dis bien toutes! – les sensibilités d’EELV portent les stigmates, la mayonnaise collective a tourné et déprécie maintenant les énergies.
C’est humainement insoutenable. C’est en tout cas à mille lieux du projet qui m’habitait. Je renonce donc sans rien sacrifier de mon espérance dans l’écologie politique comme horizon de survie et d’émancipation. Sous réserve, peut être, d’un sursaut durable et d’un ressaisissement collectif que mon retrait pourrait favoriser.
6 décembre 2010
Jean-Paul Besset