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Grandeur et décadence (sur Yann Arthus-Bertrand)

Franchement. Franchement. Peut-être y aura-t-il un jour où les yeux verront ? Je n’en sais rien, je n’en sais plus rien, je ne parierais pas un sou sur la réponse. Peut-être. Il est évident à qui sait regarder en face que nous sommes plongés dans une époque de décadence confuse mais complète. La valeur des choses comme le mérite des personnes n’existent plus. Plutôt, on juge des deux en fonction des apparitions à la télé ou des occurrences sur Google. Il est sûr que cela aura une fin, mais quelle sera-t-elle, et quand ?

J’ai croisé Yann Arthus-Bertrand il y a un peu moins de vingt ans, dans un journal pour lequel j’écrivais. Il n’était connu que comme photographe. Évidemment, nul ne songeait alors à ce qu’il deviendrait. Autant que je me souvienne, les avis à son sujet étaient partagés. Sur sa photo de même que sur sa personnalité. Exactement ce qui se passe chaque jour au sujet de quiconque. Et puis, la machine s’est emballée, pour une seule et même raison : son livre La Terre vue du ciel a été un colossal succès public. C’est un beau livre, mais ce n’est pas la seule explication. Car des beaux livres, il en est d’autres. Et de plus beaux.

Non, la vraie raison n’est sans doute pas saisissable, mais il est au moins un ingrédient : le livre a capté des instantanés de la beauté du monde, sur fond d’inquiétude générale, et mis en scène un mélange de joie et de mélancolie. Sans ennuyer personne, sans désigner aucun responsable de ce qui se passe aujourd’hui sur terre. C’est un bon procédé. La preuve, c’est que cela marche. Le temps a passé depuis, et YAB – oui, ses affidés et proches le nomment ainsi – est devenu une icône de l’écologie bisounours. Plus niais tu meurs. Il y avait une place médiatique – une niche – à prendre, à côté du boy-scoutisme de Nicolas Hulot, et YAB l’a fort justement repérée, puis occupée.

Il est désormais un oracle, à la tête d’une ONG appelée Good Planet, qui est financée par l’industrie. À commencer par BNP-Paribas, engagée d’un bout à l’autre de la terre dans des projets de destruction écologique. On me dit qu’il envisageait récemment de passer contrat avec Dassault, le fabricant d’avions de guerre, fervent soutien du pire. Cela ne m’étonne guère. Pour l’avoir entendu et lu quelquefois, je me dois d’écrire qu’il est ignorant. Ce n’est pas si grave à mes yeux, et dans ce registre, il y a bien pire. Mais ignorant il est. Après tout, il est photographe, pas intellectuel. Le seul problème, c’est qu’il a fini par croire au personnage que l’image voulait obtenir de lui. Il lui est poussé des ailes. Il se la pète, comme on dit, sous couvert de (fausse) modestie. Je ne prendrais qu’un exemple, que m’a offert une lectrice de Planète sans visa, Sylviane. Dans un chat organisé par le quotidien La Libre Belgique, Arthus-Bertrand prend au passage une ferme position sur le nucléaire.

Que sait-il du sujet ? De sa place dans le dispositif énergétique mondial – 6,8 %, moins que les énergies renouvelables -, de ses dangers, de sa prolifération insensée, souvent à l’origine de la France ? Rien. Je répète : rien. Mais comme il est désormais une ridicule Pythie, il se permet d’en parler quand même. Dans le chat évoqué (ici), il ose dire : « nous avons besoin du nucléaire ». Vous imaginez l’impact ? Pas un argument. Pas un exemple. La seule force d’une autorité « vue à la télé ». C’est à pleurer.

Le comble, mais ce dernier ne sera jamais atteint, encore moins dépassé, c’est que les gens de Good Planet ont tenté l’an passé comme un coup de force contre lui. Conscients de la difficulté en France de se montrer écologiste tout en étant pro-nucléaire, ils ont publié un communiqué (ici) prétendant que « le photographe Yann Arthus-Bertrand et la fondation GoodPlanet qu’il préside “prennent position sans aucune ambiguïté contre le nucléaire” ». Je comprends leur démarche, mais elle était et reste totalement mensongère. La vérité est qu’Arthus-Bertrand défend l’énergie nucléaire. Et qu’il défend donc, car il s’agit d’un bloc – ô mânes de Michelet -, la vente de réacteurs nucléaires à des États aussi vertueux que la Libye de Kadhafi et la Chine stalinienne du laogai.

Qu’ajouter ? Je regarde cet homme, que je ne déteste pas, mais je n’arrive pas à trouver le moindre rapport entre ce qu’il fait et ce que je tente. Je ne vois rien à lui annoncer. Je n’imagine rien qu’il pourrait me dire. S’il est écologiste, je ne le suis pas. Et inversement.

Un si beau personnage (Philippe Meirieu)

Vraiment un étrange parti qu’Europe-Écologie (Les Verts). J’ai évoqué ici même, voici quelques jours, le départ tonitruant de la présidence (provisoire) de ce mouvement de Jean-Paul Besset. Je pensais que son acte serait aussitôt comme effacé. Eva Joly, qui devrait représenter ce courant à la prochaine élection présidentielle, a déclaré ce week-end : « Le retrait de Jean-Paul Besset est un signal d’alerte important, que l’on prend très au sérieux, et en même temps l’arrivée de Philippe Meirieu est une très bonne chose, ça traduit le fait que nous sommes repartis sur la bonne voie ».

Mais quel terrible commentaire ! Car de deux choses l’une, en effet. Ou Besset disait, dans sa lettre de démission, des choses vraies, et en ce cas, il faut accepter d’en discuter publiquement, sans en redouter les conséquences électorales. Ou il aura écrit n’importe quoi, et dans ce cas, comment expliquer qu’un parti responsable ait pu être représenté par un fou ? Ou, ou. Je rappelle quelques termes employés par Besset :« Autrement dit, j’avoue l’échec, personnel et collectif : je ne souhaite plus m’épuiser à construire des passerelles alors que l’essentiel des préoccupations consiste à entretenir les suspicions ou à rêver d’en découdre pour affaiblir tel courant, détruire tel individu ou conquérir tel pouvoir. Je n’assumerai pas plus longtemps la fiction et l’imposture d’un rôle revenant à concilier l’inconciliable ».

Mais je m’empresse d’ajouter un mot à celui de l’autre jour. Jean-Paul aurait pu, il aurait dû selon moi nommer ce qu’il dénonçait. Dire qui, comment, et peut-être pourquoi. De manière à permettre un (très hypothétique) sursaut. En restant volontairement dans le flou, il aura réarmé ceux qui vivent dans l’ombre, et qui s’en portent fort bien. De toute façon, franchement, cela n’a pas beaucoup d’importance. Je sais que beaucoup des lecteurs de Planète sans visa votent ou voteront pour Europe-Écologie. Cela me laisse, soyons sincère, indifférent.

Ce parti, pour de multiples raisons, endogènes comme exogènes, n’est pas écologiste, ni ne le deviendra. Je sais que chacun a le droit d’avoir et de défendre sa définition. La mienne est simple : est écologiste qui considère la crise écologique planétaire et subordonne tout engagement en France à la lutte pour la sauvegarde des écosystèmes. Tel n’est pas, tel ne sera jamais le cas de ce conglomérat dominé par des opportunistes et de redoutables manœuvriers. Attention, tous ne le sont pas ! J’en sais de très sympathiques. De très vaillants. Mais je ne les vois guère au premier rang. Surtout, il n’en est quasiment aucun qui sache si peu que ce soit parler de la nature, de la vie sauvage, des animaux, des océans et des forêts, des déserts du monde.

Le successeur de Jean-Paul Besset a été tôt désigné. Il s’agit de Philippe Meirieu, que je connais de loin, pour avoir entendu parler de lui à l’occasion. Nul doute qu’il est une excellente personne. Pédagogue passionné, proche de l’idée de que je me fais de l’école, capable de s’enthousiasmer au contact des enfants du peuple, il m’est spontanément sympathique. Et pourtant ! Il fait partie de cette litanie d’hommes et de femmes qui auront croisé un jour la route du parti dit écologiste. Meirieu aura été l’essentiel de sa vie socialiste. Sollicité pour mener la liste d’Europe-Écologie dans la région Rhône-Alpes en 2010, il a accepté. Et le voilà donc président du machin. Oserai-je l’écrire ? Il me fait penser à cette catégorie apparue dans le premier tiers du siècle passé, qu’on appelait les « idiots utiles ». Ceux qui servaient sans s’en rendre compte une autre cause que celle qu’ils pensaient défendre. Autrement dit, ceux qu’on manipulait.

Je suis bien convaincu que Meirieu est un homme intelligent. Mais je ne sais que trop comment la machinerie bureaucratique des Verts, huilée, rodée depuis des décennies, tenue par des gens arcboutés sur des statuts qui verrouillent la démocratie, la seule, la vraie, sont maîtres de la situation. Puis, tout de même : Meirieu n’a rien à voir avec l’écologie, dans le sens en tout cas que je donne à ce mot. Lisez, si le cœur vous en dit, ce que Meirieu dit de lui-même (ici). Ce n’est pas une honte, certes, mais aucun fait important de sa vie ne se confond avec la nature et les éléments naturels. Il n’est pas le seul, j’en suis d’accord. Mais il est censé représenter le parti écologiste. Vous me direz que ce dernier ne l’est pas, ce que je viens d’écrire. Et justement, nous en sommes là. Un parti qui n’est pas écologiste est représenté par un homme qui ne l’est pas davantage. Et nous ne disposons pourtant, en toute hypothèse, que de bien  peu de temps pour éviter l’iceberg. Il faut donc trouver d’autres forces.

J’aime beaucoup Jean-Paul Besset

 Jean-Paul Besset vient de démissionner du poste de président d’Europe-Écologie/Les Verts.

Moi, je clame sans hésiter que j’aime Jean-Paul Besset. Il s’agit d’une amitié, exigeante, et qui a commencé il y a bien longtemps, car je le connais depuis plus de vingt ans. J’ai rencontré Jean-Paul en janvier 1988, quand se lançait l’hebdomadaire Politis, qui existe encore. Il en deviendrait rédacteur-en-chef après une première crise lourde, à la fin de cette même année 1988, et tous deux, je crois pouvoir le dire, devînmes de véritables amis. Ensemble, nous faillîmes changer Politis en un hebdo écologiste dès septembre 1990. Ce qui ne s’est pas fait, pour une raison que vous découvrirez si vous lisez la page Wikipédia consacrée à Politis (ici).

Être amis, ce n’est pas chaque jour le printemps. Il nous arriva des heurts, certains assez violents. Mais l’amitié est aussi un rocher de granit. Il survit. Il ne bouge guère. Mon amitié est intacte. Avant de me connaître, Jean-Paul avait été un dirigeant de la Ligue Communiste Révolutionnaire, et contribué à lancer en 1976, en compagnie d’un certain Edwy Plenel, et de bien d’autres, le quotidien Rouge. Ensuite, il rejoignit le PS – mon Dieu, quelle horreur ! – et servit au cabinet de Laurent Fabius, Premier ministre à partir de l’été 1984. Mais Jean-Paul n’étant pas un courtisan, il partit ensuite en Nouvelle-Calédonie, mener une très aventureuse opération : la création d’un quotidien qui ne soit pas à la botte des Caldoches, les descendants en Kanaky de nous autres, les Blancs. Là-bas, il était devenu l’ami de Jean-Marie Tjibaou, qui serait ensuite assassiné.

Rien que cela devrait lui valoir médaille. Quand je le rencontrai à Politis, nous tombâmes d’accord sur l’essentiel. La crise de la vie. La nature. L’écologie. La bataille si hautement nécessaire. Nous partîmes ensemble de ce journal en septembre 1990. Nous avions envie, dans la suite, de créer un autre titre, que nous aurions appelé Apache. Je ne peux dire tout ce que nous avons tenté ensemble, jusqu’à créer la microscopique mais vaillante Agence d’information écologique (AIE), au tout début de 1992.

Le temps a passé. Pas l’amitié. Depuis trois ou quatre ans, Jean-Paul savait bien que nous avions divergé. Il était devenu ce que les journalistes appellent le « bras droit » de Nicolas Hulot. Il l’avait puissamment aidé à rédiger le fameux Pacte Écologique. Ensuite, aux dernières européennes, ayant adhéré – Dieu du ciel – à Europe-Écologie, il était devenu député, avec bureau à Bruxelles. Après une vie de combat, il avait bien gagné quelque repos, ce me semble en tout cas. Au moment de la fusion entre les Verts et Europe-Écologie, il était au centre du dispositif. Le poste de président du mouvement unifié lui était réservé. Bien que critique radical de cette forme-là de politique, je lui avais dit combien j’étais content pour lui.

Les événements ont décidé d’une autre suite. Jean-Paul vient de démissionner d’un poste pour lequel des centaines d’ambitieux vulgaires se seraient entretués. Il ne peut plus supporter ce qui est un enfer politicien. Et sans doute pire. Car l’histoire des Verts, que je n’écrirai jamais, reste à faire. Et elle serait pleine d’enseignements sur la marche du monde, à n’en pas douter. Je voulais en tout cas saluer mon ami. Lui dire combien j’aime son geste. Comme il réconcilie avec le projet humain. Comme il donne espoir à ceux qui en manquent parfois. La liberté n’est donc pas morte. Jean-Paul, ¡ abrazo !

PS : Il est certain que l’acte de Jean-Paul sera bientôt privé du moindre sens. Les apparatchiks, les innombrables nuls de cette histoire sauront le noyer sous des commentaires ineptes, de telle manière que plus personne n’en saisira le sens. Et les moins épouvantables oublieront vite qu’il existe décidément, et quoi qu’on dise, d’autres manières de faire de la politique. Mais pas à cet endroit.

La lettre de démission de Jean-Paul Besset

Pourquoi j’abandonne

J’ai décidé de renoncer à toute responsabilité au sein d’Europe Ecologie-Les Verts. Cette décision est mûrement réfléchie. Elle n’est le fruit ni d’un coup de tête ni d’un coup de blues. Elle révèle l’impuissance que je ressens de plus en plus douloureusement face à une situation de conflit interne qui m’apparaît, en l’état, dominante, indépassable, broyeuse d’énergie et d’espérance. Elle vise aussi à dissiper l’illusion fédératrice que ma présence entretient dans la direction du mouvement, entre marteau et enclume.

Autrement dit, j’avoue l’échec, personnel et collectif : je ne souhaite plus m’épuiser à construire des passerelles alors que l’essentiel des préoccupations consiste à entretenir les suspicions ou à rêver d’en découdre pour affaiblir tel courant, détruire tel individu ou conquérir tel pouvoir. Je n’assumerai pas plus longtemps la fiction et l’imposture d’un rôle revenant à concilier l’inconciliable.

Si ma mise à l’écart volontaire, dont je pèse amèrement le sens négatif aux yeux des militants sincères, peut servir à quelque chose, c’est de dissiper le rideau de fumée et chasser l’hypocrisie: que les masques tombent ! Que les couteaux sortent s’ils doivent sortir ou que les convictions l’emportent enfin sur les ambitions, mais qu’au moins il se passe quelque chose, qu’Europe Ecologie-Les Verts échappe à ce climat délétère de guerre froide et de paix armée !

I have a dream… Oui, j’avais fait le rêve que les Assises de Lyon, le 13 novembre, seraient une date « constituante », consacrant l’aboutissement d’une démarche de dépassement collectif pour construire une force alternative, responsable et désirable, indispensable aux enjeux de l’époque. Cette journée devait marquer les esprits au point de les transformer grâce à un sentiment d’appartenance commune, emportés par une dynamique qui submergerait les inévitables aigreurs, les petits calculs, les préjugés stupides, les médiocrités recuites. J’ai cru que la force de l’essentiel l’emporterait sur les turpitudes usuelles. Qu’il y aurait donc un avant et un après Lyon…

Je me suis trompé. Lourdement. Il est impossible de parvenir à faire la paix entre ceux qui aspirent à la guerre.

Il y a bien un après Lyon… mais, à l’image du nom retenu (Europe Ecologie-Les Verts), il reproduit ce que nous avions eu tant de mal à contenir dans l’avant Lyon : le scénario des crispations et des jeux claniques, la comédie du pouvoir, le monopoly des territoires. Règlements de compte, délices du déchirement, obsessions purificatrices et procès en sorcellerie saturent à nouveau l’espace, au point de rendre l’air interne irrespirable et le travail politique secondaire.

La fusion-dépassement n’a pas eu lieu. Le fossé des défiances reste plus béant que jamais entre ceux supposés vouloir rester en famille et ceux suspectés de chercher le divorce pour la recomposer, rendant impossible toute entreprise commune. D’un côté, le parti où nombre de Verts verrouillent une reproduction à l’identique, avec les mêmes têtes, les mêmes statuts, les mêmes pratiques, les mêmes courants, la même communication pseudo radicale, la même orientation servile vis à vis de la gauche; de l’autre côté, la Coopérative que certains veulent instrumentaliser en machine de guerre contre le parti. Dans ces conditions, aucune discussion sereine, aucun désaccord rationnel ne peut exister. Chaque choix est hypothéqué, chaque initiative s’avère lourde de conflits.

Par bonheur, la dramaturgie de nos luttes fratricides en reste aux simulacres. Elle ne tue pas vraiment mais elle use, elle ronge, elle épuise, elle désespère. Certains bâtisseurs, comme mon vieux complice Pascal Durand, ont déjà pris leurs distances. A mon tour de déclarer forfait et de refuser d’assumer plus longtemps un rôle d’équilibre alors qu’on me somme chaque instant de choisir un camp, de dénoncer machin ou de sacrifier truc, de justifier le moindre acte des « autres », de prendre parti dans le choc des ego, de participer au grand concours des détestations, bref de faire tout ce que je déteste.

J’ai contribué à construire un mouvement que je juge désormais métastasé et auquel, pas plus que quiconque, je ne sais apporter de remèdes. Je n’entretiens aucun ressentiment, j’apprécie les qualités individuelles des un(e)s et des autres, je ne regrette rien du chemin. Mais, sous l’impact de trop fortes pesanteurs internes engendrées par les coutumes du vieux monde politique dont toutes – je dis bien toutes! – les sensibilités d’EELV portent les stigmates, la mayonnaise collective a tourné et déprécie maintenant les énergies.

C’est humainement insoutenable. C’est en tout cas à mille lieux du projet qui m’habitait. Je renonce donc sans rien sacrifier de mon espérance dans l’écologie politique comme horizon de survie et d’émancipation. Sous réserve, peut être, d’un sursaut durable et d’un ressaisissement collectif que mon retrait pourrait favoriser.

6 décembre 2010

Jean-Paul Besset

Du purin sur les dossiers (de l’aéroport Notre-Dame-des-Landes)

Publié une première fois le 29 novembre, j’ai décidé de publier ce papier le 30, car je ne voulais pas, mais pas du tout, contrarier la rigolade au sujet de Claude Allègre. J’espère qu’on me pardonnera.

Gérard – des bises à Marie-Hélène – m’envoie un lien fort rigolo (ici) à propos de la noble bagarre contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. Je radote, mais avec bonheur : il s’agit d’un combat d’une importance cruciale pour nous tous. Il faut soutenir les opposants par tous les moyens à notre disposition, bombe nucléaire mise à part. De son côté, le quotidien Ouest-France rend compte du même épisode avec purin. Je vous laisse l’article ci-dessous. Deux plaisirs le même jour (voir l’article précédent sur Allègre), je crois que l’on peut appeler cela un bon lundi.

L’article se trouve aussi ici.

Saint-Nazaire

Les élus nazairiens empêchés de voter le financement du futur aéroport

Plusieurs organisations avaient appelé à manifester devant la mairie de Saint-Nazaire, ce soir, au moment où les élus de l’agglomération devaient délibérer sur leur participation financière au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Une trentaine de personnes a pénétré dans la mairie et rejoint le premier étage aux cris de «Non à l’aéroport».

Avant même que le conseil d’agglomération ne débute, deux personnes ont pénétré dans la salle des délibérations où étaient réunis les maires. Ils ont aspergé les tables de lisier et fracassé des oeufs sur la moquette. Plusieurs élus ont eu à subir des dégâts sur leurs vêtements.

Considérant qu’il n’était pas possible de siéger dans cet environnement, le président de l’agglomération, Joël Batteux a annulé la réunion des délégués des dix communes de l’agglomération. Elle est reportée la semaine prochaine. Elle se tiendra à huis clos.

Les élus verts de l’agglomération ont «condamné fermement ces actes commis par des groupuscules qui refusent le débat démocratique». Julien Durand, agriculteur et représentant de la coordination des associations opposées à Notre-Dame-des-Landes dénonce également «ces actes individuels isolés».

Pour le conseiller général socialiste, Philippe Grosvalet, «les élus verts qui profèrent des menaces contre les institutions démocratiques récoltent ce qu’ils sèment.»

La communauté d’agglomération Cap Atlantique de la presqu’ile guérandaise doit délibérer jeudi sur cette même question.

Je cède ma place à Brice Lalonde (de bon cœur)

Le magazine Terra Eco (ici) publie dans sa dernière livraison un entretien avec Brice Lalonde. Et il est passionnant. Lalonde, ci-devant écologiste – il y a désormais si longtemps – est devenu ultralibéral et copine avec Alain Madelin, ancien responsable politique français reconverti dans les affaires. Lalonde est l’un des meilleurs symboles d’un mouvement surgi des profondeurs du système. Ce qu’on nomme le « développement durable », qui n’est rien d’autre, dans l’esprit de ses concepteurs, qu’un développement appelé à durer. Éternellement. En somme, Lalonde représente le capitalisme vert, qui utilise cette déjà vieille combine nommée chez nous Ripolin et chez d’autres greenwashing. On passe un coup de badigeon, et l’on repart à l’assaut des mers, des forêts, des sols et des peuples.

Attention, Lalonde n’est pas un quelconque pékin. Ambassadeur de la France pour les négociations climatiques, il va coordonner pour les Nations Unies le Sommet de la Terre prévu à Rio en 2012. Un Sommet dans les coulisses duquel des hommes comme Stephan Schmidheiny font la pluie et le beau temps. Ce Suisse est l’héritier du groupe Eternit, spécialisé dans l’amiante, dont l’activité a tué et continue de tuer des milliers de prolétaires d’un bout à l’autre de la planète. Un procès historique se tient en ce moment à Turin, où Schmidheiny est l’un des principaux accusés. Mais il a prudemment décidé de ne pas se présenter.

C’est qu’entre-temps, il a refait sa vie. On croirait presque de la chirurgie esthétique. Installé la plupart du temps en Amérique latine, il y a créé une série de fondations vouées au « développement durable ». Avina, par exemple (ici). Dès 1992, il était le bras droit de Maurice Strong, ancien patron de l’industrie pétrolière canadienne, dans l’organisation du premier Sommet de la Terre de Rio. Un ami me dit qu’il en sera de même pour l’édition 2012. Je n’ai pas encore vérifié, mais je suis prêt à parier que oui. Or Schmidheiny est aussi le fondateur du World Business Council for Sustainable Development (WBCSD). Ce Conseil mondial des entreprises pour le développement durable regroupe d’innombrables philanthropes, parmi lesquels BP, Shell, Syngenta, BASF, Areva, Novartis, Unilever, China Petrochemical Corporation, etc.

Lalonde-Schmidheiny même combat ? Je le crois. Je le crains. Maintenant lisez Lalonde dans le texte. C’est fameux de la première à la dernière ligne. Vous n’avez pas besoin de moi, je pense, pour comprendre de quoi il retourne. J’en profite pour lancer une nouvelle fois un Appel pour préparer la déconstruction critique du funeste Sommet de la Terre 2012, qui s’annonce comme le pire événement des années sombres où nous sommes par force plongés.

Terra eco : Personne ne semble croire à un accord global sur la réduction des émissions à Cancún. Mais que peut-on vraiment attendre de ce sommet ?

Brice Lalonde  : Il faut qu’il y ait une avancée et qu’on scelle cette avancée. On sait déjà que sur certains points, on peut parvenir à un accord : sur les émissions qui proviennent de la déforestation, sur la coopération technologique, sur la création d’un fonds vert qui viendra compléter les mécanismes de financement existants. Et on sait aussi qu’on doit pouvoir traduire, dans une décision, les engagements qui ont été pris à Copenhague par les chefs d’Etat en matière de réduction d’émissions et de transparence. On sait que tout cela est possible.

Mais on ne pourra avancer que si l’ensemble de ces points constitue un ensemble à peu près équilibré. Avant, on croyait à un accord exhaustif (soit il y avait un accord sur tout, soit pas d’accord du tout, ndlr) ; aujourd’hui, on a compris qu’on n’y arriverait jamais. On cherche donc un accord dans lequel tout le monde trouve son compte : le Nord, le Sud mais aussi les pays développés entre eux. C’est un équilibre délicat. En principe, ça se passe la dernière nuit de négociation, quand tout d’un coup les ministres se disent : « Ça y est. On a trouvé quelque chose ». Reste que certaines questions peuvent faire déraper le processus. Notamment celle de la forme juridique que doit prendre l’engagement des pays non engagés dans Kyoto. Ou parce que dans le système des Nations unies, où les décisions sont prises à la quasi-unanimité, il suffit que trois ou quatre pays ne soient pas d’accord pour tout bloquer…

Vous parlez d’accord sur des points précis. Un accord global sur les émissions prendra plus de temps ?

190 pays, vous vous rendez compte ? Le paysan andin, le pêcheur mauritanien, le commerçant chinois, tous ces gens pour lesquels le changement climatique n’est pas la première priorité ! Que 190 pays avec toute cette population signe un traité dont l’objectif sera de transformer l’économie mondiale, de progressivement sonner le glas des combustibles fossiles, de passer aux énergies renouvelables, à la sobriété énergétique… Ce n’est quand même pas rien ! Ce n’est pas pour tout de suite, voilà.Disons qu’en 2011, en Afrique du Sud, on peut attendre que l’accord de Cancún soit complet. On aura déblayé ce qui reste à négocier pour mettre en place la seconde phase de Kyoto pour les pays engagés dans le protocole et on aura négocié ce qui reste à déterminer de l’accord de Copenhague : le fonds vert, la source des financement innovants… Ce sera le dernier accord double avant l’accord unique.

Un accord unique qui commence à ressembler au Graal…

Oui, c’est tout à fait ça. C’est comme en physique, on cherche la grande unification ! Mais cet accord ne viendra peut-être que valider ce qui existera déjà. L’impulsion du changement, je ne pense pas qu’elle vienne des Nations unies, je pense qu’elle vient d’ailleurs. Elle vient de groupes plus petits, peut-être de deux ou trois pays…

 Les chefs d’Etat ne devraient pas être présents à Cancún. Certaines ONG pensent que cela apaisera le débat. Vous-même, le regrettez-vous ?

 A Copenhague, heureusement que les chefs d’Etat sont venus. Ils ont transpiré, ils ont mouillé leur chemise. J’étais absolument épaté. Ils ont passé une nuit blanche et une journée entière à négocier. S’ils n’avaient pas été là, ç’aurait été un échec total.

Leur présence est importante. C’est tellement lourd ce qu’il y a à décider… Refaire toute l’économie mondiale, c’est quand même une affaire importante. Et la plupart du temps, les ministères de l’Environnement des pays n’ont pas la capacité d’engager de tels budgets. Mais il faut faire avec ce qu’on a. Au moins, nous aurons des ministres.

Vous allez quitter le poste d’ambassadeur français pour le climat l’année prochaine. Vous ne verrez peut-être jamais la signature un accord international…

Je ne serai pas loin (Brice Lalonde devrait être coordinateur du Sommet de la Terre à Rio en 2012, ndlr). Je le verrai. Peut-être pas de mon vivant. Vous savez, ça risque de durer tout le siècle. Et il n’y a pas que le carbone : il y a aussi le phosphore, l’azote, la biodiversité, la couche d’ozone, l’acidification de la mer… On est entré dans un monde nouveau. Les problèmes sont nouveaux, on est en train d’essayer de les régler. Tout est à inventer.