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Une montagne de déchets pour combler un lac bleu

Publié en mai 2021

Nous sommes à Aytré, au sud immédiat de La Rochelle. Sur le papier, le littoral est une merveille, qui pourrait devenir un lieu unique en France, voire en Europe. Mais la petite ville ouvrière fait face à un projet délirant : transformer un lac littoral – une ancienne carrière – en une immense décharge, là où quelques braves réclament un parc écologique. À l’arrière-plan, un conflit culturel et politique entre Aytré l’ouvrière et La Rochelle la bourgeoise.

C’est immense. Un vrai lac bleu de plus de 7 hectares, entouré de petites falaises de calcaire, blanches bien sûr, où s’accrochent des coquelicots. C’est trop beau. L’eau du bord est cristalline, l’eau du large turquoise. On vient de surprendre le saut de trois grenouilles, et on ne serait pas surpris que la huppe fasciée – tête sable, crête en éventail aux extrémités noires – installe tôt ou tard un nid dans la pierre. C’est une ancienne carrière abandonnée, où les eaux du ciel et de la nappe se sont mêlées à celles de la mer.

Car l’océan est à 30 mètres peut-être, séparé par un minuscule lido de galets que les vagues attaquent et font glisser sur la plage. De gros blocs de pierre ont déjà été arrachés au sentier littoral, menacé de sombrer, lui aussi. Ce matin-là, la marée est haute, brune, audacieuse et mordante. Il ne reste plus, en haut de la plage, qu’un liseré blanc. La Rochelle est toute proche, avec à main droite, au nord, ses immeubles hideux du front de mer. L’imposant siège du conseil départemental est juste à côté et le port des Minimes se cache derrière la Pointe du même nom, qu’on pourrait presque toucher du bout des doigts. Nous sommes pointe de Roux, à Aytré, petite ville ouvrière de 9000 habitants qui prolonge au sud La Rochelle , qui en a 78 000.

« Aytré est devenu le dépotoir de La Rochelle »

C’est de la carrière – jadis le « trou Rizzo » – que l’on a tiré le splendide calcaire du port des Minimes,et ses 4500 places de bateaux de plaisance. Elle est désormais l’objet d’un audacieux projet de transformation en une décharge géante. Des milliers de camions défileraient pendant des années, et y déverseraient au total 750 000 m3 de déchets présentés comme « inertes ». « Je vous le dis, fait Tony Loisel, on prépare les tentes, et s’il le faut, on fera une ZAD, mais on ne laissera pas faire. Jamais. ». C’est un autre matin, et l’on boit le café avec lui dans la salle du conseil municipal d’Aytré, dont il est le maire. Riss regarde avec attention le grand tableau qui couvre tout un mur, façon réalisme socialiste : on y voit en détail un atelier de l’usine Alstom, où l’on assemble encore, en centre-ville, trams et wagons de TGV. L’ancienne classe ouvrière, 1500 employés avec les intérimaires.

Tony Loisel a cinquante ans, le crâne à ras, une barbe de trois jours, et des bras de docker. Avec une sorte de gouaille qui oblige souvent à se marrer avec lui. Il est apparemment de droite – la gauche locale, désunie, a perdu en 2020 un bastion historique -, mais il parle comme un écologiste authentique. Aytré est visiblement sa petite patrie – sa famille est installée à Aytré depuis les anciens temps – et entre deux rires, il tonne : « Aytré est devenu le dépotoir de La Rochelle. Ma ville est assise sur les déchets. La Rochelle en a mis dans le marais de Tasdon, dans le marais de Doux, le quartier de Bongraine a été pollué en profondeur par la SNCF, on a rempli l’arrière-plage d’Aytré avec des déchets ménagers, et maintenant, il faudrait accepter le projet Rochevalor ? C’est non, on en a marre ».

L ‘imagination facétieuse d’une avocate

Rochevalor ? Cette entreprise rochelaise spécialiste des déchets, de la logistique et du terrassement – 800 salariés – présente l’affaire de plaisante manière. La décharge serait une mise en sécurité du site – la mer avance -, et même une bonne action écologique, qui permettrait « la reconquête des milieux naturels littoraux ». De son côté, l’avocate d’un de proprios actuels de la carrière – eux-mêmes en cheville avec Rochevalor – adresse le 20 décembre 2018 au maire de La Rochelle, Jean-François Fountaine, un courrier désopilant, qui présente l’ancienne carrière comme l’entrée des Enfers. L’eau y est « stagnante », propice à l’apparition de bactéries mortelles – les rares oiseaux y seraient victimes de botulisme -, les abords sont « en totale décrépitude », on n’y voit qu’un « paysage en désolation et l’abandon », sans « aucun caractère esthétique », qui « n’apporte absolument aucun intérêt écologique ». Maître Daphné Verluise est-elle venue sur place ? Elle réclame en tout cas un déclassement de la zone – tenue pour un espace naturel N1 -, tout sauf innocent. Il est en effet nécessaire pour emporter le morceau. Qui est de roi : l’éventuelle décharge pourrait à terme générer un colossal chiffre d’affaires, peut-être 250 millions d’euros.

Loisel n’est pas le seul, de loin, à considérer le projet Rochevalor comme un outrage. Pierre Cuchet, vif et malin adjoint au maire d’Aytré, offre quelques clés supplémentaires. « Nous voulons des relations plus équilibrées avec La Rochelle, et nous voulons sortir de ce rôle imposé de cité-dortoir. Aytré doit être belle. Belle et tranquille. En effet, on peut parler d’un tournant. Le projet de décharge, je le rappelle, est au bord de la mer. Une mer qui a tué trois personnes à Aytré au moment de la tempête Xynthia, et détruit 80 maisons. Or elle monte, et fatalement, atteindra la décharge ».

Christian Ackerman, de son côté, préside un comité de quartier très vivant, le « Fief des galères ». Et il ne sera pas le dernier sur les barricades : « Aucune commune n’a autant subi dans ce domaine qu’Aytré. Les propriétaires du « trou Rizzo » ont senti la bonne affaire, et font le siège de la Rochelle pour obtenir satisfaction. Mais nous demandons aux promoteurs de ne plus penser à leur projet, même en rêve. Car nous serons toujours là pour les contrer ».

Le drapeau jaune et noir du stade Rochelais

Dans ces conditions, qui en veut vraiment ? Jean-François Fountaine, peut-être ? Le maire de La Rochelle, homme (très) fort de la communauté d’agglomération de La Rochelle (CDA, 28 communes, 393 millions d’euros de budget), reçoit Charlie dans son magnifique bureau de la mairie, surchargé d’une histoire parfois glorieuse. Le 23 juin 1940, le maire d’alors Léonce Vieljeux refuse d’abattre le drapeau français qui flotte sur une tour, et finit sous les balles nazies. Ce jour de mai 2021, ce n’est plus le drapeau tricolore qui domine la ville, mais celui, jaune et noir, du stade Rochelais, qui dispute le 2022 la finale de la coupe d’Europe de rugby.

Fountaine est très copain avec Lionel Jospin, qu’il doit voir deux jours plus tard, et a longtemps été socialiste avant de devenir macroniste, comme tant d’autres. Skipper de haut niveau, il a créé en 1976 la société Fountaine-Pajot, qui fabrique des catamarans de croisière. Sympa ? Oui. Madré ? Certes. Quand on l’interroge sur ce sentiment très partagé qu’Aytré est écrasée par la Rochelle, il ouvre de grands yeux, assurant n’avoir jamais entendu parler de cela. « Mais enfin, il n’y a aucune domination. Nos deux villes ne font qu’une, et les déchets dont vous parlez ne sont pas ceux de La Rochelle, mais du territoire. Nous aussi, nous avons nos quartiers ouvriers et populaires, allez donc voir à La Pallice ou Laleu. Nos destins sont liés ! ».

Et le « trou Rizzo » ? Il serait fort simple de dire que cette décharge ne verra jamais le jour, mais Fountaine, en bon marin qu’il est, louvoie. « C’est complexe, il faut regarder de près ». Il dit avoir rencontré par hasard l’un des propriétaires, Jacques Poentis – il n’a pas répondu à un message de Charlie -, puis précise qu’il l’a reçu en mairie, ajoutant : « Vous pensez bien qu’il ne fait pas ça pour la beauté de l’art ». On s’en serait douté un peu. Oui, un mot suffirait, que Fountaine ne veut pas prononcer. « Je crois qu’il faut une maîtrise publique du lieu, et ensuite, on réfléchira. Je ne ferme la porte à rien ».

Les amitiés particulières de l’entreprise Rochevalor

Étrange attitude pour un élu qui vante, comme sur catalogue, une « neutralité carbone » de la ville, prévue en 2040 et la « renaturation » des marais de Tasdon, que La Rochelle partage avec…Aytré. Des mauvaises langues locales soulignent que La Rochelle est un petit monde dans lequel l’étendard du rugby compte beaucoup. Et même énormément pour le maire. Or, ajoutent-elles, l’équipe du stade Rochelais est sponsorisée depuis vingt ans par Franck Sarrion, patron de Rochevalor, actionnaire et administrateur du club, ce qui ne doit tout de même pas trop nuire aux affaires.

Décidément, cette histoire de décharge ne tient pas debout. On retourne sur les lieux du crime possible, par le chemin blanc qui mène, à pied, à la plage de Roux. Le lendemain, au même endroit, on prendra sur les épaules, avec Riss, une mémorable averse, mais cet après-midi-là, plein soleil. Des deux côtés, un marais à sec, grignoté par des plantes invasives, parcouru par des bandes de passereaux tout affairés autour de leurs nids. On reconnaît le chant de la bouscarle de Cetti – une véritable explosion sonore – et la très monotone tirade de la rousserolle effarvatte, qu’on aperçoit d’ailleurs une seconde dans la jumelle, planquée par une tige. Tout est plat, sauf de loin en loin quelques cyprès de Lambert.

Pourquoi saccager ? On rejoint sur place Martine Villenave, conseillère départementale de gauche, effarée. « Je suis à l’origine d’une idée de parc littoral, qui courrait de La Rochelle jusqu’à la commune d’Angoulins au sud, avec Aytré ses marais littoraux au centre. C’est une zone de préemption du Conservatoire du Littoral, et tout reste possible. Mais Fountaine, en qui je n’ai plus aucune confiance, n’est pas clair, et refuse de s’engager. Pourquoi ? ». Même propos chez Jean-Marc Soubeste, qui vient de nous rejoindre près du « trou Rizzo ». Cet ancien adjoint de Fountaine à La Rochelle est responsable d’EELV et rapporte cette anecdote : « Il y a une semaine, au cours d’une séance de la Communauté d’agglo, j’ai réclamé une position claire de cette Assemblée. Fountaine s’est arrangé pour ne pas répondre. Je n’ai plus confiance en lui ».

Du côté du Conservatoire du Littoral, magnifique structure publique qui achète patiemment des terrains littoraux, on est stupéfait. Dans une lettre adressée au préfet en janvier, sa directrice Agnès Pince hurle – diplomatiquement -, affirmant : « Les aspects négatifs de ce projet industriel sont multiples », car il est « en totale incohérence avec (…)les politiques publiques menées en bonne coordination (…) depuis dix ans ». La carte complète de la zone, en couleurs, montre en effet que presque toutes les parcelles sont, au fil des années, devenues la propriété de la CDA de Fountaine, de la ville d’Aytré, du département ou du Conservatoire. Un miracle qui pourrait facilement transformer le tout en un lieu unique en France, sinon en Europe.

40 millions d’euros pour le site Delfau

Une autre affaire empoisonne au sens premier cet espace unique. À 4OO mètres peut-être du « trou Rizzo » se trouve l’un des lieux les plus pollués de la région, appelé le site Delfau. Pendant un siècle à partir de 1899, des générations d’industriels ont fabriqué des engrais, broyé des os et de la merde humaine et animale, équarri des bestiaux, vidangé la ville, déposé ou enfoui des déchets industriels de toute sorte (voir encadré). Il ne reste que des hangars décatis, un vaste bâtiment dont la charpente métallique est à l’air, et un vieux proprio qui se planque, mais n’oublie pas de de louer illégalement des logements en lieu et place des anciens bâtiments. On essaie d’y aller avant d’être arrêté par l’une des occupantes, très énervée, qui réclame des papiers d’identité avant de hurler à l’intrusion dans une propriété privée. A peine aperçoit-on des caravanes, des bagnoles, des transats, et les grands portails métalliques de hangars, dont un au moins cache un vieux transfo électrique qui a vomi des PCB sur le sol.

Mais que fait l’administration ? Des rapports s’entassent depuis des années, qui montrent la présence de locataires, d’un jardin potager au milieu des ruines, d’une balançoire suggérant le séjour d’enfants. Que fait-elle ? Rien. Le préfet joue les muets du sérail (voir encadré) et derrière lui, tous les autres. Il faudrait. Certains penchent pour le cache-misère : étendre des bâches sur le sol, recouvrir d’argile et faire pousser des fleurs, pour 1 million d’euros. Une vraie dépollution coûterait 40 millions d’euros, mais qui paierait pour un site fermé depuis 1992 ?

La nappe phréatique est évidemment atteinte, et comme son écoulement se fait du nord-est au sud-ouest, la pollution a très vraisemblablement atteint depuis longtemps…le « trou Rizzo ». Ce très vilain serpent se mord donc la queue. Résumons : l’impériale La Rochelle – ses ports de plaisance, son Vieux-Port tant couru par les people, ses courses au large, son Aquarium, ses yélomobiles (vélos en libre accès) – remplit les soutes d’Aytré l’ouvrière, qui n’en peut plus. Cette allégorie de la lutte des classes peut sembler une caricature, mais beaucoup, sur place, y croient dur comme fer. Une seule certitude : la pointe de Roux et les marais alentour peuvent devenir l’un des bijoux écologiques de la façade Atlantique. Sauf si on la pourrit une fois encore.

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Un courrier pour monsieur le préfet

Charlie a bien entendu demandé un rendez-vous au préfet de Charente-Maritime Nicolas Basselier, car l’État peut à tout instant régler le lourd dossier du « trou Rizzo » et du site Delfau. En donnant à cette haute Excellence plusieurs dates à sa convenance. Mais il a refusé, préférant l’envoi de questions écrites. En retour, l’auteur du reportage Fabrice Nicolino lui a adressé le mail suivant :

Monsieur le préfet,Vous avez refusé de recevoir le journaliste de Charlie que je suis. J’y vois la marque d’un mépris ordinaire et je tenais à vous dire franchement mon point de vue. Dans une vie humaine, il n’y a pas que la conduite d’une carrière. Et un préfet n’est pas au seul service de ses supérieurs dans l’appareil de l’État. Il a également des devoirs vis-à-vis de la société. Et même vis-à-vis de ceux qui tentent de l’informer. Librement, dans mon cas. Je ne vous enverrai aucune question, car j’attendais vos réponses, pas celles piochées dans des documents de la préfecture par l’un de vos collaborateurs. En vous souhaitant le bonjour,

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L’horreur du site Delfau

L’ancien site industriel Delfau, évoqué dans l’article principal, est une bombe à retardement. Utilisé de 1899 à 1992, il a enrichi des générations d’industriels, qui laissent à la société le soin de payer les conséquences de leur irresponsabilité. Vieille histoire : privatisation des profits, socialisation des pertes. Des analyses montrent une très grave pollution au cadmium et aux métaux lourds, à l’amiante, aux PCB, au mercure, à l’arsenic, aux hydrocarbures, au plomb, au chrome, aux Composés organo-halogénés volatils (COHV).

L’inventaire exhaustif est impossible, car des fosses ont été creusées sur cinq mètres et plus. Au total, il faudrait sans doute enlever du lieu la bagatelle de 140 000 m3 de limon gorgés de poison. La situation est connue de tous, notamment des administrations DREAL et Agence régionale de santé (ARS), mais personne ne bouge. Interrogée par Charlie, l’ARS confirme par la voix de Marc Lavoix qu’aucune « analyse chimique des eaux littorales n’a été diligentée ». C’est sans doute plus prudent, mais dans ces circonstances effarantes, laisser l’ancien propriétaire, encore vivant, louer illégalement des logements à des particuliers s’apparente sans aucun doute à une non-assistance à personne en danger.

Comment on décapite les sangliers

Publié en avril 2021

Six minutes d’un film d’horreur. Dans une forêt de l’Aube, de valeureux chasseurs butent jusqu’à 100 sangliers en une journée. En les attirant avec du maïs avant de les attendre, planqués dans des miradors où ils ne risquent qu’une chose : coincer leur bedaine dans la barrière de bois. C’est très sympa. Ici, on égorge, ici on décapite.

Ouh là ! Ça va être dur de pas se moquer. Ou de dégueuler un bon coup. Le petit film (https://youtu.be/DCMugz2E2ow) que Charlie vous propose est diffusé par le naturaliste Pierre Rigaux, auteur de livres sur les loups, les…lapins ou encore la chasse. Que voit-on ? Simplement ce qu’est devenue la chasse en France. D’un côté ses défenseurs, qui parlent tradition, ruralité, sociabilité et nécessaire régulation des espèces. De l’autre des gros pères qui prennent leur pied en flinguant sans risque des animaux que l’on balance sous leur nez, dans une nature rendue totalement artificielle.

La scène se passe dans la forêt proche de Loges-Margueron (Aube), à une trentaine de kilomètres au sud de Troyes. Sur des milliers d’hectares se mélangent forêt domaniale – l’État, via l’Office national de forêts -, communale et privée. Enchevêtrement garanti. Une association de chasseurs gère une sorte de ferme dédiée à leur grand art, et accueillent, chaque jour de chasse, des dizaines de tireurs patentés, qui peuvent payer jusqu’à 500 euros la journée.

La veille d’une de ces grandes journées, des 4X4 bourrés jusqu’à la gueule de grains de maïs viennent gentiment les déposer le long des pistes forestières, ce qui attire aussitôt quantité de sangliers. À leur départ, vu leur nombre, il ne reste plus dans le sous-bois que des feuilles mortes, tout le reste ayant été arraché, mangé ou piétiné. Le lendemain, les gros pères se rassemblent, à qui l’on donne une consigne bien craignos : « Surtout, ne tirez pas sur les laies suitées ! ». Ces laies-là sont des mères qui ont des petits. C’est sympa ? Ben non, car c’est juste pour pouvoir les buter plus tard, quand ils auront grandi.

Attention ! Ce n’est pas enclos et ce n’est pas non plus un élevage. En théorie, les animaux peuvent aller ailleurs, mais comme on les nourrit, ils restent bien entendu dans les environs. Et on a pris soin de disposer un seul et fort long grillage sur un côté, de manière que les animaux qui s’y cognent soient obligés de repartir dans l’autre direction, là où les tueurs les attendent, installés sur des miradors.

La scène qui suit est délirante. Les miradors sont installés le long d’une piste, et l’on voit un des chasseurs tirer dans la direction d’un mirador voisin. Certes en visant plus bas les sangliers qui se débinent, mais apparemment en violant les règles de sécurité qui imposent de ne pas avoir un fusil tourné en direction d’un autre chasseur. Ensuite, retour guilleret à la ferme. Les 4X4 ramènent les cadavres – compter entre 40 et 100 sangliers par journée –, qui sont décapités, dépecés, éviscérés. Il n’y a d’ailleurs pas que des sangliers, mais aussi des cerfs ou des chevreuils. C’est le fun, au milieu du sang et des entrailles.

Les restes de barbaque, les têtes, les ordures diverses, jusqu’aux plastiques sont jetés dans une fosse ouverte à cet effet. Quand c’est plein, rien de plus simple que d’en ouvrir une autre. De quoi s’agit-il en fait ? D’une forme de « production » de sangliers prêts à être hachés par des chasseurs trop feignasses pour courir réellement les bois. Et c’est pas qu’un peu cinglé, car le sanglier fera bientôt les poubelles à Marseille, Lyon ou Paris. Sans rire, il est désormais au bord de nombreuses villes, et rien ne semble l’arrêter, surtout pas les chasseurs. Les chiffres sont incertains, discutés, contradictoires, mais on pense que les sangliers n’étaient encore que quelques milliers en France en 1960. Peut-être quelques dizaines de milliers. Une véritable explosion démographique a eu lieu à partir du début des années 70. Alors, les chasseurs tuaient environ 30 000 sangliers par an. On en est, pour la dernière saison, à 809 992. Combien sont-ils ? Un million, ou deux, ou peut-être même quatre millions, comme l’affirme la cheffe de la FNSEA Christiane Lambert (https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/08/30/97001-20180830FILWWW00091-trop-de-sangliers-pour-la-fnsea.php).

Le drôle, c’est que les paysans industriels qu’elle représente sont les victimes directes de ce délire, car leurs monocultures sont souvent pillées par les sangliers. Les heurts deviennent fréquents entre paysans, éventuellement chasseurs, et chasseurs possiblement paysans. Lambert : « Nous avons trop de dégâts liés aux sangliers dans nos prairies, nos cultures, nos champs, nos vergers, nos vignes, partout…Il y a de l’élevage de sanglier, du lâcher de sanglier, de l’agrainage (répandre du grain pour le gibier, ndlr) pour les maintenir à certains endroits ». Chaque année, et de plus en plus, les fédérations de chasse paient par dizaines de millions d’euros – on approche de 80 millions – les dégâts faits aux cultures par la faune, dont le sanglier.

Les causes de la prolifération sont difficiles à démêler. La déprise agricole – le départ de tant de paysans – et l’ensauvagement de millions d’hectares jouent leur rôle. Ainsi que le dérèglement climatique, qui à ce stade fait pousser plus vite les forêts et multiplient des ressources alimentaires comme les racines, les tiges, les fruits, les céréales et les graminées. L’essor de l’agriculture intensive et des plantations de maïs ajoutent au grand bordel. Et bien entendu, les chasseurs ont leur part, très grande pour ne pas dire immense. Ils ont voulu jouer au bon Dieu, et traiter le vivant comme si c’était une propriété personnelle, et le réel leur crache à la gueule. Pour l’heure et pour longtemps, la situation est hors de contrôle.

L’armée et la grande arnaque nucléaire

Publié en avril 2021

Les journalistes sont vraiment des feignasses. Entre janvier et décembre 2013, 182 documents – 2000 pages – sont déclassifiés par le ministère de la Défense. Tous ces gens, et j’en connais, qui suivent les activités de l’armée pour leurs journaux respectifs, avaient le devoir élémentaire de lire. L’ont-ils fait ? Par chance pour nous, un chercheur, Sébastien Philippe, et le journaliste qui sauve l’honneur, Tomas Statius, ont tout dépiauté. Ce qui donne un éblouissante travail, « Enquête sur les essais nucléaires français en Polynésie » (PUF, 15 euros) (1).

Bon, on peut résumer vite, mais il est bien mieux de lire. La France a réalisé en Polynésie 193 essais nucléaires entre 1966 – De Gaulle – et 1996 – Chirac. Soit environ 800 fois Hiroshima. Jusqu’en 1974 – Chirac est alors Premier ministre -, les essais sont aériens, c’est-à-dire qu’ils partent balancer leurs radionucléides dans le monde entier. À partir de 1975, on enterre les explosions, détruisant au passage la structure des lagons.

Le livre rapporte des faits, en partie reconnus par l’armée, mais en reprenant tout depuis le début, et en refaisant patiemment tous les comptes. Sans grande surprise, la sous-évaluation de la contamination est omniprésente. Exemple avec les îles Gambier, habitées bien sûr, qui sont à 400 km de plusieurs tirs aériens. L’armée n’a prévenu personne – elle finira par construire un blockhaus -, et le nuage se moque de toute façon des précautions. Le son de l’explosion se propage à la vitesse de 340 mètres par seconde sur l’océan. En vingt minutes, il atteint les Gambier.

D’abord une boule de feu, puis une masse incandescente de plusieurs milliers de degrés, qui disperse d’innombrables poussières radioactives. Après le seul essai Aldébaran – le 2 juillet 1966 – 61 millions de becquerels se déposeront au mètre carré. Les cancers suivront. Il est plaisant de lire ce que nos responsables écrivaient sur le sujet en temps réel. Par exemple, un médecin militaire adresse une lettre dès le jour de l’explosion au grand ponte du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) Francis Perrin. Pour lui – bonne, mauvaise foi, mélange des deux ? -, le tir a libéré des doses radioactives « très inférieures » à ce qui est admissible.

L’essai – connu – le plus insensé date du 17 juillet 1974 et va contaminer lourdement Tahiti. L’équipe du livre est parvenue à modéliser le trajet du nuage de Centaure – nom de code -, qui n’est pas parvenu à la hauteur souhaitée. Et qui, poussé par les vents, a foncé droit sur la grande île de la Polynésie « française ». 110 000 personnes ont été exposés, dont la plupart ont reçu plus que la dose de radioactivité ouvrant droit à indemnisation. À condition de développer l’une des 23 maladies faisant partie d’une liste officielle. L’armée, qui a su très vite que les retombées de Centaure atteindraient Tahiti, a préféré ne rien dire.

On permettra un commentaire. Le livre fait certes œuvre utile, mais dans le même temps, angoisse. Car passé un intérêt de façade dans quelques journaux, tout retombera, comme autant de poussières, d’une certaine manière radioactives elles-même. L’opinion semble indifférente. Nul ne parle des immonde essais nucléaires français dans le Sahara, bien après l’indépendance algérienne. Nul ne parle des irradiés de Brest, ces prolos cancéreux d’avoir travaillé au plus près des bombes nucléaires des sous-marins d’attaque. Nul ne parle de la base secrète française B2-Namous – et de ses innombrables déchets -, que la France éternelle a conservée en Algérie bien après 1962. Nul ne parle bien sûr de l’atoll Bikini des îles Marshall, où les Américains ont également fait exploser leurs bombes H. Nul ne parle des Anglais en Australie. Des Russes à Semipalatinsk (Kazakstan).

Les journalistes feignasses ont donc bien raison d’être les porte-serviettes de l’armée, qui peut dormir sur ses deux oreilles. Sait-on quoi que ce soit sur ce qu’elle entreprend en notre nom ? Croyez-vous qu’ils ne s’exercent pas, en ce moment même, sur des armes toutes nouvelles ?

(1) Il faut y ajouter le collectif Interprt, lancé dans une toute nouvelle discipline qui promet : l’architecture forensique.

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Les campagnols foutent le grand bordel

Ah bougres ! Les campagnes du cœur de la France – Massif central – sont à feu et à sang à cause d’une bestiole très jolie et ultrachiante, le campagnol. Souvent, on l’appelle le rat-taupier pour l’excellente raison qu’il vit beaucoup sous terre. Et n’oublions pas qu’il est – qu’ils sont elle et lui – des copulateurs hors-pair. Toutes les quelques années, ils peuvent passer d’un individu à l’hectare à 1200.

Pour le paysan, cata garantie. Ceux de Haute-Loire ou du Cantal voient en ce moment leurs prairies retournées au point que l’herbe ne parvient plus à s’y réinstaller. On pourrait remettre des haies ou entasser des pierriers où les prédateurs comme la fouine pourraient s’installer, avant de massacrer du campagnol. On pourrait surtout arrêter de flinguer des renards.

Cet animal somptueux peut être chassé et piégé toute l’année, entre autres parce qu’il dérange les chasseurs. Il boulotte un peu trop à leur goût ces faisans d’élevage relâchés la veille de leurs grandes battues bidonnées. Donc, on le traque. C’est extrêmement con, car un renard mange chaque année des milliers de micromammifères, en particulier des campagnols. Il y est si adroit qu’on a nommé l’un de ses comportements de chasse, le mulotage. Le voir sauter sur place, queue au vent, est une splendeur.

Et justement. Un collectif de dizaines d’associations du Doubs (renard-doubs.fr) a rédigé un argumentaire parfait qui rétablit quelques vérité de base. S’appuyant sur des estimations officielles – franchement, c’est à n’y pas croire -, le collectif écrit qu’un seul renard, par ses prélèvements de campagnols, pourrait rapporter à la collectivité jusqu’à 2300 euros par an. Un seul renard !

Un autre calcul fait rigoler avant de faire réfléchir. Un campagnol mange son propre poids d’herbe chaque jour. L’action énergique d’un renard permet de « sauver » 3,5 tonnes d’herbe par an, soit une tonne de foin. Or, en 2018, dans l’Est de la France, la tonne de foin se vendait autour de 180 euros. Avis sans frais à ceux qui gueulent contre le campagnol.

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Marcher pour le climat, vraiment ?

Le 28 mars, dimanche passé, pas loin de 400 organisations, dont beaucoup chères à mon cœur, ont organisé une nouvelle fois des marches pour le climat. Selon leur appel, il faudrait interpeller les députés de manière qu’ils améliorent la loi en discussion. Il faudrait donc une « vraie » loi sur le climat, car les mesures prises ne seraient pas « à la hauteur ».

Toutes ces excellentes personnes – et nombre le sont vraiment – participent du vaste déni planétaire qui sévit depuis le tout début du dérèglement voici quarante ans. Ils oublient en route cette évidence : la trajectoire officielle nous conduit au pire.

En janvier dernier, Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, clamait dans l’indifférence générale : « Nous nous acheminons vers une augmentation catastrophique de la température de 3 à 5 degrés au cours du XXIe siècle ». Et pourquoi ? Parce que la funeste COP21 de 2015 – les embrassades Fabius-Royal des Accords de Paris – a relancé la machine à illusions, qui consiste à croire qu’on peut s’attaquer au monstre sans rien toucher à notre façon de vivre. Ce n’est pas seulement un conte de fées, c’est aussi un crime contre l’avenir.

Or nos 400 organisations se contentent de se montrer naïves et même niaises, façon si tous les gars du monde voulaient bien se donner la main. Dans la réalité, il est un marqueur décisif : la bagnole. Relancer cette industrie par la voiture électrique, outre les problèmes moraux que cette merde pose, revient à dire qu’on repart pour cinquante ans. Comme avant. Je tends l’oreille du côté des 400, et rien ne vient. Jamais.

Cadeau de Noël (européen) pour la Tunisie

La Tunisie. Sidi Bou Saïd et Djerba pour les ploucs d’ici, qui paient l’illusion et le décor. Derrière, il y a tout de même 12 millions d’habitants, dont tous ne sont pas des djihadistes prêts à fondre sur le touriste traité au thé à la menthe.

Or ils sont au Sud. Or nous sommes du Nord, ce qui nous donne le droit de vomir dans leur encolure et de leur adresser par cargos entiers ce qu’on ne veut plus enterrer ou brûler chez nous. L’association Robin des Bois exhume une histoire qui ne trouvera jamais sa place entre les nouvelles de Laeticia et la mort de l’ami – des éléphants – Giscard.

Que raconte Robin (1)? Qu’en avril 2020, en pleine panique coronavirale, les affaires continuaient. Un grand cargo quitte le port de Naples avec 282 conteneurs à bord, emplis jusqu’à la gueule de déchets ménagers et surtout hospitaliers. Le surtout est de moi, car enfin, faire voyager ainsi des boîtes de conserve et des restes d’ananas, est-ce bien raisonnable ? En revanche, n’est-il pas plus rentable, après avoir fait payer les hostos, d’expédier lancettes, perfuseurs, cathéters, aiguilles et poches de sang, éventuellement infecté chez les pauvres, de l’autre côté de la Méditerranée ? Si.

Après examen de la presse tunisienne, voici ce qu’on peut reconstituer de cette belle coopération Nord-Sud. Soit un journaliste courageux, Hamza Belloumi, qui présente sur la chaîne de télé privée El Hiwar Ettounsi une émission très regardée, « Les quatre vérités ». En 2019, après un reportage sur une école coranique où les enfants sont maltraités, il obtient une protection policière.

Début novembre 2020, il révèle l’existence d’un contrat qu’on devine juteux entre une société italienne basée à Naples, et une autre, Tunisienne, installée dans le port de Sousse. Cette dernière, Soriplast, prétend être spécialisée dans le recyclage des plastiques, mais reçoit sans broncher, selon le contrat signé avec les Italiens, 121 000 tonnes de rebuts ensanglantés par an, au prix de 48 euros la tonne. Le reportage révèle que 70 conteneurs sont déjà sous scellés et 212 en attente – de quoi ? – sur le port de Sousse.

Bien entendu, la Tunisie a signé, comme l’Italie d’ailleurs, toutes sortes de jolis textes qui prohibent totalement ce genre de trafics. Dans son cas, la convention de Bamako interdit l’importation en Afrique de tous les déchets dangereux, mais où est le mal, puisque cela fait marcher le commerce, et augmente d’autant le PIB d’un pays si tristement pauvre ?

Alors, dans une scène mille fois vue, on décide de faire péter le fusible de service, le directeur général de l’Agence nationale de gestion des déchets (ANGED). Bechir Yahya est relevé de ses fonctions, et les ministères, dont celui de l’Environnement, font les gros yeux, feignant de s’étonner qu’une telle horreur puisse se passer dans un pays si bien administré. Quant à la Direction générale de la douane, sans doute la mieux placée pour s’interroger sur 121 000 tonnes et des centaines de conteneurs, elle se montre, la charmante, « réservée ».

Oui et en effet, faut voir. Haythem Zaned, son porte-parole : « Nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer sur cette affaire, car elle fait l’objet de litige avec la société en question ». Ainsi va le monde réel, dont ne parle jamais personne. À quand une inspection générale des docks de tous les ports français ? En France, le trafic de déchets à destination de l’Afrique se fait au grand jour. On sait depuis une enquête de Coraline Salvoch et d’Alain Pirot (2) que 60% de nos déchets électroniques finissent là-bas. En plaçant un GPS sur un vieil ordinateur déposé au coin d’une rue parisienne, ou une télé, ils ont pu suivre, et nous avec, leur grand voyage jusqu’à Lagos ou Accra. Que ne ferait-on sans ces décharges à ciel ouvert, où des gosses de dix ans, pieds nus, font des feux de camp avec notre filasse électronique et nos chers vieux disques durs ?

Notons qu’il n’y a pas que des mioches : regardons ensemble les belles aventures (3) d’Awal Mohamed, brûleur sur la décharge d’Agbogbloshie, dans la banlieue d’Accra (Ghana).

(1)robindesbois.org/les-cargos-de-dechets-voyagent-malgre-la-pandemie-covid-19/

(2)film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/55455_1

(3) youtube.com/watch?v=mIlNGjKJK-M

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Macron, l’homme qui parlait plus vite que sa parole

« J’irai au bout de ce contrat moral qui nous lie ». Ces mots fantaisistes sont de notre Macron préféré, le 29 juin 2020, face à 150 citoyens de la Convention Climat. Les 150 sont porteurs de 149 propositions que le président s’engage à défendre à l’exception de trois d’entre elles, pour lesquelles il abat, dit-il, « un joker ». Les autres seront transmises « sans filtre » soit aux députés, soit par référendum à tous les Français.

Et puis on part en vacances, les lobbies frappent à la porte grande ouverte de l’Élysée, et finalement tout devient à la fois brumeux et orageux. Alors parle le réalisateur Cyril Dion, l’un des animateurs de la Convention. Il a compris sans peine qu’un bel enfumage se préparait, et lance mi-novembre une pétition qui dit l’essentiel : « La parole présidentielle n’est pas respectée ».

Là-dessus, Macron pique sa crise, façon trépignements et coups de talon dans la moquette. Le 4 décembre, dans une interview à Brut destinée pourtant à amadouer la jeunesse, il compare l’attitude de Dion à celles des « fainéants » qui veulent tout sans seulement discuter. Il précise : « Je suis vraiment très en colère contre des activistes qui m’ont aidé au début et qui disent maintenant ‘il faudrait tout prendre’». Il a les boules, le pépère, faut le comprendre.

Dion est en effet tenu pour être « constructif ». Ne pas trop compter sur lui pour plastiquer le siège de Bouygues ou enlever Barbara Pompili. Il paraissait donc être le bon personnage pour le scénario élyséen, qui consiste à tout faire pour affronter au deuxième tout de 2022 miss Le Pen. Et gagner.

Mais les temps ont peut-être changé depuis le funeste Grenelle de l’Environnement de 2007, manipulé par Sarkozy. Dion, visiblement piqué au vif par les attaques de Macron, lui a aussi sec répliqué « Tenir parole, pour un président de la République, c’est le socle de nos démocraties ». Ajoutant plus tard : « Soit il est frappé d’amnésie, soit il est de très mauvaise foi et je penche pour la deuxième hypothèse ». Oui, les choses changent (un peu).

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 La ferme des 1000 vaches jetée dans la bouse

Difficile à distance d’imaginer la joie de tant d’amis. Eh ! Philippe Pallu, Philippe Salle, Michel Guillochon, et tous les autres, vous atterrissez ? La ferme des 1000 vaches, en tout cas, c’est terminé. L’association qui s’est tant battue contre cette monstruosité, Novissen (novissen.com) a réussi à tenir le coup plus longtemps qu’elle. Au 1er janvier 2021, la ferme de Drucat, près d’Amiens (Somme) ne livrera plus un seul litre de lait industriel.

Le 17 novembre 2011, 200 personnes portaient sur les fonts baptismaux une association merveilleuse, Novissen. Elle aurait pu connaître le sort de tant de comités NIMBY (1), mais elle devint un acteur important de la critique efficace du monde. En se liant à la Confédération paysanne, Novissen parvint à forger un argumentaire de haute qualité contre la surindustrialisation de l’agriculture. Les fêtes annuelles étaient l’occasion de débattre et de repartir à l’assaut.

Depuis des années, la ferme était mal en point. Par la grâce des opposants, la filière française du lait refusait de commercialiser la production des 1000 vaches – qui ne furent jamais que 880 -, obligeant une entreprise belge à s’en occuper. Au plan judiciaire, Novissen avait obtenu il y a un an une victoire en faisant condamner une ferme qui refusait de s’en tenir aux 500 bovins prévus. Elle reste aujourd’hui, annonce-t-elle, « plus que jamais aux côtés de toutes celles et ceux engagés au quotidien pour que naisse un autre monde, plus humain, plus fraternel et soucieux du sort animal ». Chapeau !

(1) NIMBY veut dire Not in My BackYard, et désigne ceux qui se battent pour leur jardin, mais pas pour les autres.

Tuyaux crevés, dégueulis assuré

Presque rien, vraiment. Nous sommes à nouveau à Quimper, dans le Finistère. Le 31 octobre, une canalisation d’eaux usées casse d’un coup, obligeant à rejeter dans l’Odet, un petit fleuve côtier de 62 kilomètres de long, des centaines de m3 de dégueulasseries diverses.

On mobilise gaillardement des équipes, des techniciens, du matos lourd et l’on entreprend de creuser un trou à l’endroit du désastre, puis d’en évacuer l’eau par pompage avant de commencer à réparer. En urgence, on pose sur 36 mètres une nouvelle canalisation en fonte, et avant même d’avoir terminé, une autre canalisation majeure pète. C’est la merde, et des dizaines de milliers de m3 – qui saura jamais la vérité ? – partent peu à peu à l’Odet, puis à la mer proche.

Les autorités bricolent, en quoi elles excellent, et préviennent gentiment les industries en amont qu’il est désormais impossible d’envoyer les eaux usées dans la station d’épuration du Comiguel, et qu’il serait hautement civique de garder ses ordures sur place, en attendant que tout rentre dans l’ordre. Le font-ils ? On n’en sait rien.

Là-dessus, les braves d’Eau et Rivières de Bretagne décident de porter plainte, au moins pour connaître les conditions de l’accident (1). Car en effet, de nombreuses questions se posent. La tuyauterie en fonte avait semble-t-il été installée vers 1970. Était-elle de bonne qualité ? Était-il entendu que ces matériaux vieillissent et dureraient aux alentours de cinquante ans ? Et si oui, que n’a-t-on entrepris des travaux de rénovation plus tôt ? En somme et comme si souvent, a-t-on attendu le merdier avant de réagir ? L’addition sera de toute façon payée par le peuple de Quimper, car on ne connaît aucune autre règle.

La pollution de l’Odet est grave pour des milliers, des dizaines de milliers de vies non humaines, végétaux compris. Quant aux conchyliculteurs de l’Atlantique, à 20 km de Quimper, c’est à se flinguer, à un mois de Noël et du Nouvel an. Le préfet a en effet pris un arrêté qui interdit la pêche, et même l’utilisation de l’eau de mer depuis Quimper, sur l’Odet, jusqu’à un rayon de deux km en mer.

Les crevettes, les casiers, les huîtres, c’est râpé. Après la crise du norovirus, qui a ravagé moules et huîtres, après le premier confinement, qui a fermé des marchés entiers, cette pollution majeure risque d’entraîner la fin de nombreuses entreprises. Avis de Kevin Way, président du Syndicat des conchyliculteurs du Sud Finistère, interrogé par Le Télégramme : « Des réseaux vieillissants comme celui-là, il en existe partout ». Et en effet, partout.

Pour rester une seconde dans le turbide domaine de l’eau, on apprenait au même moment qu’en Guadeloupe, des milliers de foyers sont privés à tour de rôle d’eau au robinet, pour cause de conduites d’adduction percées de tout côté. À la rentrée, quarante écoles, deux lycées et un collège n’ont pu ouvrir, faute d’eau.

On peut multiplier les exemples par cent ou mille. Le réseau routier, dédié au culte de la bagnole, dépasse au total 1 million 103 000 km. Combien de temps encore faudra-t-il pour admettre que ce n’est pas tenable ? Que les ressources nécessaires à l’entretien d’une telle folie n’existent pas ?

La France est pleine d’un legs que personne n’entend accepter, comme si ce « confort » imbécile fait de portables, d’ordinateurs, d’écrans plasma, de facebook, de twitter avait été apporté dans la hotte du Père Noël. Nul n’entend payer le prix de nos vomissures dans l’eau que nous buvons ensuite. Ni celui des milliers de décharges, des centaines d’incinérateurs géants, pas davantage celui des centaines de milliers de toits et de lieux farcis à l’amiante. Arrêtons ici cette liste sans fin, et regardons au moins une seconde ce qui nous arrive : tout ce qui a été lancé dans l’euphorie psychopathologique des Trente Glorieuses réclame désormais la note, et elle est en vérité impayable.

Elle sera donc délayée, camouflée, et pour finir ignorée, car elle est la vérité quand tout nous pousse à (nous) mentir. Les craquements de Quimper annoncent bien d’autres déversements, capables de recouvrir le monde.

(1) eau-et-rivieres.org/pollution-odet-nov.2020

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La clé énergétique, c’est de ne pas consommer

Dans l’ensemble, tout le monde se fout du dérèglement climatique. Tout le monde, sauf quelques pékins, soutenus par une poignée de clampins. Et justement. Ceux de l’association Negawatt, créée – mazette – en 2001, cherchent des solutions. Attention, ce sont des chercheurs, des « spécialistes », des « experts ». Je ne suis pas forcément d’accord sur le fond, mais leurs calculs m’ont toujours apporté du réconfort. Voici donc.

D’abord, qu’est-ce qu’un negawatt ? Grossièrement, le watt qu’on ne produit ni ne consomme. L’équipe – Thierry Salomon, salut ! – produit régulièrement des scénarios énergétiques, et le petit dernier éblouit (1), car il déclare possible une réduction des gaz à effet de serre, en France, de 55% d’ici 2030. Dans dix petites années.

Comment fait-on ? C’est presque simple si l’on s’appuie sur le trépied sobriété/efficacité/renouvelables. Le levier principal, sans surprise, est la réduction de la consommation d’énergie. Qui pourrait réserver pour une fois de bonnes surprises, notamment dans les transports et le bâtiment. On l’oublie trois fois sur trois, mais 30% des émissions de gaz à effet de serre viennent du transport, et toutes les mesures proposées par Negawatt relèvent du simple bon sens.

Et de même pour l’habitat et le bâtiment, le secteur industriel, l’agriculture. Un point critique tout de même à propos de cette dernière : le choix de ne pas intégrer sa consommation d’énergie au bilan général fausse la perspective. Car le modèle de l’agriculture industrielle est l’une des clés de toute bagarre contre la crise climatique.

À part cela, un excellent boulot. Ne manque plus qu’un détail : la volonté politique, totalement absente. La France s’est engagée à une réduction de 40% d’ici 2030 – par rapport à 1990 -, mais d’évidence, elle n’y arrivera pas. D’autant que les émissions importées via le commerce mondial explosent : + 78% depuis 1995. Ici, insulte fortement intériorisée contre le président de la République. Et ses ministres. Et la droite. Et la gauche.

(1) negawatt.org/IMG/pdf/201130_objectif-55pourcent-de-reduction-de-ges-en-2030.pdf

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Nanoparticules, maxicrapules

C’est tellement délirant qu’on est bien obligé de le croire, tant cela ressemble à ce si beau monde. Présentons. D’abord l’Agence française de sécurité sanitaire (Anses), notre grande agence publique en charge de notre sécurité, maintes fois essorée ici pour ses liens avec l’industrie des pesticides. Ensuite le registre R-Nano, que cette agence publie chaque année, sur la base des déclarations obligatoires des industriels.

R-Nano (1) analyse la consommation de nanomatériaux, dont on rappelle la taille : si le diamètre d’une bille était d’un nanomètre, alors celui de la Terre serait d’un mètre. Précisions qu’à cette échelle, la matière se comporte d’une autre manière, et qu’elle peut aisément franchir les frontières des organes et même des cellules. Or on en fout partout. Par exemple dans les sauces, sous la forme de nanoparticules de silice. Ou dans les cosmétiques. Ou dans les chaussettes. Ou dans les pesticides. Compter chaque année 400 000 tonnes, dont une partie importée.

Voyons maintenant le résultat, avec l’Anses, qui s’est fendu d’une analyse portant sur 52 000 déclarations enregistrées entre 2013 et 2017 (2). Ce qui suit est tiré du texte original, qui contient du gras. Attention les yeux : « 90 % des données de caractérisation des nanomatériaux telles que la taille, la surface spécifique, la charge de surface ne sont pas exploitables et 10 % seulement renseignent correctement leur usage. L’absence de données ou la mauvaise qualité de celles-ci impacte significativement les possibilités d’exploitation, notamment en matière d’évaluation des risques sanitaires potentiels ». Vu ?

(1) ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Rapport%20R-nano%202019.pdf

(2) anses.fr/fr/content/nanomat%C3%A9riaux-evaluation-du-dispositif-national-de-d%C3%A9claration-r-nano