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J’ai tant aimé Pierre Rabhi

Ce petit mot est à propos d’un livre d’entretiens croisés entre Pierre Rabhi, Bernard Chevilliat et moi-même, paru aux éditions Le Passeur avant les fêtes. Je n’étais pas en état de vous en parler avant, et maintenant que je peux, je cale. Heureusement, comme vous verrez, il y a Jacques Faule.

En introduction, je souhaite vous dire le sentiment fraternel qui m’unissait à Rabhi. Il m’appelait d’ailleurs « petit frère ». Il sentait, il savait que nous étions liés, dans cette famille branlante qui réunit tous ceux qui rêvent vraiment – oui, on y trouve beaucoup de fausse monnaie -, d’un autre monde.

Quand l’ai-je rencontré ? Je ne sais vraiment plus. Il y a entre vingt-cinq et trente ans. Il n’était pas l’homme connu qu’il deviendrait. Il était très petit, brun de peau, ses yeux brillaient d’une véritable lumière. Je crois pouvoir dire que nous nous sommes reconnus. Je l’ai d’emblée soutenu dans les milieux de gauche qui étaient encore – de moins en moins – les miens, y compris dans le journal Politis, où j’ai travaillé, où l’on n’aimait guère, sans évidemment le comprendre, un tel personnage.

Au fil de ces années, j’ai eu la sottise d’espacer nos rendez-vous. J’aurais pu faire mieux. J’aurais dû, c’est ainsi. Mais je l’ai toujours aimé, et défendu lorsque des dégueulasses s’attaquaient bassement à lui dans l’un des pauvres grands journaux d’une gauche moralement morte. Et puis un jour, Bernard Chevilliat m’a proposé un livre d’entretiens croisés entre Pierre, lui et moi. Je ne savais qu’une chose de Bernard : qu’il dirigeait le « Fonds de dotation » Pierre Rabhi, et qu’il accompagnait ce dernier dans des voyages initiatiques sur fond d’agroécologie. Au Niger, au Maroc, en Mauritanie.

J’ai découvert un homme exquis, érudit, accueillant. Il vivait en Ardèche, avec son épouse Nüriel, très beau personnage de film, qui y soignait des chevaux. Je n’ai pas tardé à dire oui. Et à l’automne 2021, je suis allé chez Pierre en sa compagnie, pour y échanger nos points de vue sur la marche désastreuse du monde. Je précise, mais le faut-il réellement ? que j’ai toujours eu de solides désaccords avec Pierre. Comme il arrive si souvent et que l’on s’aime pourtant. Inutile ici d’en parler davantage.

Je ne peux présenter moi-même ce livre, car j’en suis le co-auteur. Je n’ai pas la distance nécessaire. Et je ne sais pas ce que j’aurais fait sans la providentielle intervention de Jacques Faule. Je ne connais cet homme que par ses lettres adressées à Planète sans visa. Elles sont louangeuses, mais cela n’aurait pas suffi. Cet homme-là sait ce qu’écrire veut dire, j’en ai eu la preuve. Ce serait mensonge d’affirmer que je n’aime pas les compliments, mais les aurais-je cherchés dans ma vie ? Je ne crois pas. En tout cas, voici les mots qu’a utilisés Jacques Paule il y a quelques jours, et après tout, si vous lisez ce livre, vous vous formerez votre propre avis, peut-être fort différent. Vous ai-je souhaité une belle année 2023 ? Je ne le crois pas. Or ce rite a un sens : espérer. Esperar comme on dit en castillan, c’est-à-dire attendre et espérer. Attendre quelque chose, espérer qu’elle se produira. À bientôt.


Le texte de Jacques Faule

Oui cher Fabrice Nicolino, nous sommes nombreux à nous réjouir de votre retour. Mais nous ne vous avions pas perdu de vue grâce à votre passionnant livre à trois voix paru chez « Le Passeur Editeur » en novembre dernier. Mon voeu ce 6 janvier 2023 est que « Vivant », sous-titré « Entretiens à contre-temps », par Pierre Rabhi, Fabrice Nicolino et Bernard Chevilliat, connaisse le plus grand succès : vous y trouverez l’histoire, la grande et la petite, les portraits de héros familiaux, les événements personnels et publics, la géographie, la réflexion, tant d’autres choses tendres et virulentes, une discussion fraternelle menée sur un ton vif à la Jules Vallès.

On y apprend même page 33 la signification du mot « barkane » qu’une opération militaire a rendu célèbre : « …la barkane (autrement dit la dune en forme de croissant) ». A tous paix, force et joie (comme disait Lanza). Do pobachennya (à bientôt en ukrainien).

M.Macron, la sécheresse et la bataille de Marignan

Pour commencer, lisons ensemble ce communiqué de la Commission européenne, qui nous annonce – sans grande surprise – que la sécheresse de cette année est la pire que l’Europe ait connue depuis 500 ans. Bien sûr, les bureaucrates de Bruxelles ne savent pas vraiment ce qu’ils écrivent, car où seraient les sources précises et fiables d’il y a cinq siècles ? Peut-être aurait-il fallu parler de mille ans, ou de la naissance de Jésus-Christ ? N’importe, c’est tout de même fracassant.

Si l’on en reste au calcul strict, 500 ans en arrière, cela renvoie à l’an 1522. Que se passe-t-il alors sur notre Terre ? En mars naît au Japon l’un des grands samouraïs de l’Histoire, Miyoshi Nagayoshi. Mais aussi, en novembre, un certain Albèrto Gondi, dont l’un des descendants sera l’inoubliable cardinal de Retz, auteur de formidables Mémoires sur Louis XIV. Autre naissance, certainement en 1522, notre poète national Joachim du Bellay, ami de Ronsard. Sur un plan plus général, un certain Gil González Dávila est le premier Européen à « découvrir » le Nicaragua et le lac du même nom, merveille de toutes les merveilles. En juin, les Portugais installent leur premier comptoir commercial dans les îles de la Sonde, à Ternate, qui se situe à l’est de l’Indonésie. En septembre, Juan Sebastián Elcano est de retour à Sanlúcar de Barrameda, à l’embouchure du Guadalquivir, après trois folles années passées dans l’expédition de Fernão de Magalhães, c’est-à-dire Magellan.

Je pourrais continuer, car il s’en passe, des choses, en 1522, et même une terrible crue de…l’Ardèche en septembre. Mais moi qui ai assez peu connu l’école, je préfère encore me souvenir de ce qu’on me racontait lorsque j’étais en cours moyen première année : Marignan. Cela ne tombe pas pile poil – à sept ans près -, mais de vous à moi, faut-il barguigner ? Marignan, 1515. Cela devait venir instantanément à la première question posée. Marignan, 1515. Comme chef-lieu du Cantal Aurillac. Ou chef-lieu du Finistère Quimper, et non Brest, abruti que j’ai pu être.

Donc, Marignano à une quinzaine de kilomètres de Milan, le 13 septembre. L’armée de notre roi bien-aimé François Ier – il vient d’avoir 21 ans – affronte avec ses supplétifs de Venise des mercenaires suisses qui défendent le duché de Milan. Oui, il faut suivre. En 16 heures de combat, 16 000 hommes sont tués. Mille trucidés à l’heure, on a fait mieux depuis. L’important, c’est que François sort vainqueur de l’affrontement. Qu’a-t-il gagné ? Ou plutôt, qu’auront pour l’occasion gagné les peuples, au-delà de ce perpétuel devoir de creuser des tombes ? On ne sait plus.

Mais où veux-je en venir ? Eh oui, où ? Notre insignifiant Macron est confronté devant nous à une tâche qu’il n’accomplira pas, car il n’a pas, même lorsque ses petites ailes sont déployées, l’envergure qu’il faudrait. Et ne parlons pas des si faibles évanescences de son entourage direct. Toutes. Qui oserait prétendre qu’en 2522, si la vie des humains s’est poursuivie jusque là, on aura encore un mot pour eux ? Pour lui ? Ils sont encore là qu’ils sont déjà oubliés, ce qui ne présage rien de bien réjouissant pour eux. Pour cette armée d’ectoplasmes agitant au-dessus de leurs courtes têtes des épées en carton dont je n’aurais pas voulu à dix ans.

Non, Macron ne fera rien, et pour de multiples raisons. D’abord, bien sûr, il n’a strictement rien vécu, et cela se ne se remplace pas. Il est né dans une famille riche, a grandi dans l’ouate la plus onctueuse qui se peut trouver, a fait les études qu’on attendait de lui, lu les quelques livres barbants qui lui étaient nécessaires, rencontré les seules personnes qui méritaient de l’être, est devenu banquier d’affaires, s’est mis dans les pas d’un clone de lui-même, avec trente ans de plus que lui – Jacques Attali, roi des faussaires -, et ensuite a fait de la politique. Pas pour régler des problèmes. Plus sûrement pour éprouver ce sentiment de gloire personnelle et de pouvoir. Et à l’époque, cela s’appelait parti socialiste, dont il a été membre des années, même si tous l’ont oublié. Dans la suite, ainsi qu’on a vu, il a chantonné sous sa douche l’air de la rupture et des temps nouveaux, puis répété le même exaltant message devant des foules compactes et, soyons sincère, imbéciles, et il l’a emporté sur ce pauvre couillon nommé Hollande – le roi définitif des pommes -, avant de coiffer tout le monde sur le poteau.

La deuxième raison qui nous garantit son inaction est reliée à la première. Il n’a pas eu le temps. Quand on passe sa vie à rechercher les moyens de gagner sur les autres, on n’en a pas pour connaître ceux qui aideraient ces autres à vivre moins mal. Et dans ces autres, je considère avant tout les gueux de ce monde si malade, qu’aucun politicien vivant en France n’évoque jamais. Le paysan du Sénégal courbé sur sa houe. Le Penan du Sarawak qui clame sans que nous l’entendions qu’il n’est plus rien sans la forêt que nos lourdes machines assassinent. Les Adivasi de l’État indien du Chhattisgarh, dont les terres anciennes deviennent des mines d’or. Les dizaines de millions de mingong de Chine, ces oubliés de l’hypercroissance. Et dans ces autres, je mets au même plan – mais oui, car l’un ne va pas sans l’autre – la totalité de ces formes vivantes qui partent au tombeau.

Qui meurent parce que les Macron du monde entier ont fabriqué voici un peu plus de deux siècles – la révolution industrielle – une organisation économique barrant tout avenir désirable aux sociétés humaines. Macron, qu’on se le dise, n’a JAMAIS lu le moindre livre sur la crise écologique planétaire. Des notes de synthèse, écrites par quelque conseiller, sans doute. Mais son esprit ne saurait dévier du cadre dans lequel s’est formé son intelligence, si réduite au regard des questions réelles. Il ne peut pas. Il ne pourra pas. Ce serait se suicider intellectuellement et moralement.

Le rapprochement avec le De Gaulle de 1940 est éclairant. Cet homme est alors général de brigade – à titre provisoire -, et sous-secrétaire d’État à la Guerre. Et comme il est à sa façon un géant, il va trouver la ressource inouïe de rompre. Avec tout ce qui a été sa vie. Il va avoir cinquante ans, et sa jeunesse a baigné dans une ambiance provinciale rance, faite de maurrassisme et de royalisme, d’antisémitisme même. En 1940, il est encore un homme d’ordre et d’une droite profonde, assumée. Et pourtant ! Il part à Londres entouré au départ par quelques dizaines de partisans dépenaillés. Pas mal de gens de droite. Quelques autres de gauche. Vichy le condamne à mort par contumace. Saisit ses biens. Il est seul, il n’a jamais été et ne sera jamais plus beau.

Alors, Macron, quoi ? De Gaulle, malgré sa grandiose entreprise, ne rompt pas vraiment. Il estime, avec quelque raison, que ce sont les autres qui ont abandonné la France éternelle en rase campagne, face aux chars d’assaut de Guderian. Car lui en tient pour cette grande mythologie nationale, qui convoque à elle Clovis, Charles Martel, Jeanne d’Arc. Il représente à lui seul cette Grandeur, laissée sur le bord de la route par les infects Pétain et Laval. Il relève un gant tombé dans les ornières laissées par les envahisseurs. Mais cela lui est facile ! Oui, facile ! Écrivant cela, je sais que c’est faux, bien entendu. L’arrachement a dû être une torture mentale pour lui. Mais je veux signifier qu’il disposait d’un cadre dans lequel placer ses interrogations et sa bravoure. La France. Le grand récit national. L’éternité. Il n’avait pas besoin en lui d’une révolution morale. Il avait besoin d’une témérité sans égale. Et il en disposait.

Macron-le-petit n’a rien de cela. Il ne peut s’accrocher à une vision, à un avenir, à un passé, car rien de tout cela n’existe en son for. Il admire l’économie en benêt, la marche des affaires, les échanges commerciaux. Dans un présent perpétuel qui est exactement ce qui tue la moindre perspective. Il ne peut ni ne pourra. Il lui faudrait une force dont il ne dispose pas. Il lui faudrait tout revoir, tout réviser, tout exploser même. Il lui faudrait s’attaquer à des structures qu’il aura sa vie durant contribué à renforcer. Or, qui ne le voit ? Il n’a que peu de qualités profondes. Je mesure à quel point ces mots peuvent paraître durs. Mais franchement, quelle qualité essentielle attribuer à un homme comme lui ? La verriez-vous ? En ce cas, éclairez-moi.

Nous voici donc face à un événement que la Commission européenne définit comme historique. Moi, je ne dirai jamais cela, car c’est incomparablement plus vaste et plus complexe. Le mot Apocalypse me vient spontanément, qui ne signifie nullement fin du monde, mais bel et bien « Révélation ». Et oui, dans ce sens-là, la sécheresse de 2022 est la révélation de ce qui nous attend, et qui sera bien pire. Le grand malheur dans lequel nous sommes tous plongés, c’est qu’aucun politique de quelque parti que ce soit ne vaut davantage que Macron. Je sais que beaucoup placent leurs espoirs en Mélenchon, que j’ai tant de fois écartelé ici. Mais qu’y puis-je ? Nous avons besoin d’une nouvelle culture, de nouvelles formes politiques adaptées à des problèmes que les humains n’ont encore jamais rencontrés, en évitant de remplacer des politiciens par d’autres politiciens, car tous finissent toujours par se valoir.

Nous avons besoin d’un surgissement. Nous avons besoin de sociétés enfin éclairées, échappant enfin aux redoutables crocs des idées mortes – oui, la mort mord -, décidées à l’action immédiate, qui ne peut être basée que sur l’union massive, autour du seul mot qui ne nous trahira pas : vivant. Oui, nous devons nous battre ensemble pour le vivant. Et le vivant, en France, dans la Géhenne de cet été brûlant, est très souvent mort de soif. Ne pensez pas toujours à vous et à vos proches, bien que j’en fasse autant que vous. Pensez aux hérissons, fouines, renards, libellules, mantes, guêpes et abeilles, grenouilles et poissons, circaètes et moyens-ducs, aux chevreuils et cerfs, aux papillons, pensez aux arbres et à ces milliards de plantes qui ont brûlé au soleil ou au feu. Leur terrible destin nous oblige tous. Il nous oblige. Il faut lancer un seul et unique mouvement. Vivant. Le mouvement Vivant.

Nos chasseurs oseront-ils en profiter ? (Appel à la trêve)

Les animaux sont morts. Beaucoup sont morts, carbonisés par la sécheresse démoniaque que nous avons déclenchée pour quelques portables de plus. Il ne faut pas rêver : quand un chevreuil, un cerf, un sanglier ne trouvent plus d’eau, ils meurent. Et ce qui vaut pour eux vaut pour tous les animaux, du blaireau à la mante religieuse, de la martre au ver de terre, du hérisson au sublime machaon. Et ceux qui n’en meurent pas tout à fait sortent de cette saison en enfer affaiblis, meurtris, parfois mourants.

Nul ne décrira jamais ce qui leur est arrivé. Cette gigantesque guerre de tous contre tous, dans laquelle la canicule faisait si peu de prisonniers. Nous ne savons pas parler d’eux. Nous ne savons pas nous lever en leur nom, pauvres humains que nous sommes. Je me demande tout de même ce qui va se passer pour eux le mois prochain. Car septembre, c’est l’ouverture de la chasse, et des millions de morts en plus dans des populations déjà fracassées par le cataclysme. Sauf si.

M.Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) osera-t-il lâcher ses hordes sur les survivants ? Le président Emmanuel Macron donnera-t-il une fois de plus priorité à ses grands amis de la chasse industrielle ? Tout reste possible, car nous avons une arme (pacifique, elle) entre nos mains : la société. Je lance ici un appel à mes amis de l’Association pour la protection des animaux sauvages, à ceux de Ferus, de Mille Traces et à tant d’autres. Il faut arracher un moratoire. Il faut empêcher l’ouverture de la chasse en septembre, de manière à épargner nos frères animaux dans la détresse.

Unissons nos forces ! Lançons un mouvement irrésistible ! Que pas un animal ne soit tué par un chasseur dans les conditions horribles où nous sommes.

Sortez de la paille, descendez des collines*

Est-il spectacle plus écœurant que celui de cet été 2022 ? Hier, et c’est désormais simple rituel, on apprenait que le jour du Grand Dépassement tombait cette année le 28 juillet. Je rappelle ce que cela signifie : la Terre crée chaque année un certain volume de richesses biologiques. Pas plus, pas moins. Cette biocapacité est aussitôt dévorée par une humanité devenue folle, singulièrement depuis que la révolution industrielle d’il y a 250 ans lui a donné des moyens matériels sans cesse croissants, qu’elle ne peut d’aucune manière mener.

Quand tout ce qui pouvait l’être a été cramé dans tant d’aventures absurdes, il ne reste plus que la bête, qui ressemble chaque jour davantage à un squelette. À partir de ce 29 juillet, on se paie donc sur la carcasse. Les activités humaines s’en prennent aux réserves. À ce qui reste. Aux équilibres fondamentaux. Pour les cinq mois qui viennent.

Les journaux annoncent donc, comme à la parade, que « la planète vit à crédit ». Même un quotidien comme Le Monde. Or cette expression est d’une rare sottise, car en matière d’écologie scientifique, il n’est aucun crédit possible. Ce qui est pris est pris, et concourt au désastre en cours. Aucune dette de cette sorte ne sera jamais remboursée. Au reste, elle est absolument inchiffrable.

Comme si cela ne suffisait pas, on apprend cet après-midi que la mer Méditerranée est en train de bouillir. Elle aussi connaît sa canicule, beaucoup plus longue que ce qui se passe en surface, en France pour ce qui nous concerne. Bien sûr, ce n’est qu’un mot, car elle ne bout pas. Mais sa température dépasse de 6,5° ce qu’elle est normalement à cette saison. Et sur de très larges surfaces. À ces dimensions, les mots manquent, car bien sûr, nous voici confrontés à des temps apocalyptiques. La mer Méditerranée est un immense mouroir. Un cimetière sans sépultures. Nul ne sait encore qui survivra à cette tuerie organisée, mais une chose est certaine : c’est hors de contrôle. Ce que l’on peut faire ? Rien.

C’est ailleurs, c’est autrement que l’on peut agir. Revenons au spectacle. En France, il prend des aspects pathétiques. Par exemple, la Nupes, censée être l’opposition écologiste à ce sinistre monsieur Macron, se fout totalement de ces informations pourtant décisives. Elle se bat ces jours-ci pour une augmentation du pouvoir d’achat et une réduction du prix de l’essence à la pompe. Ce n’est pas seulement absurde, c’est directement criminel. Car en résumé, le pouvoir d’achat, dans le monde tel qu’il va, c’est des émissions de gaz à effet de serre. Mélenchonistes, ne criez pas avant d’avoir lu le texte que j’ai publié il y a quelques semaines, très court, qui figure au pied de celui-ci. J’y montre sans difficulté qu’il est une tout autre façon de parler aux pauvres de ce pays, qui permettrait de relier efficacement combat écologique et justice sociale. Mais voyez-vous, ces gens s’en moquent bien. Ce qui compte, c’est leurs tripatouillages à l’Assemblée nationale, qui commencent à faire penser à la Quatrième République défunte.

Bien entendu, il n’est plus qu’une seule voie, celle d’une révolte essentielle. Celle d’une rupture totale, qui envoie au diable toutes les formes politiques anciennes. Toutes. Toutes. Est-ce bien clair ? Comme j’ai créé le mouvement des Coquelicots en septembre 2018, je me sens une responsabilité. Ce surgissement a été un beau moment, qui a conduit à des centaines de rassemblements mensuels – jusqu’à 850 – partout en France. Pour l’interdiction des pesticides. En défense de la beauté du monde. Oui, je sens comme un devoir. Et les idées ne me manquent pas, par chance. J’espère vivement que vous en entendrez tous parler si j’y réussis, mais l’échec ne me serait pas souffrance. Car que cela vienne de moi ou de tout autre, ou de tous autres, cela ne change rien à la nécessité absolue de combattre ce monde. Et ses si nombreux défenseurs.

Je crois que les temps sont mûrs pour que lève une pâte sans aucun précédent connu. La crise de la vie a-t-elle jamais, au cours de la longue aventure humaine, été aussi grave ? Bien sûr que non. Nous y sommes. C’est l’heure. Oublions le reste, car il n’y aura bientôt plus de reste. Révoltés, jeunes et vieux, sortez les fusils pacifiques de vos cachettes mentales et pointez-les dans la bonne direction. Un seul mot de reconnaissance : vivant. Vivants.

VIVANTS

*Extrait du Chant des partisans, qui permit à quelques milliers de refusants armés de continuer à croire dans l’avenir, quand il était minuit dans le siècle.

Un article mien publié en mai 2022

Comment parler aux smicards ?

Puisque c’est comme cela, parlons des législatives. Je me dois de préciser un point pour éviter des lettres pénibles de lecteurs. Je suis pour la distribution radicale des richesses, et il m’arrive de rêver encore d’un monde sans Dieu, ni César, ni tribun. Je me souviens très bien de ma mère, gagnant seule, pour elle et ses cinq enfants, quelque chose comme 800 francs par mois au début de 1968. Si donc quelqu’un a envie de me (mal)traiter, qu’il tienne compte de ces mots.

Et maintenant, voyons ensemble cette revendication de la gauche désormais unie : 1400 euros nets pour le smic mensuel. Qui pourrait être assez salaud pour écrire que c’est trop ? Hélas, le problème n’est pas celui-là. Du tout. D’abord, la question de la justice est universelle. Elle concerne aussi bien le sous-prolétariat français que les milliards de gueux de la planète, dont cette gauche ne parle jamais. Jamais. D’un point de vue planisphérique, les pauvres de chez nous sont les riches du monde. Ça embête, mais c’est un fait qui n’est pas près de disparaître. Que quantité d’immondes aient beaucoup, beaucoup plus, n’y change rien.

Donc, dès le premier pas, considérer le monde réel, et pas notre France picrocholine. Ensuite, réfléchir à cette notion largement utilisée dans les années 70, et malheureusement disparue : l’aliénation. Par les objets. Par la possession frénétique d’objets matériels qui déstructure l’esprit, rompt les liens de coopération, enchaîne dans une recherche jamais comblée de choses. Lorsque je tente de voir les êtres et leurs biens avec mes yeux d’enfant, je me dis fatalement que « nos » pauvres disposent de béquilles dont nous n’aurions jamais osé rêver : des bagnoles, des ordinateurs, des téléphones portables. Moins que d’autres ? Certes. Mais cette route n’en finira jamais.

À quoi sert de distribuer de l’argent dans une société comme la nôtre ? Même si cela heurte de le voir écrit, une bonne part de ce fric irait à des objets ou consommations détestables, qui renforcent le camp de la destruction et du commerce mondial. Qui aggravent si peu que ce soit le dérèglement climatique. Je crois qu’on devrait proposer tout autre chose. Un gouvernement écologiste, pour l’heure chimérique, s’engagerait bien sûr auprès des smicards.

Il s’engagerait aussitôt, mais en lançant un vaste plan vertueux. On créerait un fonds abondé sur le coût pour tous des émissions de gaz à effet de serre. L’industrie paierait, mais aussi le reste de la société, à hauteur des moyens financiers, bien sûr. Ce fonds garantirait à tous les smicards – et donc à leurs enfants – l’accès permanent à une alimentation de qualité, bio, locale autant que c’est possible. À un prix décent, c’est-à-dire bas.

Ce serait un merveilleux changement. La santé publique en serait sans l’ombre d’un doute améliorée. L’obésité, cette épidémie si grave, régresserait fatalement, ainsi que le diabète et tant d’allergies. Quant à l’industrie agroalimentaire, elle prendrait enfin un coup sérieux. Au passage, une telle volonté finirait par créer des filières économiques solides et durables. Car à l’autre bout se trouveraient des paysans. De vrais paysans enfin fiers de leur si beau métier. À eux aussi, on garantirait un avenir.

Parmi les questions les plus graves de l’heure, s’impose celle de la production alimentaire. Tout indique que les sols épuisés de la terre ne suffiront pas longtemps à (mal) nourrir le monde. La France, qui fut un très grand pays agricole, se doit d’installer de nouveaux paysans dans nos campagnes dévastées par la chimie de synthèse et les gros engins. Combien ? Disons 1 million. Ou plus. Le temps d’un quinquennat. C’est ainsi, et pas autrement qu’on aidera à faire face à ce qui vient et qui est déjà là. Le dérèglement climatique est une révolution totale.

Pour en revenir aux smicards, qui souffrent je le sais bien, sortons ensemble des vieux schémas. Inventons ! Faisons-les rentrer en fanfare dans cette société qu’ils n’auraient jamais dû quitter. Mais pas au son de la frustration et des sonneries de portables.

Ce qui se cache sous le pied d’un promeneur

Eh bien, on va voir si vous suivez. Il y a vingt-cinq ans – qui sait, trente ? -, j’ai découvert une dimension inoubliable. À cette époque, je fréquentais le jardin des Plantes de Paris. C’était petit, décrépit et fabuleux. Un jour, je suis entré dans un de ces bâtiments octogonaux en brique rosée qu’on voit là-bas, à l’intérieur de la ménagerie, au fronton de laquelle on avait placé ce mot étrange : Microzoo. On m’a précédé dans la première salle sur la droite. C’était noir, donc mystérieux, et l’on vous faisait asseoir devant un microscope qui faisait office de lumignon. Je ne sais plus si c’est dans la deuxième ou troisième pièce – on tournait – que j’ai ressenti ce grand choc, mais voici ce dont je me souviens.

Une voix enregistrée expliquait qu’on avait sous les yeux ce qu’on trouve sous le pied d’un promeneur en forêt. Étalé sur une sorte de semelle de plâtre humide. Je ne savais encore rien. Visiblement, j’étais un ignare, car cela grouillait de vie. Il y avait je ne sais combien d’être vivants. Je n’ose dire des centaines, mais peut-être. Sous un seul pas. Des tardigrades – peut-être l’animal le plus coriace de la planète – des collemboles, des pseudo scorpions, des acariens, des nématodes, quantité d’insectes bizarres. Tous utiles, ô combien ! Dévoreurs de matière organique, régulateurs de la flore microbienne, transformateurs infatigables de la litière, décompacteurs du sol, ils faisaient tout et davantage.

Je rencontrai plus tard le professeur Yves Coineau – encore bravo ! -, qui avait imaginé cette œuvre splendide. Il me mit sur la piste d’Emil Ramann, grand chimiste allemand, profond connaisseur des sols, agricoles comme forestiers, qui décrivait ainsi ce qu’est un sol, il y a plus de cent ans : « Le sol est la couche supérieure de l’écorce terrestre soumise aux intempéries. Il est constitué par des fragments de la roche-mère, brisés et remaniés chimiquement, et par des détritus de plantes et d’animaux. »

Si je vous raconte cette historiette, importante pour moi, c’est que les nouvelles ne sont pas fameuses, du côté des sols. Un rapport – je sais, il y en a toutes cinq minutes -, un nouveau rapport de l’ONU (1) rapporte la vérité du dossier, qui est accablante. Près de 40% des terres de la planète sont dégradées, car leur sol est mort ou mourant ou en voie de disparition. Bien des phénomènes entrent en jeu, mais le principal, et de loin, c’est l’agriculture industrielle, cette invention du diable qui a ruiné les paysans, enrichi jusqu’au délire les firmes agrochimiques et de matériel agricole lourd.

Selon Ibrahim Thiaw (2), responsable de la Convention de l’ONU sur la lutte contre la désertification :  « L’agriculture moderne a modifié la face de la planète plus que toute autre activité humaine. Nous devons repenser de toute urgence nos systèmes alimentaires mondiaux, qui sont responsables de 80% de la déforestation, de 70% de l’utilisation de l’eau douce et de la plus grande cause de perte de biodiversité terrestre ». C’est un rapport de plus, certes, mais il a mobilisé de grands connaisseurs du monde entier, et assure que tout est basé sur des preuves. Si cela continue ainsi, dans 28 courtes années, l’équivalent de l’Amérique du Sud sera aussi dégradé que ce qui l’est en 2022.

Bien sûr, il ne s’agit pas que du Sud. Si la France exporte des céréales, c’est parce qu’elle a rendu des millions d’hectares dépendants des engrais azotés et des pesticides. Des sols aussi prodigieux que ceux de la Beauce ont largement été tués par la chimie de synthèse. Et comme vous le savez sans doute, on ne refait pas un sol comme on repeint une chambre.

C’est peut-être difficile à admettre jusqu’au bout, mais l’agriculture prônée par la FNSEA, les chambres d’agricultures qui lui sont inféodées, les coopératives agricoles au bureau desquelles elle siège, est un modèle criminel. Il n’y a aucun avenir possible dans cette direction. Et disons-le sans détour : sans rupture, sans secousse de nature historique, nous préparons tous des famines de masse à côté desquelles celles de notre Ancien Régime paraîtront des cures de minceur.

(1) https://www.unccd.int/sites/default/files/2022-04/UNCCD_GLO2_low-res_2.pdf

(2) en français :https://unfccc.int/fr/news/l-onu-lance-des-avertissements-graves-mais-aussi-des-solutions-pratiques-face-a-la-degradation