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Jean-François Kahn, hélas

Je suis en train de finir le tome 2 des souvenirs d’un certain Jean-François Kahn. Titre : Mémoires d’outre-vies (Malgré tout, on l’a fait, on l’a dit). Il est publié aux éditions de l’Observatoire et coûte 24 euros pour environ 600 pages. Il couvre la période qui va de 1983 au quinquennat Sarkozy – 2007-2012. Je n’ai pas, pas encore en tout cas, lu le tome 1. Il y aura certainement un tome 3.

[Je rappelle que Planète sans visa a été créé par moi, Fabrice Nicolino, à l’été 2007, et qu’il offre environ 1500 articles en accès libre, écrits spécifiquement pour ce lieu. Deux centaines peut-être ont été publiés ailleurs. La quasi-totalité sont consacrés à l’infernale crise écologique dans laquelle nous sommes, et ce papier, malgré les apparences, ne fait pas exception. Mais pour s’en rendre compte, il faudra aller jusqu’au bout de la lecture. Ou se rendre sans plus attendre dans les derniers paragraphes. Il fait chaud, ou j’exagère ?]

Qui est Kahn ? Ce qu’on doit appeler un grand journaliste. Né en 1938, il a travaillé pour les titres les plus prestigieux, du Monde à L’Express première manière, a déterré de grosses affaires, comme l’assassinat à Paris de l’opposant Medhi Ben Barka. Il a ensuite écumé les radios et télés, à commencer par Europe 1, tout en écrivant une flopée de livres, que je dois reconnaître ne pas avoir lus. Ajoutons un point important : il a créé en 1984 l’hebdo L’Événement du jeudi, puis en 1997 Marianne. Dans les deux cas, comme il l’avait annoncé – c’est assez rare pour être souligné -, il a quitté la direction de ces titres au bout de dix années.

Bon, et alors ? Alors, j’ai lu. Je dois dire avoir admiré celui qui a lancé contre le monde entier, sous les sarcasmes des confrères, sans un rond, un grand hebdomadaire, L’Événement du jeudi. En imposant un prix qui à l’époque semblait délirant : 20 francs, quand ses concurrents directs comme l’Express ou le Nouvel Obs se vendaient entre 10 et 12 francs. Moi-même en ce temps, répétant bêtement ce que tout le monde disait, je n’y ai pas cru une seconde. J’avais donc tort. Le journal ne m’a pas intéressé, qui tentait un dépassement de la droite et de la gauche par un centre « révolutionnaire » qui aurait eu de l’énergie, et défendu envers et contre tout et tous ce qui lui paraîtrait bon pour le pays. Pas pour ses élites médiatiques et politiques.

Ce récit, très intéressant, est tout à l’honneur de Kahn. Cela donne une vision assez complète, me semble-t-il, des baronnies incestueuses et autres petits marquisats qui règnent sur la politique, la presse, l’édition. Kahn, qui ne mange pas de ce pain-là, est donc courageux. Jusqu’à un certain point. Bien souvent, il ne cite pas de noms, mais oriente. Bon, d’accord, soit. Pour le reste, ma déception est grande.

Visiblement, il ne se rend pas compte qu’il aura fait partie du système dénoncé. Certes, en ses marges, mais néanmoins. Pour une raison évidente : il a accepté le cadre de cette grande misère médiatico-politique. On ne regarde qu’une facette d’une réalité mouvante et complexe, avant de décréter que le réel est là, et qu’il n’y en a qu’un. Kahn regarde par le tout petit bout de la lorgnette, et ayant critiqué la qualité de l’optique, prétend lui y voir plus clair. Mais la lunette est centrée sur de dérisoires embrouilles entre Mitterrand et Rocard, Balladur- Pasqua-Sarkozy et Chirac, etc. Son drame, c’est qu’il veut avoir raison de ceux qu’il aligne, pas changer l’angle de vision.

D’un bout à l’autre, et c’est triste – je jure que je suis sincère -, Kahn se montre un fervent franchouillard. Le monde n’existe, fugitivement, que dans le reflet d’une France qu’il aime. Et quand il se hasarde ailleurs, madonna, c’est la cata. Ainsi de l’horrible guerre civile qui a tué au moins 150 000 Algériens après 1991. Je rappelle que l’armée a empêché là-bas la tenue d’un second tour de législatives qui aurait sûrement donné le pouvoir au Front islamique du salut (FIS). Après avoir tant hésité, je me résolus à accepter cette irruption militaire sur la terre sacrée de la démocratie. On ne saura jamais ce qui se serait passé, mais l’on voit ce qu’il est advenu de l’Iran de Khomeini – quarante ans d’une sinistre dictature – et d’autres expériences sous toutes les latitudes. Confier le pouvoir à une structure totalitaire pose des problèmes très particuliers.

En tout cas, s’ensuivirent des années d’horreur, après le putsch de janvier 1992, avec la création du Groupe islamique armé (GIA). Kahn s’en prend à un supposé laxisme d’une bonne part des élites, surtout à gauche, qui auraient exonéré le GIA, contre l’évidence, de tant de massacres. Et c’est là qu’il dévore lui-même son image d’extralucide, incapable qu’il est de penser l’extrême complexité de cette situation. À l’époque, une question terrible s’est imposée, en Algérie d’abord : « Qui tue qui ? ». L’armée algérienne, aux mains d’une mafia, était accusée de manipuler le GIA, qu’elle aurait peut-être créé, et d’organiser en sous-main de nombreux massacres, de manière à détourner le peuple algérien des islamistes. Et de se rendre indispensable aux yeux de la France, de l’Europe, des États-Unis.

Je cède à mon péché habituel : la longueur. Je laisse donc tomber, ajoutant que j’ai beaucoup travaillé sur le sujet, et que j’ai par exemple longtemps rencontré Habib Souaïdia, capitaine déserteur de l’armée algérienne, et Nesroulah Yous, témoin direct du grand massacre de Bentalha. Kahn, qui n’y connaît visiblement rien, juge pourtant, aussi péremptoirement que ceux qu’il critique. Ma foi, c’est comme cela. Je sais pertinemment – je fus massacré pour le savoir – qu’il existe des islamistes fous. À profusion. Mais la guerre d’après 1991 a des zones d’ombre terrifiantes, et pour ma part, je crois que les militaires ont largement utilisé à leur profit les supposés fous d’Allah. On n’a encore jamais vu une guérilla, fût-elle islamiste, massacrer jusqu’à 150 000 personnes qui formaient pourtant sa seule base sociale. Je renvoie Kahn, qui ne se repentira jamais de ses billevesées, aux procès qui ont eu lieu à Paris, où des faits, qu’il ignorera toujours, ont pourtant été versés à ce si lourd dossier.

Et venons-en à l’essentiel. Je sais, c’est gonflé. Parler de l’essentiel après un si long article, ce n’est pas très glorieux. Mais j’ai l’habitude de moi-même, et je me tolère, bien obligé. La folie complète, chez Kahn, c’est qu’il ne consacre pas une ligne à l’événement le plus grand – de très, très loin – de l’histoire humaine. La crise de la vie, désignée par les biologistes comme celle de la sixième extinction – des espèces – n’existe pas. Ni le dérèglement climatique. Ni, un cran au-dessous, la dégradation évidente de la santé publique, pour cause – très probable – d’empoisonnement universel par les millions de molécules distinctes de la chimie de synthèse.

C’est drôle et sinistre. Kahn pense avoir la dent dure contre une caste médiatique qui traque la moindre dissidence, à commencer par la sienne. Et ne se rend pas compte, le malheureux, qu’il aura passé sa vie à ne pas considérer ce qui crevait pourtant les yeux. Comme dans La Lettre volée, de Poe, qu’on ne trouve pas pour la raison qu’elle est en boule, salie, sur un coin de bureau, comme si l’on s’apprêtait à la mettre à la poubelle. Kahn, l’histoire d’une vie aveugle.

Grave moquerie sur le dérèglement climatique (et madame Tubiana)

On connaît (presque ) tous le mot de Lampedusa dans Le Guépard : « Se vogliamo che tutto rimanga com’è, bisogna che tutto cambi ». Autrement dit, si nous voulons que tout reste comme c’est, il faut que tout change. La phrase – c’est en tout cas mon interprétation – signifie qu’on peut et qu’on doit faire des concessions de forme pour sauvegarder ce fond auquel on tient tant.

Dans le domaine du dérèglement climatique, cela s’applique merveilleusement. Je viens de tomber sur une page entière du journal Le Monde – édition de cet après-midi – qui donne la parole, avec photo, à une certaine Laurence Tubiana. J’ai souvent eu l’occasion de la critiquer ici, dès 2008 (et aussi ici, ici, encore ici, et même ). C’est une femme à mes yeux détestable, qui aura représenté le faux engagement des élites médiatiques et politiques contre le dérèglement climatique. Comme elle a fait croire à des gogos qui ne demandaient que cela qu’on agissait, eh bien, elle nous a fait perdre un temps fou, qui ne reviendra pas.

De gauche comme le sont François Hollande ou Manuel Valls, elle a mené la délégation française à la première conférence sur le climat à Kyoto, en 1997, puis est devenue membre du staff de Lionel Jospin, quand celui-ci était Premier ministre de cette même année 1997 à 2002. Notez la date, c’est précieux. Il était encore temps d’agir pour de vrai. Mais Jospin, sans l’avouer, cornaqué par son ministre et ami, le faussaire Claude Allègre, était un climatosceptique. Et rien n’a été fait. Rien. Dans le même temps, Tubiana régnait sur l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), qui accueillait parmi ses membres fondateurs des industriels aussi sympathiques que EDF, Entreprises pour l’environnement (EpE), GDF Suez, Lafarge, Saint-Gobain, Veolia Environnement. Et dans EpE, Bayer, BASF, Vinci, Total, Solvay, Thales.

Elle fut bien entendu au centre de cette COP 21 à Paris, en décembre 2015, où tant de chefs à plumes du monde entier – chez nous, les insupportables Royal, Hollande, Fabius – firent semblant d’avoir sauvé le monde du désastre, à la manière dont les Accords de Munich, à l’automne 1938, nous préservèrent de la guerre. J’arrête ici, mais madame Tubiana persévère dans son être, car c’est ainsi, nul n’y pourra rien changer. Elle est directrice d’un énième machin, la Fondation européenne pour le climat. Et c’est à cette femme que Le Monde, qui prétend être sérieux et vouloir engager le fer contre le dérèglement climatique, choisit pour lui faire dire, et je cite : « On voit d’abord que le plan actuel [le plan Biden sur la santé et le climat] est beaucoup plus ambitieux. Plus de 360 milliards de dollars [352 milliards d’euros] sur dix ans, c’est considérable ! ».

Soyez sans illusion : comme ils ne veulent pas toucher au moteur du dérèglement, qui s’appelle commerce mondial et prolifération des objets matériels, il ne se passera rien d’essentiel. Et la situation réelle du monde réel s’aggravera en conséquence. Madame Tubiana ? Dieu du ciel : elle représente le changement.

Mélenchon adorateur de la Chine impérial(e)iste

Mais quelle tragicomédie ! Je rappelle le contexte : Nancy Pelosi, présidente démocrate de la Chambre des représentants des États-Unis, vient de se rendre à Taïwan, île séparée de la Chine continentale depuis 1949, et que Pékin entend récupérer, de gré ou, sans grande hésitation, de force.

Et revoilà M.Mélenchon, qui se pique comme on sait de géostratégie. On lira avec intérêt son point de vue sur l’invasion de la Crimée en 2015. Extrait, qui montre le grand cas qu’il faisait de l’histoire ukrainienne, dont il ne sait évidemment rien : « Pas de guerre ! La patience, l’écroulement de l’économie ukrainienne, la désagrégation de ce pays qui a tant de mal à en être un, tout vient à point a qui sait attendre ». Il voulait donc ardemment la mort de l’Ukraine, mais il est vrai, « seulement » en affamant son peuple.

En novembre 2021 – mais quel grand penseur, hein ? -, il déclarait au journal Le Figaro : « Je ne crois pas à une attitude agressive de la Russie ni de la Chine. Je connais ces pays, je connais leur stratégie internationale et leur manière de se poser les problèmes. Seul le monde anglo-saxon a une vision des relations internationales fondée sur l’agression. Les autres peuples ne raisonnent pas tous comme ça. »

On a vu, je crois. Et le voilà cette fois qui s’aligne sur la politique répugnante d’un État totalitaire devenu impérialiste, la Chine. Dans un billet inouï, il reprend sans honte la position chinoise, affirmant qu’il n’y aurait qu’une seule Chine, et assurant : « Les Chinois règleront le problème entre eux. Il n’y a pas d’autre issue raisonnable possible ». À l’avance, il avalise l’agression que concoctent les gérontes du parti communiste au pouvoir.

Bien sûr, M.Mélenchon est terriblement ignorant. Taïwan n’est « chinoise » que parce que des envahisseurs venus du continent prirent la place de peuples aborigènes. Et austronésiennes, dont l’origine exacte se perd entre océan Pacifique, Asie du sud-est, et même Madagascar. En 1895, la Chine a même vendu – vendu – l’île aux Japonais, qui l’ont gardée jusqu’en 1945. Quels beaux patriotes, n’est-ce pas, M.Mélenchon ?

Est-il pire ? Il y a. M.Mélenchon, écologiste autoproclamé, ne parle des États-Unis que sous un nom univoque : « L’Empire ». Dieu sait que je n’ai jamais été proaméricain, et que je ne le deviendrai jamais. Mais il n’est pas qu’un seul empire au monde. La Chine totalitaire fait partout où elle passe ce que n’a pas même réussi – à ce niveau en tout cas – la Françafrique de Foccart et De Gaulle. Je vois bien que M.Mélenchon ne sait résolument rien de la marche réelle du monde. En Afrique, en Asie du sud-est, et jusque dans d’improbables pays comme le Guyana ou la Sibérie, la Chine achète les gouvernants et pille absolument tout. Le grand Mékong. Les poissons d’Afrique de l’Ouest, les arbres de Sibérie, le gaz, le pétrole, des terres agricoles.

J’ai écrit ici, sur Planète sans visa, et depuis 2007, quantité d’articles sur cette Chine que M.Mélenchon ne veut surtout pas voir. Qui a le temps peut chercher en haut et à droite dans le moteur de recherche, en entrant le seul mot de Chine. C’est aujourd’hui le pays qui détruit le plus d’équilibres écosystémiques au monde. Parce que l’Occident l’avait déjà fait ? Certes, mais est-ce une raison ? Je le dis, qui est écologiste aujourd’hui ne peut que combattre une politique chinoise qui ruine un peu plus les chances de notre avenir commun. Or, M.Mélenchon adore cette Chine-là. Mystère des profondeurs.

Ces lobbyistes qui adorent la guerre en Ukraine

Retenez ce nom : Erik Fyrwald, Américain. Si il y avait un concours mondial alliant stupidité et cupidité, nul doute qu’il serait dans les tout premiers. Il est par excellence l’homme de la chimie de synthèse, passé par plusieurs géants des pesticides comme DuPont, mais aussi le lobby en chef de l’agriculture industrielle, CropScience International. Il est aujourd’hui patron de Syngenta, leader mondial de l’agrochimie. Comme Syngenta est aux mains du Chinois ChemChina, on peut dire sans calomnie que Fyrwald bosse pour un pays totalitaire.

Dans un entretien au journal suisse de langue allemande Neue Zürcher Zeitung – son édition du dimanche -, il lance ce qui pourrait passer, en première analyse, pour une provocation (1) : « Les rendements de l’agriculture biologique peuvent être jusqu’à 50 % inférieurs, selon les produits. Nous ne pouvons pas simplement ignorer la production plus faible. Des gens en Afrique sont privés de nourriture parce que nous voulons des produits bio et que nos gouvernements soutiennent l’agriculture biologique ». Bien entendu, c’est un propos de lobbyiste, et je ne m’attarderai pas ici à répondre à tant de mensonges en si peu de mots. Disons que des études bien plus sérieuses que son pauvre couplet, y compris venus de colloques de la FAO, montrent que l’agriculture biologique peut nourrir le monde à un coût écologique incomparablement plus bas.

Le présent se résume à une alternative. Ou l’on continuera sur le chemin tracé par les assassins du vivant, ou l’on généralisera des systèmes alimentaires cohérents, locaux, sans poisons, économes en eau. Le dérèglement climatique en cours nous rapproche à très grande vitesse d’un choix fondamental. J’ignore si Fyrwald croit au moins un peu à ses conneries, mais il est la pointe avancée d’une stratégie mondiale.

Concentrons nos lorgnons sur la France. Pour la première fois en 2021, les ventes de produits bio ont baissé. De 3,1% en 2021 après une croissance folle à deux chiffres chaque année depuis près d’un quart de siècle. Néanmoins, la nouvelle a pris une place démesurée, et réveillé tous les soutiens de la structure paratotalitaire qui regroupe les administrations centrales du ministère de l’Agriculture, certains cadres de l’Inrae, institut public, l’industrie agrochimique bien sûr et, in fine, le syndic(at) de faillite de l’agriculture industrielle, la FNSEA. Je précise pour les malentendants, que para signifie ici presque. Je sais établir des différences. Mais le vrai est que tous les points de la décision publique sont entre les mains de cette camarilla née en 1945 de la volonté de Fernand Willaume, premier lobbyiste connu de l’histoire des pesticides en France.

Que se passe-t-il ? La guerre en Ukraine est pour ces gens une aubaine. Dans un communiqué (2) intitulé « Conséquences de la Guerre en Ukraine : l’Union Européenne doit remettre la souveraineté alimentaire en priorité absolue », la FNSEA vole cette notion de « souveraineté alimentaire », défendue par Via Campesina (3) depuis vingt ans et plus. Sous la plume des communicants, cette volonté de nourrir sans détruire devient une ode à leurs maîtres de l’industrie. Pour la FNSEA « La logique de décroissance souhaitée par la stratégie européenne “Farm to Fork” doit être profondément remise en question. Il faut au contraire produire plus sur notre territoire, produire durablement mais produire ». La traduction est aisée : place à leur système fou. Partout. Deuxième extrait : « L’obligation dans la future PAC de consacrer 4% à des surfaces dites “non productives” doit immédiatement être remise en question ». Présents dans la nouvelle PAC, ces 4% sont une ridicule concession à la biodiversité. Mais même cela, la FNSEA n’en veut pas. Ses directions, via les coopératives et les chambres d’agriculture, ont trop à perdre, eux qui vivent en partie de la vente de pesticides.

Attention, lecteurs ! La propagande va s’emparer des gosses africains affamés. Des villes et fermes ukrainiennes dévastées, à l’abandon. C’est une guerre, mais pas celle qu’on dit.

(1) https://www.letemps.ch/economie/patron-syngenta-defend-labandon-lagriculture-biologique

(2)https://www.fnsea.fr/communiques-de-presse/consequences-de-la-guerre-en-ukraine-lunion-europeenne-doit-remettre-la-souverainete-alimentaire-en-priorite-absolue/

(3) https://viacampesina.org/fr/la-souverainetliementaire/

Comment parler aux smicards ?

Puisque c’est comme cela, parlons des législatives. Je me dois de préciser un point pour éviter des lettres pénibles de lecteurs. Je suis pour la distribution radicale des richesses, et il m’arrive de rêver encore d’un monde sans Dieu, ni César, ni tribun. Je me souviens très bien de ma mère, gagnant seule, pour elle et ses cinq enfants, quelque chose comme 800 francs par mois au début de 1968. Si donc quelqu’un a envie de me (mal)traiter, qu’il tienne compte de ces mots.

Et maintenant, voyons ensemble cette revendication de la gauche désormais unie : 1400 euros nets pour le smic mensuel. Qui pourrait être assez salaud pour écrire que c’est trop ? Hélas, le problème n’est pas celui-là. Du tout. D’abord, la question de la justice est universelle. Elle concerne aussi bien le sous-prolétariat français que les milliards de gueux de la planète, dont cette gauche ne parle jamais. Jamais. D’un point de vue planisphérique, les pauvres de chez nous sont les riches du monde. Ça embête, mais c’est un fait qui n’est pas près de disparaître. Que quantité d’immondes aient beaucoup, beaucoup plus, n’y change rien.

Donc, dès le premier pas, considérer le monde réel, et pas notre France picrocholine. Ensuite, réfléchir à cette notion largement utilisée dans les années 70, et malheureusement disparue : l’aliénation. Par les objets. Par la possession frénétique d’objets matériels qui déstructure l’esprit, rompt les liens de coopération, enchaîne dans une recherche jamais comblée de choses. Lorsque je tente de voir les êtres et leurs biens avec mes yeux d’enfant, je me dis fatalement que « nos » pauvres disposent de béquilles dont nous n’aurions jamais osé rêver : des bagnoles, des ordinateurs, des téléphones portables. Moins que d’autres ? Certes. Mais cette route n’en finira jamais.

À quoi sert de distribuer de l’argent dans une société comme la nôtre ? Même si cela heurte de le voir écrit, une bonne part de ce fric irait à des objets ou consommations détestables, qui renforcent le camp de la destruction et du commerce mondial. Qui aggravent si peu que ce soit le dérèglement climatique. Je crois qu’on devrait proposer tout autre chose. Un gouvernement écologiste, pour l’heure chimérique, s’engagerait bien sûr auprès des smicards.

Il s’engagerait aussitôt, mais en lançant un vaste plan vertueux. On créerait un fonds abondé sur le coût pour tous des émissions de gaz à effet de serre. L’industrie paierait, mais aussi le reste de la société, à hauteur des moyens financiers, bien sûr. Ce fonds garantirait à tous les smicards – et donc à leurs enfants – l’accès permanent à une alimentation de qualité, bio, locale autant que c’est possible. À un prix décent, c’est-à-dire bas.

Ce serait un merveilleux changement. La santé publique en serait sans l’ombre d’un doute améliorée. L’obésité, cette épidémie si grave, régresserait fatalement, ainsi que le diabète et tant d’allergies. Quant à l’industrie agroalimentaire, elle prendrait enfin un coup sérieux. Au passage, une telle volonté finirait par créer des filières économiques solides et durables. Car à l’autre bout se trouveraient des paysans. De vrais paysans enfin fiers de leur si beau métier. À eux aussi, on garantirait un avenir.

Parmi les questions les plus graves de l’heure, s’impose celle de la production alimentaire. Tout indique que les sols épuisés de la terre ne suffiront pas longtemps à (mal) nourrir le monde. La France, qui fut un très grand pays agricole, se doit d’installer de nouveaux paysans dans nos campagnes dévastées par la chimie de synthèse et les gros engins. Combien ? Disons 1 million. Ou plus. Le temps d’un quinquennat. C’est ainsi, et pas autrement qu’on aidera à faire face à ce qui vient et qui est déjà là. Le dérèglement climatique est une révolution totale.

Pour en revenir aux smicards, qui souffrent je le sais bien, sortons ensemble des vieux schémas. Inventons ! Faisons-les rentrer en fanfare dans cette société qu’ils n’auraient jamais dû quitter. Mais pas au son de la frustration et des sonneries de portables.