Archives mensuelles : mars 2008

De Barcelone à la Loire (en passant par Total)

Un jour de 1996, Jacques Blanc prend l’avion. Non, ce n’est pas la première fois. Blanc est à cette époque président du Conseil régional du Languedoc-Roussillon. Pas de jeu de mots sur son nom, ce qui serait facile : il a passé des accords honteux avec le Front national pour conserver sa dérisoire puissance. Revenons à l’avion.

Dans cet avion, Albert Serratosa, un expert en aménagement de la Generalitat de Catalogne. Cela tombe bien, car Blanc est aussi patron de la compagnie du Bas-Rhône-Languedoc (BRL), machin qui « aménage » depuis des décennies grâce à des fonds publics. BRL est en panne de grands projets, car le Rhône, dont elle s’est occupée à sa douce manière, est désormais ravagé. On ne peut plus ajouter un seul barrage sur son cours, ce serait du gâchis. Même pour Blanc.

En revanche, Serratosa déborde d’idées. Pour Barcelone. Car la ville s’étend, conquiert, défie Madrid. Mais elle manque d’eau, ce qui est trop bête. L’agglomération peine à rassembler 500 millions de mètres cubes par an, quand son magnifique développement en demanderait très vite 600. Question du Catalan au Français : « Pourrait-on amener l’eau du Rhône jusqu’à Barcelone ?». Blanc a la réponse. Oui, oui, oui enthousiaste. BRL changerait de statut – tristement régional – et deviendrait une véritable entreprise internationale. Blanc, médecin de La Canourgue (Lozère), serait enfin un grand manager qu’on reconnaîtrait dans la rue.

Résultat des courses : un beau projet en forme de canalisation géante, pour transférer une partie des eaux du Rhône jusqu’à Barcelone. 300 km de long, 12 milliards de francs de l’époque. Publics. Hélas, les grincheux grinchent, qui ne comprendront jamais la grandeur. Et le projet capote. Et le médecin de La Canourgue finira sa vie sénateur. Sic transit gloria mundi.

Quelques années plus tard, Barcelone a toujours besoin d’eau et empile d’étincelants plans économiques. La ville comme la région sont aux mains des socialistes. Les amis de nos socialistes. Les mêmes. Qui n’ont jamais réfléchi plus d’une seconde à la vraie gestion écologique des eaux de la terre. Du temps d’Aznar et du Partido popular (la droite), l’État espagnol entendait lancer un Plan hydrologique national (PHN) pour continuer à abreuver les villes Potemkine du littoral sud. Les lotissements touristiques en pleine zone aride, les golfs, l’agriculture intensive, les serres et leurs esclaves. Il aurait suffi de transférer une partie des eaux de l’Èbre, grand fleuve du nord, jusqu’à la côte méditerranéenne, par une série de canalisations géantes. Astucieux. Au passage, la géographie physique du pays – la péninsule ibérique doit son nom à l’Èbre – en eût été modifiée à jamais.

Aznar ayant dû prendre une retraite anticipée, le PHN s’en est allé aussi. Bravo ? Pas si sûr, car Barcelone, bis repetita, continue d’avoir soif d’expansion et de croissance, ce qui demande de l’eau. Mais comment servir la Catalogne après avoir refusé la mort de l’Èbre ? La politique est cruelle. Voilà qu’on apprend deux choses. Un, en catimini, et juste après les élections, on va s’emparer des eaux d’un affluent de l’Èbre, le Segre. Pour les transférer jusqu’à une autre rivière des portes de Barcelone, le Llobregat. À première vue, c’est exactement ce que la droite souhaitait faire, à une toute autre échelle il est vrai. Mais comme il s’agit d’un projet de gauche, bien entendu, il n’en est rien. Attendons avec sérénité les réactions de Murcie, au sud, directement frappée par l’abandon du PHN.

Et ? Ne pas oublier la transition. Il est bien beau de lancer de vastes chantiers, mais en attendant ? Et cet été ? Comment fera Barcelone ? Comment se laveront ses touristes ? Autre idée fameuse : sept navires spécialement affrétés apporteront depuis Tarragone et…Marseille de l’eau douce venue d’ailleurs. Première arrivée en fanfare le 15 mai.

J’en étais là de mes divagations quand j’ai su la nouvelle catastrophe advenue dans l’estuaire de la Loire. Vous ne l’ignorez plus, 400 tonnes d’un fuel très toxique se sont épandus dans notre si beau fleuve, à la suite d’un accident dans la raffinerie Total de Donges. Je ne dispose pas d’informations particulières, même si je crains le pire pour les roselières, les vasières et leurs oiseaux. Total vient de s’excuser, et assure que tout sera remboursé. Esclaffons-nous de concert, au moins cela.

Quelle morale tirer des ces menues histoires d’eau ? Cela me semble (presque) limpide. La politique, celle du moins que nous connaissons, est incapable de changer quoi que ce soit à l’ordre réel du monde. Car c’est affaire de pensée profonde, de culture au sens anthropologique. Ces gens, tous ces gens-là ne conçoivent l’avenir qu’au travers d’une accélération sans fin. Voyez le cas tragicomique de Nantes – très proche de Donges – où le maire socialiste Ayrault soutient de toute son âme le projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes. Que lui importent les vraies conséquences ?

Il n’y aura plus aucune avancée importante sans que nous soyons sortis du cadre. Nous, le plus grand nombre possible. Je sais que c’est difficile. Peut-être impossible en quelques courtes années. Mais qui sait ? Je vote sans hésiter pour la fin de ce monde.

Planète sans visa (le cas chinois)

Lendemain d’élection municipale. Je confirme ce que j’écrivais ici le 7 mars : le mauvais citoyen que je suis a voté. Deux dimanches de suite. Le tyranneau dont je vous entretenais a mordu la poussière de belle manière et la responsable anciennement écologiste l’a emporté. Heureux ? N’éxagérons rien. Mais un territoire d’une poignée d’hectares a désormais toutes chances d’échapper à la spéculation la plus vile. Je ne supporte plus le spectacle de la destruction. Le moindre soulagement m’est devenu nécessaire. J’espère que ce n’est pas trop grave.

Et sinon ? La Chine, bien entendu. De quoi pèsent les centaines de victimes tibétaines de la dictature ? Fâcher les hommes qui tiennent les clés de ce gigantesque marché ? Détourner le regard, ainsi qu’a commencé de le faire l’Union européenne ? Je ne vous pose pas la question.

Il n’empêche que tout s’effondre pourtant. Si vous ne connaissez pas M.Pan Yue, je vous dois un mot de présentation. Pan Yue est Chinois et il voit clair. Il est Chinois, il voit clair, et il va devenir le premier ministre de l’Environnement d’une civilisation vieille d’au moins 4 000 ans. Car la Chine vient en effet de décider la transformation de son agence Sepa (State Environment Protection Agency) en un ministère de plein droit.

L’événement est marquant à plus d’un titre. Et d’abord pour la raison que Pan Yue parle d’une façon très singulière, du moins pour un bureaucrate. J’ai lu en 2005 un entretien stupéfiant qu’il avait accordé au grand hebdo allemand Der Spiegel (en anglais). Je peux me tromper, car je ne lis pas tout, loin s’en faut, mais je crois que la presse française a simplement oublié ce texte capital.

Il est capital, car Pan Yue, alors patron de la Sepa, déclarait sans hésiter : « le miracle chinois sera bientôt fini ». Comprendre: la folle croissance, qui n’est que destruction à la racine. Et il détaillait de la sorte : « Ce miracle finira bientôt parce que l’environnement ne peut plus suivre. Les pluies acides tombent sur un tiers du territoire, la moitié de l’eau de nos sept plus grands fleuves est totalement inutilisable, alors qu’un quart de nos citoyens n’a pas accès à l’eau potable. Le tiers de la population des villes respire un air pollué, et moins de 20% des déchets urbains sont traités de manière soutenable sur le plan environnemental. Pour finir, cinq des dix villes les plus polluées au monde sont chinoises ».

Bref, Pan Yue disait à peu près la vérité. À peu près. Car le point de vue général reste hors de portée. La Chine, je l’ai déjà écrit, risque fort de connaître le premier krach écologique de l’histoire de l’homme. Les choses ne peuvent pas durer, pour des raisons physiques certaines, et elles ne dureront pas. Bien entendu, je ne sais pas l’échéance. Peut-être dix ans, mais sans doute pas trente. Si les courbes actuelles se maintenaient, la Chine consommerait en 2031 – dans 23 ans donc – environ 1 milliard et 350 millions de tonnes de céréales par an. Soit à peu près les deux tiers de la production mondiale actuelle. Cela n’arrivera pas. Je peux l’écrire sans aucune hésitation : cela n’arrivera pas.

La Chine est désormais un pays à la dérive. Accroché au rêve inepte de rattraper notre folie de gaspillage. Au moins – ce sont des chiffres officiels, sous-estimés à l’évidence – 150 millions de paysans déracinés errent d’un bout à l’autre du pays. Ces mingong sont des chemineaux, comme nous appelions jadis nos vagabonds. Il s’agit du plus grand exode de toute l’histoire de l’humanité, et je ne suis pas certain que vous qui me lisez connaissiez tous ce mot chinois. Mingong : l’un des phénomènes les plus extraordinaires de tous les temps. Et aucun journal ne trouve le temps de nous en parler. Les lumières toutes provisoires de Shangai attirent davantage.

Et les Jeux Olympiques dans tout cela, qui doivent se tenir en août ? L’impensable va-t-il se produire ? Les JO semblent désormais nous rapprocher d’un grand naufrage collectif. Une noyade géante, qui serait évidemment désastreuse pour les affreux gérontes au pouvoir. L’an passé déjà, l’alerte avait été sévère. En octobre 2007, Jacques Rogge, président du Comité international olympique (CIO), avait adressé aux autorités chinoises un document affolé autant qu’affolant. Pékin était sommé de lancer des plans d’urgence contre la pollution de l’air, si grave qu’elle risquait de compromettre certaines épreuves.

En janvier dernier, malgré des mesures impressionnantes prises tous azimut, catastrophe. On apprenait le 2 que la pollution de l’air avait atteint le niveau maximal – 5 – dans 15 des 16 stations de mesure de la capitale. Le charbon et la bagnole rendaient l’air à peu près irrespirable. Et la suite n’est pas si mal. Car la presse américaine présentait dans la foulée une étude semblant montrer – oh – que les bureaucrates chinois trichent sur les mesures elles-mêmes.

Finalement, ce qui menaçait de se produire se produit : les athlètes renâclent. Après le forfait de l’équipe suisse d’équitation – Hong-Kong lui semblait trop polluée pour les chevaux -, le marathonien Haile Gebreselassie vient de décider, lui aussi, de rester à la maison. Il tient à sa santé. Quant à la tenniswoman Justine Hénin, elle envisage de ne pas défendre son titre olympique. Pour les mêmes raisons que le coureur éthiopien.

Cela s’arrêtera là, ou pas. L’enjeu des JO est aussi colossal pour le régime que pour les marchands. Cela s’arrêtera donc peut-être. Malgré les morts de Lhassa et les sacrifiés de l’air extérieur. Mais la crise écologique ne fait que commencer, et elle emportera les innombrables profiteurs de cette calamité planétaire.

Nous n’avons pas d’ailleurs, comme le rappelle le titre de ce rendez-vous : notre planète est sans visa. C’est ici, c’est maintenant qu’il faudra combattre. On comprendra peut-être que les municipales resteront dans mon esprit des municipales. Françaises.

Veaux, vaches, cochons, sales cons

Ne surtout pas dire du mal d’Yves Rénier, ancien commissaire Moulin. On ne sait jamais, avec les flics. Ne surtout pas avouer que je n’ai regardé aucun des épisodes d’une série qui aura duré plus de trente ans. On ne sait jamais, avec TF1. Penser à l’avenir, se concentrer sur la promotion d’éventuels livres à venir, ne pas oublier de plaindre PPDA, qui serait dans la peine, plus près de la porte que de l’augmentation de fortune.

Si je vous parle de Rénier, c’est pour rire un peu. Il faut. J’ai découvert une vidéo formidable, sur laquelle défilent une quinzaine de minutes d’un entretien accordé par madame Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État à l’Écologie je crois, à trois éminentes personnalités, dont Yves Rénier (dailymotion.com).

Ce dernier n’est pas que flic : il est en effet doté d’une âme, qui saigne dès qu’on parle des animaux domestiques. La preuve immédiate ici, où il affirme à sa manière virile : « Dire qu’il y a des cons qui critiquent Bardot…». Ben oui, quoi, il y a des cons qui ne supportent pas le mélange infernal autant qu’insupportable du racisme le plus rance et de la cause animale. Heureusement qu’Yvon est là pour remettre les choses d’aplomb. Je l’appelle Yvon, car je suis un familier, je me permets.

Yvon est bon. Bon. Je ne vous suggère pas de vous infliger les 15 minutes interminables entre la sous-ministre et Rénier, n’exagérons pas. Mais si vous savez manier le curseur, arrêtez-le sur 5 minutes et 20 secondes. Madame Kosciusko-Morizet dit quelque chose d’intéressant : « L’Agriculture est leader sur ce sujet au sein du gouvernement ». Évidemment, ce n’est plus du français. Mais passons, je vous prie.

De quoi parle-t-elle ? D’une initiative intéressante de son ami et collègue Michel Barnier, ministre de l’agriculture intensive. Comme cela commence aujourd’hui, je crois qu’un commentaire s’impose. Il s’agit d’un raout nommé « Animal et société », qui se veut la poursuite du Grenelle de l’Environnement de l’automne (tré)passé. Le gouvernement, dans cette infinie sagesse qui ne peut que toucher le noble Yvon, a décidé de changer les choses. Si. Il faut changer, il faut que les animaux soient mieux traités, il faut se montrer humains.

Comme tout Grenelle qui se respecte, trois groupes de travail vont plancher, en vue d’un rapport prévu en juin. Trois groupes, trois présidents (agriculture). Je ne peux ni ne veux vraiment tout détailler. Juste deux points. Le premier concerne le poulet industriel. Je ne vous décris pas l’horreur, c’est inutile ici. 80 % des poulets mangés en France viennent directement de prisons de haute sécurité.

Voilà un beau sujet pour monsieur Barnier. Seulement, la messe a déjà été dite, de longue date (poulets). Le gouvernement français, travaillé au corps par le lobby avicole, s’oppose de toutes ses forces, puissantes en la matière, à la moindre réforme en faveur des 630 millions de poulets intensifs zigouillés chaque année chez nous.

Voilà pour le premier point. Le second porte sur le troisième groupe de travail, dont le nom est un programme : « Animal, économie, territoire ». Le mot central, comme vous pouvez constater, est : économie. Et le président de ce groupe s’appelle Jérôme Bignon, député de la Somme et depuis peu président du Conservatoire du Littoral.

Il est Nouveau Centre, autrement dit Vieille Droite. J’ai eu l’occasion de me heurter à lui, violemment, sur le sujet des biocarburants. C’était en octobre 2007, sur France-Info. Il m’a paru que cet homme défendait un à un tous les arguments du lobby industriel. Et le voilà donc président d’une commission appelée à améliorer le sort des animaux.

C’est prometteur, pour deux raisons principales. La première, c’est que Bignon est cosignataire d’une proposition de loi tendant à faire du foie gras – supplice des oies compris – une « partie du patrimoine culturel et gastronomique protégé en France ». Anecdotique autant que plaisant. Torturons, torturons, il en restera toujours quelque chose.

La suite est un peu plus imposante, et si vous en avez le temps, je vous renvoie à ma prose du 5 décembre 2007 (fabrice-nicolino.com). Bignon est l’ami de toujours des chasseurs les plus extrémistes de la baie de Somme, dont il est l’élu.

En juillet 2002, Bignon est présent au cours d’une assemblée de chasseurs-huttiers. Il ne fait aucun doute qu’une partie de ces gueulards ont participé au début de lynchage de l’ancien député socialiste du coin, Vincent Peillon. Il faudrait être de très bonne composition pour ne pas voir en eux des ennemis de la République. Cette République, rappelons-le à tout hasard, qui paie et entretient Bignon à longueur d’année.

Or que dit Bignon ce jour-là aux excités, ceint peut-être de son écharpe de député ? Ceci textuellement : « L’administration française, les juridictions qui s’occupent de la chasse, le tribunal administratif comme le conseil d’Etat sont plombés par les Verts qui contrôlent le système ». Ne s’agirait-il pas d’un appel à peine déguisé à passer outre les juridictions en place ? Ne pourrait-on considérer le tout comme un début d’appel factieux ? Je vous laisse le soin d’y réfléchir en votre âme et conscience.

Mais pour en revenir à ce « Grenelle des animaux », mieux vaut encore en rire. À moins que vous n’ayez une autre idée ?

Une pensée pour Jeff Luers

Le blues est toujours là, mais la vie aussi, à ce qu’il semble. Donc je bouge. Ou fais semblant. En tout cas, je m’apprête à envoyer une lettre à Jeff Luers, Jeff « Free » Luers, qui croupit en taule aux États-Unis. Vous aurez peut-être du mal à croire ce qui suit, mais c’est la vérité : Jeff a été condamné à 22 ans de trou en juin 2001 pour avoir brûlé trois SUV, ce que nous appelons des 4X4. Pour protester contre leur usage indigne sur une planète qui ne cesse de se réchauffer. Vous trouverez le détail ici mais en anglais. Les dégâts – seulement matériels – ont finalement été estimés à 40 000 dollars, soit le prix d’un de ces engins. Lesquels ont été revendus après avoir été remis en état.

Jeff avait alors 23 ans et ce gamin anarchiste se battait depuis des années déjà contre l’État, les lois, les riches et le sort fait à la nature. L’avoir condamné à 22 ans de géhenne pour trois bagnoles, alors même qu’il avait pris les précautions nécessaires pour que nul ne soit blessé, ce n’est pas seulement absurde. C’est directement criminel. Mais comme on sait depuis qu’il existe des enquêtes, il peut être utile de savoir à qui profite le crime. Ou à quoi.

Depuis cette décision, l’eau a coulé sous les ponts d’Amérique. Des amis de Jeff, partout dans le monde, ont protesté comme ils pouvaient. Et il n’est pas impossible qu’ils aient joué un rôle positif. La sentence vient en effet d’être ramenée à 10 ans par une cour d’Appel de l’Oregon. Jeff sortira probablement avant la fin de 2009.

Bien entendu, le fait de brûler trois 4×4 destinés à d’épouvantables crétins n’a aucun intérêt stratégique. Mais en même temps, comment le dire ? Ce n’est pas de la politique. C’est un cri. Une protestation claire et nette contre l’insupportable marche du monde. Et là, j’applaudis. Je ne me contente pas de comprendre Jeff. Je l’approuve. Oui, j’approuve celui qui montre sans détour ce qu’il pense. Et qui agit. Et qui prend des risques. Le seul véritable ennui, dans cette histoire, ce sont les flics.

Les États-Unis montrent-ils la voie que nous suivrons bientôt ? On le dit pour tout et n’importe quoi, de la musique au film, en passant par la (défunte) cigarette Marlboro. Pourquoi pas en ce domaine ? Le 11 septembre 2001 a marqué, vous ne l’ignorez pas, un tournant. Bush et ses amis en ont profité pour attaquer comme jamais dans l’histoire américaine les libertés et droits civils. L’ancien chef du FBI John Edgar Hoover aurait sûrement fait autant et peut-être mieux, mais il n’en avait pas les moyens techniques.

Bush si, notamment grâce à la traque informatique et aux écoutes de masse, qui permettent l’intrusion systématique. Et cela n’a rien à voir avec les élucubrations conspirationnistes. Les nombreuses polices américaines, dont la NSA par exemple, n’ont jamais eu autant de pouvoir sur la vie des hommes.

Les combattants de mon coeur sont désormais considérés officiellement comme des « terroristes de l’intérieur » et traités comme tels. C’est-à-dire lourdement condamnés quand ils sont arrêtés, puis placés dans des conditions de détention parmi les plus rudes. Et une unité spécialisée du FBI court d’un bout à l’autre du pays-continent pour s’emparer des autres (bleudeterre).

Pourquoi tant de haine ? J’y vois un signal : les écologistes conséquents sont fatalement de vrais ennemis de ce monde-ci. Pas de quelconques adversaires. De vrais ennemis qui s’en prennent à ce que les défenseurs des 4×4 et de la mort considèrent comme sacré : la propriété. Cette propriété qui est au fondement même de l’individualisme absolu, cette immense plaie humaine qui nous aura fait tant de mal.

En somme, les geôliers de Jeffrey ne se sont pas trompés. Se battre pour la vie du vivant sur terre conduit, devrait conduire en tout cas à contester radicalement les formes d’organisation du monde existant. Et c’est pourquoi je vais écrire de ce pas à Jeff « Free » Luers, qui est pour moi comme un frère. Je vous laisse son adresse : Jeffrey Luers, n°1306729, Lane County Adult Corrections, 101 West 5th Ave, Eugene, OR 97401-2695, États-Unis.

PS : On peut lire en anglais une histoire sensationnelle et toute récente, qui concerne d’autres écoguerriers. Près de Seattle, en Amérique, fief des bobos de là-bas, des gens que j’imagine jeunes – au moins d’esprit – ont foutu le feu à un lotissement planté dans la nature, et qui menace l’habitat de saumons sauvages. Les promoteurs ne comprennent pas, eux qui avaient veillé à ce que les futures maisons à deux millions de dollars soient à fond écolos. « I can’t even begin to fathom that mentality », a déclaré l’un d’eux à la presse (independent.co). Ce qui veut dire qu’il est incapable de seulement commencer à sonder cette mentalité. Il ne comprend pas. Moi si.

Vrai coup de blues

Cela va passer, du moins je l’espère. Mais la vérité est que j’ai le blues. La faute à deux points douloureux, parmi des centaines d’autres. Le premier concerne un livre, Points de rupture, du journaliste britannique Fred Pearce (Calmann-Lévy). Je ne sais aucun livre plus essentiel que celui-là. Pearce est un homme solide, et sérieux hélas, que je suis à la trace depuis une bonne quinzaine d’années. Dans son nouvel ouvrage, il rapporte scrupuleusement ce qu’on sait aujourd’hui, en mars 2008, du dérèglement climatique en cours.

Eh bien, c’est insupportable. Car le coup est parti, comme je le sais depuis des lustres. Simplement, je parvenais à garder cette conscience-là en lisière. Tel n’est plus le cas ces jours-ci. Et le silence de la presse française sur ce travail essentiel, comment le qualifier ? Et le silence des ONG – de Hulot à Greenpeace -, comment l’accepter ? Si Pearce dit vrai, et il dit vrai, nous devrions cesser à l’instant d’être qui nous étions. Nous devrions tout (ré)inventer. Mais est-ce concevable ? Je ne le crois pas.

Autre sujet : le déferlement du bioéthanol aux États-Unis. La ruée vers le maïs destiné aux biocarburants provoque fort justement une nouvelle révolution des sols et des eaux du pays. Une équipe scientifique vient de publier une étude qui fait froid dans le dos (www.tv5.org). En extrême résumé, le surcroît de pollution qui sera charrié par le Mississipi a toutes chances de provoquer une catastrophe écologique majeure dans le golfe du Mexique, zone déjà meurtrie par les rejets industriels et agricoles.

Si vous avez envie de m’envoyer un quelconque message de réconfort, sachez que je suis preneur. Car pour l’instant, oui, franchement, le blues recouvre tout. Excusez.