Archives mensuelles : mars 2008

Juste avant d’aller voter

J’arrive à me surprendre moi-même, ce qui ne peut pas être un mauvais signe. Moi qui ai si peu voté dans ma vie, je vais me déplacer dimanche. Il est vrai qu’il s’agit d’un vote contre. Contre un tyranneau désespérant, de gauche à ce qu’on rapporte depuis des décennies. Je lui préfère une politicienne que je connais, de gauche à ce qu’il semble aussi, anciennement écologiste, et contre qui j’ai durement ferraillé. Je continuerai d’ailleurs. Avec elle, quelques hectares de la ville où j’habite pourraient être sauvegardés, quand l’autre, au pouvoir, veut les changer en promotion immobilière.

Ce n’est rien ? Je confirme : ce n’est rien. Mais je vis ici, et pas ailleurs. Et je sais que je souffrirais de voir détruit cet espace unique. Donc je vote. Et dans le même temps, je nous appelle à nous libérer de ces formes politiques absurdes et régressives. Car voyez où nous en sommes : même l’OCDE entonne des couplets angoissés.

Je précise qu’OCDE veut dire Organisation de coopération et de développement économique. Créée en 1948, instrument de toujours du libéralisme à la sauce exclusivement libérale, cette structure dispense aux pays qui en font partie – essentiellement le Nord – des études et des conseils. Toujours basés sur la même approche : dérégulation, libre-échange, gains de productivité, concurrence. L’OCDE se confond pratiquement avec l’idée de dévastation écologique.

Or qu’apprend-on ? Cette sublime institution, après avoir pourfendu au printemps dernier la criminelle industrie des biocarburants, s’attaque aujourd’hui à la crise écologique. Par le biais d’un rapport intitulé Perspectives de l’environnement (synthèse en français). En deux mots, ça craint. Énormément. La combinaison de la crise climatique, du stress hydrique, de l’érosion de la biodiversité, des pollutions, et de la poussée démographique rend l’avenir, à l’horizon 2030, peu désirable. Appelons cela un euphémisme.

À cette date, il pourrait y avoir sur terre 8,2 milliards d’humains, et si l’économie vantée jusqu’ici par l’OCDE continue au rythme actuel, sa taille aura (presque) doublé en 22 annnées. La demande en matières premières devrait augmenter de 60 % dans les pays industrialisés, et de 160 % chez les grands pays dits « émergents », comme la Chine, l’Inde, mais aussi le Brésil ou la Russie.

L’OCDE, qui ne peut ni ne pourra changer de rôle, tente de proposer des solutions à l’intérieur du cadre. Selon elle, pour au moins se donner de l’air, les sociétés humaines devraient consacrer 1 % du Produit intérieur brut (PIB) mondial de 2030 à une sorte de restauration écologique. Autrement dit, et d’un certain point de vue, rien. Autre élément plaisant et un rien déconcertant : l’OCDE plaide – elle ! – pour une taxe carbone, mais sans prononcer le mot fatal. Nous en sommes là : les libéraux veulent désormais taxer les émissions de gaz à effet de serre. Cette révolution sent la peur, peut-être un début de panique.

Bien entendu – hélas -, ce système démentiel est incapable de se réformer. Et la marche à l’abîme se poursuivra. Je lisais ce matin quelques pages d’un de mes auteurs préférés, André Gorz. Dans Écologica (chez Galilée) sont réunis sept textes du penseur écologiste. Et j’y lis ceci, page 29 : « La « restructuration écologique » ne peut qu’aggraver la crise du système. Il est impossible d’éviter une catastrophe climatique sans rompre radicalement avec les méthodes et la logique économique qui y mènent depuis 150 ans. Si on prolonge la tendance actuelle, le PIB mondial sera multiplié par un facteur 3 ou 4 d’ici à l’an 2050. Or selon le rapport du Conseil sur le climat de l’ONU, les émissions de CO2 devront diminuer de 85% jusqu’à cette date pour limiter le réchauffement climatique à 2°C au maximum. Au-delà de 2°, les conséquences seront irréversibles et non maîtrisables.

La décroissance est donc un impératif de survie. Mais elle suppose une autre économie, un autre style de vie, une autre civilisation, d’autres rapports sociaux ».

Je souscris, cela n’étonnera guère. Mais pour en revenir aux élections, je maintiens, moi qui m’apprête à voter pour des enjeux dérisoires, qu’il faut se débarrasser au plus vite des formes politiques anciennes. Toutes. C’est-à-dire la totalité de la droite, la totalité de la gauche, Verts compris. Si je vote néanmoins, c’est que j’ai conscience d’être aussi l’individu limité – ô combien ! – que je suis. Mon intérêt bien compris est que l’espace urbain menacé par le lamentable maire de chez moi soit sauvé. Mais l’intérêt général et de l’avenir commun impose la rupture.

Oui, la rupture. Ceux qui pensent que le moindre début de solution pourrait être trouvé dans la vision défunte font perdre un temps désormais précieux. C’est en dehors qu’il faut se retrouver. Je suis le partisan déclaré du grand dehors.

Le peuple des dunes contre Lafarge

Je vous ai parlé il y a seulement une paire de jours de madame Laurence Tubiana (fabrice-nicolino.com), dont je pense tant de bien. L’Iddri, l’institut qu’elle dirige, compte parmi les membres de son conseil d’administration la noble et vertueuse entreprise Lafarge. Une transnationale d’origine française, leader mondial de la construction, dont le coeur de métier est le ciment. Lafarge a fait du « développement durable » l’un des points forts de son discours publicitaire. Ce qui est bien son droit : qui hésiterait, de nos jours ?

Lafarge va plus loin que certains de ses petits camarades et maintient depuis des années un partenariat de taille avec le WWF, association écologiste mondiale. Argent contre image (des détails ici). Je vous conseille vivement, en complément, l’un des livres les plus drôles de ces dernières années : « Développement durable, 21 patrons s’engagent ». Paru au Cherche-Midi en 2002, il contient, au milieu de bien d’autres, un entretien avec Bertrand Collomb, alors patron de Lafarge. La totalité du propos relève du grand comique involontaire – parfois le meilleur -, mais je me dois de citer un morceau choisi. Quand on demande à Collomb pourquoi il a décidé de s’associer avec le WWF, il répond : « Il s’agit d’une organisation mondiale avec une image de marque très connue dans le monde et axée, entre autres, sur la reforestation ».

Tiens donc. La reforestation. Au Bangladesh (infosdelaplanete.org), Lafarge construit une cimenterie géante, approvisionnée par un tapis roulant de calcaire de 17 km de long. La carrière est en Inde, l’usine au Bangladesh. En avril 2007, le ministère indien de l’Environnement enjoint Lafarge de tout stopper, car le cimentier ne dispose pas des autorisations pour faire passer le tapis roulant au travers d’une forêt primaire. Lafarge conteste aussitôt, clame qu’on ne lui a rien demandé. Que la forêt, au reste, n’est pas primaire. Etc. En novembre, par un miracle comme cette Asie-là les aime, la Cour Suprême de l’Inde donne à Lafarge le droit de continuer.

L’histoire, bien que d’une navrante banalité, est plaisante, ne trouvez-vous pas ? Elle se double d’une autre affaire, française celle-là. Le Peuple des dunes est en colère contre notre grand cimentier. Le Peuple des dunes, pour ce que je peux juger, est une merveille. Il s’agit d’un collectif de plus de 100 associations locales qui refuse tout net un autre projet de Lafarge (allié en l’occurrence à Italcementi). Les deux veulent extraire la bagatelle de 600 000 tonnes de sable au large de la Bretagne, entre Gâvres et Quiberon. Chaque année, et pendant trente ans. Et quand j’écris « au large », ce n’est que formule, car l’extraction se ferait à trois milles marins du plus grand massif dunaire de Bretagne, site en partie protégé par Natura 2000 s’il vous plaît.

Je passe sur les conséquences écologiques probables d’une telle entreprise, si par malheur elle devait voir le jour, car tout est sur ce site. Comme les opposants parlent d’une manière admirable, je vous offre toutefois quelques mots du géographe Yves Lebahy. « Lorsque j’ai eu connaissance de ce projet, il y a quelques mois seulement, et des premiers documents qui circulaient à son sujet, j’ai tout de suite été en alerte pour trois types de raisons au moins. La première, mettait en jeu des documents scientifiques expliquant que l’opération serait sans effets sur le littoral. C’est ignorer que toute action humaine quelle qu’elle soit, où qu’elle soit, génère un déséquilibre des milieux et je suis trop attaché au principe de géosophie cher à certains géographes, c’est-à-dire un rapport profond de sagesse et d’humilité que doit entretenir l’homme à l’égard de la terre qui nous porte et nous nourrit, pour n’avoir pas été immédiatement en alerte, surtout sur un milieu aussi complexe et ignoré que le milieu marin au contact des côtes ».

Et puis, car je ne peux résister non plus, cet extrait d’un magnifique appel de Jean Gresy : « Sachez qu’il n’y a place pour aucune solution négociée avec les cimentiers, car nous ne transigerons pas sur les valeurs qui sont au cœur de notre action. Il n’y a place ni à l’arbitrage, ni à la conciliation, ni à la médiation. Comme on ne peut gagner contre la volonté souveraine du peuple dans une démocratie, il est facile d’anticiper le fait que les cimentiers ont déjà perdu la partie ».

Je peux me tromper, mais je crois qu’il a raison. Lafarge ne réussira pas ici. Heureusement pour lui, il reste madame Tubiana.

L’éternel retour des farines animales

Nous avons beau vivre par miracle en paix – nous, pas ceux d’ailleurs et du lointain – depuis presque 63 années, une guerre non déclarée nous est faite jour après jour par le système industriel et marchand. Vous pouvez estimer que j’exagère, bien entendu. Mais attendez tout de même quelques lignes, s’il vous plaît.

À l’automne 2007, le lobby du porc demande à rencontrer notre ministre de l’Agriculture, Michel Barnier. Ces gens-là n’en peuvent plus. Disent-ils. Tout coûte de plus en plus cher, à commencer par cette nourriture à base de céréales qu’ils sont contraints d’offrir à leurs prisonniers depuis la funeste affaire de la vache folle. Ils demandent au ministre de revoir l’interdiction des farines carnées pour les animaux d’élevage, décidée par l’Europe en 2000. Barnier botte précautionneusement en touche, et parle d’études en cours. Courageux, mais pas téméraire.

Depuis, le prix des céréales n’a fait qu’augmenter, et les éleveurs industriels n’ont cessé, au cours d’innombrables réunions, de réclamer le droit de donner de la viande aux cochons. Et aux poulets, tant qu’on y est. Avec un allié qui compte et qui s’appelle le Sifco ou Syndicat des industries françaises des coproduits animaux. Le nom, déjà, fait envie. Coproduits. Lisez par vous même, mais surtout pas avant de manger : www.sifco.fr. Le Sifco fabrique des farines animales, mais a eu la grande sagesse de les rebaptiser Protéines animales transformées, ou PAT. C’est mieux, éPATant, même.

Pour l’heure – quel inconcevable gâchis ! – les déchets ont deux destinations principales. Les restes d’animaux malades partent brûler dans les cimenteries. Et les autres sont changés en PAT qui nourrissent nos chats et nos chiens. Avec une variante intéressante : on en fait aussi de l’engrais. Le sang, pour sa part, « enrichit » la diète des poissons d’élevage, poissons dont on tire à l’occasion des farines destinées à l’alimentation des porcs et des volailles. Voilà un système astucieusement pensé.

L’Europe va-t-elle céder ? Elle est visiblement soumise à un pilonnage en règle des lobbies, et n’est plus si éloignée de dire oui. Pour l’heure, elle se contente de financer, à hauteur de 1,7 million d’euros, l’élaboration d’un test. Qui permettrait de savoir de quel animal provient telle farine. Pas bête. Car l’Europe, d’une cruauté sans nom à l’encontre des éleveurs, ne veut pas entendre parler de cannibalisme. En clair, un porc ne saurait nourrir un porc. Un poulet, un poulet, etc. Pour une raison en fait très pragmatique : il convient d’empêcher la transmission de maladies au sein d’une même espèce.

Je pense que vous apprécierez comme moi le propos d’un des grands manitous du porc industriel en France, Paul Auffray, qui est secrétaire général de la section porcine de la Fédération nationale des exploitants agricoles (Fnsea) : « Il ne faudrait pas que ça effraie le consommateur, et puis auprès des distributeurs qui communiquent sur le tout végétal dans l’alimentation animale, c’est pas évident ». Mais si : web-agri.fr. Et voyez cette étonnante réplique de McDo : « À supposer que les conditions de sécurité sanitaire soient réunies, comment l’expliquer au consommateur ? » (ouest-france.fr).

Je dois dire que j’adore cette ultime phrase du marchand de frites et de gras. Car je ne vois pas comment dépasser une telle perfection. Le problème, le seul problème, c’est de fourguer. Peu importe quoi, peu importe croyez-moi. Fourguer. Un emblème. Un blason.

Vive les écoguerriers ! Evviva !

Des fois, et de plus en plus souvent, je craque, je bous ! On n’a pas toujours envie de discuter, cela se saurait. Non, il arrive aussi qu’on brûle du désir d’agir. Là et maintenant. Maintenant ou jamais. Autant vous dire que j’applaudis de toutes mes forces les bandits océaniques de Sea Shepherd. Oh oui ! Je ne sais si vous êtes au courant de leurs aventures, et dans le doute, je résume.

Paul Watson, un ancien de Greenpeace né en 1950, a créé la Sea Shepherd Conservation Society (site). Le berger des mers. C’est un très brave, cité par Time, en 2 000, dans sa courte liste des Héros de l’Environnement du 20ème siècle. Je sais, Time n’est pas une référence. C’est pour vous dire qu’il est connu.

Watson est un vrai combattant, cela ne se discute pas. Et Sea Shepherd est devenu le symbole de l’action, bien davantage que Greenpeace, du moins dans le monde anglosaxon. J’en arrive à leur dernière fantaisie. Le 2 mars, un bateau de la noble association a pratiquement abordé dans l’Antarctique (afp) le baleinier japonais Nisshin-maru. À dix mètres seulement – il faut imaginer ce que sont 10 mètres dans un océan comme celui-là -, les écologistes ont balancé sur le pont des bouteilles d’acide butyrique, tiré donc du…beurre. Regardez plutôt cette belle photo ! Moi, cela me fait envie, je dois le reconnaître.

Vous l’imaginez, la bande à Watson voulait empêcher ces salopards d’encore prélever des baleines destinées aux restaurants de Tokyo. Le Japon a violemment protesté, affirmant que trois marins auraient été brûlés aux yeux, ce que démentent les écologistes, qui disent avoir tout filmé. Pour eux, l’acide ne sert qu’à rendre le pont glissant et impraticable pendant des jours, tout en emplissant l’air d’une odeur insupportable. Bon, je vais vous dire : dans le pire des cas, je doute que les effluves de beurre provoquent autant de mal que les harpons à tête explosive lancés sur le corps magnifique des rorquals.

Les ecowarriors – les écoguerriers – sont des frères. Ni plus ni surtout moins. Aux États-Unis, ces activistes sont traqués par le FBI d’une façon qui surprendrait encore un peu en France. Au dernier congrès de l’Association américaine pour l’avancement des sciences, un sociologue visiblement ami des flics a mis en garde contre « l’écoterrorisme ». Lequel serait pire aux États-Unis que la violence d’extrême droite. Ces sociologues-là sont plaisants. Je rappelle pour mémoire l’attentat fasciste perpétré le 19 avril 1995 dans le centre d’Oklahoma City par Timothy McVeigh : 168 morts, dont 19 enfants et un secouriste. Une (courte) paille.

Il n’empêche que le FBI flippe, car les écoguerriers seraient des « gens instruits » – je cite -, ce qui compliquerait leur tâche. Après avoir beaucoup défendu l’usage de la violence en mes jeunes années, je confesse que j’ai changé de point de vue. Je suis devenu un non-violent actif. Ce qui veut dire ? Ce qui veut dire que, tant qu’on ne s’en prend pas aux hommes et à tout ce qui vit, l’opposition à ce monde doit conserver un espace, dût-il déplaire aux policiers des âmes et des corps.

Il y aura bientôt quatorze ans, j’ai rencontré à Fontainebleau un certain Samuel Baunée, qui avait créé là-bas un groupe clandestin appelé Bleau-Combat. Il était un écoguerrier, décidé à bien des actes pour sauver la forêt de Fontainebleau d’une exploitation industrielle. Comme je ne sais pas ce que je peux révéler ici, disons seulement qu’il a combattu, avec une poignée d’autres. Contre les engins. Contre les coupes. Contre les résineux. Contre une vision déchaînée de l’exploitation des arbres, qui forment à mes yeux, avant tout autre considération, une communauté hautement respectable. Je n’espère qu’une chose : que le récit de ce qu’il faut bien appeler du sabotage soit un jour publié. Moi, j’en ai pleuré de rire.

Je me suis constamment amusé avec Samuel, qui est un garçon de grande élévation. Et je lui garde, il le sait, une amitié vive. Son action on ne peut plus illégale a fini par le conduire en prison – mais oui, c’est vrai -, sans qu’il ne renie rien de ce qui fut. Et moi, je continue de m’interroger. Jusqu’où peut-on aller pour défendre une cause aussi essentielle que la vie sur terre ? Jusqu’où ?

PS : Je signale à toutes fins utiles que l’éditeur Gallmeister entreprend d’éditer ou rééditer les livres d’Ed Abbey, l’auteur de l’admirable Désert solitaire (Payot). Abbey fut un vaillant écoguerrier, et son roman Le gang de la clé à molette rapporte en partie des événements réels.

Le ridicule ne tuera pas madame Tubiana (ni personne)

Je n’ai jamais rencontré madame Laurence Tubiana, et je dois avouer que cela ne m’a pas trop manqué. Qui est-elle ? Qui n’est-elle pas, plutôt. La totalité de ses titres, auxquels elle semble tenir avec fermeté, dépasse le cadre de cet article. Choisissons, élaguons : elle est la directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), prof à Sciences Po et siège dans un grand nombre de commissions et de conseils d’administration divers et variés.

Elle serait de gauche que je n’en serais pas autrement étonné. Elle a en effet été conseillère de notre excellent Jospin quand il était Premier ministre de la France, ce que des insolents comme moi finissent par oublier. Qu’il a été Premier ministre, je veux dire. Et de gauche, bien sûr. En somme, Laurence Tubiana est une considérable personne, au confluent de la politique, de l’économie, de l’écologie et des relations internationales.

Venons-en aux faits. Cela faisait un moment que l’Iddri et madame Tubiana, ce qui est bien leur droit, préparaient le terrain pour un machin de plus. Un machin sur la biodiversité. Un truc international, sur le modèle plus ou moins fidèle du Giec, ce groupe d’experts sur le climat qui a reçu le Prix Nobel de la paix. C’est vrai, quoi, il n’y a pas que le climat, tout de même. Et les éléphants, et les baleines, et les forêts tropicales ? Pour être complet, l’idée a été exprimée la première fois au cours de la farce grandiose organisée par Jacques Chirac à l’Unesco, en janvier 2005. Je vous en rappelle l’immortel intitulé : « Biodiversité, science et gouvernance ».

Donc, un lobbying intense autant que durable. Parallèlement, un Borloo et une Kosciusko-Morizet, ministre et secrétaire d’État chargés de l’écologie et du développement durables. Mal en point depuis qu’il apparaît cette évidence que le Grenelle de l’environnement fut une mise en scène dépourvue du moindre acte, ce qui est toujours fâcheux au théâtre.

Des lobbyistes, des ministres en mal de reconnaissance, une idée qui ne mange pas de pain : l’étincelle ne pouvait être très loin. Le résultat des courses s’appelle IMoSEB. Je vous jure que je n’invente pas : l’IMoSEB est né, alleluia ! Il s’agit de l’acronyme anglais de Mécanisme mondial d’expertise scientifique sur la biodiversité. Je ne galèje pas davantage. Tel est notre petit nouveau.

Je ne doute pas qu’il grossira, car toutes les occasions sont bonnes de réunir son monde et de voyager pour la bonne cause. Madame Valérie Pécresse, ministre de la Recherche, a en tout cas confié à madame Tubiana une mission décisive de « pilotage et de coordination ». On verra ce qu’on verra. Dès 2009, l’IMoSEB devra être « opérationnel ». Pour cela, madame Tubiana aura pour tâche, comme l’indique sa fort sérieuse lettre de mission, « d’organiser la contribution de la recherche française au projet d’expertise » et de préparer « les négociations au plus haut niveau avec les gouvernements, les partenaires institutionnels et les ONG ».

Où est le problème ? Je vous le demande. Et j’y réponds dans la foulée. Au moment même où était annoncée cette (petite mais réelle) loufoquerie, on apprenait le résultat d’une étude du Muséum sur l’état des espèces protégées en France. 200 espèces animales et 100 espèces végétales, légalement protégées je le rappelle, ont été étudiées, ainsi que 132 espaces naturels.

Le résultat est simplement fou. 36 % de ces espaces sont dans le rouge, statut dit « défavorable mauvais ». Les espèces qui y vivent voient leur avenir compromis. 29 % sont dans l’orange, statut « défavorable inadéquat », inquiétant mais réversible. Le comble de tout est que le loup est l’un des seuls animaux à sortir son épingle du jeu. Le loup, qui vient de revenir seul chez nous, sans demander son avis à aucune commission !

Je résume et synthéthise : l’état réel de la biodiversité ordinaire d’un pays comme le nôtre est lamentable. Et parmi les causes les plus évidentes, il faut citer, sans surprise, l’agriculture intensive et les projets industriels. Voilà pourquoi il était si urgent de confier une mission à madame Tubiana.

Et en effet ! Le 19 octobre dernier, l’Iddri qu’elle dirige invitait à Paris, pour une conférence, Blairo Borges Maggi, gouverneur de l’Etat du Mato Grosso (Brésil). Titre de la conférence : « Production agricole, commerce et environnement, le cas de l’État du Mato Grosso ». Maggi, directeur du Groupe Amaggi, est considéré comme le roi du soja. Son empereur même. C’est dans son État que sont en train de mourir, encerclés par le soja transgénique, les Enawene Nawe, un minuscule peuple indien de la forêt défunte. Maggi est aussi et fatalement l’un des défenseurs les plus acharnés de la route BR-163, longue de près de 1700 km, qui permet l’acheminement du soja jusqu’à Santarém, un port du fleuve Amazone, via la forêt tropicale. Faut-il être plus explicite encore ? Je doute.

Bien sûr, l’Iddri de madame Tubiana a le droit d’inviter qui elle veut, même des coupables de crimes écologiques. Bien sûr. De même que l’Idri a bien le droit de compter dans son conseil d’administration le cimentier Lafarge, Véolia Environnement, et même Coca-Cola, Arcelor-Mittal, EDF, Rhodia, Dupont de Nemours, Solvay, Renault, Sanofi-Aventis, etc, etc.

Mais oui, je vous le dis : madame Tubiana a tous les droits. Dont celui de faire croire qu’elle luttera efficacement pour la biodiversité sans jamais toucher à l’industrie – qui finance gentiment ses activités – ou à l’agriculture industrielle. Quant à moi, je me réserve le droit des bras d’honneur, et du rire dévastateur, en attendant mieux. L’écologie officielle, celle des salons dorés et des conférences endimanchées, je vous la laisse volontiers, madame.

PS : dans la série Rions un peu sait-on jamais, je vous signale ce compte-rendu (involontairement) hilarant d’une réunion au cours de laquelle madame Tubiana estime que « la biodiversité est un concept difficile à saisir » (www.lapeniche.net).