Avertissement : ce papier est centré sur une analogie historique qui n’intéressera pas tout le monde, je le crains. J’y parle du nazisme, pour revenir ensuite à Nicolas Hulot. Je le reconnais, c’est acrobatique. Ceux qui sont prêts à s’accrocher aux branches sont les bienvenus. Et les autres peuvent attendre le prochain article.
Avec un peu de chance, on me permettra une analogie qui, comme toute analogie, atteint vite ses limites. Je sens de la rage, je n’ose écrire de la haine, contre Hulot, chez certains lecteurs de ce blog. Je ne chercherai pas ici à savoir pourquoi, et passe directement à l’objet de cet article. Juste ce rappel : j’ai proposé ici ces derniers jours un petit feuilleton sur Nicolas Hulot, dont je croyais avoir écrit le dernier épisode vendredi dernier. Et puis non.
Mon propos : avant la Seconde guerre mondiale, la gauche allemande fut incapable de s’unir contre ce qui allait la détruire, elle et le monde. Elle, ainsi qu’une certaine idée de la civilisation. Le nazisme était d’emblée un sommet de l’horreur, et malgré cela, les staliniens allemands de l’époque – ceux du Kommunistische Partei Deutschlands (KPD) -, appliquant une ligne décrétée à Moscou, refusèrent toute alliance avec les socialistes. Dans les années précédant la prise du pouvoir par Hitler, les sociaux-démocrates du SPD étaient considérés par eux comme des sociaux-fascistes, pires même que les nazis. Je rappelle qu’en ce funeste mois de mars 1933 où Hitler prit le pouvoir par les urnes, il n’obtint que 43,9 % des voix.
Pendant la guerre elle-même, ces staliniens, dont beaucoup se trouvaient alors dans des camps comme Dachau ou Buchenwald, firent assassiner certains de leurs adversaires politiques. Dans l’intérieur de camps nazis dont ils assuraient – pour des raisons que je ne conteste pas – l’administration. Cela fait réfléchir.
Dans le même temps, en France, certains courants ultraminoritaires de l’opinion – par exemple, les infimes groupuscules trotskistes – refusaient toute alliance avec les gaullistes ou ce qui pouvait être considéré comme appartenant au camp de la bourgeoisie. Ils préféraient – héroïquement, il est vrai, mais si sottement ! – distribuer des tracts en allemand aux soldats de l’armée d’occupation pour leur rappeler qu’ils demeuraient des travailleurs, amis des travailleurs du monde entier. Et qu’ils devaient donc se préparer à retourner leurs armes contre la dictature de Berlin. La soldatesque était le véritable allié du peuple français, tandis que De Gaulle demeurait un ennemi mortel. L’idéologie rend plus sourd que certaine activité parfois décriée.
Moyennant quoi, il était loisible à nos trotskistes de s’allier aux staliniens, qui les pourchassaient pourtant au nom de « l’hitléro-trotskisme », concept imaginé à Moscou par ce cher Staline pour mieux liquider physiquement Léon Trotsky, ce qui fut d’ailleurs fait. Dans certains maquis français de la Résistance, des militants trotskistes furent même assassinés par des staliniens ! Le croyez-vous ? Pendant l’occupation, sous la botte nazie. Je crois me souvenir que l’écrivain David Rousset, alors trotskiste lui-même, dut cacher son appartenance à ce mouvement pour pouvoir espérer survivre dans le camp nazi où les Allemands l’avaient conduit (voir son très beau livre Les jours de notre mort). En l’occurrence, il était davantage menacé par les staliniens que par les sbires du régime hitlérien.
Où veux-je en venir ? Il y a, il y a eu, il y aura toujours des gens qui préfèreront mourir en fanfare, au son agréable de leurs idées purement idéelles plutôt que composer. En 1940, dans la France réelle du grand désastre, sur qui pouvait-on compter ? Sur un général profondément de droite, de tradition maurrassienne, marqué par l’antisémitisme de son milieu : Charles de Gaulle. Une culotte de peau, soyons direct, qui méprisait d’ailleurs passablement la démocratie parlementaire de son temps. Ajoutons quelques va-nu-pieds magnifiques autant que rarissimes, comme le préfet Jean Moulin. Le parti socialiste – la SFIO – était tout encombré par un pacifisme rance, venu du rejet horrifié des tranchées de 1914, et même contaminé par le pétainisme naissant. Le parti communiste stalinien, lui, tenta pendant des mois l’accommodement avec l’occupant nazi, jusqu’à essayer d’obtenir la reparution légale à Paris du journal L’Humanité. La résistance des staliniens, pour l’essentiel, commença le jour où Hitler décida l’invasion de l’Union soviétique, en juin 1941. Juin 1941. Pas juin 1940.
En bref, il y avait de quoi se flinguer. L’avenir n’existait plus. Le temps comme l’espace appartenaient à la barbarie. Et il aurait fallu baisser les bras ? Et il aurait fallu demander aux quelques refusants – qu’on appelait résistants alors – s’ils étaient de gauche, de droite, syndiqués, poitrinaires, divorcés, catholiques ? Nous y serions encore ! Nous serions encore – plutôt, nous ne serions plus – dans ce Reich appelé à durer mille ans. L’histoire n’est pas là pour nous plaire, voilà tout. L’histoire est tragique, point. Et il fallut, pour vaincre Hitler, accepter que Staline s’empare de l’est de l’Europe pour un demi-siècle. Et il fallut bien, en France, dans les conditions froides et sombres des années 1940-1944, unir des gens que tout séparait.
Et voilà où je veux en venir. Il sera difficile de prétendre que je ne critique pas le monde et ses innombrables servants. Je suis radicalement opposé au règne de la marchandise et combats ses dévots. De la manière que certains ici commencent à connaître. Et je ne changerai évidemment jamais. Mais ! Mais j’aime tant la vie et ses innombrables beautés, ses déserts et ses mers, ses hommes, femmes et enfants, ses bêtes et plantes de toutes sortes que j’accepte sans aucune hésitation.
Ce que j’accepte ? Mais les autres, pardi ! Je suis ainsi engagé dans un projet d’importance avec des catholiques, moi qui ne suis pas même baptisé. J’ai passé la journée de samedi dans un monastère, avec des gens de divers horizons, la plupart fort éloignés de moi. Parce que la vie le vaut bien, sans rire. Je me fous de savoir ce que je sais à la condition d’être en face d’hommes et femmes sincères, et en mouvement.Telle est pour moi la clé : le mouvement. Qui se meut et se rapproche d’une meilleure perception de la crise écologique est un allié, et peut devenir un ami.
Les choses ne sont-elles pas, d’une certaine façon, simples ? Nul n’a le pouvoir, et c’est heureux, de changer par décret l’esprit que se sont forgé nos contemporains. Dans le temps compté qui nous est laissé, il faut vivre et travailler avec des personnes profondément différentes de soi-même. Une certaine folie de gauche, qui fut la mienne, consiste à fantasmer sur un homme nouveau qui jamais ne voit le jour. Lorsque le pouvoir d’État fut conquis à Moscou, Pékin, La Havane, on intima l’ordre à cet homme nouveau imaginaire de se comporter comme la théorie le commandait. Et comme l’homme ancien était rétif à l’idée de laisser la place à l’idée, on lui courba l’échine de force, et l’esprit. Vous souvenez-vous bien du résultat ?
Je postule qu’il faut le plus vite possible unir des forces dissemblables et même, à l’occasion, baroques. Car la menace, celle qui barre notre chemin à tous, l’exige évidemment. Je ne prétends pas que nous devons renoncer à ce que nous sommes. Je suis qui je suis, et je déteste en profondeur les puissances du monde réifié où j’habite. Mais rien, RIEN, ne sera gagné si nous ne parvenons pas à entraîner ceux qui peuvent l’être.
Je laisse donc la pureté supposée à ceux qui préfèrent la mort. Et je vous redis calmement que Nicolas Hulot est un humain digne de ce nom, engagé dans un mouvement profond – difficultueux donc, contradictoire donc – de son être. Hulot, que j’ai critiqué, secoué, que je continuerai à critiquer et à secouer, Hulot est un homme. Je l’estime. ¡Vamos y adelante!