Il y a au moins deux Louis Dollo. Le premier a l’air bien intéressant : paléontologue belge, celui-ci a mis au jour les célèbres iguanodons de Bernissart, puis formulé une loi dite de Dollo, selon laquelle les structures abandonnées au cours de l’évolution par un organisme ne réapparaissent jamais. Il est mort en 1931. Et puis il y a un deuxième, tout ce qu’il y a de vivant, installé dans les Pyrénées. Lui aussi est intéressant, mais pas tout à fait pour les mêmes raisons.
Est-il de ces dinosaures – les iguanodons en sont – recherchés et découverts par le Louis Dollo d’antan ? Ma foi. Dollo est un guide de pays (ici) originaire du Val de Loire, qui s’est pris de passion pour les Pyrénées. On le comprend. Installé à Tarbes depuis des décennies, il mène les touristes là-haut, et leur montre la beauté des crêtes. Noble métier, utile et sans doute passionnant.
Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes si Dollo n’était devenu, au fil des ans, l’un des plus acharnés opposants à la présence de l’ours dans ces Pyrénées dont, probablement, il se sent le propriétaire inspiré. Je ne ferai pas de psychanalyse hasardeuse sur son compte, rassurez-vous. Le fait est qu’il s’est imposé comme un ennemi de l’ours. Et d’autres animaux comme le vautour, qu’il accuse de s’attaquer à des animaux parfaitement en bonne santé. La biodiversité des Pyrénées, à l’en croire, serait menacée par la présence de bêtes qui y sont depuis toujours ou presque. C’est audacieux.
Dollo est devenu en tout cas la tête de Turc – le mot n’est pas trop fort – de (presque) tous ceux qui défendent la nature sauvage et l’ours, son symbole le plus puissant (ici). Il ne fait guère de doute que notre guide prend un vif plaisir à cette sempiternelle empoignade. Moi, je le trouve un peu ingrat avec l’ours. Car sans ce dernier, car sans les vautours, car sans la télé et les radios, qui lui donnent abondamment la parole, quelle serait donc la place de Louis Dollo ? En tout cas, pas ici, c’est certain.
Si je vous en touche deux mots ce matin du 24 octobre 2008, c’est parce que Dollo vient d’écrire un article de plus, hallucinant certes, mais pas davantage que tant d’autres sous sa plume. La différence, c’est que je l’ai lu (ici). Il en suinte un dégoût primitif du magnifique plantigrade. Tel, même, qu’il me fait sourire, tant il parle davantage de l’homme que de l’animal. Mais il y a moins drôle. Dollo ne cesse ainsi de parler d’ours « importés » de Slovénie pour désigner ceux qui ont été réintroduits à partir de 1996. La vie ? De l’import, messieurs-dames. Du commerce. De la marchandise.
Mais il y a encore autre chose. Le papier de Dollo est fascinant de bout en bout, car il a le ton triomphal de celui qui a toujours su ce qui allait se passer. D’après lui, un chasseur du Val d’Aran espagnol, âgé de 72 ans, aurait été attaqué par un ours hier matin, jeudi. Je dois vous dire que je ne crois pas une seconde au récit tel que rapporté par Dollo. Mais cela n’a guère d’intérêt, et je peux me tromper. Néanmoins, voici le récit du drame : « Vers midi, alors qu’il se tenait à l’écart des autres chasseurs, le retraité a été attaqué par un ours de forte corpulence, “plus grand qu’un homme” nous a dit un témoin de la scène.
En se protégeant le visage avec son bras il a été fortement griffé puis l’ours s’est attaqué aux jambes et pieds, notamment le gauche, heureusement protégés par des bottes. Alerté par les cris de Luis Turmo ses camarades ont, à leur tour, crié puis tiré en l’air pour faire partir l’ours. Luis T. ne doit son salut qu’à l’intervention des autres chasseurs ».
Oui, bon. Le pauvre chasseur armé, face à un ours plus grand que lui, et qui met son bras devant le visage. Oui, bon. L’essentiel est ailleurs. Car Dollo est obligé de préciser que cet incident, s’il s’est déroulé ainsi, est le premier du genre répertorié depuis des lustres dans les Pyrénées. Or, cela ne peut pas coller, puisque Dollo ne cesse de dire que l’ours est une menace mortelle pour la montagne. À la fois, c’est la pleine confirmation de sa sagacité. À la fois, ce pourrait être considéré comme un démenti de toutes ses craintes. Car quoi, une seule attaque, et contre un homme armé qui vient chercher l’ours sur son terrain ?
Alors Dollo réécrit le monde, à défaut de le réenchanter. Et voilà le travail : « D’autres attaques ont eu lieu dans les Monts Cantabrique (Espagne) notamment sur un homme de 72 ans. L’histoire de l’ours en France nous montre de nombreux autres cas malgré les affirmations contraires des associations environnementalistes pro-ours. Nous pouvons citer les cas récents des chasseurs qui ont eu la possibilité d’utiliser leur arme pour se protéger de Melba et Cannelle contrairement à Luis Turmo.
On se souvient aussi que le 6 novembre 2007 un chasseur de 24 ans de la localité aranaise de Les fût poursuivi par un ours puis blessé alors qu’il participait à une battue. Les faits ont eu lieu près de Era Bordeta, sur la commune de Arres.
Dans ces deux cas, les chasseurs espagnols n’ont pas pu faire usage de leur arme pour se défendre contrairement aux chasseurs français. Mais ces chasseurs auraient pu être des randonneurs, des promeneurs, des chercheurs de champignons solitaires qui n’auraient eu aucun moyen d’en réchapper. Que serait-il arrivé si c’était une famille avec des enfants ? ».
Oh ! c’est splendide. Quatre commentaires. Le premier : une autre attaque, dans les monts Cantabriques, aurait visé un homme de 72 ans. Même âge que celui du Val d’Aran. Admettons. Le deuxième : un ours blessé, au cours d’une battue, aurait poursuivi un jeune chasseur. Il aurait certainement dû lui offrir des fleurs. Le troisième : les tirs des chasseurs qui ont tué Melba et Cannelle ne sont plus, et n’ont d’ailleurs jamais été de sinistres bavures contre des animaux rarissimes. Mais des actes de légitime défense. Dollo devrait prendre la place de Rachida Dati. Le quatrième enfin : mais que se serait-il passé si le fauve avait pu s’emparer d’un bambin ? Et le croquer ? Et en laisser les restes disloqués sur le chemin de grande randonnée, hein ?
Arrivé à ce point, je crie pouce. Je ne vous dirai donc pas toutes les vilenies que Dollo imagine – lâchers clandestins, identités incertaines, mouvements baroques et sans contrôle jusqu’au Béarn, étranges substitutions de colliers émetteurs, etc.-, qui prouveraient au plus benêt l’existence d’un vaste complot. Quel en serait le but ? J’ai dit ne pas vouloir psychanalyser, et je m’en tiens à ce butoir-là. La seule chose que je souhaite ajouter, c’est que la haine de la nature reste l’un des moteurs les plus stupéfiants de sa destruction. Et Dollo n’est jamais qu’un de ses nombreux prophètes. Pyrénées, terre de contrastes.