Qui connaît Lucien Chabason ? Moi. Et qui Michel Mousel ? Moi. Et qui Christian Brodhag ? Moi. Et qui Serge Antoine ? Moi. Moi. Moi. Mais attention, je ne sais rien d’eux sur le plan personnel. Peut-être – je le leur souhaite – sont-ils, ont-ils été, d’excellentes personnes privées, de bons parents, des époux parfaits, des amis irremplaçables.
Mais il y a le plan public, et sur ce terrain, j’ai mon mot à dire. Je vous les présente en quelques phrases sèches, et donc injustes. Chabason est un expert multicartes depuis des décennies. Il a été sous-préfet à Ussel dès 1971, après avoir été administrateur civil au ministère de l’Intérieur, en 1968. En 1968. Il a par la suite été conseiller de Jacques Chirac – alors Premier ministre – en 1974, puis celui de Raymond Barre après 1976. Après une longue carrière au ministère de l’Environnement, il s’est nettement rapproché de Brice Lalonde quand celui-ci devint secrétaire d’État à l’Environnement, et surtout fondateur de l’éphémère Génération Écologie.
Et ? Chabason, je l’ai dit, est expert. International. Je vous passe la liste, qui comprend, entre beaucoup d’autres machins, l’OCDE et le PNUE. Il a été coordinateur du plan d’action pour la Méditerranée des Nations Unies entre 1994 à 2003, et demeure président du Plan bleu. Je vous recommande ce dernier, car il existe depuis 1975, avec pour but officiel de sauver la mer Méditerranée des pollutions qui la tuent d’année en année.
Comme le résultat est émouvant, quand on pense au sort du thon rouge ! Et c’est Serge Antoine qui a eu l’idée de ce vaste plan si utile. Qui l’a proposé à des pays riverains « inquiets de voir se dégrader la mer qui constitue leur lien naturel ». Autant vous dire que Chabason et Serge Antoine se sont très bien connus. J’utilise le passé, car Serge Antoine, né en 1927, est mort en 2006.Qui était Antoine ? Un haut-fonctionnaire, tout comme Chabason. Tout comme un Robert Lion, président du conseil d’administration de Greenpeace (ici), Serge Antoine a eu pour le moins deux carrières. Conseiller de l’Euratom – la Communauté européenne de l’énergie atomique – au début des années 1960, il aura été l’un des piliers, pendant quinze ans, de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar), entre 1963 et 1978. Il y aura travaillé avec des responsables gaullistes aussi recommandables qu’Olivier Guichard – ancien maire de La Baule – ou Jérôme Monod, ci-devant patron de la Lyonnaise des Eaux.
Ensuite, indiscutablement, Serge Antoine, convaincu de l’existence d’une crise environnementale, a changé de voie. J’écris volontairement environnementale, mot que je déteste et tente de ne pas utiliser, car il est évident pour moi que Serge Antoine ne considérait pas la crise écologique. Ce qui comptait, c’était l’environnement. L’environnement des hommes. Mais baste, il fut l’homme du développement durable en France, et je n’ai aucune raison de douter de sa sincérité (ici). J’ajoute qu’il fut vice-président du Plan bleu de Chabason. Logique.
Poursuivons avec Michel Mousel, que j’ai croisé il y a une vingtaine d’années, et avec qui je me suis copieusement engueulé. Qui est-il ? D’abord un politique, passé par le PSU « autogestionnaire », « écologiste » et même « révolutionnaire » de l’après-68. Tout le monde s’en fout à juste titre, mais Mousel fut le secrétaire national du PSU après 1974, quand Rocard lâcha ses petits amis – il dirigeait alors ce parti, mais oui, les jeunes ! – pour se rapprocher de la grande tambouille socialiste.
Ensuite, Mousel fut de tous les cabinets, ou presque. On le vit chez Bouchardeau, devenue secrétaire d’État à l’Environnement après 1981, chez Lalonde, etc. En récompense de quoi il devint président de l’Ademe, tout comme madame Chantal Jouanno le fut. Sur ordre politique. Il fut ensuite, par la grâce de Jospin, qui régnait à Matignon, président – encore un ! – de la Mission interministérielle de l’effet de serre (MIES) jusqu’en 2001. Il a également créé l’association 4 D (ici), durable, forcément durable. Il est de tous les colloques, comme on peut se douter.
J’ ai plein d’autres noms dans ma besace, dont ceux de Laurence Tubiana (ici) et Pierre Radanne (ici), mais je n’écris pas un livre, et vais donc m’arrêter à Christian Brodhag. Porte-parole national des Verts entre 1989 et 1991, conseiller régional, il a quitté ce parti pour se rapprocher de la droite. Laquelle s’est montrée généreuse. Brodhag a été « président de la Commission française du développement durable » entre 1996 et 1999 – défense de glousser -, puis délégué interministériel au développement durable entre 2004 et 2008.
Voilà. Ouf. Je me repose une seconde. Quel est le lien entre ces braves sentinelles ? Mais le fiasco, bien entendu. L’incroyable, l’extravagant échec de leurs sempiternelles (pré)occupations bureaucratiques. Ils n’auront jamais cessé, pendant des décennies, de radoter. De pleurnicher, de demander pardon à tous les pouvoirs en place qui, au reste, les employaient. Quelle bête serait assez sotte pour mordre la main qui la nourrit ?
Tandis que la planète flambait, ces messieurs-dames péroraient, prétendant trouver pour nous les solutions justes et parfaites. On voit, on a vu les résultats. Je pourrais me contenter d’en rire, car il y a bien de quoi. Exemple : Athènes. Une milliardième conférence s’y est tenue fin avril 2009, organisée je crois – et je m’en fous – par le Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE).Vous savez quoi ? On y a appris que l’Union européenne se montrait et se montrerait incapable de stopper « l’érosion de la biodiversité ». En résumé non euphémisé : l’Europe continue à détruire la vie comme si de rien n’était, y compris en mer (ici).
La mer. Chabason. Le plan bleu. 1975. Chabason était à Athènes en avril dernier, et voici ce qu’il a cru pouvoir déclarer concernant la biodiversité : « Nous n’avons pas un indicateur simple – la hausse des températures ou la concentration du CO2 dans l’atmosphère – pour nous alerter. Nous n’avons pas non plus de scénarios nous mettant en garde contre les risques à franchir certains seuils. Enfin, nous n’avons pas encore vécu d’épisodes comme Katrina ou la canicule de 2003 pour aider à la prise de conscience du problème ».
C’est-y pas génial ? Après quarante ans de blabla, l’un de nos grands lutteurs de foire reconnaît qu’il n’en fout pas une rame. Qu’il se contente, comme dirait l’autre, de pures « paroles verbales ». Je vous résume mon sentiment à propos de cette petite armée de professionnels qui s’est emparée de quelques expressions clés, comme développement durable, effet de serre, ou encore biodiversité. Ils ne sont évidemment pas une aide. Ils sont même à coup certain des « retardateurs ». Leur omniprésence et leur totale impuissance à créer du mouvement nous font perdre des années qui ne reviendront pas. Oserai-je ? Ils ne sont pas de mes amis.