Archives mensuelles : juillet 2009

Ce n’est qu’un petit début (De Lafarge à Notre-Dame-des-Landes)

Il y a de cela longtemps, longtemps – pas loin de dix-huit mois -, j’ai écrit ici un papier consacré au Peuple des dunes (lire). Vous pouvez bien entendu tout relire, mais comme j’ai des doutes, je vous résume le tableau. Nous sommes en Bretagne, où depuis des années, le noble cimentier Lafarge, héraut du « développement durable », durable et surtout sans fin, tentait d’obtenir des autorisations pour un chantier de 600 000 tonnes de sable. Une telle quantité, je le précise à toutes fins utiles, ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval.

Mais où, alors ? En mer, pardi, où personne ne vient déranger les beaux engins de chantier. Pour le malheur de Lafarge, entre Gâvres et Quiberon, où ces agapes étaient prévues, le Peuple des dunes s’est levé. Le « Peuple des dunes » regroupe environ 150 associations de toutes sortes, y compris des pêcheurs, ostréiculteurs, et même agriculteurs. Moi, en mars 2008, j’avais souligné l’étonnante détermination des opposants, et surtout leur style. Le style, c’est (presque) tout. Je pariais à cette date qu’ils gagneraient contre le monstre multinational, et c’est chose faite. Lafarge replie ses gaules et ses pompes, et ira détruire ailleurs (ici).

Ma conclusion toute provisoire, c’est que pour gagner, il ne faut pas transiger. Ce n’est certes pas une condition suffisante, mais elle est nécessaire, ô combien ! Retenez ce mot d’un opposant, que je citais l’an passé : « Sachez qu’il n’y a place pour aucune solution négociée avec les cimentiers, car nous ne transigerons pas sur les valeurs qui sont au cœur de notre action. Il n’y a place ni à l’arbitrage, ni à la conciliation, ni à la médiation ».

Voilà bien le langage qu’il faut tenir. Et s’y tenir coûte que coûte. Nous sommes loin du Grenelle de l’Environnement, hein ? Pour gagner, pour espérer gagner, il faut dire non, et faire confiance à la beauté des mots. Je pense déjà à un autre combat, on ne peut plus essentiel, dont l’issue marquera pour longtemps le rapport de forces entre ceux qui avancent à l’abri de leurs bulldozers et nous autres.

Près de Nantes, une flopée d’imbéciles, de gauche comme de droite, tente d’imposer un nouvel aéroport en lieu et place d’une zone naturelle miraculeusement préservée. Or une semaine de rassemblements divers et variés sont prévus autour de Notre-Dame-des-Landes entre le 1 et le 9 août (ici). Eh ben, je n’ai pas de si nombreux conseils à distribuer, mais pour celui-là, pas l’ombre d’une hésitation. Ceux qui seront sur place en août pourront dire à leurs enfants et à leurs petits-enfants : j’y étais. Car pas de doute : il faut.

La pétition contre l’aéroport : http://acipa.free.fr/Petition/petition.htm

Entre chien et loup (quand le loup gagne la partie)

Assez de cris de guerre ! Hier au soir, j’ai oublié les grands malheurs du monde, et même les divagations du Monde Diplomatique. C’est dire. Alors que le jour commençait d’être incertain, alors qu’il rassemblait avant départ ses douces lumières, je me suis mis en route. Direction le fond du vallon, et le ruisseau, donc.

Entre chien et loup ! Y a-t-il plus belle expression ? Je n’en suis pas si sûr. Car elle dit la frontière essentielle entre soi et soi. Entre la liberté et le collier. Entre les sens les plus profonds et les comptes d’apothicaire. Entre la vie et ce qui en tient généralement lieu. Je viens de retrouver, après recherche, un bel extrait des Métamorphoses, du grand Ovide. Le texte complet est d’une longueur extravagante – à nos yeux – d’environ 12 000 vers, dont le début de la rédaction remonterait à l’an 1 de notre ère. Où l’on voit que notre monde d’après Jésus avait pourtant bien commencé.

Ovide, donc. Voici quelques vers en latin, ce qui ne saurait faire du mal, à condition de déclamer dans le vent :  « Jamque dies exactus erat, tempusque subibat,/quod tu nec tenebras nec possis dicere lucem;/ sed cum luce tamen dubiae confinia noctis » . Ce qui veut dire à peu près : « La journée était déjà écoulée, et le moment s’approchait/qu’on ne pourrait appeler ni les ténèbres, ni la lumière;/car bien qu’éclairé encore, cet instant est bien proche de la nuit ».

Hier au soir, donc, le vallon, le ruisseau, alors que les ombres dissolvaient une à une les ombres. Il ne peut y avoir  plus beau que marcher dans le noir qui gagne. Je faisais donc bien partie de cet air encore chaud et de tous ces animaux si proches. Où étaient-ils, d’ailleurs ? Je n’ai pas voulu déranger, et j’ai seulement rencontré un ver luisant, qui appelait sa belle. Puis entendu un froufrou dans les pins sylvestres, qui pouvait être celui d’une chouette hulotte. Enfin suivi quelques minutes le pas gracile de quelque mammifère circulant dans la litière des feuilles anciennes. Un renard ? À l’oreille, on eût dit qu’un enfant de moins de dix kilos sautillait par-delà la ligne des arbres.

Le plus enivrant, hier en tout cas, n’était pas là. L’ivresse était dans l’air, dans l’odeur folle et furieuse des airs surchauffés par l’été. Je suis hélas incapable de vous décrire ce festin. Plus haut, les chênes pubescents et les pins relâchaient leur respiration, libérant l’essence du jour enfui. Plus bas commençaient les frênes, puis les peupliers, puis les aulnes, puis les saules du bord de l’eau. L’humidité, vous le savez comme moi, est comme un alambic géant qui remue, mélange, et change tout ce qui passe à portée.

Aussi bien, à un moment, la terre, la feuille, le bois, les herbes, la pierre formaient des vagues. Des ondes perpétuellement neuves et différentes, dont le ressac me secouait comme si j’étais devenu une paille. Et c’est bien de cela qu’il s’agit, quand on laisse derrière soi son uniforme social. C’est bien à un fétu que l’on ressemble. Un presque rien. Quasiment tout. Un lumignon intérieur, une microscopique présence au monde, quand celui-ci est devenu l’univers.

Adresse au Monde Diplo et à l’Acrimed (sur le Nicaragua)

Pour ne rien vous cacher (ou presque), je suis installé face à mon vallon du bout des terres habitées. Le vent souffle et fait plier les frênes, le ciel est bleu, et ce matin de rêve, tôt, un long bras, aussi blanc que langoureux, occupait le dessus du ruisseau. L’humidité, bien sûr. Regarder mon ruisseau est une perpétuelle leçon de choses. Aujourd’hui, donc, formation et dissolution d’un nuage. Je vous l’assure, c’était d’une beauté à douter de notre intrinsèque faiblesse.

Je devrais, je le sens, vous parler plutôt du monde incroyable qui m’entoure, et que je peux parcourir à pied, inlassablement. Ce soir peut-être, avant la nuit, Patrick me montrera une vaste mare qu’il a découverte ces dernières semaines, à quelques centaines de mètres du hameau. Or il habite ici depuis trente-cinq ans ! Voyez, je ne suis pas près de bien connaître ce pays qui se referme peu à peu à l’homme. Bien entendu, qui dit mare permanente, surtout ici, signifie présence d’animaux, comme autour d’un marigot africain. Je crois que je vais une fois de plus vers le bonheur.

Oui, mais. Oui, mais il y a une paire de jours, j’ai dû descendre vers la plaine, et me rendre à la gare de M. Là, j’ai acheté – ce qui ne m’arrive jamais – le journal Le Monde Diplomatique. Pourquoi ? Parce qu’il contenait une double page consacrée au Nicaragua. Avec un long article du journaliste Hernando Calvo Ospina – que je ne connais pas – (ici), suivi d’un encadré de l’un des piliers du journal, Maurice Lemoine (ici). Le Nicaragua, pour des raisons qui appartiennent à mon passé et à mon cœur, est en moi jusqu’à la fin de mes jours.

J’ai lu. Je ne cherche pas à insulter – à quoi bon ? -, mais ces deux papiers appartiennent à mes yeux, sans conteste, à la tradition stalinienne de la pensée politique. J’en ai souvent parlé, et si j’y reviens, c’est parce que cette maladie de l’âme, qui a une histoire, Dieu sait, reste un obstacle sur la voie d’une pensée nouvelle, où la crise écologique deviendrait le cadre général, et non plus un quelconque ajout. Je ne vais pas vous embêter à faire l’exégèse des deux textes. Et je me contenterai d’un seul exemple : les élections municipales qui se sont déroulées en novembre 2008 au Nicaragua.

Le président en place, Daniel Ortega, est sandiniste. Après avoir été chassé du pouvoir en 1990, il y est revenu, avec 38 % des voix, en 2006. Il fait partie de ce petit groupe guerillero appelé Front sandiniste de libération nationale (FSLN) qui a pris le pouvoir en 1979, après avoir chassé de force ce fils de pute appelé Anastasio Somoza. Je me permets cette expression de « fils de pute », car elle a – aurait – été employée par le président américain Roosevelt en 1939. Parlant alors du père d’Anastasio, qui tenait déjà le pouvoir à Managua, il avait – aurait – déclaré : « Somoza may be a son of a bitch, but he’s our son of a bitch ». C’est-à-dire : « Somoza est peut-être un fils de pute, mais c’est le nôtre ».

Résumons : en 1979, le fils du dictateur, dictateur lui-même, est renversé par les sandinistes, dont Ortega. Lequel est un homme de pouvoir comme vous n’imaginez guère. Un caudillo dans l’âme. Pour revenir au poste de commandement, il s’est livré à des manœuvres qui rendraient Sarkozy sympathique. Et il y est parvenu. En 2006, donc. En 2008,  comme je l’ai écrit plus haut, élections locales. Truandées en grand. En Très Grand. Je vous demande de me croire sur parole ou, si vous lisez l’espagnol, de vous rendre compte par vous-même (ici). Cette épouvantable manipulation a mené le pays, une fois de plus, au bord d’affrontements meurtriers. Mais nul lecteur du Monde Diplomatique n’en saura rien.

Et pourtant ! Une très grande part des sandinistes historiques sont dans l’opposition au caudillo Ortega, bien entendu ami proche du président vénézuélien Hugo Chávez. Dans le désordre, je citerai Ernesto Cardenal, Sergio Ramírez, Dora María Téllez, Henry Ruiz, Luis Carrion, Victor Tirado et encore beaucoup d’autres. Un mot sur Cardenal, prêtre et poète immensément populaire, qui a rompu avec le FSLN dès 1994, déclarant alors : « [Ortega] a manipulé les élections du parti avec toutes sortes de manœuvres, insultant et calomniant Sergio Ramírez et tous ceux qui ne lui sont pas inconditionnels. Dans ma lettre de démission je parle de despotisme, de verticalisme, de la direction autoritaire de Daniel. Je dénonce aussi le manque d’éthique, la corruption et dans quelques cas, les vols ».

Un mot également sur Dora María Téllez. Connue au Nicaragua comme la louve blanche qu’elle est, Dora fut à 22 ans, en 1978, l’une des principales responsables de la prise d’assaut du parlement somoziste, au cours duquel la totalité des parlementaires de la dictature d’alors furent pris en otage par la guerilla sandiniste. Ce sont ces gens, tous ces gens souvent admirables qui considèrent aujourd’hui Ortega comme un traître et un salaud. Mais de tout cela, aucun lecteur ne trouvera la moindre trace dans ce grand journal altermondialiste qu’est Le Monde Diplomatique.

En place et lieu, ils auront droit à un long article de savante désinformation. Je ne doute pas que le vertueux Serge Halimi, directeur du mensuel, publiera dès le mois prochain un rectificatif qui remettra les pendules à l’heure. Et en attendant, j’espère vivement que l’association Acrimed (ici), qui traque sans cesse la désinformation chez les autres, saura aussi la reconnaître chez ses amis du Monde Diplomatique. Que tous sachent que je publierai sans aucune censure leur éventuel commentaire à cet article.

Ce ridicule qui ne tue plus que les poissons

Franchement grotesque. Mais en même temps révélateur de tout l’édifice caché des pouvoirs réels. Qui commande en France ? Selon la plupart des journalistes, qui écrivent sur le sujet des milliers d’articles, monsieur Sarkozy et son verbe. Son verbe, c’est-à-dire, selon les cas, celui de monsieur Henri Guaino, celui de monsieur Patrick Buisson, celui de madame Emmanuelle Mignon, etc.

Le premier cité, qui aura décidément tout raté, a servi Chirac, Séguin, Pasqua, Sarkozy enfin. Il est l’auteur de l’infâme discours prononcé à Dakar par Sarkozy en juillet 2007, dont j’extrais ceci : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès ».

Guaino est aussi l’auteur, au moins pour partie, du discours prononcé l’autre jour par son maître au Congrès de Versailles. En bon ventriloque, il lui a fait parler du Conseil national de la résistance (CNR), créé en 1943, en pleine nuit noire, et présidé d’abord par Jean Moulin. Sarkozy, vantant l’antifascisme armé, vantant ce CNR qui réclamait dès 1944 la nationalisation des banques, de l’énergie, des transports, la création de la Sécu ! Pauvre Henri Guaino. Pauvres de nous.

Les autres précités ont encore moins d’intérêt que ce dernier. Ils incarnent l’aile droite, l’aile dure de ce sarkozysme de pacotille. Buisson est un ancien de l’extrême-droite, où il resta bien plus longtemps que Longuet et Madelin. Mignon, ancienne étudiante en théologie, est une catholique fervente, qui a été responsable des Scouts unitaires de France. Ite missa est.

Il est d’autres plumes dans le vaste poulailler de notre président, mais baste, l’essentiel est dit. Cet homme-là ne parle que par d’autres. Ce qu’il pense vraiment, nul ne le sait. Ou plutôt, évidemment, chacun peut le savoir. Rien d’important n’a pu changer chez cet homme de Neuilly, dont l’expérience de la vie se réduit aux coups fourrés des congrès UDR, puis RPR, puis UMP. Il n’a rien lu. Il n’a pas une vraie minute pour songer aux problèmes de ce temps. Il ne sait du réel que ce que ses petites mains lui concoctent, sous la forme de fiches ne dépassant que rarement un feuillet, soit 1500 signes. Il n’est pas étonnant dans ces conditions qu’il aime à ce point la télé, où tout s’engloutit à mesure. Où tout disparaît chaque jour, pour ne plus jamais revenir.

Je m’échauffe la bile pour rien. Je le sais. Je me dis que je le sais, et je le fais quand même. Ce n’est pas malin, non. Mais aussi, et c’est mon excuse sincère, je viens de découvrir une nouvelle qui nous dit exactement la réalité du pouvoir et des pouvoirs. Pendant des mois, les journaux nous auront saoulés de ce Grenelle de la mer, où des utilités comme Isabelle Autissier faisaient tapisserie (ici). On allait voir ce qu’on allait voir. On allait sauver la mer. On allait monter au ciel pour y décrocher la lune. Ô tristes sots !

Voici la nouvelle : l’amuseur public Jean-Louis Borloo n’est plus seulement ministre de l’Écologie et du Développement durable. Il est aussi celui de la Mer. Cette mer qu’on voit danser le long des golfes clairs, vous savez bien. Ministre de la mer, mais sans les poissons. Car le ministre de la pêche est un certain Bruno Le Maire, qui est également ministre de l’Agriculture (ici). La pêche, qu’on se le dise, appartient au champion du productivisme, ce qui est d’une logique imparable.

Le Maire a décidé de prendre l’affaire à bras-le-corps, comme le rapporte le quotidien Le Télégramme (ici) : « La pêche est, dit-il, confrontée à des défis difficiles “au croisement du débat environnemental, de la sécurité sanitaire, du carburant”. L’un des défis clef est celui de la réforme de la PCP, la Politique Commune des Pêches. Bruno Le Maire compte bien se battre dans l’intérêt de la pêche française. Pour ce faire, il reprend l’idée des Assises de la pêche qui auront lieu après l’été, sur le littoral, avec un objectif: “Ces assises doivent être concluantes” ».

Autrement dit, après un Grenelle de la mer qui aura permis de prendre de belles photos de vacances de madame Autissier et de monsieur Orsenna, place aux choses sérieuses. Place à des Assises de la pêche, où l’objectif central, sinon unique, sera de trouver une manière de racler un peu plus encore des fonds marins dévastés par des décennies de folie industrielle.

Questions subsidiaires ? Qui a, cette fois, écrit le scénario du Grenelle de la mer ?  Quel conseiller ? Qui écrira demain le script des Assises de la pêche ? Quelle conseillère ? Réponse : je m’en fous. Une chose reste évidente : ceux qui ont accepté de cautionnner la bouffonnerie de ce Grenelle-là sont-ils si éloignés du maître queux qui les a réunis ? Comme dirait l’autre, las palabras entonces no sirven, son palabras. Alors les paroles ne servent à rien, car ce ne sont que des paroles.